Avocat, il a été élu député de la Sarthe après avoir exercé de nombreux mandats locaux. Membre de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, il vient de publier Nous nous sommes tant trompés. Plaidoyer pour l’avenir de la santé (éditions du Rocher, 2020, 200 pages, 16,90 €).

Vous écrivez que la santé n’est pas gouvernée, mais administrée.

J’ai été maire de La Ferté-Bernard, petite commune de 10 000 habitants au nord de la Sarthe, vice-président d’un conseil départemental, conseiller régional et président d’une communauté de communes. Partout, j’ai constaté que lorsque les élus ne s’investissent pas, l’administration prend la main. Je l’ai fait aussi au niveau national, notamment dans le domaine de la santé. Depuis 25 ans, ce ministère n’est occupé que par des techniciens issus de la société civile, certes brillants, mais qui, n’étant pas des poids lourds de la politique, sont le plus souvent incapables d’imposer une ligne de conduite conforme à leurs convictions.

En mars 2019 a débuté la crise des urgences hospitalières, dont tout le monde sait qu’elle n’est que la partie émergée de celle de l’hôpital public. En été, l’ex-­ministre a présenté un plan bricolé : aucun établissement n’en a encore vu le premier euro. Deux mois plus tard est arrivé à l’Assemblée le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), semblable à tous ses prédécesseurs depuis 25 ans, avec un budget des hôpitaux en baisse ! Une fois de plus, la haute administration a imposé des mesures destinées à réduire le déficit de l’Assurance maladie. L’équilibre des comptes est effectivement important, mais je rêve d’un ministre qui assume clairement de baisser le budget de la santé en expliquant pourquoi. Ça permettrait la vraie discussion publique que les Français attendent, eux qui déclarent très majoritairement que l’avenir de la santé est leur premier motif d’inquiétude. Ils ont imposé ce sujet dans le grand débat national, alors qu’il n’était même pas prévu !

Ce que je constate aussi, c’est que ce sont toujours les mêmes hauts fonction­naires qui se partagent le pouvoir, tantôt directeur d’agence régionale de santé ou d’hôpital, tantôt nommé à l’Igas ou à une direction ministérielle. Au fil des années, ils sont tous prédécesseurs et successeurs les uns des autres. Chacun étant l’obligé d’un autre, aucun n’imagine de changement qui risquerait de remettre en cause ce qu’autrui, ou soi-même, a fait. Je n’accable pas ces fonctionnaires, très compétents, mais une bonne partie de la classe politique, qui leur a abandonné ses responsabilités.

Pour quelles raisons ?

Il y a bien sûr les scandales sanitaires comme l’affaire du sang contaminé, la canicule de 2003 ou l’épidémie de grippe H1N1. Tout politicien a une trouille bleue de ce qui peut arriver à un ministre de la Santé. Mais la raison profonde est la décision d’Alain Juppé en 1995 d’isoler le budget de la Sécurité sociale en le détachant de celui de l’État, comme lui voté tous les ans, mais selon une loi spécifique.

Résultat : le 31 décembre de l’année en cours est devenu l’horizon indépassable de la haute administration de la santé, dont le rôle est de veiller au respect de cette loi, conçue au départ pour mettre un frein aux dérives des dépenses, à l’époque bien réelles. Sauf qu’on appuie sur ce frein depuis 25 ans, comme on ne le fait pour aucune autre politique publique, avec des conséquences catastrophiques.

Il y a 15 ans, ma petite ville comptait 14 médecins. Elle n’en a plus que 5 aujourd’hui. Un nouvel arrivant à La Ferté- Bernard ne peut trouver un médecin traitant, la population étant restée sensiblement la même. Notre Smur ne fonctionne plus depuis des mois, par manque de praticien. Si demain je fais un AVC, il faudra que j’attende 50 minutes l’arrivée du Samu du Mans et 50 autres pour le transport vers un service spécialisé. Dénicher un médecin traitant proche de l’Assemblée nationale ? C’est très facile, si j’accepte de régler une consultation à 70 ou 80 euros. Sinon, Doctolib m’indique un praticien conventionné situé à 2 heures de transport. Le numerus clausus a été mis en place avec l’idée que moins de médecins égale économies. On connaît le résultat. À l’époque, leur moyenne d’âge était d’environ 45 ans. Personne n’a imaginé que 20 ans plus tard, ils auraient sans doute envie de prendre leur retraite !

