La prise de décision partagée, en particulier en oncologie, s’appuie sur un dialogue permanent entre soignant et usager, basé sur les fondements de l’éthique médicale. Elle repose sur le principe d’autonomie du patient en évitant toute injonction.
La réflexion éthique est un cheminement qui s’appuie sur des principes visant à guider, non à définir une règle. Elle illustre une inquiétude et met en scène un questionnement : il y a dilemme éthique lorsque des valeurs entrent en tension. C’est le cas pour les mécanismes de partage décisionnel entre professionnel et usager dans le champ de la santé car l’entrée dans la maladie convoque aussitôt trois enjeux : du côté du professionnel, la prise en charge médicale stricto sensu (diagnostic, traitement, etc.) ; du côté de la personne, une dimension interne, individuelle (qui la considère en ce qu’elle est intrinsèquement et inclut sa famille, ses amis, son travail), mais aussi la dimension externe de l’environnement de vie dont elle dépend et sur lequel elle n’a pas de prise (écosystème économique, sanitaire, social, politique, traduit notamment par l’offre de santé, de services publics, etc.). C’est d’ailleurs un usage du monde médical de considérer les enjeux dans cet ordre, là où un des objectifs primordiaux devrait être le respect des choix individuels (prenant en compte, outre la personne, son entourage, ses aidants, ses aimants). La relation est d’autant plus complexe qu’elle doit concilier choix individuels et collectifs, surtout lorsque ceux-ci apparaissent lors d’une situation de tension (exemple de la vaccination). À chaque étape du parcours de soins, les enjeux médicaux proprement dits sont donc indissociables des enjeux sociétaux, personnels et familiaux, des représentations culturelles et parfois religieuses, des émotions à leur paroxysme et de l’intersubjectivité, enfin de l’habitus.
Depuis quelques décennies, la prise de décision partagée entre professionnel et usager du système de santé émerge comme modèle d’interaction et de prise de décision, entre modèle paternaliste et modèle du « patient décideur ».1,2 La mise en commun des données médico-scientifiques, de l’expérience, des valeurs et préférences du soignant, d’un côté, et des savoirs, besoins, attentes, valeurs et préférences du patient, de l’autre, aboutit, si les deux parties le souhaitent, à une discussion ouverte, attentive et respectueuse des propos de chacun. Les décisions sont ensuite prises ensemble et fondées sur un accord commun, soutenues par des supports lorsqu’ils existent et, si nécessaire, les outils d’information et d’aide à la décision.3
La prise de décision partagée n’est pas un modèle normatif et ne s’impose donc pas. Elle est le fruit d’un souhait des deux parties prenantes. Ainsi, tant au début qu’au gré de la consultation et à la fin de celle-ci, le patient peut souhaiter que le médecin décide seul ou décider lui-même, délaissant ainsi le chemin d’un processus partagé. De son côté, si le médecin ne considère pas la préférence du patient, et ce même si le processus de délibération a été partagé, un accord ne sera pas trouvé et il n’y aura donc pas de prise de décision partagée. On parle alors d’approche mixte :4 l’information a été échangée entre les parties prenantes, mais le médecin est décideur ou le patient consulte un autre médecin.
Résultat d’une acculturation comportementale et de pratique inscrite de fait dans le temps long mais aussi d’un apprentissage, les leviers et freins à la prise de décision partagée en santé ont fait l’objet de multiples travaux,5 aboutissant tous au constat d’une implantation réelle mais lente, et interrogeant sur sa définition.6,7
La prise de décision partagée convoque des principes éthiques, matérialisés dans des évolutions politiques et sociétales de fond.5 Mais ces principes définissent un cadre du possible, une aide à la réflexion, en aucun cas une injonction à l’autonomie, à la bienfaisance.8,9
Depuis quelques décennies, la prise de décision partagée entre professionnel et usager du système de santé émerge comme modèle d’interaction et de prise de décision, entre modèle paternaliste et modèle du « patient décideur ».1,2 La mise en commun des données médico-scientifiques, de l’expérience, des valeurs et préférences du soignant, d’un côté, et des savoirs, besoins, attentes, valeurs et préférences du patient, de l’autre, aboutit, si les deux parties le souhaitent, à une discussion ouverte, attentive et respectueuse des propos de chacun. Les décisions sont ensuite prises ensemble et fondées sur un accord commun, soutenues par des supports lorsqu’ils existent et, si nécessaire, les outils d’information et d’aide à la décision.3
La prise de décision partagée n’est pas un modèle normatif et ne s’impose donc pas. Elle est le fruit d’un souhait des deux parties prenantes. Ainsi, tant au début qu’au gré de la consultation et à la fin de celle-ci, le patient peut souhaiter que le médecin décide seul ou décider lui-même, délaissant ainsi le chemin d’un processus partagé. De son côté, si le médecin ne considère pas la préférence du patient, et ce même si le processus de délibération a été partagé, un accord ne sera pas trouvé et il n’y aura donc pas de prise de décision partagée. On parle alors d’approche mixte :4 l’information a été échangée entre les parties prenantes, mais le médecin est décideur ou le patient consulte un autre médecin.
