La riposte sanitaire est entravée par de nombreuses difficultés qui associent, dans un contexte de grande insécurité et de violences permanentes, une prise en charge médicale délicate et des considérations socioculturelles et anthropologiques complexes.
Contexte
Déclarée officiellement en août 2018 en République démocratique du Congo (RDC) – alors que les premiers échantillons positifs remontaient à plusieurs semaines auparavant, expédiés à Kinshasa par l’antenne de Butembo de la Direction provinciale de la santé –, l’épidémie de maladie à virus Ebola est devenue une urgence de santé publique de portée internationale le 17 juillet 2019. Cette vague épidémique s’est terminée au mois d’août 2020 et après quelques mois d’accalmie, de nouveaux foyers sont ré-apparus au mois de janvier 2021 dans l’est de la RDC. À la mi-2020, alors que le nombre de cas diminue depuis le début de l’année, la complexité de la prise en charge de la maladie persiste. Cette dernière repose sur une démarche diagnostique et thérapeutique compliquée par des mesures de précautions drastiques pour le personnel soignant, sur les campagnes de vaccination du personnel soignant et des populations contacts en anneau, sur de nouveaux essais thérapeutiques encourageants, sur les considérations socioculturelles et ethniques, et sur la sensibilisation en amont permettant un diagnostic précoce et l’évitement de nouveaux foyers. Toutes ces démarches doivent se réaliser conjointement dans un contexte socioculturel et géopolitique générateur de violences envers les équipes de la riposte Ebola, au sein d’une région de conflits armés sous l’emprise de multiples groupes rebelles, rendant la riposte d’autant moins acceptée par les populations et plus risquée pour les équipes médicales et les équipes de sensibilisation communautaire.
Cet article propose une mise au point sur les différents éléments de compréhension face à la complexité et aux enjeux de la prise en charge, ainsi que quelques recommandations par des médecins qui ont participé à la riposte Ebola sur le terrain au sein d’organisations non gouvernementales (ONG) [The Alliance for International Medical Action, ou Alima, Médecins sans frontières].
Cet article propose une mise au point sur les différents éléments de compréhension face à la complexité et aux enjeux de la prise en charge, ainsi que quelques recommandations par des médecins qui ont participé à la riposte Ebola sur le terrain au sein d’organisations non gouvernementales (ONG) [The Alliance for International Medical Action, ou Alima, Médecins sans frontières].
Maladie à virus Ebola
Après une épidémie de maladie à virus Ebola survenue dans la province de l’Équateur dans l’ouest de la RDC au début 2018 et rapidement circonscrite, de nouveaux foyers se sont déclarés dans l’est du pays, province du Nord-Kivu, région frontalière avec le Rwanda et l’Ouganda. Il s’agit de la dixième épidémie d’Ebola dans ce pays, qui aurait débuté le 1er août 2018 dans un village de la zone de santé de Mabalako, pour s’étendre rapidement à la province adjacente au nord, l’Ituri (figure ). Nonobstant les efforts du gouvernement de la RDC soutenus par les ONG et la communauté internationale, on déplorait, 20 mois après le début de l’épidémie, plus de 3 421 cas et 2 242 décès.
Habituellement circonscrite dans de petits foyers ruraux, cette nouvelle épidémie exprime ses épicentres au sein des villes à forte densité de population comme Beni (350 000 habitants) ou Butembo/Katwa (900 000 habitants), mais aussi dans des communautés moins peuplées : Komanda, Mambasa, Mandima, Mabalako, Kalunguta. Au cours des premiers mois, le virus est resté confiné dans la ville de Beni, à 50 km au nord de Butembo, puis Butembo est devenue le nouvel épicentre de l’épidémie.
Les progrès innovants en matière d’architecture et de protection des soignants, avec la Chambre d’urgence biosécurisée pour les épidémies (CUBE) développée par l’ONG Alima, ont amélioré la prise en charge en limitant le risque d’exposition à l’agent infectieux,1 permettant d’établir une barrière physique mais aussi visuelle entre patients, soignants et familles. Les essais thérapeutiques2 encourageants (deux molécules sur les quatre testées semblent donner de bons résultats) n’ont guère réduit l’effroyable taux de létalité, qui est de 66 %.
