Il y a un fort engouement pour le traitement de la PR à un stade très précoce (pré- ou infraclinique), qu’en penser ?
Oui, il y a beaucoup de travaux de recherche dans ce domaine. Les anticorps anti-peptide citrullinés (ACPA) étant très spécifiques de la polyarthrite lorsqu’on a une arthrite, on a cru initialement que leur présence était, en l’absence d’arthrite, un marqueur du début de la maladie, et qu’on pouvait donc la traiter plus précocement, à ce stade « pré-PR », pour empêcher son évolution.
Or, cette vision a été remise en question récemment par de nombreuses études. Tout d’abord, il a été montré que, parmi les sujets ACPA positifs – même ceux ayant des forts taux d’anticorps avec arthralgies cliniquement suspectes et/ou des inflammations à l’IRM –, environ 50 % ne développeront pas d’arthrite. D’ailleurs, trois études parues l’année dernière suggèrent que les ACPA pourraient jouer initialement un rôle protecteur et entraîner une réponse régulatrice anti-inflammatoire, et que, secondairement, chez certains patients, ils pourraient changer de structure (glycosylation) devenant ainsi « pathogènes » et inducteurs des voies de l’inflammation. Cette découverte change complètement le paradigme, soulignant bien le fait que toutes les personnes ayant des ACPA ne doivent pas être assimilées à des PR pré-cliniques. Il est essentiel de poursuivre les recherches pour comprendre les facteurs responsables de ce changement de fonction des ACPA.
Par ailleurs, les interventions thérapeutiques sur ces patients ACPA + ont été très décevantes, avec plusieurs essais randomisés contrôlés menés ces dernières années : ni la dexaméthasone, ni l’hydroxychloroquine, ni la méthylprednisolone suivie de méthotrexate, ni les statines n’ont eu d’effet sur l’évolution de la maladie.
Les thérapies ciblées, le rituximab et l’abatacept – d’après deux études parues dans le Lancet en mars 2024 – ont un effet uniquement suspensif, allant à peine au-delà de la période couverte par le médicament, retardant l’apparition de la PR de 6 - 12 mois. Traiter tous les patients ACPA + (dont la moitié ne sera jamais malade) avec des thérapies lourdes qui ne permettent ni de guérir ni d’éviter la maladie (sauf peut-être si on les administrait à vie) n’a évidemment aucun sens !
Quel est le rôle joué par les facteurs environnementaux ?
Le rôle du tabac est bien connu mais nous savons maintenant que les facteurs de risque pulmonaires sont bien plus nombreux : la pollution et les expositions professionnelles sont favorisantes (silice pour les métiers du bâtiment, tailleurs de pierre, dentistes… mais aussi insecticides, fongicides, fumées de soudure, toluène, poussières inorganiques…) avec un effet cumulatif et un effet synergique avec le tabagisme et les prédispositions génétiques. Quant à ces dernières, le principal gène impliqué est HLA-DRB1 : un apparenté au premier degré atteint de PR multiplie par 3 le risque. Les parodontopathies sont également associées au risque de PR.
Enfin, le rôle de la flore intestinale est suspecté, avec un rôle étiologique prédominant probablement pour environ un quart des patients, chez qui on retrouve une augmentation de la perméabilité intestinale. L’alimentation et le mode de vie sont parmi les principaux facteurs influençant le microbiote intestinal. Le régime de type méditerranéen et l’activité physique semblent protecteurs avec des études observationnelles qui montrent une association avec un moindre risque d’avoir une PR.
Cependant, nous ne pouvons pas prédire aujourd’hui quels patients à risque (ayant des anticorps ACPA) développeront la maladie ni pour quelles raisons. Aussi, pour mieux comprendre ces aspects, nous allons mener une étude nationale (PROMESS, v. figure avec les centres participants) incluant des sujets à risque (ACPA + avec ou sans douleurs articulaires et sans arthrite clinique). L’objectif est d’étudier très largement l’exposome et identifier les facteurs environnementaux et les mécanismes biologiques impliqués dans le passage au stade d’arthrite. Nous espérons également pouvoir mettre en place un essai « plateforme » pour tester sur ces patients différentes thérapies non médicamenteuses (modulation de la flore intestinale, du système immunitaire par oméga 3, vitamine D) et médicamenteuses.
Quelles recos donner aux généralistes à la lumière de ces nouvelles connaissances ?
Les généralistes prescrivent de plus en plus les dosages d’anticorps : c’est donc important de savoir bien les interpréter selon les dernières données.
Il faut donc bien comprendre que ces anticorps ne signent pas la maladie et que le taux d’auto-anticorps ne permet pas de discriminer les personnes qui vont évoluer vers une PR de celles qui n’évolueront pas. Par conséquent, il ne faut pas considérer ces personnes comme des « pré-malades » ni les traiter comme telles. On parle plutôt de « sujets à risque de développer une arthrite » (avec un risque d’environ 50 %).
Nous venons d’élaborer avec la Société française de rhumatologie de nouvelles recommandations en ce sens, qui seront publiées très prochainement. Les messages essentiels :
- La prise en charge des patients à risque (ACPA +) repose sur les traitements symptomatiques (antalgiques) et la réduction des facteurs de risque (sevrage tabagique, régime méditerranéen, activité physique).
- En l’absence d’arthrite clinique, ne pas introduire un traitement de fond pour prévenir la survenue d’une PR.
- Chez ces personnes, la surveillance est recommandée sur 1 à 3 ans (période la plus à risque d’évoluer vers une PR), à un rythme adapté au niveau de risque (autoanticorps, échographie articulaire) et repose avant tout sur la clinique.
- Il faut informer ces patients qu’ils doivent consulter rapidement en cas d’apparition de gonflement articulaire.
Cope AP, Jasenecova M, Vasconcelos JC, et al. Abatacept in individuals at high risk of rheumatoid arthritis (APIPPRA): a randomised, double-blind, multicentre, parallel, placebo-controlled, phase 2b clinical trial. Lancet 2024;403(10429):838‑49.