Une patiente de 83 ans vit à domicile avec son compagnon. Elle est autonome pour les activités de la vie quotidienne (seule une infirmière intervient à domicile pour la préparation des médicaments).

Observation

Atteinte de la maladie d’Alzheimer, sa dernière évaluation réalisée (deux mois avant cet épisode) retrouve un mini mental state (MMS) à 22/30 et la batterie rapide d’efficience frontale (BREF) est évaluée à 6/18 ; la natrémie est alors dosée à 140 mmol/L.
Non fumeuse, elle est traitée pour une hypertension artérielle par losartan, sous anticoagulants pour une fibrillation atriale, sous corticothérapie pour une polyarthrite rhumatoïde, sous lévothyroxine pour une hypothyroïdie, et sous inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine pour un syndrome dépressif.
Un matin, elle et son conjoint sont retrouvés sur le sol, inconscients. La chute serait survenue trois heures et demie avant que les secours n’interviennent. Au domicile, le taux de monoxyde de carbone est alors mesuré à 330 ppm (parties par million).
Aux urgences, les constantes sont normales. L’examen clinique met en évidence une désorientation temporo-spatiale et un psittacisme*. Le bilan biologique est sans particularité.
Cinq heures après le début de l’oxygénothérapie, le taux de carboxyhémoglobine mesuré est à 4,2 % pour une valeur seuil chez le non-fumeur à 3 %. La patiente bénéficie d’une oxygénothérapie par masque à haute concentration pendant douze heures. Il n’y a pas eu d’imagerie réalisée aux urgences. Le retour à domicile est organisé six jours plus tard.
À douze jours de l’épisode d’intoxication au monoxyde de carbone, la patiente présente des céphalées brutales et des troubles du comportement : elle boit de manière compulsive directement au robinet de grandes quantités d’eau. Elle est adressée aux urgences par son médecin traitant pour ce motif.
À son arrivée, la patiente est consciente et cohérente, l’examen clinique ne met pas en évidence d’anomalie. La glycémie est normale, la natrémie est basse à 128 mmol/L. Le scanner cérébral met en évidence une hypodensité de la substance blanche périventriculaire des carrefours postérieurs et en bifrontal.
La patiente est hospitalisée en unité d’hospitalisation de courte durée où la prise en charge a consisté en une restriction hydrique à 750 mL/j. La tentative de lever la restriction hydrique s’est soldé d’un échec, avec une polydipsie jusqu’aux vomissements.
Les examens biologiques ont permis de conclure à une hyponatrémie vraie.
La paroxétine, inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, pouvant induire un syndrome de sécrétion inapproprié d’hormone antidiurétique et une hyponatrémie, a été arrêtée, bien que son imputabilité soit faible puisque prescrite depuis plus d’une dizaine d’années. La natriurèse et l’osmolarité sanguine, respectivement à 12 mmol/L et 260 mOsm/kg, ont permis d’écarter un syndrome inapproprié de sécrétion d’hormone antidiurétique. Tous ces éléments ont confirmé le diagnostic d’hyponatrémie par polydipsie primaire.
Malgré les consignes, la patiente a continué à boire de manière compulsive, nécessitant la coupure des arrivées d’eau de sa chambre et une contention physique par demi-porte l’empêchant de sortir. Un avis psychiatrique n’a pas mis en évidence d’origine psychogène à ces troubles, et l’indication à l’initiation d’une thérapeutique médicamenteuse n’a pas été retenue. La commission d’éthique a été interpellée devant la restriction de liberté nécessaire et l’absence de solution acceptable par la patiente.
L’électroencéphalogramme était sans anomalie. L’imagerie par résonance magnétique cérébrale réalisée un mois après le début des troubles du comportement n’a pas mis en évidence de signes d’encéphalopathie toxique.
La réunion de concertation pluridisciplinaire du centre mémoire de ressources et de recherches a abouti au diagnostic de syndrome post-intervallaire et à l’instauration d’un traitement par sertraline 25 mg pour trouble comportemental de type trouble obsessionnel compulsif.
La patiente est restée hospitalisée durant cinq mois, car aucune structure d’accueil n’a voulu la prendre en charge en raison de son craving persistant.
La patiente est rentrée à son domicile, aménagé avec des digicodes dans toutes les salles d’eau afin de pouvoir contrôler ses apports hydriques.
La patiente a été réévaluée à distance (10 mois après l’épisode de chute) en hospitalisation de jour, avec mise en évidence d’une perte de 2 points au MMS (20/30) associée à une majoration des troubles exécutifs et attentionnels.

Discussion

Ce récit clinique tend à démontrer la causalité d’une intoxication au monoxyde de carbone dans l’apparition de novo d’une potomanie.

