L’interdiction de la vente de tabac aux mineurs est préconisée dans la convention-cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).5 Ce traité, ratifié par plus de 180 pays, recommande notamment que chaque pays « adopte et applique des mesures législatives, exécutives, administratives […] pour interdire la vente de produits du tabac aux personnes qui n’ont pas atteint l’âge prévu ».
Différentes revues systématiques de la littérature scientifique font état de l’efficacité de l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs sur le tabagisme des adolescents, sous réserve que la loi soit réellement appliquée.6, 7 En effet, tous les programmes qui ont réussi à diminuer la vente de tabac aux mineurs ont entraîné une baisse du tabagisme chez les jeunes.
Quelle législation en France ?
L’adoption d’une interdiction de vente a d’abord concerné les moins de 16 ans, avec en 2003 la loi dite « Recours ».9 Cette loi établit le droit pour un buraliste d’exiger la présentation d’un document d’identité visant à prouver l’âge de l’acheteur. Puis, en 2009, l’interdiction est étendue aux moins de 18 ans (loi Hôpital, patients, santé et territoires).10 En 2014, les produits de vapotage sont également interdits à la vente pour les mineurs.11
Bien que les polices municipales soient habilitées à contrôler le respect de ces interdictions et à verbaliser par une procédure d’amende forfaitaire, qui peut aller jusqu’à 750 euros (contravention de quatrième classe), il n’existe pas en France de politique de contrôle.
Ainsi en dix ans d’existence de la loi sur l’interdiction de vente aux mineurs, seuls trois buralistes ont été sanctionnés par une amende à l’issue de longues procédures judiciaires initiées par la société civile.
Pourtant, cette loi d’interdiction de vente de tabac aux mineurs remporte en France une large adhésion de la population, avec 90 % des Français qui se disent favorables à cette législation.12
État des lieux de la vente de tabac aux mineurs en France
En 2019, l’institut BVA a réalisé pour le Comité national contre le tabagisme (CNCT) une enquête « clients mystères » avec des mineurs âgés de 12 et 17 ans qui simulaient un achat de cigarettes. Cette étude a été réalisée en France auprès d’un échantillon représentatif de débits de tabac.14 Les résultats révèlent qu’environ 10 % des buralistes ont accepté de vendre des cigarettes à des enfants de 12 ans, et deux tiers d’entre eux à des mineurs de 17 ans. Si le jeune acheteur de 17 ans était fumeur, la vente avait lieu dans 93 % des cas.
En résumé, la loi d’interdiction de vente de tabac aux mineurs n’est pas respectée en France.
Quelles mesures pour permettre une meilleure application de l’interdiction de vente aux mineurs ?
Formation des détaillants de tabac
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a développé une formation vidéo de 20 minutes dédiée à la prévention de la vente de tabac aux mineurs.15
En Nouvelle-Zélande, la formation sur l’interdiction de vente aux mineurs est organisée par le ministère de la Santé directement dans les points de vente, avec plus de 2 000 visites annuelles.
En Irlande, une campagne d’information des clients et de formation des détaillants de tabac, intitulée « show me ID », est financée par les chambres et associations de commerce. Un module de formation interactif et gratuit en ligne est prévu pour les employés des débits de tabac, avec un diplôme validant cette brève formation.16
Vérification de l’âge des jeunes ayant l’air d’avoir moins de 25 ans
Ainsi tous les supermarchés hollandais ont adopté depuis 2012 un code de conduite et exigent une pièce d’identité valide pour tous les clients ayant l’apparence d’avoir moins de 25 ans. De plus, une approche systématique et uniformisée de la vérification de l’âge dans le processus de vente a été promue auprès des vendeurs. Ces quatre étapes peuvent être traduites ainsi : estimer l’âge de l’acheteur ; exiger une pièce d’identité s’il paraît avoir moins de 25 ans ; examiner la pièce d’identité ; effectuer (ou non) la vente.
