La prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) n’est jamais un acte anodin, ce doit être au contraire un acte réfléchi résultant d’une évaluation personnalisée de la balance bénéfices-risques prenant en compte l’indication, le terrain particulier du malade et ses traitements en cours. Rappel des bonnes règles de prescription.

 

Les AINS regroupent l’ensemble des médicaments symptomatiques inhibiteurs de la synthèse des prostaglandines. Ils comprennent, outre l’aspirine (anti-COX 1 sélectif), les AINS dits « classiques » ou inhibiteurs non sélectifs de la cyclooxygénase de type 1 (COX-1) et la COX-2 et les inhibiteurs sélectifs de la COX-2 ou coxibs. Les AINS sont parmi les médicaments les plus prescrits en France, avec près de 54,6 millions de boîtes remboursées par l’Assurance maladie en 2018,1 auxquelles il faut ajouter celles vendues dans le cadre de l’automédication (ibuprofène, kétoprofène). Leur propriété antalgique – qui se manifeste déjà à des posologies faibles – a fait d’eux des antalgiques de palier 1, aux dépens de produits comme le paracétamol pourtant mieux toléré par le tube digestif et le rein. Il en résulte une consommation abusive et dangereuse, en particulier chez la personne âgée, pour des durées de traitement souvent excessives et à des posologies souvent trop élevées.

Principaux risques

 Complications digestives

Les manifestations fonctionnelles, bien que fréquentes – dyspepsie, gastralgies, nausées – ne sont pas les plus préoccupantes. Rapidement résolutives à l’arrêt du produit, elles sont mal corrélées à l’existence de lésions de la muqueuse gastroduodénale (en cas de persistance, elles peuvent cependant constituer le signe d’appel). En revanche, l’ulcère gastroduodénal (mais aussi du grêle) est à redouter, même avec les coxibs pourtant réputés mieux tolérés. Souvent asymptomatique, il est fréquemment découvert à l’occasion d’une endoscopie ou de l’apparition d’une anémie ou, au pire, lors de la survenue d’une de ses soudaines complications, hémorragie ou perforation. Principaux facteurs de risque : posologie élevée (ou l’association de deux AINS), traitement prolongé (même s’il existe des ulcères de survenue précoce), âge supérieur à 65 ans, antécédent d’ulcère ou de saignement digestif, prise concomitante d’un antiagrégant, d’un anticoagulant ou d’un corticoïde systémique. La coprescription d’un inhibiteur de la pompe à protons, recommandée après 65 ans ou en présence d’autres facteurs de risque digestifs (censée protéger la muqueuse digestive) est loin, en réalité, d’assurer la protection totale escomptée : elle ne doit pas faire baisser la garde en matière de surveillance.

Compte tenu du fait que ce n’est pas le contact direct du produit avec la muqueuse digestive qui est responsable de la genèse des lésions, il est illusoire de penser que les AINS injectables sont mieux tolérés que leur forme orale. Si leur délai d’action est plus court (on gagne une heure), leur durée d’action est plus brève avec des pics de concentration plus élevés, donc plus à risque. Ils sont à proscrire, a fortiori chez les patients à risque hémorragique médicamenteux. Leur rapidité les fait réserver à la sédation urgente des coliques néphrétiques.

 Risque cardiovasculaire

Aujourd’hui, on sait que tous les AINS disponibles sont à risque cardiovasculaire (CV), et de manière à peu près équivalente. Des méta-analyses et d’études observationnelles ont en effet conclu que la prescription d’AINS inhibiteurs de la COX-2 (coxibs) mais aussi inhibiteurs de la COX-1 (AINS « classiques ») s’accompagne d’une majoration du risque CV en particulier coronaire ;2 quant à l’incidence d’une complication vasculaire, il n’y a pas de différence significative entre les sujets ayant été traités par coxibs et ceux ayant reçu un AINS classique.3,4,5

Les études les plus récentes insistent sur la dangerosité particulière du diclofénac5-7 pourtant considéré pendant longtemps comme l’un des AINS les moins à risque. Notons que la HAS a, ces dernières années, attribué à cette molécule, comme à l’acéclofénac, un « service médical rendu » insuffisant (pas de prise en charge) en cas de prescription à des patients ayant des facteurs de risque d’un événement cardiovasculaire.8

Si le risque d’infarctus du myocarde s’avère corrélé à la posologie et à la durée du traitement par AINS, de tels effets délétères ont pu être observés à l’occasion de cures courtes (7 jours).9

La prescription prolongée d’AINS10 peut aggraver une insuffisance cardiaque ou favoriser son apparition.11-13 Chez le sujet âgé, les AINS facilitent une surcharge volumique, et le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque est multiplié par 2 avec toutes les molécules.