Tout est toujours pléthorique en matière de santé : trop de médecins, d’hôpitaux, de services de médecine, chirurgie ou obstétrique, que l’on ferme à tour de bras. Le jour où le déficit de la Sécurité sociale sera résorbé, le système de santé sera mort.

Les mesures gouvernementales ne vont-elles pas dans le bon sens ?

Sur le papier, oui. Par exemple, l’État décide de prendre à sa charge un tiers de la dette des hôpitaux. Très bien, sauf qu’il limite leurs ressources à la moitié de leurs besoins budgétaires.

Résultat : ils auront reconstitué leur dette avant même d’avoir amorti la part de leurs investissements prise en charge par l’État.

Autre exemple, la réforme des études médicales que j’ai votée. Le président de la Conférence des doyens m’a affirmé qu’elle ne changera rien : pas un centime n’a été alloué pour des locaux et des enseignants supplémentaires. Le nombre d’étudiants restera le même, faute de moyens pour les former. Dois-je rappeler qu’il manque déjà 15 000 maîtres de stage ? Résultat : dans 10 ans, il y aura encore pénurie de médecins généralistes.

Encore un exemple : tout le monde re­connaît que la prévention est un enjeu fondamental. Mais nous n’avons plus de médecins scolaires, de médecins du travail ni de praticiens de PMI. On a augmenté le prix du tabac, bravo ! Mais le généraliste, qui est le mieux placé pour accompagner son patient dans le sevrage, ne peut le faire correctement que s’il lui consacre 45 minutes avec une consultation à 25 euros et une salle d’attente bondée.

Le problème majeur est que les politiques de santé ne sont jamais évaluées. On a remplacé les agences régionales de l’hospitalisation, constituées de petites équipes très dynamiques, par ces monstres administratifs que sont les agences régionales de santé, avec 400 à 600 fonctionnaires chacune. Qui en a examiné l’intérêt ? De même pour les groupements hospitaliers de territoire. Depuis plus de 10 ans, les élus locaux pallient les problèmes de santé. C’est ma ville qui a payé le scanner de son hôpital. Tout le monde bricole pour attirer les jeunes médecins, qui vont au plus offrant, ce qui pose quelques problèmes d’égalité à l’accès aux soins. Mais ça ne dérange personne. Quand l’État a décidé de créer les CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, il a chargé les ARS de leur mise en place, en tenant les élus locaux complètement à l’écart et les patients aussi.

Dans mon département, une CPTS inclut 350 professionnels de santé. Il lui faut donc un local et des personnels. On recrée ainsi des établissements hors les murs financés par l’Assurance maladie, avec un bénéfice incertain pour les patients. Il aurait mieux valu s’appuyer sur les réseaux qu’entretient déjà chaque médecin généraliste avec ses correspondants spécialistes, paramédicaux, pharmaciens, hospitaliers, etc., en leur donnant les moyens d’être plus efficaces.

Mais pour l’administration, plus c’est gros, plus c’est beau. Éloignée de nos concitoyens, elle est incapable de donner une réponse politique aux questions de santé qu’ils se posent. C’est extrêmement grave, parce que cela contribue à la dissolution du lien démocratique, avec le risque de révoltes où la foule se prend pour le peuple.

Qui peut donner cette réponse politique ?

Le président de la République. Lui seul a l’autorité et le pouvoir de faire changer la politique de santé. Le problème est qu’il a beaucoup de bonnes idées, mais qu’elles ne sont pas mises en œuvre. Le 18 septembre 2018, il a présenté son projet « Ma santé 2022 ». J’étais prêt à le soutenir, bien qu’étant un élu de l’opposition. Le 4 octobre 2018, l’Assemblée nationale a reçu le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Il était identique à ceux des 25 années précédentes : pas le début d’un financement des ambitions présidentielles, mais à nouveau des budgets en baisse. Le cabinet de l’ex-ministre de la Santé ne comprenait plus qu’une dizaine de personnes, ce qui était largement insuffisant pour piloter sa politique. En conséquence, ce sont de hauts fonctionnaires qui écrivaient ses discours et lui donnaient ses éléments de langage.