Résultat d’une acculturation comportementale et de pratique inscrite de fait dans le temps long mais aussi d’un apprentissage, les leviers et freins à la prise de décision partagée en santé ont fait l’objet de multiples travaux,5 aboutissant tous au constat d’une implantation réelle mais lente, et interrogeant sur sa définition.6,7
La prise de décision partagée convoque des principes éthiques, matérialisés dans des évolutions politiques et sociétales de fond.5 Mais ces principes définissent un cadre du possible, une aide à la réflexion, en aucun cas une injonction à l’autonomie, à la bienfaisance.8,9
Le processus de prise de décision partagée est bilatéral et interactif
Dans la prise de décision partagée, le professionnel de santé (avec l’équipe médicale) et le patient (avec ses proches) s’informent, délibèrent et parviennent à un accord commun sur la décision prise.1,2 L’échange d’information est donc bilatéral, la délibération/discussion par nature interactive, la participation partagée à chaque étape du processus, qui résulte en un accord commun sur la décision appliquée ensuite. Successivement, la discussion porte sur la nécessité d’opérer un choix, les différentes options avec leurs bénéfices et risques, illustrés s’ils existent par des outils d’information et d’aide à la décision,3 mais surtout tant par l’expérience et les préférences du professionnel de santé que par ce que représentent ces bénéfices et ces risques pour le patient et ses proches, leurs questions, craintes, peurs, croyances, à la lumière de ces représentations anticipées. De cette discussion nourrie de tous les points de vue, les préférences de part et d’autre se révèlent, évoluent, changent ou se confirment, prenant en compte les expertises et expériences de chacun, les émotions, les biais cognitifs, et l’incertitude propre au contexte décisionnel (les données étant populationnelles et non individuelles).
Le processus interactif est consensuel si les parties prenantes sont proches dans leur réflexion sur la prise en charge préférée. Mais, si tel n’est pas le cas, un processus de négociation a lieu, auquel il convient d’être vigilant car un déséquilibre peut se dissimuler, inhérent à la relation en matière d’information et de pouvoir, d’autant plus prononcé si, à la vulnérabilité pathologique, s’ajoute la vulnérabilité sociale. Il revient donc au médecin de créer un environnement sûr pour que le patient se sente à l’aise pour explorer les informations et exprimer ses préférences.
Le processus interactif est consensuel si les parties prenantes sont proches dans leur réflexion sur la prise en charge préférée. Mais, si tel n’est pas le cas, un processus de négociation a lieu, auquel il convient d’être vigilant car un déséquilibre peut se dissimuler, inhérent à la relation en matière d’information et de pouvoir, d’autant plus prononcé si, à la vulnérabilité pathologique, s’ajoute la vulnérabilité sociale. Il revient donc au médecin de créer un environnement sûr pour que le patient se sente à l’aise pour explorer les informations et exprimer ses préférences.
Oncologie, une spécialité propice à la prise de décision partagée
Les circonstances propices à la prise de décision partagée, nombreuses en oncologie, concernent le dépistage (cancer du sein, de la prostate) et les traitements (chirurgies mammaire et de reconstruction ; prostatectomie versus radiations ionisantes, etc.).10 Mais l’ensemble du parcours de soins peut donner lieu au partage décisionnel si tel est le souhait des parties prenantes, et un équilibre supposé entre les options n’est pas nécessaire, celles-ci étant, a minima, faire ou ne pas faire.
En contexte palliatif, si les choix devraient plus que jamais être conformes aux valeurs et préférences du malade et de ses proches,11 c’est loin d’être toujours le cas.12
En France, en population générale, l’enquête e-Satis 2021 de la Haute Autorité de santé, conduite auprès de 445 223 patients, montre que 48 % d’entre eux souhaitent être impliqués dans les décisions.13 Néanmoins, parmi ceux-ci, seuls 41 % estiment y avoir été invités par le professionnel de santé. En France toujours, en cancérologie, la plateforme Cancer Contribution montre, par le biais d’une enquête en ligne menée auprès de 900 patients,14 que moins de 50 % déclarent avoir participé à une décision concernant leur prise en charge, participation variant selon la pathologie mais indépendante de l’âge et du sexe. Deux tiers des patients déclarent s’être sentis à l’aise avec la prise de décision partagée. Les principales raisons identifiées du manque d’aisance sont les émotions, le contexte d’incertitude et le manque d’informations.
Si la cancérologie se prête bien à la prise de décision partagée, de nombreux freins apparaissent pour-tant en pratique.11 Nous en examinons ici les causes à travers un regard éthique.
