Objectifs
Diagnostiquer et connaître les principes de prévention et de prise en charge des principales complications de la grossesse. Argumenter les procédures diagnostiques et thérapeutiques devant une fièvre durant la grossesse.
Une fièvre est définie par une température corporelle supérieure ou égale à 38 °C. La survenue d’une fièvre pendant la grossesse est une situation fréquente, mais elle nécessite toujours une évaluation médicale. L’enjeu médical est d’identifier parmi les nombreuses causes bénignes justifiant d’une prise en charge à domicile (rhinopharyngite, gastro­entérite) celles comportant un risque maternel, fœtal ou néonatal, notamment les pyélonéphrites, sepsis, urgences chirurgicales maternelles, listérioses et chorioamniotites.

Rappel : les principales pathologies comportant un risque maternel, fœtal ou néonatal

Risque maternel

Ce sont principalement :
  • toutes les infections responsables de sepsis (souvent d’origine urinaire, plus rarement biliaire, digestif ou respiratoire), les pathologies thromboemboliques, les urgences chirurgicales maternelles (ex. appendicite ou cholécystite, de diagnostic plus complexe), les infections bactériennes graves comme les méningites ;
  • les déshydratations compliquant une diarrhée ;
  • la grippe et la varicelle du fait d’un risque accru de pneumopathie virale maternelle sévère ;
  • chez la voyageuse, le paludisme (plus sévère chez la femme enceinte, avec un risque accru d’accès pernicieux et d’hypoglycémies, et une mortalité accrue en cas de neuropaludisme), l’hépatite E au troisième trimestre (hépatites fulminantes).
On doit retenir également que la tolérance respiratoire des pneumopathies est réduite pendant la grossesse, du fait des modifications physiologiques comme l’augmentation de la volémie et la limitation de l’ampliation thoracique.

Risque fœtal

Il s’agit de l'infection intra-utérine, de la listériose et des infections avec risque de transmission materno-fœtale, responsables de malformations (comme une primo-infection toxoplasmose, une syphilis, une infection liée au virus zika ou une varicelle survenant dans les 20 premières semaines de la grossesse) ou d’anasarque (comme l’infection à parvovirus B19 au deuxième trimestre) (v. Item 26)

Risque néonatal

Il s’agit du risque d’infection sévère pour certaines infections maternelles survenant dans les derniers jours de la grossesse comme la varicelle ou la rougeole mais aussi le chikungunya.

Évaluer la femme enceinte fébrile

L’évaluation a donc trois objectifs : identifier une cause, évaluer le retentissement maternel (sepsis) et le retentissement obsté­trical/fœtal (souffrance fœtale, menace d’accouchement prématuré, rupture prématurée des membranes). Elle repose sur :
  • un interrogatoire complet sur les antécédents, statuts sérologiques, vaccinations, voyages, contages et symptômes ;
  • un examen physique exhaustif ;
  • un bilan paraclinique guidé par les symptômes, mais devant comporter impérativement des hémocultures en cas de fièvre « nue », c’est-à-dire sans signes associés, dans l’hypothèse d’une listériose.

Interrogatoire

Il ne doit pas retarder la recherche de signes de gravité maternels ou obstétricaux nécessitant une hospitalisation immédiate, une évaluation obstétricale et/ou réanimatoire.
On recherche des antécédents orientant vers la cause de la fièvre (antécédents d’infections urinaires) ou des facteurs favorisants (notamment uropathie sous-jacente et immunodépression). Il faut connaître le statut vaccinal pour la rougeole, la varicelle, la grippe en période d’épidémie ainsi que le statut sérologique vis-à-vis de la toxoplasmose, de la rubéole, de la syphilis et du VIH. Il faut rechercher un contexte à risque infectieux : contage (virose dans l’entourage, tuberculose bacillifère, rapports sexuels à risque d’infection sexuellement transmise), voyage (prévention du paludisme ? autres prophylaxies ? gestion du péril fécal ?), contacts avec des animaux. Ces points sont repris dans le tableau 1.

