Le syndrome d’Asperger, après avoir connu un succès immense, a disparu du DSM-5, ce qui arrange tout le monde compte tenu des révélations concernant le passé du pédiatre autrichien. Comment expliquer la fortune et le déclin d’une telle entité ?
Simon Baron-Cohen, grand spécialiste de l’autisme, avait publié en 2009 un article sur la courte vie des diagnostics.1 Cela concerne bien le syndrome d’Asperger pour plusieurs raisons qui n’ont rien à voir avec les découvertes historiques récentes concernant le passé trouble d’Hans Asperger mais qui tombent bien en raison même de ce passé. Un sujet qui a donné lieu à la parution de plusieurs livres et à des centaines d’articles plus ou moins polémiques. Tentons d’y voir plus clair.
Quand et comment le terme « syndrome d’Asperger » s’est-il imposé ?
Hans Asperger (1906-1980), pédiatre autrichien, publie en 1944 un article sur les psychopathes autistiques.2 Au même moment pratiquement (1943), Leo Kanner (1894-1981), à Baltimore aux États-Unis, donne la première description de l’autisme.3 Asperger décrit chez ces patients des troubles qui sont davantage partie prenante de leur personnalité que d’une maladie dont ils seraient affectés (comme la schizophrénie). Ces « petits professeurs », rigides, qui s’isolent, ont des activités toujours semblables, peu d’humour, une tendance à l’isolement, une maladresse motrice mais parlent bien quoique de manière monocorde et sont intelligents, parfois très doués dans certains domaines. À la fin de la guerre, l’hôpital de Vienne est bombardé et il ne reste rien des recherches d’Asperger qui continue cependant à travailler, mais sa description tombe dans l’oubli.
En 1981, une psychiatre anglaise, Lorna Wing, dont la fille est autiste, prend connaissance des écrits d’Asperger, traduits par Utah Frith,4 et y découvre la description, qu’elle juge très originale, d’un syndrome proche de l’autisme mais pas équivalent, et à qui elle donne le nom de syndrome d’Asperger.5 Ce syndrome qui, en raison de limites floues, pointait, à côté de patients handicapés socialement et affectivement, une forme d’élitisme et d’originalité et une proximité tantôt appréciée, tantôt déniée avec l’autisme, va connaître un incroyable succès. Être original et génial et peut-être autiste a pu paraître à certains une position enviable, et les cas attribués se sont multipliés de façon exagérée.6 On a dit que Mozart, Glenn Gould, Einstein, Kafka, Bill Gates en étaient atteints… Des artistes célèbres se sont revendiqués « Asperger » et les diagnostics se sont multipliés, au point que le syndrome évoqué devant tout trait original a perdu, au fil du temps, sa spécificité, ce qui a conduit l’Association des psychiatres américains (APA) à le supprimer dans sa 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) pour tenter de faire la part, dans ce qu’on nomme syndrome d’Asperger, entre ce qui relève de l’autisme et ce qui est autre chose ; d’où cette deuxième question.
En 1981, une psychiatre anglaise, Lorna Wing, dont la fille est autiste, prend connaissance des écrits d’Asperger, traduits par Utah Frith,4 et y découvre la description, qu’elle juge très originale, d’un syndrome proche de l’autisme mais pas équivalent, et à qui elle donne le nom de syndrome d’Asperger.5 Ce syndrome qui, en raison de limites floues, pointait, à côté de patients handicapés socialement et affectivement, une forme d’élitisme et d’originalité et une proximité tantôt appréciée, tantôt déniée avec l’autisme, va connaître un incroyable succès. Être original et génial et peut-être autiste a pu paraître à certains une position enviable, et les cas attribués se sont multipliés de façon exagérée.6 On a dit que Mozart, Glenn Gould, Einstein, Kafka, Bill Gates en étaient atteints… Des artistes célèbres se sont revendiqués « Asperger » et les diagnostics se sont multipliés, au point que le syndrome évoqué devant tout trait original a perdu, au fil du temps, sa spécificité, ce qui a conduit l’Association des psychiatres américains (APA) à le supprimer dans sa 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) pour tenter de faire la part, dans ce qu’on nomme syndrome d’Asperger, entre ce qui relève de l’autisme et ce qui est autre chose ; d’où cette deuxième question.
