Boire du jus de cranberry pour prévenir les infections urinaires récidivantes est souvent recommandé en pratique courante. Si l’efficacité de cette mesure avait été prouvée il y a quelques années, des données plus récentes sont venues la nuancer. Que disent les dernières études ? Quid des autres produits à base de cranberry (comprimés, poudre) ? Quels sont les patients qui bénéficient le plus de cette intervention ? Une revue récente de la Cochrane a permis de trancher.

L’une des stratégies préconisées en prévention des infections urinaires récidivantes est de boire régulièrement (2 litres par jour) afin d’obtenir 5 à 6 mictions quotidiennes, dans le but de s’opposer à la multiplication bactérienne dans l’urètre. Le jus de cranberry est souvent proposé, car il contient de la proanthocyanidine, une molécule capable de s’opposer à l’adhésion des germes aux cellules épithéliales des voies urinaires. La dose recommandée est de 200 mL matin et soir, l’action inhibitrice étant limitée à 12 heures.

Si l’efficacité de cette mesure a été prouvée par certains essais randomisés contre placebo réunis dans des revues de la Cochrane (2004, 2008), des versions plus récentes (2012), compilant davantage d’études, sont venues nuancer ces conclusions. De plus, des incertitudes demeuraient sur l’effet de la prise de cranberry sous d’autres formes (comprimés, par exemple) : les premières études ont, en effet, utilisé presque exclusivement des formes liquides (jus, concentrés) pour lesquelles l’observance sur le long terme peut être difficile, tandis que plus récemment, des formes solides ont été évaluées (comprimés, capsules, poudre).

Quelles nouveautés ?

Aujourd’hui, la dernière mise à jour de cette revue Cochrane apporte de nouvelles preuves. Elle inclut désormais 50 essais randomisés ou quasi-randomisés, avec un total de 8 857 participants à risque d’infections urinaires récidivantes.

Vingt essais ont utilisé uniquement du jus de cranberry (seule une étude l’a combiné avec des comprimés), avec des volumes allant le plus souvent de 30 mL à 1 L par jour. Trente essais ont utilisé des formes solides (dont l’étude l’ayant combiné au jus), contre seulement 11 dans la précédente version de cette revue : comprimés, capsules ou poudre, 1 à 4 fois par jour, avec des concentrations de proanthocyanidine allant de 1,4 mg à 120 mg/j. L’hétérogénéité des formes (liquide versus solide) et de la quantité de principe actif, qui n’est pas standardisée, ainsi que des dosages, reste une difficulté importante pour évaluer et comparer l’efficacité de l’ensemble de ces produits.

La quasi-totalité des études (45) comparaient le cranberry à un placebo ou à l’absence de traitement dans 6 groupes de participants : femmes ayant des cystites récidivantes (> 2 épisodes sur les 12 mois précédents), personnes âgées, femmes enceintes, enfants, adultes ayant des problèmes de vidange de vessie et personnes à risque d’infection urinaire en raison d’une intervention récente. Les durées de traitement allaient de 4 semaines à 12 mois selon les études.

La méta-analyse a inclus les résultats de 26 d’entre elles pour le critère de jugement principal (infection urinaire symptomatique vérifiée par une culture positive). Dans la plupart des études, le risque de plusieurs biais (de performance, détection, notification) a été jugé faible.

Résultats : globalement, les produits à base de cranberry – que ce soit en jus, comprimés ou poudre – réduisaient de 30 % le risque d’infections urinaires récidivantes vérifiées par une culture positive (6 211 participants ; RR = 0,70 ; IC95 % : 0,58-0,84 ; preuves jugées de certitude modérée). Les analyses par sous-groupes ont montré une efficacité particulièrement chez les femmes ayant des cystites récidivantes, avec un risque diminué de 26 % (1 555 participantes ; RR = 0,74 : IC95 % : 0,55-0,99) ; les enfants, avec un risque diminué de 54 % (504 participants ; RR = 0,46 ; IC95 % : 0,32-0,68) ; et les personnes ayant un risque d’infection à la suite d’une intervention, avec un risque diminué de 53 % (1 434 participants ; RR = 0,47 ; IC95 % : 0,37-0,61). Peu ou pas de différence n’est apparue dans les autres populations étudiées : personnes âgées en établissement (RR = 0,93), femmes enceintes (RR = 1,06) et adultes ayant des problèmes de vidange de vessie (RR = 0,97), mais ces preuves étaient jugées de certitude faible.

Les effets indésirables gastro-intestinaux étaient les plus fréquemment rapportés, mais sans différence significative entre les groupes prenant des produits à base de cranberry et les groupes placebo ou absence de traitement.

Des différences entre les produits ?

Cette revue n’a pas permis de comparer directement l’efficacité entre les différentes formes (liquide ou solide) des produits à base de cranberry, ni entre les différents dosages de proanthocyanidine. Ces questions n’étaient en effet abordées que par une seule et deux des études incluses, respectivement. Toutefois, la comparaison de l’ensemble des résultats et des estimations d’efficacité de chacune des formes contre placebo suggère que les comprimés pourraient être plus efficaces. Les auteurs signalent cependant que ces différences peuvent être dues à une meilleure observance au long cours avec les formes solides de cranberry par rapport au jus (à confirmer, car les données manquaient pour l’évaluer), ou encore aux doses de proanthocyanidine probablement plus constantes dans les comprimés que dans la boisson.

Par ailleurs, comparés aux antibiotiques, les produits à base de cranberry ont montré peu ou pas de différence d’efficacité dans la prévention des récidives d’infections symptomatiques avec culture positive (2 études ; 385 participants ; RR = 1,03 ; IC95 % : 0,80-1,33) ou symptomatiques sans culture positive (2 études ; 336 participants ; RR = 1,30 ; IC95 % : 0,79-2,14).

Enfin, les produits à base de cranberry pourraient être plus efficaces que les probiotiques dans la prévention d’infections symptomatiques avec culture positive (3 études ; 215 participants ; RR = 0,39 ; IC95 % : 0,27-0,56).

Qu’en retenir ?

Comparée à ses précédentes éditions, cette mise à jour de la revue Cochrane apporte davantage de preuves en faveur de l’efficacité des produits à base de cranberry (jus ou comprimés) dans la réduction du risque d’infections urinaires récidivantes symptomatiques et vérifiées par culture, dans certaines populations : femmes avec cystites récidivantes, enfants, personnes à risque d’infection urinaire après une intervention.

Les preuves les plus abondantes en ce sens concernent les femmes ayant des cystites récidivantes ; les versions précédentes de cette revue n’avaient pas abouti à ce résultat avec le même niveau de certitude car les études étaient moins nombreuses et de petite taille. Les données actuellement disponibles ne permettent pas de conclure sur le bénéfice de ces produits pour d’autres populations.

Des incertitudes demeurent sur la différence d’efficacité entre le jus et les comprimés, entre les différentes doses, et sur le temps de traitement optimal.

Pour en savoir plus
Williams G, Hahn D, Stephens JH, et al. Cranberries for preventing urinary tract infections.  Cochrane Database of Syst Rev 2023;4:1465-858.
À lire aussi :
Nobile C. Entretien avec le Pr François Desgrandchamps. Cystites récidivantes : les stratégies qui ont fait leurs preuves. Rev Prat (en ligne) 2 août 2022.
Desgrandchamps F. Cystites récidivantes : que faire ? Rev Prat Med Gen 2018;32(1006);587-8.

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