Bilan initial
Outre ce symptôme, on traque systématiquement d’autres signes fonctionnels évocateurs d’une pathologie cardiovasculaire (douleur thoracique, palpitation, lipothymie ou syncope) et les possibles comorbidités (cf. infra). L’auscultation précise le rythme cardiaque et un éventuel bruit surajouté (souffle cardiaque, galop protodiastolique, éclat du B2 en faveur d’une hypertension pulmonaire).
La cause est rarement identifiée dès la première consultation, et il n’est pas utile de dresser la liste exhaustive des explorations. Cependant, on s’enquiert de la consommation d’alcool, amphétamines, cocaïne et agents cardiotoxiques (anthracyclines, trastuzumab…) ou favorisant une décompensation (AINS, inhibiteurs calciques bradycardisants).
L’ECG ne fait pas le diagnostic, mais anormal, il renforce la suspision devant une symptomatologie évocatrice. À l’inverse, une IC est peu probable en cas d’ECG normal (sensibilité de 89 %).2 Le tracé oriente parfois vers une cause : séquelle d’infarctus, fibrillation atriale, microvoltage évoquant une amylose cardiaque.
La radiographie de thorax est évocatrice en cas de dyspnée d’effort. Elle peut montrer une cardiomégalie et des signes de congestion pulmonaire. Surtout, elle écarte certains diagnostics différentiels (infection pulmonaire, BPCO…).
Peptides natriurétiques, BNP et NT-proBNP, sont des neurohormones sécrétées par les myocytes en réponse à la hausse des pressions intracardiaques. Leur valeur prédictive négative dans l’IC est haute (94 à 98 %), contrairement à leur valeur prédictive positive et leur spécificité. En effet, les taux sont élevés dans d’autres circonstances (FA, âge avancé, insuffisance rénale). À l’inverse, chez l’obèse, ils peuvent être anormalement bas, même en présence d’une IC. En faveur d’une IC : BNP ≥ 300 pg/mL ; NT-proBNP > 450 pg/mL avant 50 ans, > 900 pg/mL de 50 à 75 ans, > 1 800 pg/mL après 75 ans.
L'échocardiographie transthoracique (ETT) est indispensable à chaque étape. Peu coûteuse, accessible et non invasive, c’est l’examen de choix devant toute suspicion et pour dépister une cardiopathie liée à une maladie systémique ou secondaire à un cardiotoxique. L’ETT de repos confirme la dysfonction cardiaque, qu’elle soit structurelle ou fonctionnelle, en évaluant l’anatomie (épaisseurs pariétales, dimensions et volumes cavitaires) et la qualité de l’éjection du ventricule gauche (notamment par le calcul de la fraction d’éjection ventriculaire gauche ; FEVG), ainsi que celle du ventricule droit.
Le calcul de la FEVG est primordial pour distinguer les IC à FEVG altérée (< 40 %) ou préservée (> 50 %) [
Traquer les comorbidités
On recherche : un tabagisme actif ou passif (à quantifier), une HTA dont on précise l’ancienneté et la qualité du contrôle, une anomalie lipidique (à explorer), un diabète (glycémie à jeun, HbA1c), une obésité en calculant l’IMC, un syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (questionnaire d’Epworth, voire polygraphie ventilatoire), une hérédité cardiovasculaire.
Hypo- et hyperkaliémie, fréquentes en raison des nombreux traitements interférant avec le métabolisme potassique, peuvent induire ou aggraver des troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire : surveiller le potassium régulièrement.
IC et insuffisance rénale chronique (IRC) sont intimement liées et partagent plusieurs facteurs de risque communs. Cette interdépendance est appelée « syndrome cardiorénal », dont 5 types sont décrits selon l’atteinte primitive et le caractère aigu ou chronique.4 La plupart des traitements de l’IC interfèrent avec les 2 systèmes et doivent donc être maniés avec prudence. De mauvais pronostic, l’association IC-IRC justifie une prise en charge multidisciplinaire.
Le bilan hépatique est volontiers perturbé dans l’IC aiguë. En cause : le bas débit cardiaque et la congestion veineuse. Les anomalies (élévation des transaminases, cholestase) permettent d’identifier les patients à haut risque. Leur suivi est utile pour optimiser la prise en charge.