Examen clinique

En premier lieu, il s’agit de rechercher des signes de gravité maternels (défaillance circulatoire, respiratoire, neurologique) et obstétricaux (perte de liquide, hémorragie génitale, modification du col, disparition des mouvements actifs fœtaux). Ils sont listés dans le tableau 2.
On recherche ensuite un point d’appel infectieux ainsi que des arguments pour une étiologie non infectieuse de la fièvre. Rappelons que la grossesse est aussi un facteur prédisposant aux thromboses. L’examen général comporte un examen de la nuque, un examen ORL (sinus, gorge, tympans), une palpation des aires ganglionnaires, un examen cutané, abdo­minal, cardiopulmonaire, urinaire et obstétrical.
Quelques remarques. L’ensemble du tégument doit être examiné avec attention. Il faut savoir reconnaître les éruptions caractéristiques des viroses, notamment l’exanthème morbilliforme de la rougeole qui débute en région rétro-auriculaire avec une évolution en une seule poussée descendante, le mégalérythème épidémique du parvovirus B19 qui débute par une atteinte isolée des joues avant de s’étendre aux membres et au tronc, et l’exanthème roséoliforme de la rubéole, discret et fugace. Il faut rechercher des vésicules herpétiques et varicelleuses. Les signes fonctionnels urinaires peuvent être trompeurs, la pollakiurie étant fréquemment rapportée en dehors de toute infection (il faut savoir rechercher des modifications aiguës de la miction et des brûlures mictionnelles). Sur le plan respiratoire, la dyspnée peut être présente de manière physiologique pendant la grossesse (ascension du diaphragme, diminution de la capacité résiduelle fonctionnelle, hypervolémie et augmentation du débit cardiaque). On est alerté par le caractère aigu de la dyspnée, ou l’association avec d’autres symptômes respiratoires tels qu’une toux ou une auscultation pathologique. Un examen obstétrical est indispensable. Il comporte une mesure de la hauteur utérine et la recherche de contractions, une auscultation des bruits du cœur du fœtus, un examen au spéculum (rupture des membranes ? leucorrhées ? vésicules herpétiques ?) et un toucher vaginal pour évaluer d’éventuelles modifications du col.

Examens complémentaires

Certains examens complémentaires sont systématiques. Il s’agit de l’hémogramme, de la protéine C réactive, des hémocultures (qui permettent de mettre en évidence notamment Listeria monocytogenes), de l’examen cytobactériologique des urines (ECBU) et du prélèvement vaginal avant toute antibiothérapie.
Les autres examens sont guidés par les données de l’interrogatoire et de l’examen physique : sérologies selon le contexte (rubéole, toxoplasmose, cytomégalovirus, VIH, parvovirus B19, etc.), recherche de paludisme ou d’arbovirose en cas de retour d’une zone d’endémie et de symptômes dans un délai compatible (< 2 semaines après le retour pour une arbovirose). L’usage de la procalcitonine n’est pas validé chez la femme enceinte. Celui de la vitesse de sédimentation est à proscrire car elle est faussement positive pendant la grossesse.
L’échographie est également la technique d’imagerie de choix chez la femme enceinte pour la démarche diagnostique devant un point d’appel gynécologique ou digestif.
Les radiographies ne sont pas contre-indiquées, mais doivent être justifiées et l’utérus doit être protégé par un tablier de plomb lors de l’examen. Le recours au scanner doit rester exceptionnel, et discuté avec un obstétricien. L’IRM peut être une bonne alternative.

Prise en charge immédiate : quels sont les principes ?

Certaines situations peuvent justifier une prise en charge à domicile

Ce sont : absence de comorbidité, de signe de gravité maternel ou obstétrical, cause bénigne identifiée (gastroentérite, syndrome grippal avec signes ORL, en période épidémique).
Dans ce cas, on préconise l’administration d’un antipyrétique (paracétamol 1 g x 4/j PO), un traitement symptomatique et une surveillance rapprochée. Les autres cas justifient généralement une prise en charge en milieu hospitalier.

