La décision de prescrire des psychotropes à un enfant ou à un adolescent nécessite une réflexion en matière d’indications, d’efficacité, de tolérance et de limites. Pourtant, leur usage en pédiatrie est de plus en plus répandu et il concerne entre 0,5 et 4 % des enfants.1 Or cet usage reste souvent controversé. La méconnaissance des risques sur le développement, l’exposition potentielle des enfants aux effets indésirables connus chez l’adulte, le manque d’essais thérapeutiques bien conduits dans cette tranche d’âge sont autant de raisons avancées par les praticiens justifiant leur réticence à les prescrire, privant ainsi les jeunes patients d’une solution médicamenteuse validée. Dix règles sont ici proposées pour encadrer leur utilisation.
Premier commandement
La deuxième intention reste la règle, sauf exceptions à connaître
Il est admis que la prescription des psychotropes chez l’enfant se fait en deuxième intention, dans les situations pour lesquelles les approches relationnelle et psychothérapeutique s’avèrent insuffisantes ou inefficaces. Il est judicieux de laisser du temps aux mesures pédagogiques et de rééducation pour en observer les effets avant de rédiger une ordonnance.
Cependant, la prescription médicamenteuse est parfois incontournable, surtout en situation d’urgence, lorsque le tableau clinique est sévère, que les ressources du praticien sont épuisées ou que les conséquences de la symptomatologie du patient sur son environnement risquent à court terme de le mettre en danger (éviction scolaire, institutionnelle, etc.). Ainsi, le traitement médicamenteux doit toujours être combiné aux autres approches relationnelles et/ou psychothérapeutiques, dans le cas, par exemple, d’une schizophrénie avérée, avec des neuroleptiques – dans lequel la thérapeutique non médicamenteuse seule ne peut en effet suffire, d’autant moins que les symptômes cliniques empêchent concrètement la mise en place d’un travail psychothérapeutique.
Deuxième commandement
Obtenir le consentement de l’enfant et de ses parents en les informant sur les effets du médicament à prescrire
La prise d’un médicament suscite une inquiétude de principe : elle fait basculer le mal-être dans la pathologie. En psychiatrie, le médicament stigmatise celui qui souffre psychiquement en renvoyant aux représentations de patients adultes « chroniques » et « asilaires ». Ceci est d’autant plus important à l’âge pédiatrique.
Dispenser une information claire et précise sur l’efficience et la tolérance des psychotropes et obtenir le consentement subséquent des parents, du grand enfant et de l’adolescent sont un gage de sécurité et d’observance du traitement.
Troisième commandement
Choisir les molécules de nouvelle génération
Les psychotropes ont beaucoup évolué ces dernières années ; les nouvelles molécules sont dotées d’une rapidité d’action et d’une plus grande tolérance neurologique comparativement aux anciennes classes.1,2 Ils sont plus spécifiques dans leur mécanisme d’action, car ils agissent sur un ou deux neurotransmetteurs (exemple des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture spécifique de la sérotonine [IRSS] que sont la fluoxétine, la sertraline, le citalopram, l’escitalopram...). Ils sont en général bien tolérés mais peuvent, dans certains cas, avoir des effets indésirables temporaires avec une moindre toxicité, y compris dans les intoxications volontaires.3
Cependant, les effets indésirables métaboliques sont particulièrement marqués chez les enfants et adolescents, notamment en ce qui concerne les antipsychotiques de seconde génération.
La prescription des anciennes molécules en population pédiatrique reste généralement réservée aux tableaux cliniques graves et aux situations de résistance thérapeutique,3 du fait de la fréquence des effets indésirables qui leur est liée.
Quatrième commandement
Privilégier la dose minimale efficace
Les posologies pédiatriques s’expriment le plus souvent par kg ou par m² de surface corporelle et ne correspondent pas à la simple moitié des doses adultes.
Il est indiqué de commencer par de faibles doses, fractionnées au cours de la journée, puis d’augmenter les doses progressivement par paliers d’au moins cinq à sept jours, en fonction des résultats cliniques. L’adaptation des doses doit prendre en compte les spécificités du métabolisme de l’enfant et sa croissance staturopondérale, qui n’est pas linéaire. La répartition de la dose quotidienne en plusieurs prises permet de limiter les pics plasmatiques toxiques chez l’enfant.
Le choix de la forme galénique est capital chez le jeune patient :
- avant l’âge de 6 ans, les formes liquides sont privilégiées par voie orale ;
- au-delà de cet âge, les comprimés ou les gélules peuvent être utilisés.
La voie rectale n’est pas une voie d’administration à privilégier car l’absorption est lente. La voie intramusculaire n’est pas utilisée en raison de son caractère douloureux, des aléas de la résorption et des effets indésirables. L’administration des médicaments par voie intraveineuse n’est pas soumise à l’influence de l’âge mais aux formes galéniques disponibles.
