En période estivale, le risque d’une piqûre de guêpe ou d’abeille, voire de frelon, est bien réel. Il faut pouvoir distinguer une réaction toxique d’un mécanisme allergique, car la conduite à tenir est différente. Quelle prise en charge en médecine générale ? Quand adresser à l’allergologue ? Un article pratique illustré d’un arbre décisionnel.

Les venins au pouvoir toxique et allergisant

Pour les apidés (abeilles) ou vespidés (guêpes, frelon), la composition du venin est complexe. Celui de l’abeille est composé de 90 % d’eau et pour 10 % d’un mélange d’amines biogènes comme l’histamine, de polypeptides et d’enzymes dont certains possèdent à la fois un pouvoir toxique et allergisant. Lors de la piqûre, l’abeille injecte 90 % des 140 à 150 µg de venin dans les 20 premières secondes. Contrairement à la guêpe, son dard reste en place dans la peau avec un sac à venin qui continue à se contracter, même séparé de l’abdomen de l’insecte.

Le volume injecté est plus variable chez les vespidés : une piqûre de guêpe délivre 10 à 15 µg de venin comparé aux 300 µg pour le frelon.

Chaque hyménoptère représente un réservoir à allergènes majeurs et mineurs (tableau et encadré 1).

Réaction toxique ou allergique ?

Après injection du venin d’hyménoptère, la réaction est variable selon son mécanisme.

Une réaction locale non allergique immédiate est induite par les propriétés toxiques du venin : elle se caractérise par l’apparition d’un œdème local prurigineux et douloureux d’environ 2 cm de diamètre qui peut persister plusieurs heures voire quelques jours.

Une réaction locorégionale peut s’étendre sur 10 à 15 cm autour de la piqûre et atteindre une à deux articulations voisines, avec une tendance à régresser après 72 heures. Le bilan allergologique n’est pas systématique : il n’est envisagé qu’en cas de réactions de plus en plus importantes au fur et à mesure de nouvelles piqures ou d’exposition fréquentes aux hyménoptères ou de facteurs de risque (v. ci-après). Le mécanisme exact de cette réaction n’est pas encore clairement établi.

Une anaphylaxie, avec différents stades de sévérité, est le risque allergique IgE-médié à redouter. C’est dans ce cadre que le bilan allergologique prend tout son sens pour évaluer l’indication ou non d’une immunothérapie injectable (ITA). Les réactions sévères allergiques aux venins d’hyménoptères sont la première cause de réactions anaphylactiques toutes origines confondues. En Europe, on estime qu’il y a environ 200 décès/an liés à ce phénomène. Attention, la présence d’un désordre mastocytaire (mastocytoses…) implique une vigilance accrue : le risque de réaction allergique sévère est dans ce cas multiplié par 100 ; de plus, les symptômes lors d’une anaphylaxie sont très particuliers : en quelques minutes, s’installe un malaise sans signes cutanéomuqueux (urticaire, œdème). Le malaise vagal est un diagnostic différentiel et la suspicion est levée grâce au dosage de la tryptase sanguine dans les délais impartis (v. figure). Au moindre doute, il faut injecter l’adrénaline.

Les réactions non IgE-médiées, atypiques, beaucoup plus rares, sont à évoquer après une ou plusieurs piqûres d’hyménoptères ; elles peuvent être associées à un épisode préalable d’allergie IgE-médiée dans les minutes ou heures qui suivent la piqûre :

  • maladie sérique de mécanisme semi-retardé, qui apparaît 7 à 15 jours après l’agression par guêpe ou abeille (unique ou multiple) ;
  • atteintes neurologiques (névrite optique, polyradiculonévrite, névralgie du trijumeau, troubles de la conscience avec TOC comme conséquence), dont la physiopathologie n’est pas encore totalement élucidée ;
  • troubles rénaux avec apparition d’un syndrome néphrotique 5 jours après la piqûre ;
  • syndrome de Kounis lié à l’activation mastocytaire et plaquettaire quelques heures après le contact, prenant 3 formes (angor spastique sur coronaires saines ; angor sur coronaropathie asymptomatique ; angor sur thrombose coronarienne ou d’un stent) ;
  • rares cas d’urticaire au froid apparaissant 2 jours après la piqûre.
 