Enfin, la survenue, l’aggravation ou l’apparition d’une résistance au traitement d’une HTA sont des effets bien documentés.14-16

Les AINS augmentent le risque thrombotique artériel,17,18 particulièrement à posologie élevée et lors d’une utilisation prolongée. Ce risque concerne surtout les sujets atteints d’une cardiopathie ischémique, d’une insuffisance cardiaque, d’une HTA mal contrôlée, d’artériopathie périphérique ou de pathologie vasculaire cérébrale, ainsi que les sujets ayant des facteurs de risque vasculaire (dyslipidémie, HTA, diabète, tabagisme…).3

 Complications rénales

En dehors de l’aggravation progressive d’une insuffisance rénale chronique (IRC) liée à la prise d’AINS au long cours (ne serait-ce que par la majoration d’une HTA), l’attention des prescripteurs doit surtout être attirée sur le risque d’une aggravation subite d’une IRC ou de l’installation d’une IR aiguë oligurique du fait d’une trithérapie particulièrement dangereuse :19,20 la coprescription d’un AINS et de deux traitements de l’HTA (un diurétique et un IEC ou un sartan), qui peut être responsable d’une réduction drastique de la perfusion glomérulaire.

Règles essentielles de prescription

Lorsque la prescription d’un AINS s’impose, quelques règles essentielles doivent être respectées :21

– il n’existe pas de prescription standard d’AINS ; toute prescription doit, au préalable, faire l’objet d’une évaluation personnalisée de la balance bénéfices-risques prenant en compte l’indication, le terrain particulier du malade et ses traitements en cours ;

– il faut tenir le plus grand compte du libellé des indications de chaque AINS ; si les précautions d’emploi et les contre-indications sont communes, tous les AINS n’ont pas les mêmes indications et ne sont donc pas interchangeables ;

– les patients doivent être préalablement informés du fait qu’un certain nombre d’antalgiques utilisés en automédication sont des AINS à faible dose ;

– un AINS ne doit être utilisé qu’à la dose minimale efficace et pour la durée la plus courte possible ;

– la voie injectable, qui cumule tous les inconvénients, doit être évitée ;

– les AINS sont déconseillés chez les sujets à risque d’insuffisance rénale fonctionnelle, les insuffisants rénaux chroniques, en cas de cardiopathie ischémique et chez les insuffisants cardiaques ;

– les AINS sont contre-indiqués après un infarctus du myocarde ;

– l’association d’un AINS à un diurétique ou à un médicament du système rénine-angiotensine-aldostérone (IEC, sartan ou inhibiteur de la rénine) est déconseillée ;

– la prudence (sinon la réticence à prescrire) doit être maximale chez le sujet âgé, presque toujours atteint de comorbidités et où le cumul des médicaments expose de surcroît à des risques d’interactions médicamenteuses (v. figure ci-dessous) ;

– en cas d’échec d’un AINS aux posologies recommandées, ne pas dépasser la posologie maximale autorisée ni coprescrire un autre AINS. En raison de la variabilité individuelle de réponse à un AINS donné, il faut plutôt essayer une autre molécule ;

– la pertinence de la poursuite d’un traitement AINS doit être systématiquement et régulièrement réévaluée, en vue d’une éventuelle déprescription ;

– l’utilisation prolongée d’un AINS ne se conçoit pas sans une surveillance régulière, clinique (poids, pression artérielle, recherche d’œdèmes des membres inférieurs…) et biologique (hémogramme, fonction rénale…) ;

– dans le cas de cures courtes, la corticothérapie systémique peut être parfois préférée au cas par cas pour certains patients.

Figure

Gilles Bouvenot, professeur émérite à la Faculté de médecine de Marseille, membre de l’Académie nationale de médecine

À lire aussi :

Notre fiche : Fain O. Prescrire et surveiller les AINS.Rev Prat Med Gen 2020;34(1046);583-4.

Fain O. Prescrire et surveiller les AINS.Rev Prat Med Gen 2016;30(958):229-30.