Les pathologies respiratoires chroniques s’accompagnent d’une morbi- mortalité accrue. Les diagnostics de BPCO et d’asthme sont difficiles : la clinique est non spécifique et, à la phase aiguë de l’IC, la spirométrie est mise en défaut. Cette dernière doit être réalisée en euvolémie et 3 mois au moins après une décompensation cardiaque. Les bêtabloquants ne sont pas contre-indiqués en cas de BPCO, et ne sont pas non plus proscrits chez l’asthmatique, à condition d’utiliser des molécules cardiosélectives (bisoprolol, métoprolol, nébivolol), de débuter par une faible posologie et de prévoir surveillance clinique rapprochée et éducation thérapeutique adaptée.3
L’anémie est commune chez les sujets hospitalisés pour IC, en particulier âgés, de sexe féminin ou ayant une insuffisance rénale. S’y associe une morbi-mortalité accrue, avec notamment réduction des capacités à l’effort et risque majoré d’hospitalisation pour IC aiguë. La recherche et le traitement des causes de l’anémie sont recommandés.
La carence martiale, fréquente (définie par une ferritinémie < 100 µg/L ou entre 100 et 299 µg/L avec un coefficient de saturation de la transferrine < 20 %), peut être responsable d’une anémie ou d’une dysfonction des muscles squelettiques. Chez les patients atteints d’une IC à FEVG altérée, la supplémentation (associée ou non à une anémie) par carboxymaltose ferrique intraveineux réduit le risque d’hospitalisation pour décompensation cardiaque et améliore capacités à l’effort et qualité de vie.
La cachexie peut affecter 5 à 15 % des sujets en IC avancée le plus souvent, en particulier en cas de FEVG altérée. Elle est associée à une symptomatologie plus sévère, à une réduction des capacités fonctionnelles et à des taux plus importants d’hospitalisation et de mortalité. L’évaluation de l’état nutritionnel est fondée sur l’examen clinique (perte de poids, IMC) et les taux d’albumine et de préalbumine.
L’hypo- et l’hyperthyroïdie peuvent précipiter un épisode d’IC aiguë et doivent être recherchées dès le premier épisode. L’atteinte cardiaque au cours d’une hyperthyroïdie ou cardiothyréose est rarement la seule cause de l’IC, elle est prise en charge par les endocrinologues.
La dysfonction érectile peut être provoquée ou aggravée par divers médicaments (bêtabloquants, antialdostérone, diurétiques thiazidiques). Les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (sildénafil, tadalafil, vardénafil) ont des effets hémodynamiques favorables et améliorent la capacité à l’effort ainsi que la qualité de vie des patients ayant une IC à FEVG altérée. Ils sont cependant contre-indiqués en cas de traitement concomitant par dérivés nitrés.
1. Classification de la New York Heart Association
• Stade 1 : pas de limitation dans la vie courante.
• Stade 2 : limitation (fatigue, dyspnée) pour des efforts importants habituels (marche rapide/en côte, montée de plus de 2 étages d’escalier).
• Stade 3 : limitation pour des efforts peu intenses de la vie courante (marche en terrain plat, montée de moins de 2 étages).
• Stade 4 : limitation permanente de repos ou pour des efforts minimes (s’habiller).
2. Insuffisance cardiaque : une maladie hétérogène
• On distingue différentes formes d’insuffisance cardiaque selon le niveau de fraction d’éjection (FE) du ventricule gauche (FEVG), depuis l’insuffisance cardiaque à FE altérée (la plus connue de toutes, avec une FEVG < 40 %), celle à FE modérément altérée (FEVG entre 40 et 50 %) et enfin l’IC à FE préservée (FEVG > 50 %). Alors que la première représentait l’essentiel des formes décrites dans le passé, elle est maintenant rattrapée par l’entité à FE préservée (environ 50 % des IC aujourd’hui), appelée à augmenter dans un futur proche…
• Une évolution majeure car, pour l’heure, il n’existe aucun médicament efficace (en dehors des diurétiques, qui réduisent la congestion). En outre, elle accompagne le changement de profil des patients plus âgés et ayant plus de comorbidités métaboliques du type diabète… Les amyloses cardiaques pourraient expliquer 10 à 15 % de ces IC.
2. Mant J, Doust J, Roalfe A, et al. Systematic review and individual patient data meta-analysis of diagnosis of heart failure, with modelling of implications of different diagnostic strategies in primary care. Health Technol Assess 2009;13:1-207.
3. Ponikowski P, Voors AA, Anker SD, et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the ESC Developed with the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J 2016;37:2129‑200.
4. Ronco C, Haapio M, House AA, et al. Cardiorenal syndrome. J Am Coll Cardiol 2008;52:1527‑39.