Les médecines alternatives et complémentaires (MAC) regroupent toutes les approches non reconnues comme la médecine conventionnelle mais qui sont légalement utilisées pour le soin thérapeutique. Elles se positionnent en complément de la médecine conventionnelle, dite « médecine d’organes », avec une approche plus globale de la santé. Elles sont particu­lièrement répandues dans certains ­domaines : médecine préventive, prise en charge des maladies chroniques, soins de support, prise en charge des douleurs chroniques, handicap, ou encore le « bien-vieillir ».1,2

La médecine intégrative correspond à un parcours de soin personnalisé adapté aux besoins du patient et à ses souhaits (croyances, émotions, motivations) en combinant la médecine conventionnelle et les MAC les plus pertinentes.3 L’objectif est d’optimiser l’action des traitements conventionnels par d’autres approches, et d’intégrer le patient dans les choix afin qu’il soit acteur de sa santé. Certaines MAC sont intégrées dans le parcours de santé (acupuncture, médecine manuelle [ostéopathie, mésothérapie], homéo­pathie, approches psychocorporelles [hypnose thérapeutique, méditation de pleine conscience]), quand d’autres apparaissent plus marginales et ont un niveau de preuve scientifique quasi nul.4,5 

Les différentes MAC recensées, notamment par l’Organisation mondiale de la santé, qui en a dénombré plus de 400,6 peuvent être classées en différentes catégories (tableau 1).

En France, quatre MAC sont reconnues par l’Ordre…

L’Ordre national des médecins reconnaît officiellement quatre MAC, qui peuvent faire l’objet de titres et mentions sur les plaques et ordonnances :

  • l’acupuncture, technique ancestrale issue de la médecine chinoise qui consiste à stimuler des points névralgiques du corps avec de très fines aiguilles ;
  • la mésothérapie, technique récente, inventée en France il y a environ soixante-dix ans, qui traite une pathologie (douleur, excès de masse graisseuse...) par injections percutanées de faibles doses de médicaments;
  • la médecine manuelle comme l’ostéopathie, inventée au XIXe siècle aux États-Unis. Elle est reconnue en tant que pratique de première intention (sans nécessité préalable de consulter un médecin) depuis la loi Kouchner de 2002. Elle a pour but de diagnostiquer et traiter les dysfonctions musculosquelettiques bénignes. L’ostéopathie travaille sur l’ensemble des structures du corps et fait usage de massages superficiels ou profonds, de manipulations forcées ou non ;
  • l’homéopathie, inventée en Allemagne au XVIIIsiècle. Elle consiste à « traiter la maladie par son semblable », en opposition à la médecine conventionnelle allopathique. L’objectif est de stimuler le corps à se soigner lui-même, en administrant une dose infinitésimale du principe actif responsable de la maladie (intervention inerte). Très populaire en France, elle est déremboursée depuis 2021 en raison d’un service médical rendu estimé insuffisant, plusieurs études randomisées n’ayant pas montré d’efficacité supérieure à celle du placebo.7,8

... et encore peu enseignées dans les facultés de médecine françaises 

Malgré leur forte implantation en France, les MAC sont peu enseignées aux étudiants, du fait du faible niveau de preuves scientifiques qu’apportent la plupart d’entre elles.

Dans d’autres pays, comme les États-Unis ou la Suisse, elles sont intégrées au cursus de formation médicale.9

­Plusieurs facultés de médecine françaises commencent à intégrer ces méthodes à l’enseignement, notamment depuis qu’en 2021 un item est dédié aux épreuves classantes nationales (ECN) informatisées.10 

Des diplômes interuniversitaires (DIU) de MAC deviennent également accessibles aux professions paramédicales. 

Certains services hospitaliers les intègrent également (art-thérapie dans la maladie d’Alzheimer, hypnose en anesthésie, barreurs de feu en radiothérapie…). 