Habituellement circonscrite dans de petits foyers ruraux, cette nouvelle épidémie exprime ses épicentres au sein des villes à forte densité de population comme Beni (350 000 habitants) ou Butembo/Katwa (900 000 habitants), mais aussi dans des communautés moins peuplées : Komanda, Mambasa, Mandima, Mabalako, Kalunguta. Au cours des premiers mois, le virus est resté confiné dans la ville de Beni, à 50 km au nord de Butembo, puis Butembo est devenue le nouvel épicentre de l’épidémie.
Les progrès innovants en matière d’architecture et de protection des soignants, avec la Chambre d’urgence biosécurisée pour les épidémies (CUBE) développée par l’ONG Alima, ont amélioré la prise en charge en limitant le risque d’exposition à l’agent infectieux,1 permettant d’établir une barrière physique mais aussi visuelle entre patients, soignants et familles. Les essais thérapeutiques2 encourageants (deux molécules sur les quatre testées semblent donner de bons résultats) n’ont guère réduit l’effroyable taux de létalité, qui est de 66 %.
Contexte socioculturel et croyances très prégnantes
La dissémination d’un virus émergent est étroitement liée aux comportements humains et aux traditions telles que les funérailles, les fêtes religieuses et autres regroupements de population, comme les marchés, particulièrement dans les pays à ressources limitées.3, 4 L’implication intégrante des communautés, tenant compte des rites et cultures locales, est indispensable dans la prise en charge de la maladie à virus Ebola.
Désinformation et rumeurs
Dès le début de l’épidémie, la désinformation a circulé rapidement sur les ondes et autres canaux d’information locaux, portant sur le trafic d’organes des patients ou sur l’exploitation des ressources minières par des ONG internationales. Cette désinformation alimente les spéculations dans les communautés, pour qui les centres de traitement Ebola (CTE) sont considérés comme des mouroirs et des centres d’expérimentation médicale, et explique en partie la violence contre le personnel soignant. Une enquête réalisée en septembre 2018, interrogeant 961 adultes à Beni et Butembo, a révélé qu’un quart des participants pensaient que le virus Ebola n’existait pas, 32,6 % estimaient que le virus avait été fabriqué pour des raisons financières et 36,4 % pour déstabiliser la région.5 Dès l’introduction des campagnes de vaccination contre le virus Ebola, des rumeurs ont affirmé que ce virus avait été clairement créé dans un but mercantile ou que le vaccin avait été conçu pour décimer la population. Dès lors, les équipes médicales comme les centres de santé ont été en proie à de nombreuses attaques. En novembre 2019, l’apparition d’un second vaccin a conforté la pensée de certains d’être devenus des cobayes dans un vaste champ d’essais cliniques disputé par des multinationales du secteur pharmaceutique.
Après un défaut de communication au début de l’épidémie qui a accentué la méfiance de la population envers la riposte et les autorités, l’implication de relais communautaires est devenue une alternative indispensable. Ces relais, fondamentaux dans l’amélioration du dialogue et la maîtrise de l’épidémie, se composent d’élites : artistes, chefs coutumiers, chefs religieux. De plus, l’envoi souvent forcé des malades aux CTE par les autorités médicales et la police congolaises, ainsi que le manque de transparence sur les décès et le bouleversement des rites funéraires ont accentué la résistance communautaire, retardé la réponse et contribué à la propagation du virus.
Après un défaut de communication au début de l’épidémie qui a accentué la méfiance de la population envers la riposte et les autorités, l’implication de relais communautaires est devenue une alternative indispensable. Ces relais, fondamentaux dans l’amélioration du dialogue et la maîtrise de l’épidémie, se composent d’élites : artistes, chefs coutumiers, chefs religieux. De plus, l’envoi souvent forcé des malades aux CTE par les autorités médicales et la police congolaises, ainsi que le manque de transparence sur les décès et le bouleversement des rites funéraires ont accentué la résistance communautaire, retardé la réponse et contribué à la propagation du virus.