Cinquième commandement
Opter pour la monothérapie
La monothérapie est de rigueur chez l’enfant et le jeune adolescent. L’association de deux médicaments psychotropes de la même famille ou de familles différentes a en effet plus de risque de favoriser la toxicité et la survenue d’effets indésirables que de potentialiser l’effet thérapeutique.3
En cas de résurgence des symptômes ayant motivé la prescription médicamenteuse, il faut s’assurer en premier lieu de l’observance du traitement et de la justesse du diagnostic, et rechercher une comorbidité passée inaperçue. Une fois ces points vérifiés, la posologie peut être augmentée jusqu’à la dose maximale tolérée suivant l’indication, avant d’envisager un changement de molécule de même classe.
Sixième commandement
Optimiser la durée de la prescription
Il semble essentiel d’informer le patient et ses parents du caractère transitoire et non optimal de la prescription médicamenteuse. Ces traitements permettent de réduire la fréquence, la durée, l’intensité des épisodes et améliorent le fonctionnement global de l’enfant.
La durée de la prescription dépend de l’amélioration des symptômes (quelques jours à quelques semaines dans le cadre d’un traitement symptomatique) et/ou de l’évolution des maladies psychiatriques structurées (en général, plusieurs mois).
L’arrêt se fait toujours progressivement, par réduction graduelle des doses, avec une surveillance des signes de rechute.
Septième commandement
Tenir compte des spécificités métaboliques de l’enfant et du jeune adolescent
À l’âge pédiatrique, il existe des toxicités développementales somatiques et comportementales spécifiques qui s’ajoutent aux effets indésirables et aux contre-indications décrits chez les adultes. Il faut donc respecter les spécificités de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique pédiatriques : l’absorption digestive est plus rapide, la clairance des médicaments est assez élevée avec une moindre liaison aux protéines plasmatiques, et la barrière hématoencéphalique est plus perméable.4,5 Le système enzymatique est immature entre 1 et 10 ans. La taille relativement élevée des compartiments hydriques et adipeux chez l’enfant s’accompagne de volumes de distribution des médicaments plus élevés que chez l’adulte, avec une fraction libre de médicament dans le sang susceptible d’augmenter.4
Selon la molécule et relativement à leur poids, les enfants prépubères requièrent des posologies 50 à 100 % plus importantes que les adultes et des fréquences d’administration plus grandes. Lorsque les doses ne sont pas adaptées, des effets de sous-dosage et de fin de dose se manifestent. Le traitement est alors inopérant, et la relation thérapeutique est altérée. Chez l’adolescent, il existe un risque accru de pharmacodépendance pour certaines classes de psychotropes, comme les benzodiazépines.6
Huitième commandement
Assurer un suivi de la prescription par une surveillance clinique et paraclinique
Les médicaments psychotropes peuvent avoir des effets indésirables cardiovasculaires graves, les arythmies cardiaques étant les plus fréquents. Les enfants et les adolescents sont également à risque de prise de poids induite par les psychotropes, et éventuellement d’anomalies métaboliques associées (résistance au glucose, diabète de type 2, dyslipidémie, syndrome métabolique).5 Une surveillance étroite et des conseils hygiénodiététiques sont recommandés pour prévenir ces effets.
Les surveillances clinique et paraclinique permettent de mettre en évidence de possibles contre-indications au traitement envisagé, de repérer les situations à risque et de disposer d’une base de données cliniques et biologiques pour ensuite évaluer l’efficacité et la sécurité du traitement.
Une anamnèse minutieuse permet d’orienter la recherche de maladies cardiaques et neurologiques, d’antécédents familiaux et de l’utilisation d’autres médicaments. Chez les adolescents, l’identification d’une éventuelle consommation de substances psychoactives, y compris le tabac, est nécessaire. Chez les filles, il faut penser à vérifier la prise d’un contraceptif oral ainsi qu’à détecter une éventuelle grossesse.
L’examen somatique précise le poids, la taille, le périmètre abdominal, le pouls et la pression artérielle.
Aucun examen paraclinique systématique n’est à demander ; cela dépend de la classe pharmaceutique prescrite : les antipsychotiques nécessitent une surveillance de l’hyperprolactinémie ; le lithium, celle de la fonction thyroïdienne, de la lithiémie et de la dyscalcémie ; pour les antidépresseurs de seconde génération, un électrocardiogramme est souvent demandé.
Il est recommandé de répéter les examens une fois par mois pendant trois mois, puis une fois tous les trois mois, et enfin, après un an selon l’évolution.6 Si la prescription se prolonge au-delà de la deuxième année, la surveillance de ces paramètres s’effectue annuellement.