Le cabinet du président de la République m’a reçu parce qu’il était très étonné de ce qu’il avait lu dans mon bouquin – écrit, car à l’Assemblée, je prêche dans le désert. Pourtant, tous les acteurs de santé avec qui je discute me donnent raison. J’ai présenté une proposition de loi de santé à la commission des Affaires sociales en 2018. Mais comme je fais partie de l’opposition, elle a été refusée, alors que la plupart de mes collègues la trouvaient très bien et que plusieurs de ses propositions sont proches de ce que Agnès Buzyn a annoncé plus tard. Je ne prétends pas avoir raison sur tout, je veux simplement que les poli­tiques se remettent à réfléchir, ce qu’ils ne font plus depuis longtemps, en ne s’interdisant aucune piste a priori.

Quelles sont les priorités politiques en matière de santé ?

J’en vois deux. La première est de mettre en œuvre ce qui a été décidé depuis 2 ans. Pour cela, il faut réorganiser la gouvernance du ministère, en nommant quelqu’un ayant suffisamment d’auto­rité et en le dotant d’une équipe étoffée en qui il a confiance. Une de ses premières tâches serait de réintégrer la santé dans le budget de l’État.

La seconde est d’entamer une vaste concertation avec l’ensemble de nos concitoyens afin de proposer une loi à mettre en œuvre dans le prochain quinquennat. Elle inclurait le financement des mesures à prendre pour sauver le système dans l’immédiat. Car il y a urgence. Je suis convaincu que la prochaine élection présidentielle sera dominée par les questions de santé, et notamment celles relatives à la dépendance. Un des outils de cette concertation serait la nomination d’un haut commissaire ou d’un secrétaire d’État disposant d’une équipe pour recueillir sur tout le territoire un cahier de doléances, déterminer les responsabilités et s’assurer que les décisions sont suivies d’effet. Il faudrait y associer les parlementaires, qui ont pour mission de vérifier que l’exécutif fait bien son travail.

Un exemple : dans ma commune, le directeur d’hôpital a reçu un questionnaire à propos de ses investissements dans le contexte de la remise de dette promise par le ministère. Depuis, il n’a aucune nouvelle. Le délégué de mon haut commissaire mettrait tout le monde autour de la table, syndicats, professionnels de santé, élus locaux, directeurs d’hôpitaux, patients pour décider de ce qu’on fait de cet argent.

Il faut reconstruire des politiques de proximité et, en santé, partir du patient à son domicile. Je suis d’avis de remplacer le principe de précaution inscrit dans la Constitution, qui a énormément freiné les initiatives, par celui de subsidiarité : tout projet de loi, décret, ordonnance, etc. doit être évalué à son aune : ce qui peut être décidé et fait à un niveau, notamment local, ne doit pas l’être à un étage supérieur.

Et j’aimerais que les politiques aient en mémoire une maxime de mon maître en droit public, Jean Gicquel : « Un élu, c’est quelqu’un qui prend des décisions, qui les assume et qui en rend compte. » Aujourd’hui, ils se contentent de décider…

Encadre

Dépenses de santé : (trop) bien encadrées ?

La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) est votée chaque année par le Parlement. Son but est de maîtriser les dépenses sociales et de santé, en fixant les prévisions de recettes et de dépenses, avec une logique « d’objectifs-résultats ».

Elle détermine l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), c’est-à-dire le montant prévisionnel à ne pas dépasser chaque année. Voté par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), ce n’est pas un budget maximal restrictif, mais un indicateur de maîtrise économique. Il peut donc être dépassé, ce qui lui est arrivé chaque année jusqu’en 2010, sous-exécuté ou conforme à ce qui avait été voté par le Parlement, ce qui s’est produit depuis.

Le projet de LFSS est proposé par le gouvernement au Parlement au plus tard le 15 octobre de chaque année. Il doit être examiné dans les 50 jours.

La Cour des comptes assiste le gouvernement et le Parlement dans le contrôle de l’application de la LFSS et certifie les comptes. Elle publie chaque année un rapport sur la Sécurité sociale.