Enjeu des pratiques funéraires
Le rassemblement des populations durant les funérailles et les us et coutumes de contact direct avec les défunts sont des éléments décisifs dans la propagation de la maladie. Dans ce contexte, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en partenariat avec d’autres organismes internationaux, a élaboré des programmes portant sur les « inhumations sans risque et dans la dignité » pour les personnes décédées de la maladie à virus Ebola. Des anthropologues ont également contribué à l’élaboration de solutions constructives et sûres pour éviter de toucher et de baigner les corps des défunts en respectant les valeurs culturelles des rites funéraires. Il n’a pas été permis aux familles d’enterrer leurs morts. Or, si les rites funéraires et d’inhumation varient selon les communautés, pour tous, ils symbolisent un lien profond entre le défunt et ses réseaux socioculturels. Les funérailles en RDC sont considérées comme des espaces privilégiés au sein desquels le statut social du défunt et de ses proches est rendu visible. Lors des décès, et par crainte d’un test Ebola positif, les corps de patients décédés sont souvent dissimulés aux agents de la riposte Ebola afin d’éviter l’ostracisme communautaire.
La priorité doit donc être accordée à la communication et aux recommandations sur les pratiques funéraires, le deuil et l’inhumation dans cette région imprégnée par les croyances et la sorcellerie. Cette sensibilisation des communautés par des équipes qualifiées et formées dans le respect des pratiques et issues de la communauté elle-même, et non de la capitale ou des provinces voisines, justifie une approche attentive afin d’éviter une certaine hostilité à l’égard des équipes de prévention.6 L’élément clé doit donc être fondé sur l’implication des acteurs locaux dans les processus de négociation, afin d’établir des pratiques de deuil adaptées et acceptables. Soulignons que ces mêmes leaders locaux ont été agressés par la population qui les accusait de « collaborer avec l’ennemi, pour leur extermination ». Cela s’est soldé par des meurtres (chef du centre de santé régional de Vuhovi poignardé et retrouvé mort, le lendemain du soir où son épouse et lui avaient été kidnappés à leur domicile), des incendies des maisons de certains leaders communautaires…
En dehors de l’âge et d’une charge virale élevée à l’admission, la mortalité est d’autant plus fréquente que le recours aux soins est retardé (souvent de 5 jours et jusqu’à 10-12 jours). Les patients sont fréquemment réticents à consulter le CTE, réticence quelquefois attisée par une poignée de personnels de santé ne croyant pas eux-mêmes à l’existence de la maladie, et reçoivent, en premier lieu, des soins prodigués par l’entourage ou le tradipraticien.7, 8
La priorité doit donc être accordée à la communication et aux recommandations sur les pratiques funéraires, le deuil et l’inhumation dans cette région imprégnée par les croyances et la sorcellerie. Cette sensibilisation des communautés par des équipes qualifiées et formées dans le respect des pratiques et issues de la communauté elle-même, et non de la capitale ou des provinces voisines, justifie une approche attentive afin d’éviter une certaine hostilité à l’égard des équipes de prévention.6 L’élément clé doit donc être fondé sur l’implication des acteurs locaux dans les processus de négociation, afin d’établir des pratiques de deuil adaptées et acceptables. Soulignons que ces mêmes leaders locaux ont été agressés par la population qui les accusait de « collaborer avec l’ennemi, pour leur extermination ». Cela s’est soldé par des meurtres (chef du centre de santé régional de Vuhovi poignardé et retrouvé mort, le lendemain du soir où son épouse et lui avaient été kidnappés à leur domicile), des incendies des maisons de certains leaders communautaires…
