Principal motif d’hospitalisation des patients diabétiques, les plaies du pied concernent de 20 à 25 % d’entre eux au cours de leur vie. En raison de leur pronostic potentiellement sombre – elles sont un facteur de risque indépendant de mortalité –, elles doivent être rapidement prises en charge.
Le médecin généraliste joue un rôle prépondérant à la fois dans leur prévention et dans l’orientation rapide des patients en cas de plaie.
Évaluer le risque de plaie pour adapter la prévention
Le risque de plaie est fonction du profil du patient, de l’existence de comorbidités et des complications du diabète. La neuropathie périphérique avec insensibilité à la douleur est le terrain de ces plaies ; s’y associe, dans 50 % des cas, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI).
Les facteurs déclenchants sont : toutes les déformations et/ou traumatismes du pied, même minimes, chez les sujets avec neuropathie et/ou artériopathie (le chaussage défectueux ou inadapté est le facteur le plus fréquent), des causes iatrogènes (brûlure ou autosoins blessants), une absence de soins de pédicurie (ongles longs, zones d’hyperkératose…) et une mauvaise hygiène. La meilleure prévention des plaies consiste donc en la réalisation de soins de podologie-pédicurie, qui peuvent être prescrits par les podologues depuis 2023 (v. encadré).
Une échelle de gradation du risque podologique, mise à disposition par la HAS, conditionne la fréquence d’examens des pieds, les modalités du suivi et les indications de remboursement de soins podologiques et de chaussures orthopédiques (v. figure et encadré).
En pratique, un examen en quatre temps permet de dépister ce risque :
- rechercher un antécédent d’ulcération chronique du pied ou d’amputation ;
- dépister une AOMI : claudication intermittente, douleurs de décubitus (souvent absentes en cas de neuropathie associée), palpation des pouls pédieux et tibiaux postérieurs (leur présence est rassurante mais ne permet pas d’éliminer une AOMI modérée), évaluation de l’indice de pression systolique (un résultat < 0,90 confirme l’artériopathie) ;
- le déchaussage doit être systématique, à la recherche de déformations des pieds ou des orteils, qui signent des troubles de la statique du pied ou de la marche à l’origine d’hyperpression plantaire ; vérifier l’absence de plaie, si la corne est bien débridée et les ongles désépaissis ; examiner les chaussures : sont-elles fermées, souples, sans coutures blessantes à l’intérieur ?
- effectuer le test de sensibilité avec un monofilament (vidéo) : si le patient ne sent pas à deux reprises la pression de ce petit fil de nylon sous un des 3 points à tester, il est à risque de plaie. En l’absence de filament, le même test peut être réalisé en exerçant une pression digitale légère. Ce dépistage doit être fait tous les ans.
Quel bilan initial en cas de plaie du pied ?
L’orientation du patient vers une structure spécialisée s’effectue selon la sévérité de la plaie et ses caractéristiques, la présence et la gravité d’une infection, le statut vasculaire et les comorbidités associées (insuffisance cardiaque, rénale, dépression, contexte psychosocial défavorable sont des facteurs de mauvais pronostic).
L’examen de la plaie par la classification SINBAD (tableau 1) permet de déterminer sa gravité (aucun examen paraclinique nécessaire) :
- un score de 0 à 2 correspond à une plaie non compliquée pouvant être prise en charge en soins primaires sous réserve de sa bonne évolution ;
- un score entre 3 et 6 correspond à une plaie compliquée et impose une orientation dans les 48 heures vers une structure spécialisée de référence.
Un bilan biologique est conseillé : hémogramme, CRP, ASAT, ALAT, GGT, PAL, HbA1c, uricémie, bilan lipidique, ionogramme sanguin, créatinémie, complété ensuite par une évaluation nutritionnelle et un bilan d’hémostase, voire des hémocultures.
De plus, la mise en décharge totale et immédiate est préconisée, adaptée à la localisation de la lésion. L’observance étant souvent faible (chaussure unilatérale, instabilité, raisons esthétiques, absence de douleur…), il s’agit d’insister sur le fait que la bonne adhésion à la décharge est un des facteurs principaux de la cicatrisation.
Quelle antibiothérapie en cas d’infection ?
L’infection est un facteur aggravant. Son diagnostic est clinique, avec la présence d’au moins 2 signes parmi les suivants :
- œdème local ou induration ;
- érythème > 0,5 cm autour des limites de la plaie ;
- sensibilité ou douleur locale ;
- apparition ou augmentation de la chaleur locale ;
- présence de pus.
Le prélèvement bactériologique n’est indiqué que dans ce cas, et non si la plaie n’est pas infectée cliniquement (car il sera toujours positif – germe colonisant mais non pathogène – et les antibiotiques parfois réclamés par le patient sont inutiles).
