La prévalence de la myopie dans le monde est en très forte augmentation, constituant une véritable épidémie qui expose la population à des complications notamment maculaires. Si certaines méthodes optiques semblent efficaces pour freiner sa progression après sa survenue (surtout entre 7 et 13 ans), est-il possible de la prévenir ? Les collyres à l’atropine semblent efficaces, selon une étude randomisée chinoise. Explications…

La myopie est le trouble réfractif le plus fréquent dans le monde. Sa prévalence est galopante, avoisinant actuellement dans les pays occidentaux 40 %, et jusqu’à 60 % à 80 % dans certains pays asiatiques, comme la Chine. Cette forte augmentation expose les patients aux complications liées, notamment maculaires.

Aujourd’hui, dès la découverte de la myopie, une stratégie est mise en place avec les parents afin de contrôler son évolution. Des mesures d’hygiène de vie strictes sont recommandées : 120 minutes passées par jour à l’extérieur ; moins de 2 heures 30 en lecture stricte à moins de 30 cm ; pause toutes les 30 minutes pendant les devoirs. Elles peuvent être associées à des méthodes optiques pouvant aider à ralentir sa progression, adaptées à l’âge de l’enfant : port de lentilles rigides la nuit (orthokératologie), verres correcteurs DIMS, lentilles de contact souples bifocales ou collyres d’atropine en faible concentration – mesure largement adoptée en Asie. 

Les collyres d’atropine, déjà utilisés comme mesure de freination d’une myopie, pourraient-ils aussi être une mesure prophylactique ?

L’essai LAPM2 (Low-Concentration Atropine for Myopia Prevention) a voulu répondre à cette question, évaluant la capacité de collyres d’atropine de faible concentration à retarder la survenue de la myopie chez des enfants de 4 à 9 ans.

Un effet significatif dans la réduction de l’incidence de la myopie

Cet essai randomisé, contrôlé contre placebo et en double aveugle a été conduit en Chine entre juillet 2017 et juin 2022, chez 474 enfants non myopes âgés de 4 à 9 ans (équivalent sphérique sous collyre cyclopégique entre + 1,00 D et 0,00 D ; astigmatisme < – 1,00 D ; anisométropie < 2,00 D ; au moins un parent avec une myopie d’au moins 3,00 D). L’âge moyen des participants était 6,8 ans ; il y avait 50 % de filles. Ont été exclus : les enfants avec des pathologies oculaires (amblyopie, maladies congénitales de la rétine, strabisme, cataracte…) ; ceux ayant déjà utilisé de l’atropine ou de la pirenzépine et ceux utilisant de l’orthokératologie ou autres méthodes optiques pour la prise en charge d’une myopie ; les enfants allergiques à l’atropine ou ayant des maladies systémiques ou des anomalies du développement. Enfin, 74,5 % des enfants ont complété l’essai, mais ce fort taux de décrochage – similaire quel que soit le bras de l’étude – avait été anticipé dans les calculs.

Les participants ont été assignés aléatoirement à l’un des trois bras suivants : atropine 0,05 % (N = 160), atropine 0,01 % (N = 159) ou placebo sous forme de chlorure de sodium (N = 155) ; les collyres étaient appliqués une fois par jour, le soir, sur les deux yeux, pendant 2 ans. Les critères de jugement principaux étaient : l’incidence cumulée de la myopie sur 2 ans (au moins − 0,50 D) et le pourcentage de participants ayant une progression rapide, de 1,00 D, sur cette même période.

Résultats : comparé au groupe placebo, le groupe recevant de l’atropine 0,05 % avait une incidence cumulative de la myopie à 2 ans significativement plus basse (différence de 24,6 % : incidence de 28,4 % contre 53,0 % pour le placebo) ainsi qu’un pourcentage de participants ayant une progression rapide de la myopie à 2 ans significativement plus faible (25,0 % contre 53,9 %, soit une différence de 28,9 %). Les différences entre les groupes atropine 0,05 % et 0,01 % étaient également significatives : de 17,5 % et 20,1 % pour chacun des critères de jugement. En revanche, aucune différence significative n’a été décelée entre les groupes atropine 0,01 % et placebo.

L’instillation quotidienne de collyres d’atropine 0,05 % a donc montré un effet bénéfique dans la réduction de l’incidence de la myopie. De plus, le pourcentage de participants rapportant des effets indésirables, principalement la photophobie, était faible et sans différence notable entre les trois groupes (12,9 % dans le groupe atropine 0,05 % ; 18,9 % dans le groupe atropine 0,01 % et 12,2 % dans le placebo).

Des questions en suspens

Ces résultats encourageants nécessitent d’être confirmés par d’autres recherches, qui permettront entre autres d’étudier sur le long terme la sécurité du traitement et de comprendre si ses effets sont ceux d’une véritable prévention de la myopie ou d’un retard de sa survenue.

En outre, il faut prendre en compte que l’excellente observance au traitement (supérieure à 90 % dans les trois bras) est probablement supérieure à celle qui serait observée dans la vraie vie – d’autant plus qu’il s’agit d’une application quotidienne –, ce qui peut en modifier l’efficacité.

Par ailleurs, comme le soulignent les éditeurs du JAMA dans un commentaire paru dans le même numéro, plusieurs questions pratiques doivent encore être résolues, notamment :

  • À quel âge le traitement par atropine devrait-il être initié, et y a-t-il un âge maximum de début ?
  • Combien de temps le traitement devrait-il continuer afin de prévenir la survenue de la myopie ? C’est une question importante car d’autres études ont rapporté un effet rebond à l’arrêt du traitement.
  • Ces résultats peuvent-ils être généralisés à des population non Asiatiques ? Des essais sont en cours en ce sens.

Enfin, si l’administration d’atropine venait à être autorisée dans cette indication, elle ne devrait pas pour autant être prescrite de façon indiscriminée car elle pourrait interférer avec l’emmétropisation chez les enfants ayant une hypermétropie (processus de « myopisation » qui permet la correction de l’hypermétropie). Identifier les candidats chez qui ce traitement serait pertinent requerrait la réalisation périodique d’examens sous collyre cycloplégique.

Pour en savoir plus
Yam JC, Zhang XJ, Zhang Y, et al. Effect of Low-Concentration Atropine Eyedrops vs Placebo on Myopia Incidence in Children. JAMA 2023;329(6):472-481.
Much DC, Archer SM. Can We Prevent or Delay the Onset of Myopia?  JAMA Ophtalmol 14 février 2023.
À lire aussi :
Hammoud S. Enfant myope : que faire pour ralentir l’évolution ?  Rev Prat 2021;71(5);471-5.
Soler V, Clavas P, Daien V, et al. Épidémie de myopie en Asie et ailleurs : pourquoi ?  Rev Prat Med Gen 2021;35(1053);40-2.

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