Pourquoi le syndrome a-t-il disparu de la classification du DSM-5 ?
À cela trois raisons :
– le manque de contour précis des critères diagnostiques qui constituent le syndrome d’Asperger, comme nous venons de l’évoquer. En effet : « difficulté à se faire des amis », « absence d’empathie », « manques dans la communication non verbale », « mutisme inexpliqué », « difficulté à écouter les autres », « obsessions passagères », « besoin de routines », « absence de second degré dans le jugement », « difficulté de motricité », « renfermement »… tous ces traits peuvent s’observer dans beaucoup de situations, qu’elles soient pathologiques ou non ;
– la difficulté à trouver une différence entre l’autisme de haut niveau et le syndrome d’Asperger. La seule, notée jusqu’ici, étant que les personnes affectées du second avaient une acquisition du langage précoce et normale et un très bon niveau intellectuel, soit une différence qui ne justifiait pas une catégorie particulière ;
– et, point le plus important, un changement dans la manière de classer les troubles psychiatriques : jusqu’à présent et même dans le DSM-IV, leur classement était catégoriel, chaque catégorie impliquant de correspondre à des critères (avec des réponses par « oui » ou « non ») qui aboutissait à ce que le médecin et la société attribuent au patient une étiquette qui lui collait à la peau au point qu’il risquait de devenir vraiment l’étiquette qu’on lui collait (ce qu’on a appelé la théorie de l’étiquetage ou « labelling theory »).
De fait, l’APA, dans le souci de ne pas stigmatiser les patients et de mieux coller à une réalité sociétale où on ne se satisfait pas d’être classée dans une case, a décidé d’opter pour un classement dimensionnel. On parle désormais de « spectre autistique » dont les dimensions correspondent au degré du trouble, depuis celle du savant génial et original jusqu’à celle de l’enfant sans langage et affecté de stéréotypies. Le trouble du spectre autistique (TSA) pouvant devenir une variante de la normale que la société se devrait d’accepter au titre de la « neurodiversité », autre terme issu de l’acceptation que doit avoir la société des variants non normotypiques.
Ainsi, soit un patient anciennement « Asperger » a les critères d’un trouble du spectre autistique, et on parle alors de « TSA de faible degré avec un bon langage non déficient », soit il ne les a pas. Certains « ex-syndrome d’Asperger » se reconnaissent comme ayant un trouble du spectre autistique, et d’autres non, d’où la troisième question.
– le manque de contour précis des critères diagnostiques qui constituent le syndrome d’Asperger, comme nous venons de l’évoquer. En effet : « difficulté à se faire des amis », « absence d’empathie », « manques dans la communication non verbale », « mutisme inexpliqué », « difficulté à écouter les autres », « obsessions passagères », « besoin de routines », « absence de second degré dans le jugement », « difficulté de motricité », « renfermement »… tous ces traits peuvent s’observer dans beaucoup de situations, qu’elles soient pathologiques ou non ;
– la difficulté à trouver une différence entre l’autisme de haut niveau et le syndrome d’Asperger. La seule, notée jusqu’ici, étant que les personnes affectées du second avaient une acquisition du langage précoce et normale et un très bon niveau intellectuel, soit une différence qui ne justifiait pas une catégorie particulière ;
– et, point le plus important, un changement dans la manière de classer les troubles psychiatriques : jusqu’à présent et même dans le DSM-IV, leur classement était catégoriel, chaque catégorie impliquant de correspondre à des critères (avec des réponses par « oui » ou « non ») qui aboutissait à ce que le médecin et la société attribuent au patient une étiquette qui lui collait à la peau au point qu’il risquait de devenir vraiment l’étiquette qu’on lui collait (ce qu’on a appelé la théorie de l’étiquetage ou « labelling theory »).
De fait, l’APA, dans le souci de ne pas stigmatiser les patients et de mieux coller à une réalité sociétale où on ne se satisfait pas d’être classée dans une case, a décidé d’opter pour un classement dimensionnel. On parle désormais de « spectre autistique » dont les dimensions correspondent au degré du trouble, depuis celle du savant génial et original jusqu’à celle de l’enfant sans langage et affecté de stéréotypies. Le trouble du spectre autistique (TSA) pouvant devenir une variante de la normale que la société se devrait d’accepter au titre de la « neurodiversité », autre terme issu de l’acceptation que doit avoir la société des variants non normotypiques.
