Les femmes vivent plus longtemps que les hommes. En France, la différence atteint environ 6 ans. Cet avantage féminin existe dans pratiquement tous les pays du monde actuellement. Les différences de longévité sont-elles liées à la biologie ou d’origine sociale ? L’analyse au vu des dernières études par le Dr Jean-David Zeitoun, médecin, docteur en épidémiologie clinique.

 

Les femmes vivent plus longtemps que les hommes. En France, la différence atteint environ 6 ans, avec ou sans Covid-19. Aux États-Unis, c’est plutôt 5 ans. Pour une moyenne, cet écart est considérable. Il correspond à peu près à 1/13e de vie en plus ou en moins selon le sexe. Cet avantage féminin se retrouve dans pratiquement tous les pays du monde actuellement.

Une question qui vient immédiatement à l’esprit est « pourquoi ? ». La meilleure réponse à cette question est une autre question : les différences de longévité sont-elles principalement liées à la biologie ou sont-elles d’origine sociale ? Autrement dit, les causes sont-elles surtout internes ou externes ? Sont-elles un effet de sexe ou un effet de genre ?

Ici, la réponse est mixte. Il existe des arguments historiques et épidémiologiques en faveur d’une « supériorité biologique » féminine. Par exemple, les études de groupes de population menant des modes de vie très similaires, comme les mormons ou les personnels d’église, ont montré qu’il persistait un écart de durée de vie entre les hommes et les femmes.1 Même avec des parcours de vie presque identiques, les femmes conservent une avance qui les emmène un peu plus loin.

Les données d’espérance de vie associées aux conditions extrêmes – famines et épidémies – continuent de donner l’avantage aux femmes.2 Lors de tels événements, des différences de traitement social deviennent moins probables, ou alors elles sont plus susceptibles d’avantager les hommes. Si les écarts de longévité se maintiennent en faveur des femmes, c’est sans doute qu’ils doivent beaucoup à un avantage intrinsèque. Ces données suggérant une biologie supérieure ont fait émettre des hypothèses sur un rôle des hormones ou de l’immunité, sans réponse certaine ni totale à ce jour.3

Mais il existe aussi des explications sociales, c’est-à-dire principalement environnementales et comportementales, à l’espérance de vie plus élevée des femmes. Avant tout, les hommes fument plus, boivent plus, mangent moins bien, se droguent plus et conduisent plus dangereusement. Tous ces facteurs pèsent beaucoup et s’accumulent pour produire une partie de l’écart observé de durée de vie moyenne.

Si l’on admet que l’écart homme-femme est le résultat d’un mélange complexe, on peut supposer que celui-ci n’a pas toujours été le même. Des travaux récents ont montré qu’au cours de la première moitié du XXe siècle, les différences de mortalité infantile – une autre preuve de la meilleure biologie féminine – expliquaient la majorité de la différence finale de longévité. Mais après 1950, ce sont surtout les différences de mortalité après 60 ans qui ont été les causes dominantes de l’écart persistant. D’ailleurs, la différence de longévité elle-même n’a pas toujours existé. Elle est surtout un fait du XXe siècle.

Plusieurs travaux ont estimé qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, les femmes étaient à ce point durement traitées par la société qu’elles vivaient moins longtemps. Pire encore, il a été montré que les enfants qu’elles avaient et leur sexe pouvaient influencer cette détérioration d’espérance de vie.4 Dans l’Europe préindustrielle, le fait d’avoir un enfant en plus augmentait la mortalité parentale quand les ressources étaient limitées et qu’elles devaient être partagées. Mais si l’enfant supplémentaire était un garçon, la hausse de mortalité était similaire entre le père et la mère, alors que si c’était une fille, seule la mère pouvait s’attendre (mais elle ne le savait pas, bien sûr) à voir sa mortalité augmenter. Elle augmentait même encore plus qu’en cas de naissance d’un nouveau garçon. Le père ne voulait sans doute pas partager ses ressources avec une petite fille, ce qui transférait la décharge sur la mère.

Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la différence de longévité entre les hommes et les femmes françaises ? Les données disponibles pour 2020 ont été analysées par les chercheurs de l’Institut national d’études démographiques.5Elles suggèrent que les hommes ont perdu plus d’espérance de vie que les femmes (0,6 année contre 0,4 année respectivement). Il faudra du temps pour comprendre les causes de cette nouvelle différence.

La plus longue durée de vie des femmes par rapport aux hommes est un sujet d’étude et de spéculations sans fin. Ces études nous amènent à nous interroger sur les causes de bonne ou de mauvaise santé. Elles n’apportent pas toujours de réponses définitives mais elles nous renseignent sur les déterminants de la santé et nous rappellent que nous avons de la marge en matière d’amélioration, qui est à notre portée.

Jean-David Zeitoun est docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique, et auteur de La Grande Extension, histoire de la santé humaine, paru en mai 2021 aux éditions Denoël.