Enfin, l’envenimation massive n’est pas d’ordre allergique mais représente un danger en cas de piqûres multiples, surtout par des frelons, en raison de la quantité de venin injecté.

L’abeille est l’hyménoptère le plus souvent responsable d’accident par envenimation, comparé à la guêpe ou au bourdon (risque de décès pour 500 voire 1 000-1 500 piqûres d’abeille chez un individu d’environ 60 à 70 kg ; 350 piqûres pour un enfant de 20 kg).

Une attaque d’abeille avec 50 à 200 piqûres entraîne des symptômes comme une anxiété majeure, des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhée) et hémodynamiques (tachycardie, hypertension et atteinte rénale). En cas d’attaque plus massive, avec 200 à 500 abeilles, une défaillance multiviscérale peut s’installer en plusieurs jours avec hémolyse, rhabdomyolyse, insuffisance rénale.

Pour les guêpes, les symptômes apparaissent avec moins de 50 piqûres simultanées.

Attention aux facteurs favorisants et aggravants !

Différents éléments influent sur la fréquence des piqûres et la gravité des réactions allergiques.

L’activité professionnelle ou de loisir avec contact potentiel avec les hyménoptères est liée au risque accru de piqûres et d’allergies surtout en cas d’antécédents atopiques dans ces populations : horticulteurs, pompiers, jardiniers, apiculteurs, etc.

Les réactions systémiques chez les enfants sont dans 60 % des cas plutôt modérées, avec uniquement une atteinte cutanéomuqueuse. En revanche, chez 70 % des adultes, les manifestations cliniques sont plutôt d’emblée sévères.

Un autre élément à considérer est l’intensité de la réaction initiale : elle est corrélée à un risque de symptômes majorés en cas de nouvelle piqûre.

Si la piqûre est localisée au niveau du visage et plus particulièrement sur la muqueuse buccale ou laryngée, le risque d’œdème avec obstruction des voies aériennes est à craindre.

Les antécédents de pathologies cardiaques et les traitements par bêtabloquants, IEC, sartans favorisent une anaphylaxie sévère. Il en est de même pour les facteurs de comorbidité classiques de l’anaphylaxie : prise d’alcool et/ou d’AINS, stress, infection…

Enfin, le réchauffement climatique a un effet sur l’apparition de réactions allergiques aux hyménoptères dans des régions réputées à climat froid. Ainsi, en 2006 le premier cas d’anaphylaxie a été décrit en Alaska.

Prise en charge médicale immédiate

Outre les mesures locales conseillées en cas de piqûre et l’ablation du dard de l’abeille, un traitement médical est instauré en fonction de la nature de la réaction :

  • Réaction locale : antihistaminique durant quelques jours.
  • Réaction locorégionale : antihistaminique, corticoïde per os (1 mg/kg) pour diminuer la réaction œdémateuse, et antibiothérapie en cas de lymphangite associée.
  • Réaction anaphylactique grade 1 de Ring et Messner : antihistaminique.
  • Réaction anaphylactique de grade 2 à 4 avec atteinte d’au moins deux organes (gêne respiratoire, désordres digestifs, atteinte cardiovasculaire) : injection adrénaline avec appel du 15 ou 18 ou 112 et hospitalisation pour surveillance d’une durée de 7 heures à 24 heures en fonction de la gravité.
 

La prise de corticoïdes per os ou par voie injectable n’a pas de place dans le traitement d’urgence de l’anaphylaxie.

Quand adresser à l’allergologue ?

Le bilan diagnostique est à envisager au minimum 15 jours voire 1 mois après l’épisode allergique en fonction de sa sévérité, selon l’arbre décisionnel représenté en figure. Réalisé trop précocement, il y a un risque de faux négatifs puisque les IgE spécifiques ont été surconsommées lors de la réaction anaphylactique.

Dans un premier temps, en pratique de ville, l’interrogatoire et l’examen clinique permettent de classer la réaction initiale en réaction toxique ou potentiellement allergique. Si possible, le patient a pu identifier l’hyménoptère responsable selon son aspect, sa couleur et sa morphologie, mais cela reste incertain (figure). L’abeille laisse souvent son dard dans la peau et meurt, contrairement à la guêpe et au frelon qui peuvent piquer à nouveau. 

