Une fois le diagnostic de dénutrition posé, tout l’enjeu pour le médecin traitant est de réussir la « renutrition » du patient, souvent en l’absence d’un accompagnement par un nutritionniste. Conseils nutritionnels, bon usage des compléments nutritionnels oraux, arguments pour convaincre les patients, exemples de menus… Une fiche pour la pratique.
Évaluer les ingesta et les facteurs favorisants
Pour évaluer les ingesta, la technique de référence serait l’enquête alimentaire (idéalement sur 3 jours) réalisée par une diététicienne, mais en pratique on peut s’aider de l’échelle visuelle analogique (score d’évaluation facile des ingesta [SEFI]) sur laquelle le patient indique ses apports de la semaine passée entre « je n’ai rien mangé » (0) et « j’ai mangé comme d’habitude » (10) ; un résultat inférieur à 7 sur 10 traduit la carence d’apports.
Il est important d’identifier les facteurs susceptibles de diminuer les apports alimentaires (pathologies chroniques comme la maladie de Parkinson, syndromes inflammatoires, troubles bucco-dentaires et de la déglutition, régimes restrictifs, effets indésirables des médicaments, anorexie), mais aussi le contexte (perte d’autonomie, isolement, dépression, difficultés à s’approvisionner, à cuisiner…). Il faut donc prendre en charge les pathologies sous-jacentes et corriger, si possible, les facteurs identifiés (par exemple : proposer une aide durant les repas ou pour faire les courses). Toutefois, le traitement de la cause n’est pas suffisant et une prise en charge de la dénutrition est indispensable dans tous les cas.
Une prise en charge par étapes
Des conseils diététiques adaptés sont essentiels pour tous les patients (sauf ceux susceptibles d’inhalation par fausse route) : arrêt des régimes devenus inutiles et dangereux (par exemple : le régime hypocholestérolémiant prescrit 20 ans plus tôt), augmentation de la densité énergétique et protéique des aliments (plats en sauce, fromage râpé sur les aliments…), diminution d’aliments à faible densité protéino-énergétique (fruits et légumes), même si leur densité nutritionnelle est supérieure.
En cas de dénutrition modérée, la prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) est efficace. En cas de dénutrition sévère, quels que soient les ingesta, ou si la prise en charge orale ne permet pas de couvrir au moins 75 % des besoins en protéines et énergie, il faut recourir à la nutrition artificielle (entérale ou parentérale), sauf chez un patient au stade terminal ;1 si sa prescription est réservée aux médecins d’établissements de santé, le médecin traitant est impliqué dans l’orientation du patient et dans le suivi.
Comment augmenter les apports en pratique ?
Il faut viser un apport énergétique de 30 à 40 kcal/kg/j (selon les personnes). En pratique : manger suffisamment pour reprendre du poids. Pour les protides (en raison d’une réduction du stock protéique avec l’âge) : de 1,2 à 1,5 g de protéines/kg/j ; en pratique : viande, œuf ou poisson 2 fois par jour et 3 à 4 produits laitiers par jour. Exception : les patients en insuffisance rénale terminale avant dialyse, chez lesquels l’apport protéique doit être limité à 0,6 g/kg/j.
L’alimentation doit être « équilibrée » – la répartition calorique est habituellement de 12 à 15 % en protéines, 30 à 35 % en lipides et 50 à 55 % en glucides – et fractionnée en plusieurs repas : 3 principaux repas par jour, des collations interprandiales dans la matinée et/ou l’après-midi, voire dans la soirée, pour les personnes qui dînent tôt (éviter un jeûne nocturne dépassant 12 heures).
Les menus (v. encadré) doivent intégrer des produits riches en énergie ou en protéines et adaptés aux goûts du patient. La texture des aliments doit être compatible avec ses capacités de mastication et de déglutition (nourriture tendre, plats mijotés, plus goûteux, odorants avec oignons, ail, herbes, etc.). Prendre en compte son contexte environnemental est fondamental (autonomie, état psychologique ou cognitif, possibilités financières). Le médecin traitant peut prescrire des aides diverses.
Comment enrichir l’alimentation par des CNO ?
Les compléments nutritionnels oraux peuvent être prescrits par tout médecin chez tout patient dénutri ayant une fonction intestinale normale quand l’alimentation spontanée est insuffisante par rapport aux besoins nutritionnels. Remboursés, ils correspondent à des denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales (DADFMS).
Hyperénergétiques (200 à 720 kcal/unité) et/ou hyperprotidiques (de 8 à 30 g/unité), selon le type et le volume, ils sont présentés sous forme de boissons lactées, jus de fruits, crèmes, soupes, gâteaux, plats mixés, et existent également sous forme de poudres de protéines ou de maltodextrine (glucides complexes). Certains contiennent également des fibres. L’évaluation initiale du patient permet de choisir les CNO les plus adaptés à sa pathologie et aux restrictions éventuelles (par exemple protéines, potassium selon le stade de l’insuffisance rénale). Il n’y a pas de contre-indication en cas de diabète (choix de CNO à index glycémique moyen ou bas, sans forcément recourir à un CNO édulcoré).
