La prise en charge des plaies chroniques est coûteuse : près de 1 milliard d’euros annuellement.1 En 2012, au moins 650 000 Français étaient concernés : les deux tiers avaient un ulcère de jambe, 23 % une escarre et 11 % une plaie du pied diabétique.2 La prévalence augmentant avec l’âge, les professionnels de santé risquent d’être de plus en plus souvent confrontés à des retards de cicatrisation. Une plaie est considérée comme chronique après 6 semaines d’évolution (délai de cicatrisation allongé). Les plus fréquentes sont l’ulcère de jambe (veineux, artériel ou mixte), les escarres et les plaies du pied diabétique.
Trois principaux types
L’ulcère de jambe concerne 1 % de la population générale, sa prévalence atteint 5 % après 80 ans.3 Il résulte le plus souvent d’une insuffisance veineuse (
La cause détermine le traitement.Tout ulcère des membres inférieurs impose la palpation des pouls périphériques. Leur absence totale ou partielle oriente vers une origine artérielle. Autre élément majeur de l’évaluation lésionnelle : la mesure de l’index de pression systolique (IPS). Réalisée à l’aide d’un doppler portatif et d’un brassard à tension manuel, elle correspond au ratio pression artérielle systolique à la cheville/pression systolique humérale. L’IPS est normalement situé entre 0,9 et 1,3.
Au-delà de 1,3, les artères des jambes sont incompressibles : c’est la médiacalcose, fréquente chez les diabétiques et les insuffisants rénaux) ; un IPS inférieur à 0,9 signe l’AOMI, considérée comme au stade d’ischémie critique si l’IPS est inférieur à 0,5.3
L’escarre est une lésion cutanée d’origine ischémique liée à la compression des tissus mous entre un plan dur (sol ou matelas) et une saillie osseuse (
– talons, région sacrée, en regard des processus épineux vertébraux, des scapulas et de l’occiput lorsque le patient est en décubitus dorsal ;
– genoux, thorax, pommettes en décubitus ventral ;
– au niveau des ischions s’il est assis ;
– des grands trochanters en cas de décubitus latéral.
Parmi les éléments les favorisant on distingue les facteurs extrinsèques : pression, cisaillement (survenant au cours de la mobilisation par traction au lit des patients grabataires) et macération, et intrinsèques : mobilité réduite, dénutrition, sepsis, neuropathie, mauvais état vasculaire (en particulier pour les escarres des talons en cas d’AOMI), trouble cognitif, déshydratation, incontinence.
Quatre stades de gravité croissante sont décrits :
– I : rougeur persistante localisée ne disparaissant pas à la pression du doigt ;
– II : perte de substance cutanée, concerne l’épiderme et le derme. Cliniquement : abrasion, phlyctène ou ulcération peu profonde ;
– III : perte de toute l’épaisseur de la peau pouvant s’étendre jusqu’au fascia, mais pas au-delà. Ulcération profonde.
– IV : perte de toute l’épaisseur de la peau et atteinte des structures sous-jacentes : muscles, os, tendons, articulations…
Les plaies du pied diabétique sont multifactorielles : neuropathie, AOMI, susceptibilité accrue aux infections… Secondairement, elles se chronicisent pour 3 raisons principales : absence de décharge, surinfection et ischémie sous-jacente entraînant retard de cicatrisation, voire aggravation de la plaie (
Elles exposent au risque d’amputation d’orteils, transmétatarsienne, transtibiale en cas d’évolution défavorable, grevant le pronostic vital et fonctionnel.
Prise en charge
Complexe, elle requiert une intervention multidisciplinaire : médecin (généraliste, dermatologue, gériatre, diabétologue), infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, podologue, diététicien… La bonne compréhension des soins par le patient et son entourage est essentielle et conditionne l’observance d’éléments déterminants de la cicatrisation, tels que la compression veineuse ou la décharge des escarres et plaies du pied diabétique.
Le statut nutritionnel doit systématiquement être exploré. Son évaluation est à la fois clinique (IMC, perte de poids…) et biologique (albuminémie, pré-albuminémie, CRP). Chez les sujets dénutris, un complément nutritionnel peut être prescrit, en particulier Cubitan qui raccourcit la durée de cicatrisation de l’escarre.4
De même, la douleur ressentie pendant et en dehors des soins doit toujours être évaluée et prise en charge (Xylocaïne en spray ou antalgique per os 1 heure avant le soin) pour un traitement optimal. Toute plaie doit inciter à vérifier le statut vaccinal antitétanique du patient.
En cas d’ulcère des membres inférieurs, l’évaluation vasculaire par palpation des pouls et mesure de l’IPS s’impose avant toute détersion ou application de bande de compression.
En dehors des mesures générales citées précédemment, il est crucial de :
– déterminer la taille de la plaie, en mesurant ses grands axes, afin d’en suivre l’évolution et d’évaluer l’efficacité des traitements entrepris ;
– préciser son stade : nécrotique (noire), fibrineuse (jaune), bourgeonnante (rouge) ou en voie d’épithélialisation (rose) ;
– rechercher (au doigt ou à la pince) un décollement cutané périphérique, en particulier dans les escarres de stade III et IV. À mécher s’il est présent (alginate ou fibres à haut pouvoir d’absorption si exsudat++ ) ;
– rechercher un contact osseux, en particulier dans les plaies du pied diabétique, les escarres des talons et sacrées ; s’il est perçu (pince en plastique ou métallique), le scanner à la recherche d’une ostéite est indispensable.