En milieu hospitalier

Le bilan est complété par un enregistrement du rythme cardiaque fœtal et des contractions utérines, et une échographie obstétricale pour évaluer le bien-être fœtal. L’antibiothérapie, recommandée en cas de suspicion de listériose (v. infra), repose sur l’amoxicilline (résistance intrinsèque aux céphalosporines).
On rappelle qu’il faut impérativement recommander le port d’un masque chirurgical dès l’entrée dans l’accueil des urgences pour toute femme enceinte adressée à un service d’urgences obstétricales présentant un tableau respiratoire, ORL ou une éruption cutanée, afin d’éviter la transmission d’agents pathogènes aux autres femmes enceintes présentes, et au mieux lui remettre un masque de type chirurgical qu’elle portera dès l’entrée de l’hôpital

Pathologies spécifiques

Grippe : spécificités chez la femme enceinte

La grippe saisonnière est plus fréquente et plus sévère chez la femme enceinte que dans la population générale ; elle est associée à un sur-risque de pneumopathie virale avec un risque d’hospitalisation plus élevé. La grippe pandémique est également plus sévère avec un risque accru d’hospitalisation et une mortalité accrue. Comme toute infection, une grippe sévère peut entraîner des pertes fœtales ou des accouchements prématurés. La tolérance respiratoire de l’infection est diminuée par les modifications respiratoires physiologiques survenant pendant la grossesse.
L’oséltamivir (inhibiteur de la neuraminidase) est recommandé en cas de syndrome grippal clinique chez la femme enceinte en période épidémique dans les 48 premières heures suivant le début des symptômes. S’y associe un isolement au domicile pendant les 72 premières heures de traitement.
Sur le plan préventif, la vaccination antigrippale est fortement recommandée à tout terme de la grossesse, en période épidémique pendant la grossesse, car elle protège la mère et l’enfant à naître. L’oséltamivir prophylactique est également indiqué dans les 48 heures suivant un contage avéré en période épidémique.

Listériose materno-fœtale

Cette infection d’origine alimentaire reste rare (30 à 50 cas par an en France) mais particulièrement sévère (25-30 % de pertes fœtales, 40-50 % de prématurités induites par l’infection). La listériose maternelle peut prendre trois formes, toutes non spécifiques : signes obstétricaux (contractions, menace d’accouchement prématuré), le plus souvent en contexte fébrile ; perte fœtale (20-25 %), le plus souvent en contexte fébrile et fièvre nue, sans signes d’accompagnement, qui est la présentation la plus rare. Les signes digestifs (diarrhée) sont très inconstants, et leur absence ne doit pas faire exclure le diagnostic. Dans l’immense majorité des cas, les femmes ne présentent aucune atteinte neurologique (pas de neurolistériose concomitante). L’infection maternelle est en règle bénigne, mais les complications obstétricales sont fréquentes : perte fœtale, accouchement prématuré, infection materno-néonatale précoce ou tardive dans plus de 80 % des cas. Le diagnostic est porté sur la culture du placenta, sur une hémoculture maternelle et/ou sur un prélèvement réalisé sur le fœtus ou l’enfant. Sur le plan thérapeutique, on doit retenir que Listeria monocytogenes (comme Entero­coccus sp) est naturellement résistante aux céphalosporines de troisième génération qui sont utilisées dans le traitement probabiliste d’autres infections bactériennes, comme les pyélo­néphrites. La prise en charge d’une listériose confirmée repose sur l’association d’amoxicilline (21 jours) et d’aminosides (3-5 jours). En cas de fièvre qualifiée de « nue », sans signes d’accompagnement ORL, respiratoires ou cutanés, des hémocultures doivent être prélevées, et un traitement par amoxicilline (au moins 1 g x 4/j, pendant au moins 10 jours) doit être prescrit.

Hépatite E

Le virus de l’hépatite E est un virus à ARN non enveloppé de la famille des herpèsvirus. Il existe quatre génotypes dont l’épidémiologie est différente. Les génotypes 1 et 2 sont transmis par voie orofécale par ingestion d’eau contaminée et sont responsables de grandes épidémies dans les pays à ressources limitées. Les génotypes 3 et 4, cosmopolites, sont responsables d’hépatites autochtones, sporadiques, par ingestion de viande mal cuite, notamment de porc.
Le génotype 1 est responsable d’hépatites fulminantes au troisième trimestre de grossesse. Il existe un risque de trans­mission verticale du virus et une mortalité néonatale non négligeable.
L’incubation de l’infection est de 2 à 6 semaines. L’hépatite est évoquée devant une fièvre, des myalgies, une asthénie, puis un ictère, des douleurs abdominales et une hépatomégalie. L’hépatite fulminante est définie par un taux de prothrombine inférieur à 50 % et une encéphalopathie survenant dans les deux semaines suivant l’apparition de l’ictère.
Le diagnostic est porté par une PCR (polymerase chain reaction) réalisée sur un liquide biologique (selles, sang) ou par sérologie sanguine. L’échographie hépatique est indispensable pour éliminer un obstacle. La ribavirine est contre-indiquée chez la femme enceinte car elle est tératogène. Comme dans toute hépatite, l’arrêt des médicaments hépatotoxiques est recommandé.