Une liste non exhaustive de CNO disponibles sur le marché est consultable sur le site de la Société francophone de nutrition clinique et métabolisme.
Ces compléments doivent être pris si possible en plus de l’alimentation habituelle (et non à la place !), soit en fin de repas, soit en collation, à au moins 2 heures de distance de chaque repas. Une prise nocturne est possible. Il est recommandé de prendre au moins une à deuxunités par jour. Pour faciliter la tolérance digestive, une prise par petites quantités peut être utile (une fois ouvert, le CNO peut se conserver 2 heures à température ambiante et jusqu’à 24 heures au réfrigérateur). Les CNO sont souvent mieux appréciés lorsqu’ils sont consommés frais. Certains peuvent se tiédir (arômes vanille, chocolat, café), ou se congeler façon crème glacée. Si le patient redoute les CNO très sucrés, il est possible de les diluer.
La première prescription est effectuée pour 1 mois maximum (première délivrance de 10 jours, évaluation ensuite par le pharmacien pour adapter les CNO si besoin). Le renouvellement de l’ordonnance par le médecin est possible pour 3 mois maximum après réévaluation du patient, de la tolérance et de l’observance.
Suivi : efficacité et tolérance
L’efficacité de la prise en charge nutritionnelle est évaluée sur le poids mesuré dans les mêmes conditions. On peut attendre un gain de 500 g par semaine sans œdème. L’albuminémie, qui n’est plus un critère diagnostique de dénutrition, peut être suivie, mais il ne faut pas la doser plus d’une fois par mois.
Une renutrition trop rapide chez un patient chroniquement et sévèrement dénutri peut provoquer des troubles de l’hydratation et des électrolytes sanguins. Cela justifie une augmentation progressive des apports et un dosage régulier des ions intracellulaires (potassium, phosphore, magnésium), avec supplémentation le cas échéant.
Sur qui le médecin traitant peut-il s’appuyer ?
Convaincre le patient est souvent difficile, car il peut opposer de nombreux arguments auxquels il faut savoir répondre :
– la perte de poids est une bonne chose car il est obèse ou en surpoids : la perte de poids en cas de maladie concerne la masse maigre (on peut être obèse et dénutri, a minima obèse et sarcopénique) ;
– il n’aime pas les CNO : il existe une variété très importante de saveurs et textures ;
– il faut manger cinq fruits et légumes par jour et limiter la viande : ces recommandations s’adressent à une population générale en bonne santé, pas à des gens malades ;
– il n’aura pas le droit de manger en plus de la nutrition artificielle : sauf contre-indication, les apports oraux sont encouragés ;
– la sonde va l’empêcher de manger : les sondes sont aujourd’hui celles qu’on utilise pour les enfants, plus petites et donc moins gênantes.
La diététicienne fournit des conseils personnalisés, mais l’absence de prise en charge par la Sécurité sociale est un frein majeur (toutefois, certaines assurances complémentaires le prévoient).
Le médecin nutritionniste est le spécialiste de cette pathologie, à qui on confie les patients atteints de dénutrition sévère ou en échec de la prise en charge initiale.
Exemples de repas pour sujet âgé dénutri
Petit déjeuner :
– une boisson (thé, café, lait) ;
– si peu ou pas de lait : 1 yaourt, 1 fromage blanc ou 1 morceau de fromage ;
– 1/8 de baguette ou 3-4 biscottes avec beurre et confiture ;
– si la personne mange peu de viande, on peut ajouter un peu de jambon ou de saucisson.
Déjeuner :
– 1 entrée (3 à 4 cuillères) avec de la vinaigrette ;
– environ 100 g de viande ou de poisson (avec ou sans sauce) ;
– 3 à 4 cuillères de légumes ;
– 1 morceau de fromage (30 à 40 g) ;
– 1 portion de fruit ou un dessert ;
– pain.
Goûter :
– 1 produit lacté ou une crème dessert sucrée.
Dîner :
– 1 assiette ou 1 bol de soupe ;
– 3 à 4 cuillères de féculents avec des protéines, le mieux dans un plat composé (hachis Parmentier, lasagnes, quiche lorraine…) ;
– 1 morceau de fromage (30 à 40 g) ;
– 1 dessert ou 1 fruit ;
– pain.
Schneider S. Conduite thérapeutique à tenir devant une dénutrition. Rev Prat 2022;72(8);874-7.
Vaillant MF. Place et bon usage des compléments nutritionnels oraux. Rev Prat 2022;72(8);878-9.
Nobile C. Sujet âgé dénutri : quelle prise en charge, en pratique ? Rev Prat (en ligne) 16 novembre 2020.
Référence :
1. SFNEP. Clinical nutrition guidelines of the French Speaking Society of Clinical Nutrition and Metabolism (SFNEP): Summary of recommendations for adults undergoing non-surgical anticancer treatment. Dig Liver Dis 2014;46:667-74.