Ainsi, soit un patient anciennement « Asperger » a les critères d’un trouble du spectre autistique, et on parle alors de « TSA de faible degré avec un bon langage non déficient », soit il ne les a pas. Certains « ex-syndrome d’Asperger » se reconnaissent comme ayant un trouble du spectre autistique, et d’autres non, d’où la troisième question.
Qu’est-ce qui pose un problème dans la disparition du syndrome d’Asperger ?
La reconnaissance du diagnostic de syndrome d’Asperger ouvre des droits, par exemple au niveau des organismes médicosociaux (comme les maisons départementales des personnes handicapées [MDPH] en France) ; c’est la reconnaissance d’un handicap et, à juste titre, nombre de patients craignent de perdre cette reconnaissance nécessaire étant donné le handicap que ce syndrome représente et les difficultés sociales inhérentes au fait d’avoir ce trouble ; il semble évident que ces états doivent être reconnus comme invalidants et la plupart d’entre eux vont entrer dans le cadre des troubles du spectre autistique.
Il est des termes comme « Asperger », « Aspie », « Aspergirl » qui sonnent bien, faisant du syndrome d’Asperger une identité valorisante avec beaucoup d’autodiagnostics et le sentiment d’appartenir à une communauté incomprise, sentiment que contribue à renforcer le succès des œuvres mettant en scène des personnages ayant un syndrome d’Asperger (ainsi ceux des films Rain Man [4 oscars] ou Code Mercury et jusqu’à la série télévisée Atypical de Netflix), ainsi que les nombreux reportages sur ceux qui réussissent brillamment examens et études supérieures.
Ce diagnostic valorisant a pris progressivement la place d’autres, jugés dévalorisants. De la même façon que la psychose maniacodépressive est devenue bipolarité, nombre d’états limites voire de schizophrénies sont devenus des syndromes d’Asperger7 et beaucoup d’enfants que l’on considérait, il y a 20 ans, comme psychotiques le sont devenus… C’est peut-être mieux pour l’acceptation des diagnostics mais « mal nommer les choses n’est-ce pas ajouter au malheur du monde ? » (Albert Camus). Cette évolution fait perdre tout sens clinique aux praticiens qui deviennent dépendants, dans leur pratique, d’associations de patients qui imposent leur point de vue.
La classification du DSM est habituellement validée par la Classification internationale des maladies (CIM) dont la prochaine édition est prévue en janvier 2022. De nombreuses associations protestent contre la disparition du terme « syndrome d’Asperger » et voudraient que la CIM-11 ne la valide pas.
Mais certains praticiens trouvent que cette disparition vient à point nommé étant donné les découvertes historiques sur le passé d’Hans Asperger à l’occasion de l’ouverture des archives autrichiennes.
Il est des termes comme « Asperger », « Aspie », « Aspergirl » qui sonnent bien, faisant du syndrome d’Asperger une identité valorisante avec beaucoup d’autodiagnostics et le sentiment d’appartenir à une communauté incomprise, sentiment que contribue à renforcer le succès des œuvres mettant en scène des personnages ayant un syndrome d’Asperger (ainsi ceux des films Rain Man [4 oscars] ou Code Mercury et jusqu’à la série télévisée Atypical de Netflix), ainsi que les nombreux reportages sur ceux qui réussissent brillamment examens et études supérieures.
Ce diagnostic valorisant a pris progressivement la place d’autres, jugés dévalorisants. De la même façon que la psychose maniacodépressive est devenue bipolarité, nombre d’états limites voire de schizophrénies sont devenus des syndromes d’Asperger7 et beaucoup d’enfants que l’on considérait, il y a 20 ans, comme psychotiques le sont devenus… C’est peut-être mieux pour l’acceptation des diagnostics mais « mal nommer les choses n’est-ce pas ajouter au malheur du monde ? » (Albert Camus). Cette évolution fait perdre tout sens clinique aux praticiens qui deviennent dépendants, dans leur pratique, d’associations de patients qui imposent leur point de vue.
La classification du DSM est habituellement validée par la Classification internationale des maladies (CIM) dont la prochaine édition est prévue en janvier 2022. De nombreuses associations protestent contre la disparition du terme « syndrome d’Asperger » et voudraient que la CIM-11 ne la valide pas.