Cette notion de contrôle de l’âge pour tous les jeunes ayant l’apparence d’avoir moins de 25 ans est utilisée dans d’autres pays, comme en Nouvelle-Zélande : « Look under 25 years of age, ask for photo identification. No photo identification, no sale ».17
Vérification automatisée de l’âge
L’efficacité relative des différents systèmes automatisés de vérification de l’âge les uns par rapport aux autres n’est pas établie. Il existe peu d’études indépendantes des fournisseurs de ces dispositifs. De plus, la seule présence d’un système automatisé de vérification de l’âge ne suffit pas pour améliorer le respect de l’interdiction de vente aux mineurs. En effet, son efficacité est conditionnée par la présence d’un personnel formé et l’application de sanctions en cas de non-respect des procédures.
Campagnes de communication pour accompagner l’interdiction de vente aux mineurs
Contrôle de l’application de l’interdiction de vente aux mineurs
Le seul format de contrôle adapté pour mesurer l’effectivité de l’interdiction de vente aux mineurs est la technique du « client mystère », qui consiste à demander à un mineur d’effectuer une tentative d’achat de tabac, sous la vigilance à distance d’un inspecteur en civil. Cette technique d’inspection est utilisée dans de nombreux pays, avec un rapport coût-efficacité très favorable du point de vue de la santé publique.19
Aux États-Unis, les inspections de ce type sont coordonnées par la FDA. Environ 136 000 inspections « clients mystères » sont effectuées chaque année, et le taux de conformité à la loi d’interdiction de vente aux mineurs est d’environ 90 %.20 Les contrôles, leurs issues et les sanctions prononcées sont publiés par les autorités sanitaires sur un portail internet dédié.21
En Australie du Sud, un plan pluriannuel de contrôle de la législation sur le tabac est défini.22 Ce plan comporte notamment des objectifs chiffrés sur le nombre d’inspections « clients mystères » à effectuer et sur le taux attendu de conformité à la loi. Ces contrôles sont effectués par les autorités sanitaires régionales (South Australia Health). Environ 10 % du nombre total des points de vente sont testés chaque année, et les résultats sont publiés. En 2014, 5 % d’infractions à la vente de tabac aux mineurs ont été constatées. Un objectif de moins de 3 % a été fixé pour 2020.
En résumé, l’expérience des différents pays étudiés montre qu’une action de contrôle organisée, efficace et régulière est nécessaire pour obtenir une application concrète de la loi.
Des sanctions réelles et dissuasives
Au Royaume-Uni par exemple, des amendes de 2 500 £ (environ 3 000 €) sont prononcées en cas de première infraction. En cas de récidive, l’amende est portée jusqu’à 20 000 £ (23 000 €), assortie éventuellement d’une suspension de licence (12 mois) ou d’une interdiction d’exercer de même durée à l’encontre du vendeur salarié.
En Irlande également, des sanctions dissuasives ont été mises en place, avec des amendes de 400 à 3 000 €, des suspensions de licence de vente (de 1 heure à 3 mois) et jusqu’à 3 mois de prison. À la fois le vendeur et le propriétaire du lieu de vente peuvent être sanctionnés. La liste des détaillants sanctionnés est publiée.
À Singapour, pour une première infraction, des amendes de l’ordre de 3 000 à 6 000 € et une suspension de 6 mois de la licence de vente de tabac sont prévues. La licence de vente peut être définitivement retirée en cas de récidive ou si une vente est effectuée à un jeune de moins de 12 ans ou en uniforme scolaire.
Vers une interdiction de vente de tabac aux moins de 21 ans ?
Aux États-Unis, parmi les adultes ayant déjà été fumeurs quotidiens, 87 % ont expérimenté le tabac avant 18 ans et 95 % avant 21 ans.23 Dans 19 États, l’âge légal a déjà été porté à 21 ans. Le Congrès américain a adopté le 19 décembre 2019 une loi fédérale relevant à 21 ans l’âge minimal pour acheter tabac et cigarettes électroniques, sur tout le territoire des États-Unis. Cette loi sera effective courant 2020. Ainsi l’âge minimum pour l’achat de tabac ou d’alcool est souvent différent de celui de la majorité civile, fixée à 18 ans dans tous les États (à 3 exceptions près).