Références :   

1. Medic’AM. Données mensuelles et annuelles sur les médicaments remboursés par l’Assurance Maladie. 2018.   

2. Ray WA, Varas-Lorenzo C, Chung CP, et al. Cardiovascular risks of nonsteroidal anti-inflammatory drugs in patients after hospitalizations for serious coronary disease. Circ Cardiovasc Qual Outcomes 2009;2(3):155-63.   

3. Bello AE, Holt RJ. Cardiovascular risk with non-steroidal anti-inflammatory drugs: clinical implications. Drug Saf 2014;37(11):897-902.   

4. Bhala N, Emberson J, Merhi A, et al. Vascular and upper gastrointestinal effects of NSAIDs: meta-analyses of individual participant data from randomized trials. Lancet 2013;382(9894):769-79.  

5. Martin Arias LH, Martin Gonzales A, Sanz Fadrique R, et al. Cardiovascular Risk of Nonsteroidal Anti-inflammatory Drugs and Classic and Selective Cyclooxygenase-2 Inhibitors: A Meta-analysis of Observational Studies. J Clin Pharmacol 2019;59(1):55-73.

6. Schmidt M, Sorensen HT, Pedersen L. Diclofenac use and cardiovascular risks: series of nationwide cohort studies. BMJ 2018;362:3426.   

7. Solomon DH, Husni ME, Libby PA, et al. The Risk of Major NSAID Toxicity with Celecoxib, Ibuprofen, or Naproxen: A Secondary Analysis of the PRECISION Trial. Am J Med 2017;130(12):1415-22.   

8. Haute Autorité de santé. Synthèse d’avis de la commission de la transparence. 6 octobre 2010.   

9. Bally M, Beauchamp ME, Abrahamowicz M, et al. Risk of acute myocardial infarction with real-world NSAIDs depends on dose and timing of exposure. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2018;27(1):69-77.   

10. Salvo F, Antoniazzi S, Duong M, et al. Cardiovascular events associated with the long-term use of NSAIDs: a review of randomized controlled trials and observational studies. Expert Opin Drug Saf 2014;13(5):573-85.   

11. Mamdani M, Juurlink DN, Lee DS, et al. Cyclo-oxygenase-2 inhibitors versus non selective non-steroidal anti-inflammatory drugs and congestive heart failure outcomes in elderly patients: a population-based cohort study. Lancet 2004;363(9423):1751-6.   

12. Gislason GH, Rasmussen JN, Abildstrom SZ, et al. Increased mortality and cardiovascular morbidity associated with the use of nonsteroidal anti-inflammatory drugs in chronic heart failure. Arch Int Med 2009;169(2):141-9.   

13. Scott PA, Kingsley GH, Scott DL. Non-steroidal anti-inflammatory drugs and cardiac failure: meta-analyses of observational studies and randomized controlled trials. Eur J Heart Fail 2008;10(11):1102-7.   

14. Grossman E, Messeri FH. Drug-induced hypertension: an unappreciated cause of secondary hypertension.Am J Med 2012;125(1):14-22.   

15. Snowden S, Nelson R. The effects of non-steroidal anti-inflammatory drugs on blood pressure in hypertensive patients. Cardiol Rev 2011;19(4):184-91.   

16. Rossi GP, Seccia TM, Maniero C, et al. Drug related hypertension and resistance to antihypertensive treatment: a call for action. J Hypertens 2011;29(12):2295-309.   

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18. Kearney PM, Baigent C, Godwin J, et al. Do selective cyclo-oxygenase 2 inhibitors and traditional non-steroidal anti-inflammatory drugs increase the risk of atherothrombosis? Meta-analyze of randomized trials. BMJ 2006;332(7553):1302-8.   

19. Fournier JP, Sommet A, Durieu G, et al. More on the «Triple whammy»: antihypertensive drugs, non-steroidal anti-inflammatory agents and acute kidney injury – a case/non-case study in the French pharmacovigilance database. Renal Fail 2014;36(7):1166-8.   

20. Ungprasert P, Cheungpasitporn W, Crowson CS, et al. Individual NSAID drugs and risk of acute kidney injury: a systematic review and meta-analysis of observational studies. Eur J Intern Med 2015;26(4):285-91.   

21. Bounhoure JP, Bouvenot G, Montastruc. Cardiovascular risks and nonsteroidal anti-inflammatory drugs in the elderly recommendations for prescription. Bull Acad Natl Med 2015;199(6):949-57.