Infection intra-utérine (chorioamniotite)

C’est une infection des membranes fœtales et/ou de la decidua maternelle et/ou des autres composants de la cavité amniotique (liquide amniotique, placenta, cordon ombilical et fœtus). Elle est le plus souvent ascendante et plurimicrobienne, par exemple à la suite d'une rupture des membranes. Plus rarement, elle est liée à une dissémination hématogène, notamment dans le cadre de la listériose. Exceptionnellement sont rapportées des infections intra-utérines nosocomiales dans les suites d’un geste comme une amniocentèse ou une transfusion intra-utérine. Les bactéries les plus fréquemment en cause sont les streptocoques et les bacilles à Gram négatif. Le tableau associe fièvre maternelle, tachycardie maternelle et fœtale, douleurs utérines, leucorrhées ou écoulement de liquide amniotique fétide ou purulent. Les conséquences fœtales sont la prématurité et la survenue d’une infection néonatale précoce.
Une infection intra-utérine est une indication à un accouchement en urgence ; la tocolyse est absolument contre-indiquée. Le traitement maternel repose sur une antibiothérapie intraveineuse par bêtalactamines de type céphalosporines de troisième génération associées à des aminosides.

Rappel des principaux anti-infectieux autorisés et interdits pendant la grossesse

Ceci est détaillé dans le tableau 3.
Message auteur

Principales complications de la grossesse

➥Un dossier transversal avec une fièvre qui révèle une pyélonéphrite, puis une discussion thérapeutique interrogeant les indications des aminosides et les antibiothérapies utilisables pendant la grossesse.➥ Un dossier de fièvre révélant une infection intra-utérine (chorioamniotite) puis une infection materno-fœtale.➥ Une listériose permettant de discuter les différentes causes de fièvre pendant la grossesse.

Points forts
Principales complications de la grossesse Partie : Fièvre et grossesse

La fièvre au cours d’une grossesse est un symptôme justifiant systématiquement une évaluation médicale. Les principales causes maternelles à identifier sont : pyélonéphrite, sepsis et choc septique maternel, méningite, urgence chirurgicale maternelle, paludisme, listériose, chorioamniotite et infection à un pathogène « TORCH » (y compris parvovirus B19) Le bilan initial comporte un examen clinique complet, à la recherche d’un point d’appel, de signes de gravité, d’un retentissement fœtal, et des prélèvements bactériologiques (hémocultures, examen cytobactériologique des urines, prélèvement vaginal), complétés selon l’orientation clinique. En l’absence d’orientation, un traitement probabiliste ciblant la listériose par amoxicilline en l’absence de contre-indication doit être mis en place.

Pour en savoir +
CNGOF 2011. Fièvre pendant la grossesse.
E. Pilly 2018. Infections et grossesse. p 584-96.
Daccord C, Fitting JW. Poumon et grossesse. Revue medicale suisse 2013;9:2142-49.
Saidi A, Delaporte V, Lechevallier E. Problèmes urologiques rencontrés au cours de la grossesse. Progrès en urologie 2005;15:1-5.
Kerneis S, Loubet P. Vaccination antigrippale et grossesse. [Recommandation] Groupe Vaccination et Prévention de la SPILF, 2015 Nov.
Chaudrhy SA. Hepatitis E infection during pregnancy, College of Family Physicians of Canada 2015;61:299-301.
Charlier C, Perrodeau E, Leclercq A et al. Clinical features and prognostic factors of listeriosis: the MONALISA national prospective cohort study. Lancet Infect Dis 2017;17(5):510-9.
Le CRAT. Centre de référence des agents tératogènes (page consultée le 29/04/2018). Médicaments. [https://lecrat.fr/medicament.php].

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