En cas de réaction anaphylactique, des stylos auto-injecteurs d’adrénaline sont à prescrire. Il faut également évaluer les facteurs de risque de récidives.

Si indiqué, le dosage des IgE spécifiques (encadré 2) dirigées contre les différents venins d’hyménoptères est autorisé à concurrence de 5 sur la même ordonnance. Les dosages des allergènes recombinants sont réservés au bilan allergologique spécialisé avec indication de désensibilisation.

En cas de réaction anaphylactique, la tryptasémie doit-être prélevée dans les 30 minutes et à 2 heures, avec un nouveau dosage 24 heures plus tard. Une mastocytose est suspectée lorsque ce taux de base est > à 25 µg/L, associé à une anaphylaxie sans signes cutanés.

Encadre

1. Allergènes contenus dans le venin des hyménoptères

En ce qui concerne l’abeille, 13 allergènes sont répertoriés actuellement dans la nomenclature internationale dont 3 majeurs :

  • Api m1 (phospholipase A2) : c’est un allergène majeur de l’abeille reconnu par les IgE spécifiques de 90 % des allergiques à cet hyménoptère. C’est une glycoprotéine possédant également un potentiel enzymatique. Son activité toxique ne s’exprime qu’en cas d’association avec la mellitine (Api m4). Celle-ci est un allergène mineur à potentiel cytotoxique et hémolytique à l’origine de la douleur ressentie lors de la piqûre, de la vasodilatation et d’une possible hypotension.
  • Api m2 (hyaluronidase) : allergène majeur dont le rôle est essentiellement de permettre la diffusion du venin, sans oublier son activité enzymatique.
  • Api m10 (icarapine) : allergène majeur de description récente dont la fonction n’est pas encore totalement élucidée. Il est isolé dans le canal évacuateur du venin.

Pour la guêpe, 5 allergènes sont identifiés dont :

  • Ves v1 (phospholipase A1) : allergène majeur sans allergie croisée avec la phospholipase A2 de l’abeille.
  • Ves v2 (hyaluronidase) : allergène mineur qui possède 50 % d’homologie de structure avec Api m2 de l’abeille expliquant de possibles allergies croisées.
  • Ves v5 (antigène 5) : allergène majeur.
Voir aussi tableau.
Voir aussi tableau.
Encadre

2. IgE spécifiques disponibles vis-à-vis d’extraits complets de venins naturels.

  • IgE anti-abeille (i1)
  • IgE anti-guêpe commune (i3)
  • IgE anti-guêpe poliste américaine (i4)
  • IgE anti-guêpe poliste européenne (i77)
  • IgE anti-bourdon (i205)
  • IgE anti-frelon européen (i75)
  • IgE anti-frelon asiatique* (u1223) dosage à but de recherche
  • IgE anti-frelon américain à tête jaune (i2)**
  • IgE anti-frelon à tête blanche (i5)**
* Le frelon asiatique (frelon à pattes jaunes) est apparu dès 2004 en France dans le Lot-et-Garonne et se répand désormais dans toute l’Europe.** Ne sont pas à prescrire en Europe.
* Le frelon asiatique (frelon à pattes jaunes) est apparu dès 2004 en France dans le Lot-et-Garonne et se répand désormais dans toute l’Europe.
Pour en savoir plus
Patural M, Lambert C, Dzviga C, et al. Diagnostic des allergies aux hyménoptères. Pour une mise à jour des recommandations de bonnes pratiques.  Rev Fr Allergol 2014;54(6):469-76.
Roussel C, Birnbaum J, Van der Brempt X, et al. Traitement de l’allergie aux venins d’hyménoptères et autres insectes.  Rev Fr Allergol 2022;62(1): 62-76.
Réseau d’allergo-vigilance.
Roussel C, Birnbaum J, Van der Brempt X, et al. Les allergies aux hyménoptères et autres insectes.  Rev Fr Allergol 2022;62(1):1-98. 

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