En dehors de l’âge et d’une charge virale élevée à l’admission, la mortalité est d’autant plus fréquente que le recours aux soins est retardé (souvent de 5 jours et jusqu’à 10-12 jours). Les patients sont fréquemment réticents à consulter le CTE, réticence quelquefois attisée par une poignée de personnels de santé ne croyant pas eux-mêmes à l’existence de la maladie, et reçoivent, en premier lieu, des soins prodigués par l’entourage ou le tradipraticien.7, 8
Sentiment ancien d’abandon
Une autre forme de résistance concerne les attaques orchestrées contre la réponse internationale de la riposte Ebola. Ces attaques reflètent une véritable colère et incompréhension de la population, qui se considère comme abandonnée sur le plan sanitaire depuis plusieurs années par le pouvoir central quant à la perception de la redistribution inégale du financement massif attribué à la lutte contre cette maladie, profitant, à leurs yeux, largement aux étrangers.9 Dans cette région sensible, l’éradication de la maladie à virus Ebola est devenue un réel défi, partagé entre l’hostilité de la population et l’instrumentalisation politique de la maladie. De plus, la résistance a été amplifiée par le fait que certaines structures sanitaires gouvernementales ne pratiquant pas la gratuité des soins se sont retrouvées dépouillées de leur personnel soignant recruté avec de bien meilleurs salaires par la riposte. Les personnels soignants non recrutés par la riposte se sont livrés à une « rétention » de patients dans leurs structures sanitaires, recevant ainsi quelque argent lors des premiers soins, sans aucune mesure de précaution ni respect des règles de prévention et de contrôle des infections.
Stigmatisation des malades guéris
Enfin, la stigmatisation des patients malades et guéris de la maladie Ebola, rejetés par la communauté et parfois même par leur famille, ne fait qu’aggraver une situation sociale déjà très complexe. Les séquelles physiques de la maladie peuvent empêcher la reprise du travail, avec d’importantes répercussions psychosociales, économiques et professionnelles, non seulement chez les personnes ayant contracté le virus mais également et indirectement sur l’entourage proche (les nombreux orphelins, veufs ou veuves, etc.). Hormis la psychothérapie, une autre approche permettant la réinsertion des survivants de la maladie à virus Ebola est de les intégrer dans les activités de la riposte comme « garde-malades » (notamment des enfants et des patients gravement malades), comme ambassadeurs de la sensibilisation dans la communauté, ou encore comme personnels soignants, selon leur formation. Mais il faut noter que cette « utilisation » des patients guéris de la maladie à virus Ebola comme ambassadeurs de la sensibilisation a aussi eu son revers de médaille en les exposant encore plus à leurs communautés respectives.
Contexte géopolitique complexe et insécurité régionale chronique
Opposition politique au pouvoir central
Dans cette région traditionnellement d’opposition politique au pouvoir de Kinshasa, l’interdiction de participer aux élections présidentielles en décembre 2018, au prétexte d’éviter les rassemblements de population en période d’épidémie Ebola, a majoré le scepticisme et le rejet au sein de la communauté locale sur l’existence du virus. Cette décision politique a généré des tensions sociales importantes et a fait naître la notion de « théories complotistes » dans cette zone orientale de la RDC, déjà fragilisée par les conflits. Susciter la confiance de la population au début de l’épidémie est d’autant plus important qu’elle sévit dans ce contexte de conflit.10 À compter de cette période, la maladie a pris un tournant résolument politique, et une discussion anthropologique s’est imposée dans l’approche de la maladie par les communautés locales et le traitement respectueux de la population.