La Haute Autorité de santé (HAS) souhaite promouvoir les MAC par plus d’information médicale (via des rencontres interprofessionnelles) et en incitant les chercheurs à élaborer des protocoles d’essais cliniques comparatifs dans ces domaines afin d’obtenir des preuves scientifiques – comme pour les médicaments.1 

État des lieux des pratiques des MAC en médecine générale 

Pour connaître les pratiques des médecins en termes de MAC, nous avons réalisé une enquête nationale auprès de médecins généralistes français thésés. Cette étude observationnelle et quantitative s’est déroulée du 22 juillet 2021 au 31 mars 2022, dans les 13 régions de la France métropolitaine. Un questionnaire anonyme comportant 31 items fermés a été élaboré par des médecins, et envoyé par mail aux médecins généralistes via les centres départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM). Deux envois de rappel ont été faits. Seuls les médecins pratiquant des MAC ont été invités à y répondre. 

Prescripteurs : plutôt des femmes exerçant en milieu urbain

Au total, 316 médecins généralistes ont répondu à l’enquête (2 ont été exclus de l’étude car non thésés). Parmi les 314 ayant répondu, 54 % étaient des femmes, et l’âge moyen était de 54,1 ans (écart type de 12,5 ans). L’année médiane d’obtention de leur thèse était 1994 ; 74,4 % exerçaient en milieu urbain, 47,9 % étaient installés en cabinet de groupe, 42,8 % en cabinet seuls ; 6,7 % déclaraient une activité mixte hospitalière et libérale et 2,9 % travaillaient exclusivement à l’hôpital. Enfin, 20,6 % faisaient partie d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). 

Les médecins déclaraientavoir débuté leur pratique alternative tôt dans leur carrière, en moyenne à 33,6 ± 7,6 ans. 

Quelles MAC ?

L’homéopathie était la MAC la plus représentée (49,8 %), devant l’acupuncture (23,3 %) et la mésothérapie (23,3 %) ; 24,8 % ont rapporté avoir d’autres pratiques que les quatre classiques, comme la micronutrition ou l’auriculothérapie (tableau 2). La majorité des médecins ont déclaré avoir suivi une ou des formations pour la MAC exercée (diplôme présentiel : 77,5 % ; école : 25,1 % ; stage : 25,1 %, alors que 20,3 % ont répondu avoir bénéficié d’une transmission par « un maître »). Enfin, 6,4 % ont déclaré n’avoir suivi aucune formation mais avoir un « don » qu’ils ont développé à partir de leur propre expérience.

La majorité des médecins généralistes (92,7 %) ont gardé une pratique médicale conventionnelle : temps de travail consacré à la médecine alternative déclaré inférieur à 10 % de leur volume horaire de travail pour 31,6 % d’entre eux, et égal à 75 % pour 32,3 % d’entre eux. Le mode de consultation des médecins généralistes était majoritairement déclaré en présentiel (83,4 %) ; 15,7 % exercent également par téléconsultations. 

Pour quelle(s) raison(s) les médecins généralistes utilisent-ils les MAC et selon quelles modalités ? 

Plus d’un tiersdes médecins interrogés (44,4 %) se sont orientés vers les MAC à la suite d’un événement particulier survenu dans leur vie (tableau 3) ; une majorité (65,8 %) ont choisi de pratiquer les MAC car ils n’étaient pas totalement satisfaits de la médecine conventionnelle (selon 53 % d’entre eux, les MAC auraient moins d’effets indésirables) ; 24,6 % évoquaient une demande de la part de leur patientèle. Certains médecins ont indiqué, sur texte libre, que les MAC permettent une « médecine holistique et globale, plus libre et gratifiante » et qu’elles « comblent les manques de la pratique conventionnelle ». D’autres évoquaient une « curiosité intellectuelle ». Certains médecins estimaient que les MAC permettent d’améliorer le contact avec les patients. Ces réponses concordent d’ailleurs avec une publication rapportant que les médecins ayant une formation alternative considèrent avoir développé de plus grandes capacités relationnelles et de communication ;11 or l’écoute et l’empathie du médecin auraient un effet bénéfique réel sur le patient.12 

Sur le plan financier, 76,7 % des médecins généralistes ont déclaré que le prix des consultations pour une MAC est fixe, adapté aux revenus du patient pour 15,3 % des cas, adapté à la pathologie pour 11,2 %, gratuit/libre pour 6,7 %. Le prix moyen d’une consultation est inférieur à 50 euros pour 67,4 % et entre 50 et 100 euros pour 22,4 %.