Concernant les soins locaux, certains principes généraux s’appliquent à toutes les plaies chroniques. L’utilisation d’antiseptique n’a aucun intérêt. Un nettoyage à l’eau et au savon suffit.
Les pansements sont des dispositifs médicaux qui protègent les plaies et favorisent la cicatrisation en maintenant un milieu humide. On distingue ceux dits primaires (appliqués directement sur la plaie, de divers types,
Pas de prélèvement bactériologique par écouvillonnage, les plaies contenant toujours une flore bactérienne commensale.
Les pansements secondaires le plus souvent utilisés sont des compresses ou des pansements absorbants (Zetuvit, Vliwasorb), maintenus par bande extensible (bande Nylex, Velpeau) ou bandage tubulaire (Tubifast) sur les membres inférieurs.
Enfin, toute plaie évoluant depuis plus de 6 mois sans amélioration malgré un traitement bien conduit ou d’aspect atypique (hyperbourgeonnement, saignement, localisation) doit être adressée à un dermatologue pour biopsie cutanée afin d’éliminer un cancer (carcinome ou mélanome).
Ulcère de jambe
S’il est veineux (IPS ≥ 0,8) : la compression est une mesure cruciale, qui doit être bien comprise à la fois par le patient, son entourage et les soignants concernés. Il est recommandé d’utiliser des bandes multicouches ou multitypes (que l’on enroule autour de la jambe depuis la racine des orteils vers le genou – au moins deux bandes de compression de types différents sont superposées – UrgoK2, Profore).6
Dans les ulcères artériels survenant sur ischémie critique de membre (IPS ≤ 0,5), la compression et la détersion des plaies sont contre-indiquées. Il est nécessaire de pratiquer un écho-doppler artériel, voire un angioscanner des membres inférieurs. Une consultation avec un chirurgien vasculaire doit être rapidement planifiée afin de discuter d’un geste de revascularisation.
Pour les ulcères mixtes et les ulcères artériels hors ischémie critique (IPS entre 0,5 et 0,8), on utilise des bandes à extension courte (Somos, Rosidal K, Comprilan).Les bandes à extension longue (Biflex) n’ont pas leur place dans la prise en charge des ulcères des membres inférieurs. Quel que soit le type de bande de compression utilisé, celles-ci doivent toujours être posées de la racine des orteils à sous le genou, en couvrant bien le talon et en positionnant la cheville à 90°.
Escarres
Mise en décharge de la plaie, correction de la dénutrition et verticalisation sont indispensables.
Il existe plusieurs dispositifs de décharge en fonction du degré d’autonomie du patient et de la localisation de la plaie. Les ergothérapeutes sont d’une aide précieuse dans ces situations.
En cas d’escarre sacrée, les pansements doivent être réalisés quotidiennement, voire plusieurs fois par jour lorsqu’ils sont souillés. Privilégier à cet endroit l’usage d’un pansement secondaire semi- perméable (Tegaderm, Steri-Drape). Si l’escarre siège au talon, l’état vasculaire artériel est systématiquement évalué, on applique une compression veineuse adaptée .
Si l’escarre est talonnière, notamment liée à une AOMI, une chaussure de décharge de l’arrière-pied (type Teraheel) est indiquée au moment de la reprise d’autonomie du patient.
Plaies du pied diabétique
La décharge de la plaie a une importance capitale. Elle doit être complète et permanente, rendant son observance souvent difficile, ce d’autant plus que la cicatrisation est souvent longue. Plusieurs techniques ou moyens sont disponibles : chaussure de décharge (Teraheel pour les plaies postérieures, Barouk pour celles de l’avant-pied), botte plâtrée amovible, botte fenêtrée…
Par ailleurs, de nouveaux pansements, « booster » de cicatrisation sont actuellement en voie de développement. Dans les plaies d’origine neuro-ischémique, une étude publiée en 2017 a montré la supériorité d’un pansement composé de sucrose octasulfate (UrgoStart).7 Il agit en limitant l’action néfaste des métalloprotéases matricielles qui, en excès dans les plaies chroniques, entraînent une dégradation continue de la matrice extracellulaire et un retard de cicatrisation.
L’éducation du patient et de son entourage est clé, afin de favoriser l’observance, au cours d’un traitement souvent long.
1. Assurance maladie. Améliorer la prise en charge des plaies chroniques. Mars 2015.
https://bit.ly/30qrcit
2. Rames O, Sebo S, Pécault R, et al. Plaies chroniques en France : prévalence, caractéristiques et évolution. Améliorer l’organisation de la prise en charge en sortie d’hospitalisation. Journal des Plaies et Cicatrisations 2014;92:12-8.
3. HAS. Prise en charge de l’ulcère de jambe à prédominance veineuse hors pansement. Recommandation de bonne pratique. Juin 2006. https://bit.ly/2AMNKPt
4. Heyman H, Van de Looverbosch DE, Meijer EP, Schols JM. Benefits of an oral nutritional supplement on pressure ulcer healing in long-term care. J Wound Care 2008,17:476-80.
5. HAS. Les Pansements : Indications et utilisations recommandées - Fiche BUTS. Avril 2011.
https://bit.ly/3h5mX1G
6. HAS. La compression médicale dans les affections veineuses chroniques. Fiche de bon usage. Décembre 2010. https://bit.ly/3dKAf1c
7. Edmonds M, Lazaro-Martinez JL, Alfayate-Garcia JM, et al. Sucrose octasulfate dressing versus control dressing in patients with neuroischaemic diabetic foot ulcers (Explorer): an international, multicentre, double-blind, randomised, controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2018;6:186-96.