Théâtre d’opérations de groupes armés violents
Sur tous les terrains épidémiques, l’insécurité nourrit les inquiétudes de la population mais également celles des partenaires locaux et étrangers dans leurs investissements humains et financiers. Ces régions minières du Nord-Kivu et de l’Ituri, très riches en ressources naturelles (cobalt, or et coltan…), sont le théâtre de troubles civils et de conflits armés insolubles depuis 1996, oubliés par la communauté internationale, avec plus de 6 millions de morts, avec une nette recrudescence de la violence depuis 2014. Cette violence centralisée autour de conflits ethniques, politiques, économiques et de propriétés foncières est engendrée par plus de 70 groupes armés sur le territoire, nés de la conséquence du génocide rwandais et la ruée vers les minerais, particulièrement le coltan, utilisé dans les équipements électroniques comme les téléphones portables.11, 12 Si ces mouvements rebelles sévissent régulièrement contre les forces armées congolaises (FARDC), la communauté civile congolaise n’est pas épargnée, victime de pillages et de violences extrêmes.
Parmi ces groupes armés, on trouve certains à la réputation violente tels que les Forces démocratiques alliées ougandaises (ADF) et certains groupes Maï-Maï parfois considérés par la communauté internationale comme des terroristes mais qui, pour la population locale, sont des « défenseurs ». Défense qu’ils assurent à la population moyennant quelques services et biens de valeur. On recense également, depuis avril 2019, la présence de groupes militants islamiques en RDC.11, 12 Dans cette région marginalisée et oubliée des médias internationaux, on observe une recrudescence préoccupante de l’insécurité depuis mai 2017 dans la région au nord de Beni, avec la reprise des affrontements entre milices armées et armée régulière, occasionnant des déplacements de populations, des meurtres et destructions de villages par les miliciens, mais aussi des enlèvements de civils, dont des humanitaires. Cette violence, centralisée autour de la politique, l’ethnicité, la propriété foncière et l’économie, fragilise les actions sanitaires sur le terrain, tout particulièrement en période épidémique.13
Parmi ces groupes armés, on trouve certains à la réputation violente tels que les Forces démocratiques alliées ougandaises (ADF) et certains groupes Maï-Maï parfois considérés par la communauté internationale comme des terroristes mais qui, pour la population locale, sont des « défenseurs ». Défense qu’ils assurent à la population moyennant quelques services et biens de valeur. On recense également, depuis avril 2019, la présence de groupes militants islamiques en RDC.11, 12 Dans cette région marginalisée et oubliée des médias internationaux, on observe une recrudescence préoccupante de l’insécurité depuis mai 2017 dans la région au nord de Beni, avec la reprise des affrontements entre milices armées et armée régulière, occasionnant des déplacements de populations, des meurtres et destructions de villages par les miliciens, mais aussi des enlèvements de civils, dont des humanitaires. Cette violence, centralisée autour de la politique, l’ethnicité, la propriété foncière et l’économie, fragilise les actions sanitaires sur le terrain, tout particulièrement en période épidémique.13
Lien entre intensification des conflits et recrudescence épidémique
L’incidence de la maladie a brusquement augmenté dans la zone sanitaire de Beni entre août et octobre 2018, coïncidant avec l’intensification des conflits et plus particulièrement l’attaque du CTE le 22 septembre 2018 attribuée au groupe ADF-Nalu (d’origine supposée rwando-ougandaise), avec une forte diminution des admissions et des perturbations de la vaccination et de la recherche active des personnes suspectes de maladie à virus Ebola. Durant cette période du 24 au 29 septembre 2018, la lutte contre la maladie a été gravement touchée, avec seulement 20 % des sujets contacts qui ont été recensés au CTE de Beni.14, 15 En août 2018, alors que la flambée était presque contrôlée, on notait une recrudescence des cas d’Ebola, due à l’intensification des conflits dans la région de Mabalako et les aires de santé de Mandima, avec un lien entre recrudescence épidémique et violences clairement établi.16
Équipes sanitaires ciblées
De même, depuis fin février 2019, une forte augmentation des cas et de la transmission a été observée et concorde avec des attaques organisées par des groupes armés ciblant les centres de traitements et les équipes d’intervention. Cette hostilité s’est manifestée par différentes attaques de CTE dans lesquels ont travaillé certains acteurs de cet article, des meurtres, des violences répétées envers le personnel soignant et les équipes chargées de la riposte. Pour certains, la maladie Ebola ne serait qu’une manipulation pour décimer la population locale dans cette région du Nord-Kivu et, pour d’autres, un objectif uniquement lucratif, baptisé « Ebola Business », dans cette zone où la population est affectée au quotidien par des pathologies communautaires, comme le paludisme ou la rougeole, également mortelles. Pour certains, dans cette région de l’est de la RDC où les populations se sentent abandonnées et livrées à la violence des groupes armés, les moyens déployés dans la lutte contre le virus Ebola sont totalement disproportionnés alors que les besoins de base, tels que l’accès à l’eau, à la santé et à la nourriture, ne sont pas assurés. Cette attitude crée une incompréhension et de la défiance envers les équipes de la riposte, jugées « valets » du pouvoir central. D’autant que la population a tout d’abord cru fermement que l’attention de la communauté internationale sur cette maladie, nouvelle dans cette région du pays, permettrait d’attirer le regard sur les problèmes sécuritaires vécus depuis plusieurs années, et ainsi de faire d’une pierre deux coups pour résoudre ses difficultés quotidiennes.