Mais certains praticiens trouvent que cette disparition vient à point nommé étant donné les découvertes historiques sur le passé d’Hans Asperger à l’occasion de l’ouverture des archives autrichiennes.
Quelles sont les révélations certaines apparues sur le passé d’Hans Asperger ?
Les avis ont divergé sur l’attitude d’Asperger durant la Seconde Guerre mondiale. Pour Asperger, certains des enfants qu’ils décrivaient comme des psychopathes autistiques pouvaient être aidés et s’améliorer grâce à la pédagogie curative dont il était un adepte, mais d’autres enfants étaient jugés incurables. Ces derniers étaient transférés de l’hôpital de Vienne à un autre établissement, le Spiegelgrund, dirigé par Erwin Jekelius (1905-1952) qui les tuait en leur administrant du phénobarbital, quelquefois avec l’accord de leurs parents convaincus que c’était une bonne action pour la société, pour la famille et pour les enfants eux-mêmes à qui on épargnait une vie de souffrance, et parce qu’on leur évitait ainsi de disséminer à l’âge adulte de « mauvais gènes ».
C’est Asperger, en collaboration avec ses collègues, en commission, qui posait l’indication d’orientation vers le Spiegelgrund. Ses écrits ont été retrouvés dans des archives de l’établissement par l’historien autrichien Herwig Czech8 qui a fait un travail remarquable, sans passion mais étayé par des documents écrits par Asperger lui-même, et qui sont en ligne sur le site Molecular Autism.
Asperger pouvait-il ignorer qu’il envoyait ces enfants vers une mort certaine ? C’était un personnage important, titulaire de la chaire de pédiatrie, dont les demandes ont toujours été acceptées par l’administration nazie, toujours promu, bien en cour, postulant pour des associations de promotion de la pensée nazie (Association des médecins nazis, Jeunesses hitlériennes). Il signa quelques-unes de ses lettres avec la formule « Heil Hitler ! » sans obligation. Il n’a jamais protesté contre l’idéologie nazie promue par son patron Franz Hamburger (1874-1954) contre le renvoi de tous les médecins juifs, contre l’organisation qui conduisait à la mort ceux que son expertise déclarait incurables. Cependant, après la guerre, il fut le seul médecin de l’équipe d’Hamburger à avoir été autorisé à continuer à exercer.
Des faits précis, datés, sont rapportés par Herwig Czech, documents à l’appui : en février 1942, Asperger était le pédiatre représentant la ville de Vienne dans une commission chargée d’examiner l’état de santé de 210 enfants autrichiens résidant dans des hôpitaux psychiatriques pour appliquer aux handicapés les lois de l’enseignement obligatoire. Sept experts furent chargés de dresser une liste des noms des enfants qui devraient, en dépit de leurs difficultés mentales, commencer à suivre des cours, soit dans un cadre académique traditionnel, soit dans un cadre d’éducation spécialisée. En une seule journée, Asperger et ses collègues parcourent les dossiers des 210 enfants. Tandis que 17 sont jugés trop jeunes pour l’enseignement obligatoire, et 36 trop vieux, le comité désigne 122 d’entre eux prêts à la scolarisation. Il restait 26 garçons et 9 filles. Un résumé écrit détaillant la composition, le but et les procédures de la Commission a clairement indiqué que ces enfants jugés non « éducables » devaient être « envoyés à Jekelius Action » (c’est-à-dire qu’ils étaient envoyés à la mort).
Certains comme le psychologue Eric Schopler, spécialiste de l’autisme et dont les parents juifs avaient fui l’Allemagne, étaient convaincus des sympathies d’Asperger pour le nazisme. D’autres praticiens étaient dans le doute jusqu’aux révélations de Czech en 2018. Edith Sheffer, professeur à Berkeley, est allée plus loin avec son livre Les Enfants d’Asperger :9 en s’appuyant sur des archives, elle décrit Asperger comme un sombre criminel qui individualise la « psychopathie autistique » à laquelle, selon elle, il ne croit pas, uniquement pour offrir aux nazis une théorie opportuniste, une justification médicale au massacre des anormaux non curables dans le cadre du programme « Aktion T4 » (1940-1944). Elle écrit qu’Asperger « envoya au moins 37 de ses patients à « Spiegelgrund » et qu’il n’hésitait pas à préconiser “ l’euthanasie ” pour ceux qu’il était impossible de scolariser ».