À Singapour également, une augmentation progressive de l’âge d’interdiction de vente de tabac est prévue, pour atteindre 21 ans en 2021.
Des moyens à mettre en place en france
L’exemple québécois
En retard par rapport aux autres provinces canadiennes à la fin des années 1990, le Québec a mis en place un système adapté de formation et de contrôle des détaillants de tabac. Le refus des ventes de tabac aux mineurs de moins de 18 ans lors des inspections est ainsi passé au Québec de 37 % en 2003 à 92 % en 2017.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) a créé en 1998 le Service de lutte contre le tabagisme, qui comprend 28 inspecteurs dédiés. Les inspections des débitants de tabac se font de manière aléatoire ou à la suite d’une plainte, par la méthode des « clients mystères ». Elles sont menées en collaboration avec des aides-inspecteurs âgés de 16 ans.
Les associations regroupant les « dépanneurs » (commerces distribuant notamment les produits du tabac au Québec) ont mis en place des systèmes d’auto-inspection, ainsi que des formations dédiées pour leurs employés (« Nous cartons », « PIÈCE D’IDENTITÉ c’est la loi »…). Ces initiatives ont pour objectifs de favoriser la conformité aux lois sur les produits règlementés (tabac, alcool, loto) et d’éviter à leurs membres les sanctions prévues par la loi.
Selon le MSSS, « l’intensification des amendes en matière de vente de produits du tabac aux personnes d’âge mineur de même que la suspension du permis lorsqu’un exploitant est reconnu coupable ont certainement contribué à diminuer le taux d’acceptation de vente de tabac aux mineurs ».1
La disponibilité du tabac pour les plus jeunes est aujourd’hui plus basse, contribuant à une diminution de l’entrée dans le tabagisme des adolescents. Ainsi la proportion de jeunes Québécois qui étaient âgés de moins 14 ans quand ils ont fumé une cigarette complète a fortement diminué, passant de 45 % en 1994 à 9 % en 2014.2
2. Traoré I, Pica L, Camirand H, et al. Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire. 2013 : Évolution des comportements au cours des 15 dernières années. Institut de la statistique du Québec, 2015. http://www.deslibris.ca/ID/245737
Quels systèmes automatisés de contrôle de l’âge dans les points de vente ?
Il existe différents systèmes de vérification automatisée de l’âge, couramment utilisés aux Pays-Bas ou aux États-Unis notamment.1, 2
— Rappel par une « fenêtre pop-up » : quand le vendeur scanne un produit « -18 » (tabac, alcool, jeux), une fenêtre apparaît sur l’écran de sa caisse avec la date de naissance minimale pour effectuer l’achat (date du jour, de laquelle est soustrait 18 ans) rappelant et facilitant ainsi le contrôle de l’âge du client.
— Déverrouillage de la vente par la date de naissance : ces systèmes obligent le vendeur à entrer manuellement la date de naissance de l’acheteur pour tout produit dont la vente est interdite au moins de 18 ans. L’écran indique alors si la vente peut – ou non – être réalisée.
— Scan d’une pièce d’identité pour valider la vente : l’insertion ou le scan de la pièce d’identité de l’acheteur est nécessaire. La reconnaissance de l’âge et la validation se font alors automatiquement. À noter que ces systèmes n’ont pas été développés pour vérifier l’authenticité de la pièce d’identité.