Diagnostic de syndrome post-intervallaire

Après avoir éliminé l’ensemble des diagnostics différentiels, l’hypothèse d’un syndrome post-intervallaire a été émise en confrontant les données de la littérature à l’histoire clinique de la patiente.
La patiente présente plusieurs facteurs de risque de syndrome post-­intervallaire :
– une perte de connaissance estimée entre trois et quatre heures ;1,2
– un âge supérieur à 65 ans ;2
– des troubles de la conscience, avec l’estimation d’un score de Glasgow inférieur à 9 ;1,2
– l’absence de traitement par oxygénothérapie hyperbare.3
L’apparition de la symptomatologie de manière brutale entre le 3e et le 45e jour (12e jour) après l’intoxication est concordante.4
Lorsque l’imagerie cérébrale est ­réalisée dans un délai d’environ trois jours après l’intoxication, il est possible d’objectiver des lésions cérébrales à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) en T2 et FLAIR dues à l’anoxie induite par le monoxyde de carbone, localisées au niveau du pallidum, de l’hippocampe et de la substance blanche diffuse du cortex.5-13 L’IRM n’a pas pu être réalisée à la phase aiguë chez cette patiente ; de plus, elle présente déjà une atrophie hippocampique dans le contexte de la maladie d’Alzheimer.
La réalisation d’une tomodensitométrie cérébrale n’est pas recommandée dans cette indication.
Il est possible de réaliser une tomographie par émission de positons dans les deux à cinq jours après l’intoxication afin d’étudier les régions hypométaboliques.14 Une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) avec le service de médecine nucléaire et les neurologues n’a pas retenu son intérêt dans cette situation, compte tenu de l’impossibilité de différencier les anomalies de la maladie d’Alzheimer et celles liées à l’intoxication.
Bien que l’imagerie n’ait pas pu étayer le diagnostic, la présence d’arguments en sa faveur et l’élimination des diagnostics différentiels permet de relier les troubles du comportement de la patiente à l’intoxication au monoxyde de carbone.

Prise en charge de la potomanie

La prise en charge de la potomanie dépend de sa cause.15
Chez les patients psychotiques chroniques polydipsiques, il a été démontré que la clozapine a pour effet de diminuer l’apport en eau plutôt que d’agir sur les troubles psychotiques.16-20 Cependant, elle comporte de nombreux effets indésirables, comme la majoration des chutes et des troubles cognitifs par ses effets anticholinergiques, associée à un risque de surmortalité chez les sujets âgés.
Dans les polydipsies psychogènes (épisodes dépressifs majeurs, troubles anxieux et obsessionnels compulsifs), les thérapies cognitivo-­comportementales et les techniques de relaxation ont montré une efficacité.21-23
Chez les patients atteints de diabète insipide d’origine centrale, un traitement par desmopressine peut être instauré afin de réinitialiser l’homéostat de la soif par une augmentation relative du seuil de vaso­pressine induisant une diminution du volume des urines et donc de la soif.24-27
Le diabète insipide néphrogénique, quant à lui, est dû à l’insensibilité des tubules rénaux à la vasopressine. Il est principalement héréditaire. Le traitement consiste en une consommation appropriée d’eau, un régime pauvre en sel et en protéines.28-30
Dans le cas de la polydipsie secondaire à des lésions encéphaliques, aucun traitement n’est proposé dans la littérature. Les mécanismes hypothétiques sont une perturbation des influences homéostatiques ou non homéostatiques sur la consommation d’eau.
Chez la patiente décrite, une thérapie cognitivo-comportementale aurait pu être initiée, mais compte tenu de sa maladie d’Alzheimer et de l’atteinte mnésique, elle était en incapacité d’appliquer les consignes de la thérapie. Le diabète insipide a été écarté devant la non-dysfonction de l’hormone antidiurétique. La situation était celle d’une probable lésion cérébrale ayant endommagé le centre de la soif.
Une étude de cinq cas, publiée dans la Revue neurologique en décembre 2006, a montré que l’introduction des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dans les troubles du comportement en lien avec une intoxication au monoxyde de carbone atténue les troubles neuropsychologiques.8
Les neuroleptiques ayant une balance bénéfice-risque défavorable, la sertraline a été initiée en raison de sa faible affinité aux récepteurs α1-adrénergiques cholinergiques (muscariniques), histaminergiques H1, récepteurs dopaminergiques D1 et D2, α2- et β-adrénergiques, benzo­diazépiniques et opioïdes, et en raison de ses effets anticholinergiques, sédatifs et hypotenseurs peu marqués.31,32
L’évolution a été favo­rable à moyen terme sous traitement.
La situation clinique rapportée est celle d’une patiente de 83 ans ayant présenté une hyponatrémie par polydipsie primaire dans le cadre d’un probable syndrome post-intervallaire secondaire à une intoxication au monoxyde de carbone. Ce syndrome, probablement sous-diagnostiqué, est à rechercher chez les personnes âgées exposées à une intoxication par monoxyde de carbone. De plus, ce cas clinique pose les questions éthiques concernant la restriction de circulation dans le contexte de potomanie et maladie d’Alzheimer. ●
* Le psittacisme est le fait de répéter de façon mécanique (comme un perroquet) des phrases que la personne qui les dit ne comprend pas.
Références
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