Pour l’auteure (op. cit., p. 308), « la portée de ses actes peut paraître faible, pourtant quand on considère un système de mise à mort systématique, le nombre exact de ceux qui perdirent la vie comme conséquence directe de ses décisions importe-t-il seulement ? Un fait demeure : Asperger travailla au sein d’un système de meurtres de masse en tant que participant conscient, pleinement associé à son univers et à ses horreurs ». Edith Sheffer, par son réquisitoire contre Asperger, brouille l’interprétation des faits car elle qualifie d’actes inhumains certaines pratiques qui avaient cours et étaient communément admises à l’époque telles que la pyrothérapie par injection de soufre ou la pneumo-encéphalographie gazeuse, des approximations que ne manquent pas de relever les défenseurs d’Asperger pour parler à son propos de la banalité du mal. Pour Jacques Hochmann,10 Asperger était un Autrichien « moyen, cultivé, catholique, pangermaniste antisocialiste et antisémite comme la majorité des Autrichiens de l’époque. »
Pour nous, les faits établis ne peuvent pas être banalisés si l’on estime que la dimension éthique est indissociable de notre métier de médecin et la disparition du syndrome d’Asperger est une bonne nouvelle.
C’est Asperger, en collaboration avec ses collègues, en commission, qui posait l’indication d’orientation vers le Spiegelgrund. Ses écrits ont été retrouvés dans des archives de l’établissement par l’historien autrichien Herwig Czech8 qui a fait un travail remarquable, sans passion mais étayé par des documents écrits par Asperger lui-même, et qui sont en ligne sur le site Molecular Autism.
Asperger pouvait-il ignorer qu’il envoyait ces enfants vers une mort certaine ? C’était un personnage important, titulaire de la chaire de pédiatrie, dont les demandes ont toujours été acceptées par l’administration nazie, toujours promu, bien en cour, postulant pour des associations de promotion de la pensée nazie (Association des médecins nazis, Jeunesses hitlériennes). Il signa quelques-unes de ses lettres avec la formule « Heil Hitler ! » sans obligation. Il n’a jamais protesté contre l’idéologie nazie promue par son patron Franz Hamburger (1874-1954) contre le renvoi de tous les médecins juifs, contre l’organisation qui conduisait à la mort ceux que son expertise déclarait incurables. Cependant, après la guerre, il fut le seul médecin de l’équipe d’Hamburger à avoir été autorisé à continuer à exercer.
Des faits précis, datés, sont rapportés par Herwig Czech, documents à l’appui : en février 1942, Asperger était le pédiatre représentant la ville de Vienne dans une commission chargée d’examiner l’état de santé de 210 enfants autrichiens résidant dans des hôpitaux psychiatriques pour appliquer aux handicapés les lois de l’enseignement obligatoire. Sept experts furent chargés de dresser une liste des noms des enfants qui devraient, en dépit de leurs difficultés mentales, commencer à suivre des cours, soit dans un cadre académique traditionnel, soit dans un cadre d’éducation spécialisée. En une seule journée, Asperger et ses collègues parcourent les dossiers des 210 enfants. Tandis que 17 sont jugés trop jeunes pour l’enseignement obligatoire, et 36 trop vieux, le comité désigne 122 d’entre eux prêts à la scolarisation. Il restait 26 garçons et 9 filles. Un résumé écrit détaillant la composition, le but et les procédures de la Commission a clairement indiqué que ces enfants jugés non « éducables » devaient être « envoyés à Jekelius Action » (c’est-à-dire qu’ils étaient envoyés à la mort).
Certains comme le psychologue Eric Schopler, spécialiste de l’autisme et dont les parents juifs avaient fui l’Allemagne, étaient convaincus des sympathies d’Asperger pour le nazisme. D’autres praticiens étaient dans le doute jusqu’aux révélations de Czech en 2018. Edith Sheffer, professeur à Berkeley, est allée plus loin avec son livre Les Enfants d’Asperger :9 en s’appuyant sur des archives, elle décrit Asperger comme un sombre criminel qui individualise la « psychopathie autistique » à laquelle, selon elle, il ne croit pas, uniquement pour offrir aux nazis une théorie opportuniste, une justification médicale au massacre des anormaux non curables dans le cadre du programme « Aktion T4 » (1940-1944). Elle écrit qu’Asperger « envoya au moins 37 de ses patients à « Spiegelgrund » et qu’il n’hésitait pas à préconiser “ l’euthanasie ” pour ceux qu’il était impossible de scolariser ».
