Tous les médicaments doivent être utilisés à bon escient, et leur « bon usage » est un objectif prioritaire de l’enseignement de la médecine, qui sera scrupuleusement vérifié lors de votre évaluation à l’occasion des épreuves classantes nationales (ECN), même si le détail des posologies n’est que rarement exigé. La fréquence des événements indésirables liés à un mauvais usage des médicaments et leur gravité potentielle justifient cette exigence et l’individualisation de la discipline médicale intitulée « thérapeutique ».
Les exigences de bon usage des anti-infectieux vont encore au-delà, pour les raisons suivantes :
  • dans cette classe médicamenteuse, la cible est composée de micro-organismes vivants capables de s’adapter rapidement à toutes les armes qu’on leur oppose, avec une cinétique bien plus rapide que les capacités d’adaptation de l’homme ;
  • les antibiotiques sont essentiellement des produits naturels ou de synthèse, découverts il y a quelques décennies, qui ont connu un essor sans précédent, suivi d’une chute rapide de leurs spectres d’activité, pour la plupart. À l’instar des réserves énergétiques, le scénario est celui d’un épuisement rapide des ressources naturelles, qu’on a cru sans limite. Des initiatives telles que l’alliance WAAR (war against antibiotic resistance) militent pour l’inscription des antibiotiques au patrimoine de l’humanité, afin de mieux réguler leur usage pour que les générations futures puissent également en bénéficier ;
  • une dimension inédite de cette classe médicamenteuse est la transmissibilité des effets collatéraux du mésusage : ainsi, les conséquences des surconsommations d’antibiotiques chez un patient donné s’étendent à la collectivité dans laquelle il évolue (ses proches), aux patients hospitalisés dans la même unité, et aux générations futures. Cette transmissibilité des conséquences du mésusage n’existe pas au sein des autres classes thérapeutiques : un usage aberrant des antihypertenseurs ou du traitement de l’adénome de la prostate n’aura de conséquence que pour les patients qui les reçoivent ! ;
  • la recherche et le développement (R&D) des anti-infectieux sont des secteurs « au ralenti » au sein de l’industrie pharmaceutique, avec peu de nouvelles molécules à espérer au cours des décennies à venir. Il s’agit d’un secteur de faible rentabilité compte-tenu des politiques (justifiées) de restriction de l’usage des antibiotiques, du raccourcissement des durées de traitement et du risque d’émergence rapide des résistances après commercialisation. Le retour sur investissement des traitements appliqués aux maladies chroniques (neurologiques, cardiovasculaires, néoplasiques, inflammatoires, métaboliques) offre de meilleures perspectives pour les firmes, notamment lorsque le traitement est indiqué « à vie » ;
  • enfin, l’épuisement des ressources en antibiotique aurait des conséquences désastreuses qui s’étendraient bien au-delà de la discipline des maladies infectieuses. Comme l’a rappelé Margaret Chan, directrice de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2012), c’est l’ensemble de la médecine moderne qui est menacée, avec l’épuisement de l’efficacité des antibiotiques. Des procédures qui ont révolutionné le pronostic fonctionnel ou vital de nombreuses maladies, telles que les prothèses ostéo-­articulaires, les traitements immunomodulateurs, les chimiothérapies antinéoplasiques, les transplantations d’organes ou de cellules souches hématopoïétiques, pourraient devenir « déraisonnables » si on ne disposait pas d’antibiotiques efficaces pour prévenir ou guérir les complications infectieuses inhérentes à ces procédures.
Pour toutes ces raisons, le bon usage des antibiotiques est une priorité absolue de la médecine en 2021. C’est pour cette raison que les plans nationaux ou internationaux focalisés sur cet objectif se sont succédé au cours des années (avec des résultats mitigés). C’est pour cette raison aussi que vous devez connaître sur le bout des doigts cette question « prescription et surveillance d’un traitement anti-infectieux ».