Les séances durent majoritairement autour de trente minutes (52,4 %), plutôt une heure pour 24 % des médecins, ou quinze minutes pour 22,4 % d’entre eux.

Maladies aux symptômes subjectifs, cibles privilégiées pour les MAC 

Les MAC se focalisent souvent sur les maladies chroniques – pour lesquelles les patients sont, à un moment de leur vie, lassés des interventions médicamenteuses et en quête d’autres moyens – et sur les affections à signes subjectifs (douleurs, fatigue, prurit).4,13 Dans notre étude, les disciplines de consultation les plus représentées étaient la santé mentale, la dermatologie et la rhumatologie-­orthopédie. Les cinq affections les plus prises en charge par une MAC étaient les syndromes anxiodépressifs, les douleurs rachidiennes et musculotendineuses, les symptômes de la ménopause, les colopathies fonctionnelles et l’eczéma (figure).

Outre l’effet potentiel de l’intervention elle-même, il est possible que ces MAC aient un effet placebo important. Il se traduit par une amélioration de l’état de santé du patient à la suite de l’intervention sans que celle-ci ait un effet biologique propre mais passe plutôt par la stimulation des ressources psychiques du patient.14 

La part de l’effet placebo et de l’effet biologique propre dans la plupart des MAC mérite d’être évaluée par des essais comparatifs randomisés. 

Les MAC sont-elles dépourvues d’effets indésirables ?

La motivation première des patients et des médecins pour s’orienter vers les MAC est la faible survenue d’effets indésirables par rapport aux thérapies médicamenteuses. Toutefois, 28,7 % des médecins géné­ralistes interrogés ont signalé des effets indésirables réguliers, notamment une majoration transitoire des symptômes, des réactions cutanées, des douleurs ou hématomes post-acupuncture/mésothérapie, une fatigue transitoire après plusieurs interventions, des douleurs abdominales. Ces effets indésirables dépendent de la MAC, et spécifiquement de son caractère invasif ou non.15,16

Un risque grave, non évoqué par les médecins de notre enquête mais bien décrit dans la littérature, est celui lié à l’arrêt des traitements conventionnels au profit des médecines alternatives et complémentaires.17

Les patients consultant pour des MAC ont-ils un profil particulier ?

Dans notre étude, il n’a pas été trouvé de façon évidente un profil distinct des patients consultant pour des MAC par rapport à ceux consultant pour des soins de médecine conventionnelle. Toutefois, les médecins interrogés ont déclaré prendre en charge un peu plus fréquemment des femmes, une population un peu plus urbaine, sans différence d’âge (tableau 4), y compris des enfants (qui représentaient un quart des patients).

Chez l’enfant, les médecines alternatives sont utilisées principalement pour la prise en charge des douleurs abdominales fonctionnelles, de l’eczéma et des poussées dentaires du nourrisson. Toutefois, 18,7 % des médecins répondeurs ont déclaré ne jamais utiliser ce type d’approche dans cette population. Plusieurs raisons pourraient expliquer cette attitude : nombreuses maladies infantiles aiguës infectieuses chez l’enfant pour lesquelles une médecine médicamenteuse conventionnelle est à privilégier ; les symptômes (douleurs, prurit…) sont parfois difficiles à évaluer chez l’enfant, notamment en bas âge ; certaines MAC sont difficiles à utiliser chez les enfants (mésothérapie, méditation…).

