Une crise sanitaire sans virus
Comment en est-on arrivé là ?
Le dernier plan 2005-2007 a consolidé les précédents et a introduit le dépistage des risques psychosociaux au quatrième mois de grossesse, initié l’expérimentation des maisons de naissance et imposé une attention particulière aux projets de naissance des familles, sans en donner les moyens.
Ces évolutions réglementaires et organisationnelles ont aussi été impactées par la réduction du temps de travail et la limitation des recrutements de praticiens étrangers.
Les conséquences actuelles sont nombreuses :
– saturation des maternités de types 2 et 3. La typologie des établissements a été comprise par les usagers comme une différence de niveau sécuritaire, et ceux-ci accueillent maintenant 80 % des naissances ;
– raréfaction de l’offre privée à but lucratif pour laquelle les contraintes structurelles ne peuvent être équilibrées économiquement alors que le forfait accordé par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) pour un accouchement normal n’a pas été réévalué significativement ;
– crise d’attractivité des métiers de la périnatalité ;
– accélération de la fermeture des plus petites structures, voire des structures moyennes (de 1 000 à 2 000 accouchements par an) ;
– prédominance des réseaux interhospitaliers au détriment des collaborations ville-hôpital ;
– retentissement sur l’offre de soins et sur l’activité chirurgicale des établissements supprimant leur activité obstétricale.
Organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence
À l’exception de la Corse, la couverture territoriale par les établissements de types 2 et 3 est satisfaisante ; néanmoins, ils sont saturés et offrent des conditions de travail et d’accueil dégradées. Une cinquantaine de ces établissements qui réalisent moins de 1 000 accouchements annuels sont menacés de fermeture car ils sont en tension sévère.1 La définition de ce concept est composite en ce qu’il recouvre un nombre insuffisant d’acteurs permanents pour assurer la continuité des soins avec moins de sept équivalents temps plein (ETP) par liste de garde ou d’astreinte, le recours important à l’intérim, et des fermetures temporaires. Cette caractéristique concerne environ 80 % des maternités de type 1 effectuant moins de 1 000 accouchements.3 Une étude de l’Inserm a montré qu’accoucher dans ce type de structure fait courir un risque vital maternel plus important (au décours de 3 % des accouchements supposés à bas risque qui présentent une situation critique d’urgence vitale périnatale ou maternelle).4
La mise en œuvre d’une politique adaptée en matière de périnatalité devrait s’appuyer sur une réduction accrue et organisée du nombre de maternités, au sens d’établissements où sont réalisés les accouchements. Des regroupements au sein des établissements de type 2 et de type 3 d’un même territoire permettraient de pouvoir assurer les parcours de soins les plus complexes comme les plus physiologiques en renforçant les moyens humains et au prix d’adaptations architecturales permettant la cohabitation des différents niveaux de prise en charge. La transformation des établissements de type 1 en centres périnatals de proximité au bénéfice des familles n’est possible que grâce à une mutualisation de l’offre publique et libérale coordonnée à l’échelle de territoires définis par la durée du trajet conduisant à une structure de type 2 ou 3. Cette stratégie nécessite une vraie complémentarité entre les établissements de santé et la médecine de ville. La promulgation de la loi Rist encadrant le recours à l’intérim médical va probablement constituer un frein important au mercenariat de cet intérim et ouvrir beaucoup plus largement les brèches du fonctionnement des établissements fragiles.5
Concilier modernité sécuritaire et post-modernité générationnelle
La profession de sage-femme a profondément évolué en vingt-cinq ans, avec une extension de leurs missions particulièrement adaptées à un exercice libéral mais aussi une perte d’attractivité globale puisque 30 % des places offertes à l’entrée dans les études de maïeutique sont restées vacantes cette année. Cette désaffection touche principalement l’exercice hospitalier de la maïeutique dans des établissements de soins saturés, avec un statut hospitalier devenu inacceptable pour ces professionnelles médicales qui disent elles-mêmes être contraintes à la maltraitance des familles relevant de la physiologie. L’attrait relatif pour l’exercice libéral est donc amplifié par ce repoussoir institutionnel et par la pleine justification de cette présence libérale.
Les médecins en formation déclarent peu d’appétence pour la périnatalité. Les trois spécialités concernées – obstétrique, pédiatrie et anesthésie – sont également touchées, avec une exigence de sécurité des conditions de travail, de garde et d’astreinte, un environnement pluridisciplinaire et une possibilité d’évolution de carrière que les petites structures ne peuvent pas offrir. Les propositions de contraintes qui pourraient être imposées à ces jeunes gens pour débuter leur exercice dans des conditions précaires sont non seulement illusoires mais dangereuses pour les familles et pour ces jeunes praticiens.
Le prix à payer de la proximité et de l’accouchement ambulatoire
L’allongement des trajets entre le domicile et le lieu de naissance imposé par de tels regroupements est souvent avancé comme un risque. La coordination entre référents de la communauté périnatale de proximité et les moyens de transport médicalisé, en particulier le Samu, pourrait faire face à une mise en travail inopinée. Un certain nombre d’entre eux intègrent déjà des sages-femmes dans leur équipe, et cette tendance pourrait être amplifiée et coordonnée par la communauté périnatale.