Pour l’auteure (op. cit., p. 308), « la portée de ses actes peut paraître faible, pourtant quand on considère un système de mise à mort systématique, le nombre exact de ceux qui perdirent la vie comme conséquence directe de ses décisions importe-t-il seulement ? Un fait demeure : Asperger travailla au sein d’un système de meurtres de masse en tant que participant conscient, pleinement associé à son univers et à ses horreurs ». Edith Sheffer, par son réquisitoire contre Asperger, brouille l’interprétation des faits car elle qualifie d’actes inhumains certaines pratiques qui avaient cours et étaient communément admises à l’époque telles que la pyrothérapie par injection de soufre ou la pneumo-encéphalographie gazeuse, des approximations que ne manquent pas de relever les défenseurs d’Asperger pour parler à son propos de la banalité du mal. Pour Jacques Hochmann,10 Asperger était un Autrichien « moyen, cultivé, catholique, pangermaniste antisocialiste et antisémite comme la majorité des Autrichiens de l’époque. »
Pour nous, les faits établis ne peuvent pas être banalisés si l’on estime que la dimension éthique est indissociable de notre métier de médecin et la disparition du syndrome d’Asperger est une bonne nouvelle.
Références
1. Baron-Cohen S. The short live of a diagnosis. New York Times, nov 9, 2009.
2. Asperger H. (1944) Les psychopathes autistiques pendant l’enfance. Trad. fr. d’E. Wagner, N. Rivollier, D. L’Hôpital. Préface de J. Constant. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 1998.
3. Kanner L. Autistic disturbance of affective contact. Nervous Child 1943;2-3:217-50.
4. Frith U. Asperger and his syndrome. Londres: Cambridge University Press, 1991.
5. Wing L. Asperger’s syndrome/ a clinical account. Psychological Medicine 1951;11:115-30.
6. Rødgaard EM, Jensen K, Vergnes JN, Soulières I, Mottron L. Temporal changes in effect sizes of studies comparing individuals with and without autism ». JAMA Psychiatry 2019;76:1124-32.
7. Lylander N. Overdiagnosis and underdiagnosis of ASD. Gilbert Neuropsy Center, février 2015.
8. Czech H. Hans Asperger. National socialism and « race hygiene » in nazi-era Vienna. Molecular Autism 2018;9:29. https://molecularautism.biomedcentral.com/track/pdf/10.1186/s13229-018-0208-6. avec des fac-similés d’écrits d’Hans Asperger.
9. Sheffer E. Les enfants d’Asperger. Paris : Flammarion, 2019.
10. Hochmann J. L’affaire Asperger. L’Information psychiatrique 2020;96:67-72.
2. Asperger H. (1944) Les psychopathes autistiques pendant l’enfance. Trad. fr. d’E. Wagner, N. Rivollier, D. L’Hôpital. Préface de J. Constant. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 1998.
3. Kanner L. Autistic disturbance of affective contact. Nervous Child 1943;2-3:217-50.
4. Frith U. Asperger and his syndrome. Londres: Cambridge University Press, 1991.
5. Wing L. Asperger’s syndrome/ a clinical account. Psychological Medicine 1951;11:115-30.
6. Rødgaard EM, Jensen K, Vergnes JN, Soulières I, Mottron L. Temporal changes in effect sizes of studies comparing individuals with and without autism ». JAMA Psychiatry 2019;76:1124-32.
7. Lylander N. Overdiagnosis and underdiagnosis of ASD. Gilbert Neuropsy Center, février 2015.
8. Czech H. Hans Asperger. National socialism and « race hygiene » in nazi-era Vienna. Molecular Autism 2018;9:29. https://molecularautism.biomedcentral.com/track/pdf/10.1186/s13229-018-0208-6. avec des fac-similés d’écrits d’Hans Asperger.
9. Sheffer E. Les enfants d’Asperger. Paris : Flammarion, 2019.
10. Hochmann J. L’affaire Asperger. L’Information psychiatrique 2020;96:67-72.