Cette détérioration de la sécurité entraîne une méfiance croissante de la population à l’égard de l’effort d’intervention.17 En février 2019, trois attaques ont été perpétrées à Butembo et Katwa, dans les CTE tenus par Médecins sans frontières, et contre la clinique universitaire du Graben de Butembo, tuant un médecin épidémiologiste en poste pour l’OMS. Depuis 2018, au moins 10 décès et de nombreux blessés graves sont à déplorer parmi le personnel soignant des centres de traitement Ebola.
Cette détérioration de la sécurité entraîne une méfiance croissante de la population à l’égard de l’effort d’intervention.17 En février 2019, trois attaques ont été perpétrées à Butembo et Katwa, dans les CTE tenus par Médecins sans frontières, et contre la clinique universitaire du Graben de Butembo, tuant un médecin épidémiologiste en poste pour l’OMS. Depuis 2018, au moins 10 décès et de nombreux blessés graves sont à déplorer parmi le personnel soignant des centres de traitement Ebola.
Riposte Ebola entravée
De plus, des attaques orchestrées par plusieurs miliciens, présumés Maï-Maï en mai 2019, ont entraîné la fermeture de certains centres et érodé l’efficacité de la vaccination en anneau autour des cas confirmés et la surveillance de l’épidémie.18-20 Enfin, en novembre 2019, des troubles civils survenus entre la population, les forces de l’ordre et la Force de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (MONUSCO), ont perturbé le fonctionnement du CTE de Beni et ont entraîné le départ des expatriés qui soutenaient les ONG locales sur place. À la suite de ces différentes attaques a été observé un changement notable dans le comportement des populations locales ainsi qu’une diminution significative du nombre de cas suspects de maladie à virus Ebola référencés dans les CTE. Outre l’insécurité qui règne lors des trajets, avec le banditisme local, les réseaux routiers ainsi que les services de transport sont de qualité médiocre dans cette région, en particulier dans les zones rurales, notamment en saison des pluies. Ces faiblesses retardent considérablement l’arrivée des patients vers les CTE ainsi que la communication et les campagnes d’information des communautés rurales. Par ailleurs, les frontières poreuses et la grande mobilité des populations caractérisant cette région de RDC frontalière avec l’Ouganda et le Rwanda compliquent davantage encore le travail de riposte.
Dans un récent travail de recherche sur l’insécurité en zone de conflit en RDC, une équipe a démontré l’interaction entre les troubles civils et la transmission des maladies, et ainsi comment ces conflits contribuent à la persistance de l’épidémie de maladie à virus Ebola.16 La rapidité de la prise en charge des malades et leur isolement en CTE, essentiels pour réduire la transmission, ainsi que les campagnes de vaccination, ont été entravés par les conflits et ont inversé la trajectoire épidémique habituelle, avec une augmentation des nouveaux cas.