Références
Haute Autorité desanté. Rapport d’orientation. Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées. Avril 2011. 
2. Bontoux D, Couturier D, Menkes CJ. Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi – leur place parmi les ressources de soins. Bull Acad Natle Med 2013;197:717‑57. 
3. Maizes V, Rakel D, Niemiec C. Integrative medicine and patient-centered care. Explore (NY) 2009;5:277-89.
4. Alraek T, Lee MS, Choi TY, et al. Complementary and alternative medicine for patients with chronic fatigue syndrome: a systematic review. BMC Complement Altern Med 2011;11:87-98.
5. Gray AC, Steel A, Adams J. A critical integrative review of complementary medicine education ­research: key issues and empirical gaps. BMC Complement Altern ­­Med 2019;19:73-93. 
6.  Conseil national de l’Ordre des médecins. Quelle place pour les ­médecins complémentaires ? Webzine n° 3 (en ligne, consulté en novembre 2022). Juillet 2015. https://bit.ly/3XGHv5T.
7. McCarney RW, Warner J, Fisher P, et al. Homeopathy for dementia. Cochrane Database Syst Rev 2003;1:CD003803. 
8. Hawke K, van Driel ML, Buffington BJ, et al. Homeopathic medicinal products for preventing and treating acute respiratory tract infections in children. Cochrane Database Syst Rev 2018;9:CD005974. 
9. Bové Y, Ryckman V. L’enseignement de l’homéopathie en médecine générale : une nécessité ? État des lieux. Rev Homéopathie 2014;5:13-7. 
10. Item 327. Utilité et risques des interventions non médicamenteuses et des thérapies complémentaires. In: Collège national de pharmacologie médicale, Collège national des enseignants de thérapeutique. Le bon usage du médicament et des thérapeutiques non médicamenteuses (5e édition). Paris: Med-Line. 2021, p. 243-58. 
11. Frenkel M, Ben-Arye E, Geva H, et al. Educating CAM practitioners about integrative medicine: an approach to overcoming the communication gap with conventional health care practitioners. J Altern Complement Med 2007;13:387-91.
12. Fauchon C, Faillenot I, Quesada C, et al. Brain activity sustaining the modulation of pain by empathetic comments. Sci Rep 2019;9:83-98.
13. Berna F, Göritz AS, Mengin A, et al. Alternative or complementary attitudes toward alternative and complementary medicines. BMC Complement Altern Med 2019;19:83-95. 
14. Bialosky JE, Bishop MD, George SZ, et al. Placebo response to manual therapy: something out of nothing? J Man Manip Ther 2011;19:11‑9. 
15. Smith MS, Olivas J, Smith K. Manipulative therapies: what works. Am Fam Physician 2019;99:248-52. 
16. Manheimer E, Cheng K, Wieland LS, et al. Acupuncture for hip osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2018;5:CD013010.
17. Vos B, Rake JP, Vlieger A. Adverse events associated with pediatric complementary and alternative medicine in the Netherlands: a national surveillance study. Eur J Pediatr 2021;180:2165-71. 
18. Ministère de la Santé et de la Prévention. Les pratiques de soins non conventionnelles (en ligne, consulté en novembre 2022). Décembre 2021. https://bit.ly/3EUrLDK. 

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essentiel

Les autorités sanitaires incluent de plus en plus les MAC dans les algorithmes de prise en charge de nombreuses maladies (douleur chronique, anxiété, troubles du sommeil, troubles fonctionnels), et leur remboursement en soins de support et par les mutuelles (ostéopathie par exemple) se développe.

Ces pratiques, bien que de plus en plus reconnues,18 doivent être encadrées par des formations reconnues et validées, afin de gagner en qualité de soins et d’éviter les dérives médicales et sectaires. Elles doivent rester complémentaires et ne surtout pas exclure la médecine conventionnelle. 

L’apport de données robustes scientifiques quant à leur efficacité et leurs limites par des essais comparatifs randomisés de bon niveau, en fonction de la pathologie étudiée, est l’enjeu actuel.3