— Vérification de l’âge à distance et par vidéo : lors de l’achat d’un produit dont la vente est restreinte aux clients majeurs, une connexion vidéo en direct est initiée avec un centre de contrôle à distance. La carte d’identité est scannée et la vente est permise ou non depuis le centre à distance. Cela permet d’externaliser le contrôle et le processus de décision et ainsi de décharger le vendeur de cette responsabilité. C’est un système performant mais avec un coût élevé, et donc peu utilisé actuellement.1
2. Roodbeen RTJ, Schelleman-Offermans K, Lemmens PHHM. Alcohol and tobacco sales to underage buyers in dutch supermarkets: can the use of age verification systems increase seller’s compliance? J Adolesc Health 2016;58:672-8.
2. Observatoires français des drogues et des toxicomanies. Les drogues à 17 ans : analyse de l’enquête ESCAPAD 2017. Tendances 2018;123. www.ofdt.fr ou http://bit.ly/2tmqkgg
3. Sasco AJ, Secretan MB, Straif K. Tobacco smoking and cancer: a brief review of recent epidemiological evidence. Lung Cancer Amst Neth 2004;45Suppl 2:S3-9.
4. Benowitz NL. Nicotine addiction. N Engl J Med 2010;362:2295-303.
5. Organisation mondiale de la santé. Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. OMS, 2003. www.who.int ou http://bit.ly/2FjUdQN
6. Stead LF, Lancaster T. Interventions for preventing tobacco sales to minors. Cochrane Database Syst Rev 25 janv2005;(1):CD001497.
7. DiFranza JR. Which interventions against the sale of tobacco to minors can be expected to reduce smoking? Table 1. Tob Control 2012;21:436-42.
8. Réseau Pro Santé. Interdiction de vente de tabac aux mineurs. https://reseauprosante.fr/ ou http://bit.ly/2ZIxPdo
9. Loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003 visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes. www.legifrance.gouv.fr ou http://bit.ly/35g5KLF
10. Code de la santé publique. Article L3512-1-1.
11. Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
12. Observatoires français des drogues et des toxicomanies. Perceptions et opinions des Français sur les drogues. Tendances 2013;88. www.ofdt.fr ou http://bit.ly/2QL3VRU
13. Le Nézet O, Janssen É, Brissot A, et al. Les comportements tabagiques à la fin de l’adolescence. Enquête ESCAPAD 2017. Bull Epidemiol Hebd 2018;14-15:274-82.
14. Comité national contre le tabagisme. L’interdiction de vente du tabac : un interdit protecteur pour la jeunesse [internet]. CNCT, oct 2019. https://cnct.fr/ ou http://bit.ly/2QjM0m9
15. Food and Drug Administration. Tobacco compliance webinars tips for retailers: preventing sales to minors. FDA, juillet 2018. https://www.youtube.com ou http://bit.ly/36icI3X
16. Training & Support. Show Me I.D. https://www.showmeid.ie/training-support/
17. New Zealand, ministry of Health. Selling tobacco to young people: your questions. Wellington, N.Z.: Ministry of Health, 1999.
18. No ID No Sale | Stamping Out Underage Sales – Retailers packs, No ID No Sale posters. https://noidnosale.org/
19. DiFranza JR, Peck RM, Radecki TE, Savageau JA. What is the potential cost-effectiveness of enforcing a prohibition on the sale of tobacco to minors? Prev Med 2001;32:168-74.
20. Dai H, Hao J. The effects of tobacco control policies on retailer sales to minors in the USA, 2015. Tob Control 2018;27:258-60.
21. Food and Drug Administration. Compliance check inspections of tobacco product retailers (through 09/03/2019). www.accessdata.fda.gov ou http://bit.ly/2SLiirP
22. Government of South Australia. Drug and alcohol services SA, Drug. South Australian tobacco control strategy 2017-2020. 2016. Sahealth, 2016. www.sahealth.sa.gov.au ou http://bit.ly/37vtlJW
23. Interuniversity Consortium for Political and Social Research. United states department of health and human services. Substance abuse and mental health services administration. center for behavioral health statistics and quality. National survey on drug use and health. ICPSR, 2014. www.icpsr.umich.edu ou http://bit.ly/35dd3nf