Ces consultations régulières de contrôle permettent également de renforcer le lien thérapeutique et de motiver le patient à ne pas interrompre le traitement.
Neuvième commandement
Être conscient du risque de la prescription hors AMM
Un peu plus de 50 % des prescriptions réalisées en pédopsychiatrie se font hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette autorisation assure que le médicament respecte la législation et la réglementation pharmaceutique en vigueur, et atteste de la qualité, de l’efficacité et de l’innocuité du médicament considéré.
Le nombre de médicaments psychotropes disposant d’une AMM chez l’enfant est très limité, et le médecin se trouve très souvent dans des situations de prescription « hors AMM ». Les médicaments réservés à l’adulte sont théoriquement contre-indiqués chez l’enfant. Cependant, dans 80 % des cas, cette contre-indication ne repose pas sur un argumentaire scientifique.5Ainsi, l’absence d’indication pédiatrique conduit souvent à une contre-indication relative, et le prescripteur doit pouvoir justifier, en cas d’effet indésirable ou d’inefficacité, de l’intérêt attendu du médicament à partir de critères scientifiques.
Dixième commandement
Questionner les représentations que les patients et les médecins se font de la prescription
Pour le patient, les significations données à la prescription dépassent les propriétés pharmaceutiques de la substance prescrite. Le patient peut voir en la prescription une certaine sollicitude de son médecin.
Pour le médecin, le fait de prescrire peut notamment apaiser son sentiment d’impuissance face à une situation clinique complexe ; c’est la croyance en l’efficacité du traitement qui le motive à prescrire, comme le décrit Jean-Noël Missa – médecin et philosophe – sous le terme d’« efficacité subjective ».
Exemples de modalités de prescription de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent
Schizophrénies à début précoce
- Dans l’AMM des antipsychotiques de deuxième génération, traitement de référence, l’âge minimal est de 15 ans pour l’aripiprazole et l’amisulpride, de 16 ans pour la clozapine, et 18 ans pour l’olanzapine, la quétiapine et la rispéridone.4,6
- L’aripiprazole et la rispéridone sont les plus couramment utilisés, la clozapine étant réservée aux formes dites résistantes en raison de ses effets indésirables.6
- La surveillance clinique et paraclinique est obligatoire de façon périodique.
- La réponse au traitement neuroleptique apparaît en deux à six semaines. Une réponse insuffisante après six semaines impose une modification de posologie ou un changement de molécule.
Antipsychotiques en cas de troubles du comportement dans le cadre d’un trouble du spectre de l’autisme ou d’une déficience intellectuelle
- La rispéridone et l’aripiprazole sont les plus étudiés, en particulier pour leurs effets sur l’agressivité et les comportements répétitifs ; leur niveau d’efficacité est modéré.
- La survenue d’effets indésirables est à surveiller (essentiellement la prise de poids et la sédation).
- Ces molécules ont une AMM chez les 5 - 18 ans ayant un handicap intellectuel (avec ou sans TSA) et des troubles du comportement.
- La rispéridone est prescrite à la dose de 0,5 à 3 mg/j.7 La durée ne dépasse pas huit semaines en traitement symptomatique, en combinaison avec des mesures environnementales.
Dépression de l’enfant et de l’adolescent
- En général, les antidépresseurs sont prescrits en deuxième intention lorsque la symptomatologie est intense et, surtout, après échec d’un travail psychothérapeutique de quatre à six semaines.
- La fluoxétine est indiquée en première intention (AMM à partir de 8 ans) à la dose de 20 mg/j atteinte progressivement.6
- La surveillance du risque suicidaire ainsi que les autres effets indésirables (surtout dans les trois premiers mois chez les adolescents) est capitale.
2. Monloubou C, Forgeard L, Villand A, et al. La prescription de psychotropes chez l’enfant : obstacles et motivations. Psychiatre de l’enfant 2015;2(58):595-608 .
3. Hovagemyan-Odone M. Les pièges de la prescription de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, Rev Med Suisse 2005;013(9):917-8.
4. Winterfeld U, Bussieres J-F, Rouleau B, et al. Suivi clinique et paraclinique des enfants et adolescents traités par médicaments psychotropes. J Pharm Clin 2008;27(3):143-54.
5. Lakhan SE, Hagger-Johnson GE. The impact of prescribed psychotropics on youth. Clin Pract Epidemiol Ment Health 2007;3:21.
6. Manfred Gerlach M, Warnke A, Greenhill L. Psychiatric Drugs in Children and Adolescents. Springer 2014.
7. McCracken J, McGough J, Shah B, et al. Risperidone in Children with Autism and Serious Behavioral Problems. N Engl J Med 2002;347(5):314.