Dans un récent travail de recherche sur l’insécurité en zone de conflit en RDC, une équipe a démontré l’interaction entre les troubles civils et la transmission des maladies, et ainsi comment ces conflits contribuent à la persistance de l’épidémie de maladie à virus Ebola.16 La rapidité de la prise en charge des malades et leur isolement en CTE, essentiels pour réduire la transmission, ainsi que les campagnes de vaccination, ont été entravés par les conflits et ont inversé la trajectoire épidémique habituelle, avec une augmentation des nouveaux cas.
Quelques recommandations
• Privilégier, si l’espace le permet, l’installation de centres d’isolement (aussi appelés centre de transit décentralisé, centre de traitement intégré) dans certaines structures sanitaires connues de la population et en y assurant la gratuité des soins, ce qui permettrait aux cas suspects de maladie à virus Ebola de rester proches de leur famille, et d’être soignés par des personnes connues, jusqu’à l’obtention de deux polymerase chain reactions (PCR) négatives pour le virus Ebola. Il devrait en être de même pour l’installation des CTE au sein de structures de soins connues de la population.
• Renforcer la formation sur la maladie à virus Ebola et le respect des règles de prévention et de contrôle des infections dans toutes les structures sanitaires de la région affectée par l’épidémie, afin de limiter l’effet amplificateur de ces structures mal équipées, comme en témoigne la très forte proportion d’enfants (25 %) contaminés par le virus Ebola.
• L’engagement communautaire et l’instauration de la confiance dans la prévention et la perception de la maladie sont des éléments clés dans la gestion de cette épidémie. Cette sensibilisation des communautés par des équipes qualifiées et formées dans le respect des pratiques devrait être assurée par des membres issus de la communauté même et non de la capitale ou des provinces voisines.
• Enfin, il convient de redonner au ministère de la Santé congolais, via son personnel de santé local, toute sa place, en le mettant toujours au premier plan de toutes les actions qui pourraient être menées.
• Lors des enterrements dignes et sécurisés, une ou plusieurs des personnes clés identifiées dans ces familles pour « diriger » l’enterrement en étant vêtues d’équipements de protection individuelle et accompagnées par les équipes de la riposte pourraient éviter bien des ressentiments ; au lieu de laisser des « étrangers » à la famille se charger des enterrements.
• Renforcer la formation sur la maladie à virus Ebola et le respect des règles de prévention et de contrôle des infections dans toutes les structures sanitaires de la région affectée par l’épidémie, afin de limiter l’effet amplificateur de ces structures mal équipées, comme en témoigne la très forte proportion d’enfants (25 %) contaminés par le virus Ebola.
• L’engagement communautaire et l’instauration de la confiance dans la prévention et la perception de la maladie sont des éléments clés dans la gestion de cette épidémie. Cette sensibilisation des communautés par des équipes qualifiées et formées dans le respect des pratiques devrait être assurée par des membres issus de la communauté même et non de la capitale ou des provinces voisines.
• Enfin, il convient de redonner au ministère de la Santé congolais, via son personnel de santé local, toute sa place, en le mettant toujours au premier plan de toutes les actions qui pourraient être menées.
• Lors des enterrements dignes et sécurisés, une ou plusieurs des personnes clés identifiées dans ces familles pour « diriger » l’enterrement en étant vêtues d’équipements de protection individuelle et accompagnées par les équipes de la riposte pourraient éviter bien des ressentiments ; au lieu de laisser des « étrangers » à la famille se charger des enterrements.
Défis sécuritaires et sanitaires
Malgré une baisse confirmée des nouveaux cas de maladie à virus Ebola dans l’est de la RDC, la maladie sévit toujours de façon sporadique, avec un taux de létalité très élevé. Les difficultés de la lutte contre cette épidémie sont multifactorielles, associant la prise en charge médicale délicate, les considérations socioculturelles et anthropologiques complexes, sans omettre l’insécurité permanente qui prévaut dans cette région et qui entrave la riposte.