C’est surtout le symbole de la « fermeture » d’une maternité qui entraîne une opposition réflexe viscérale des édiles locaux. L’hôpital est souvent le premier employeur de la ville ; cependant, une communauté périnatale de proximité pourrait être créatrice d’emplois, tout en diminuant considérablement ses coûts de fonctionnement. L’exercice législatif permettant aux communes et à leur code de procédure pénale (CPP) de continuer à déclarer les naissances qui ont eu lieu à quelques kilomètres mais dont la mère et l’enfant sont revenus après quelques heures ne devrait pas être un obstacle insurmontable. Enfin, les 452 maternités françaises se répartissent sur plus de 13 300 communes, et l’argument sécuritaire avancé pour maintenir une structure d’accouchements fragilisée est bien mal choisi.
Le développement de structures hôtelières-hospitalières accueillant non pas des femmes seules mais accompagnées à leur convenance devrait être également un élément important du dispositif d’accès aux soins. Ces mesures paraissent seules pouvoir pallier la réalité et le ressenti de désert périnatal par les familles et par tous les acteurs de la périnatalité.
Des mesures urgentes !
Recommandations de l’Académie nationale de médecine pour la santé périnatale en France
Dans son rapport du 28 février 2023,1 l’Académie nationale de médecine propose sept recommandations.
1. Inscrire les femmes enceintes au centre de leur parcours de santé ou de soins par l’aménagement et l’utilisation prioritaire de leur dossier personnel médicalisé « Mon espace santé ». Créer un observatoire du vécu maternel du parcours de maternité, et un observatoire national de la périnatalité.
2. Prévoir, dans toutes les structures où sont réalisés des accouchements, l’accueil des parturientes, de leurs conjoints et de leur(s) nouveau-né(s) dans des locaux adaptés comprenant au minimum deux salles de naissance, une salle de prétravail, une zone de prétransferts d’au moins deux nouveau-nés, des chambres pouvant accueillir un accompagnant.
3. Créer des zones physiologiques de naissance qui pourraient intégrer les maisons de naissance, dans toutes les structures de types 2 et 3.
4. Redéfinir et restructurer le travail en réseau des acteurs de la périnatalité : créer des GHPT regroupant les structures publiques et privées et les praticiens libéraux de la périnatalité et définis par le temps d’accès à une structure de type 2 ou 3. Les structures de type 1 n’effectuant plus d’accouchement deviendraient des « centres de prise en charge de la femme et du nouveau-né » et des hôtels hospitaliers. Les centres de prise en charge de la femme et du nouveau-né devraient être les centres de premier recours pour l’orientation et le suivi des grossesses mais aussi l’apprentissage de la parentalité et de l’accompagnement des familles. Des moyens adaptés aux conditions géographiques doivent leur être alloués et inclure des conditions d’exercice de la télémédecine.
5. Assurer la continuité des soins tous les jours de l’année, 24 heures sur 24, quel que soit le nombre de naissances. Pour toutes les spécialités concernées, les listes de garde doivent intégrer au moins sept praticiens. Cette continuité est assurée au sein d’équipes stables composées d’un gynécologue-obstétricien de garde sur place ayant la qualification chirurgicale, un deuxième gynécologue-obstétricien d’astreinte opérationnelle, un pédiatre avec une compétence attestée en néonatologie, un anesthésiste-réanimateur et un infirmier anesthésiste de garde sur place, des sages-femmes.
6. Améliorer l’attractivité des maternités pour les sages-femmes par l’utilisation de la sixième année d’études pour une orientation vers une des trois formes majoritaires d’exercice : santé communautaire, hospitalo-universitaire, exercice hospitalier, par la création d’un statut de praticien en maïeutique au sein des maternités publiques.
7. Consolider la qualité et la capacité d’accueil des nouveau-nés en maternité et en néonatologie par la refonte de la formation des infirmières puéricultrices (IPDE), portée au grade master, et/ou l’ouverture de la formation en infirmière en pratique avancée (IPA) aux puéricultrices pour la néonatologie et par la création d’une nomenclature IPDE et d’un ratio règlementaire IDE-IPDE dans les maternités et dans les unités de néonatologie.
2. Enquête nationale périnatale (Epopée), 24 octobre 2022. https://vu.fr/RAOR
3. Ouhadghiri A. Thèse : État réel des structures. Enquête nationale réalisée par la commission en 2021. Université de Bordeaux 2021.
4. Saucedo M. Delivery hospital characteristics and postpartum maternal mortality: A national case-control study in France. Anesth Analg 2020;52‑62.
5. Article 33 de la loi Rist n° 2021-502 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.
6. Ministère de la Santé et des Solidarités. Les 1 000 premiers jours. Là où tout commence. 2020.