La sévérité de l’infection est évaluée grâce à la classification IWGDF-IDSA 2023 (tableau 2) :
- pour les grades 2 et 3 (infection locale de la peau ou des tissus mous sans signes généraux) : prescrire, après réalisation de prélèvements bactériologiques, une antibiothérapie probabiliste qui doit toujours couvrir Staphylococcus aureus (v. ci-après), puis documentée selon l’évolution ;
- les plaies graves doivent être prises en charge en urgence en milieu hospitalier : fièvre ou signes de sepsis sévère ; plaies nécessitant un drainage chirurgical (inspecter la plaie avec des gants à la recherche de pus ou d’un abcès collecté) ; si associées à une nécrose ; si associées à une hyperglycémie sévère (> 2,5 g/L) nécessitant de l’insuline.
En cas de plaie récente (moins de 4 semaines) avec infection de grade 2 :
- céfalexine ou la clindamycine en 1re intention ;
- pristinamycine (1 < g/8 h) ou linézolide (600 mg/12 h), en cas d’infection récente à staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) ou de colonisation connue à SARM ;
- non recommandés : cyclines, cotrimoxazole, fluoroquinolones.
En cas de plaie chronique avec infection de grade 2 ou de grade 3 :
- amoxicilline-acide clavulanique (PO : 1 g/8 h) ;
- si allergie non grave à la pénicilline : ceftriaxone (1 g/j) + métronidazole ;
- si allergie avec signes de gravité, ou infection récente à SARM ou colonisation connue à SARM : avis infectiologique.
Les posologies sont à adapter à la fonction rénale (utilisation recommandée de l’outil « GPR » : http ://sitegpr.com/fr/) et au poids du patient en cas d’IMC ≥ 30 kg/m2 (utilisation de l’outil http ://abxbmi.com).
La durée de l’antibiothérapie est de 7 jours pour les infections de la peau et tissus mous (en l’absence d’ostéite), poursuivie jusqu’à 14 jours en l’absence d’amélioration clinique significative à J7. Il est inutile de prolonger l’antibiothérapie jusqu’à cicatrisation complète.
Quel suivi ?
Une réévaluation systématique dès 48 à 72 heures est recommandée. En cas d’évolution défavorable à 72 heures, rechercher les causes d’échec avant d’élargir le spectre du traitement (posologie inadaptée, défaut d’observance, intolérance, abcès profond, ischémie, absence de décharge de la plaie).
Dans tous les cas, l’avis d’un expert doit être pris dans les 15 jours (48 h pour les plaies graves). La plaie doit être surveillée jusqu’à cicatrisation complète et pendant les 2 mois suivant la cicatrisation.
La situation globale du diabète doit être prise en charge, résumée par l’acronyme MIDAS (métabolique, infectieuse, décharge, artérielle, soins). Elle est pluridisciplinaire et intègre l’éducation thérapeutique personnalisée du patient.
Pour les soins locaux et pansements, la prescription des soins infirmiers doit être la plus détaillée possible, en précisant les consignes de sécurité de la plaie du pied diabétique : « pansement complexe nécessitant une détersion mécanique », en indiquant la fréquence de réalisation du pansement, le nombre de plaies, le méchage et l’irrigation si nécessaire. L’établissement d’un carnet ou une fiche de suivi est recommandé, pour assurer la continuité des soins entre différents professionnels.
Soins podologiques en fonction du risque de plaie
Les soins de podologie-pédicurie sont la clef de voûte de la prévention des plaies du pied des patients diabétiques. Le podologue retire la corne, fraise les ongles, si nécessaire fabrique des semelles ; le podo-orthésiste fabrique les chaussures sur mesure.
Le remboursement des soins est fonction du grade du risque :
- Grade 0 (absence de risque) : 1 séance par an est recommandée, mais n’est pas remboursée par l’Assurance maladie.
- Grade 1 (risque faible) : idéalement 1 à 2 séances par an au moins, mais non remboursées (financement par la mutuelle éventuellement possible).
- Grade 2 (risque élevé) : 5 séances remboursées par an. L’ordonnance précise « forfait pour risque podologique de grade 2 ».
- Grade 3 (risque majeur) : 6 (absence de plaie) à 8 (plaie en cours) séances remboursées par an, mention « forfait pour risque podologique de grade 3 ».
Enfin, un bilan annuel de gradation du risque podologique pour tout patient diabétique, non soumis à prescription médicale, a été créé en juillet 2023 (facturable une fois par an et valorisé à hauteur de 20 €). Si, à l’issue de ce bilan, les lésions des pieds relèvent du grade 2 ou 3 le podologue peut prescrire les soins de prévention adaptés.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Pied du diabétique : nouvelles recos de la Spilf Rev Prat (en ligne) 19 décembre 2023.
Nobile C. Pied du diabétique : comment prévenir et prendre en charge. Rev Prat (en ligne), mai 2021.
Dossier Pied du diabétique, élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Agnès Hartemann. Rev Prat 2019;69(6);615-33.