La qualité de la prise en charge et les campagnes de vaccination contre le virus Ebola ont largement contribué à l’amendement du nombre de cas observés en ce début 2020. Toutefois, ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, car les défis sécuritaires dans cette région compliquent la détection des nouveaux cas et l’intervention des équipes de la riposte sur le terrain, contribuant à la persistance de la flambée épidémique. Les conflits armés incessants pour le contrôle territorial, le pouvoir et les richesses minières dans cette région du Nord-Kivu et de l’Ituri, peu développés dans les médias internationaux, terrorisent la population depuis plus de 25 ans. Ils renforcent l’incompréhension et le scepticisme communautaire envers la riposte Ebola dans ces provinces, dans lesquelles les autorités locales ont perdu de leur légitimité. Les quelques recommandations proposées par des acteurs de terrain congolais et français seront-elles de nature à améliorer le contexte de futures interventions ?
La qualité de la prise en charge et les campagnes de vaccination contre le virus Ebola ont largement contribué à l’amendement du nombre de cas observés en ce début 2020. Toutefois, ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, car les défis sécuritaires dans cette région compliquent la détection des nouveaux cas et l’intervention des équipes de la riposte sur le terrain, contribuant à la persistance de la flambée épidémique. Les conflits armés incessants pour le contrôle territorial, le pouvoir et les richesses minières dans cette région du Nord-Kivu et de l’Ituri, peu développés dans les médias internationaux, terrorisent la population depuis plus de 25 ans. Ils renforcent l’incompréhension et le scepticisme communautaire envers la riposte Ebola dans ces provinces, dans lesquelles les autorités locales ont perdu de leur légitimité. Les quelques recommandations proposées par des acteurs de terrain congolais et français seront-elles de nature à améliorer le contexte de futures interventions ?
Cette analyse issue du terrain et les quelques recommandations qui en découlent n’engagent que les auteurs et non pas les organisations non gouvernementales pour lesquelles ils ont travaillé en République démocratique du Congo.
Références
1. Malvy D, Gaüzère BA, Migliani R. Qu’apprend-t-on de nouveau des épidémies émergentes ? Presse Med 2019;48:1536-50.
2. World Health Organization. Ebola virus disease-Democratic Republic of Congo. Disease outbreak news: Update. WHO, 30 january 2020.
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4. Chowell G, Nishiura H. Transmission dynamics and control of Ebola virus disease (EVD): a review. BMC Med 2014;12:196.
5. Vinck P, N Pham P, K Bindu K, Bedford J, Nilles E. Lancet Institutional trust and misinformation in the response to the 2018–19 Ebola outbreak in North Kivu, DR Congo: a population-based survey. Lancet Infect Dis 2019;19:529-36.
6. Richards P. How a people’s science helped end an epidemic. Chicago: University of Chicago Books, 2016.
7. Aletti M, Cambon A, Savini H, et al. Présentation clinique, aspects pronostiques et principes thérapeutiques de la maladie à virus Ebola : l’essentiel pour le clinicien. Med Armée 2016;44:101-10.
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10. SteelFisher GK, Blendon RJ, Guirguis S, et al. Threats to polio eradication in high-conflict areas in Pakistan and Nigeria: A polling study of caregivers of children younger than 5 years. Lancet Infect Dis 2015;15:1183-92.
11. Bedford J. Key considerations: The context of North Kivu province, DRC (Social Science in Humanitarian Action). https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/.SSHAP_North_Kivu_context.pdf. https://opendocs.ids.ac.uk/opendocs/handle/20.500.12413/13995
12. Wembi S, Goldstein J. ISIS claims first attack in the Democratic Republic of Congo. NY Times, 19 April 2019. https://nyti.ms/3smuQoH
13. Büscher K. Urbanisation and the political geographies of violent struggle for powerand control: Mining boomtowns in Eastern Congo. Rev Int Polit Dev 2018;10:302-24.
14. World Health Organization, Dr. Peter Salama, WHO Deputy Director-General. Emergency Preparedness and Response. WHO, 2018. https://bit.ly/3tU5j6x
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