En contexte palliatif, si les choix devraient plus que jamais être conformes aux valeurs et préférences du malade et de ses proches,11 c’est loin d’être toujours le cas.12
En France, en population générale, l’enquête e-Satis 2021 de la Haute Autorité de santé, conduite auprès de 445 223 patients, montre que 48 % d’entre eux souhaitent être impliqués dans les décisions.13 Néanmoins, parmi ceux-ci, seuls 41 % estiment y avoir été invités par le professionnel de santé. En France toujours, en cancérologie, la plateforme Cancer Contribution montre, par le biais d’une enquête en ligne menée auprès de 900 patients,14 que moins de 50 % déclarent avoir participé à une décision concernant leur prise en charge, participation variant selon la pathologie mais indépendante de l’âge et du sexe. Deux tiers des patients déclarent s’être sentis à l’aise avec la prise de décision partagée. Les principales raisons identifiées du manque d’aisance sont les émotions, le contexte d’incertitude et le manque d’informations.
Si la cancérologie se prête bien à la prise de décision partagée, de nombreux freins apparaissent pour-tant en pratique.11 Nous en examinons ici les causes à travers un regard éthique.
Quatre piliers éthiques
Les principes de la bioéthique décrits par Childress et Beauchamp15 sont les plus utilisés en pratique courante. Parfois considérés comme réducteurs, leur valeur est pourtant indiscutable, et la prise de décision partagée s’appuie sur ces principes. Pour autant, aussi aidants soient-ils, ils ne sauraient devenir normatifs et conduire à « une injonction éthique ».9
Parmi les quatre principes cardinaux, celui d’autonomie s’impose en médecine depuis plus de deux décennies, sous une influence primitivement anglo-saxonne. L’hétéronomie présupposée de la personne malade fait aujourd’hui davantage place, y compris en France, à un rééquilibrage de la relation soigné-soignant. Cette reconnaissance de l’autonomie conduit à promouvoir et respecter la voix du patient dans les décisions de santé qui le concernent. Mais les trois autres piliers éthiques sont aussi mobilisés par la prise de décision partagée : le principe de bienfaisance est illustré par la diminution du regret décisionnel, un sentiment d’implication de la personne dans son parcours de soins et le respect de ses valeurs et préférences. La non-malfaisance (primum non nocere) s’incarne dans l’absence d’effet adverse tel que l’anxiété, pour peu que soit respectée, le cas échéant, une volonté du malade de ne pas participer au processus décisionnel. La réduction des choix les plus invasifs, au profit des options de surveillance ou de « ne pas faire »,16 obéit à la fois aux principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Enfin, le principe de justice distributive, plus collectif et politique que les trois autres, se retrouve dans ce moindre recours aux choix invasifs, sans consommation de moyens ou de temps significativement supérieure.
Le questionnement éthique peut également s’appuyer sur deux grands courants de la philosophie morale : l’approche déontologiste établit que la nature vertueuse d’un acte est contenue dans l’acte lui-même ; l’éthique conséquentialiste (constitutive du courant utilitariste) trouve la justification de l’action dans sa conséquence, non dans sa nature. Sur un plan socio-politique, Max Weber distinguait éthiques de conviction (surtout déontologiste) et de responsabilité (conséquentialiste). L’une n’est pas exclusive, mais complémentaire de l’autre. On peut ici considérer que la prise de décision partagée porte non seulement sa validité éthique dans sa nature même et ses principes, mais aussi, de façon plus utilitariste, dans ses bénéfices, individuels ou collectifs (communication entre médecin et patient, respect des droits des patients, sens donné à la pratique médicale, etc.). Des mesures d’impact, médico-économiques mais aussi neurocognitives, intégrant soignants et patients, pourraient même renforcer cette approche éthique de la responsabilité en interrogeant sur l’allocation des ressources, humaines ou matérielles.
Parmi les quatre principes cardinaux, celui d’autonomie s’impose en médecine depuis plus de deux décennies, sous une influence primitivement anglo-saxonne. L’hétéronomie présupposée de la personne malade fait aujourd’hui davantage place, y compris en France, à un rééquilibrage de la relation soigné-soignant. Cette reconnaissance de l’autonomie conduit à promouvoir et respecter la voix du patient dans les décisions de santé qui le concernent. Mais les trois autres piliers éthiques sont aussi mobilisés par la prise de décision partagée : le principe de bienfaisance est illustré par la diminution du regret décisionnel, un sentiment d’implication de la personne dans son parcours de soins et le respect de ses valeurs et préférences. La non-malfaisance (primum non nocere) s’incarne dans l’absence d’effet adverse tel que l’anxiété, pour peu que soit respectée, le cas échéant, une volonté du malade de ne pas participer au processus décisionnel. La réduction des choix les plus invasifs, au profit des options de surveillance ou de « ne pas faire »,16 obéit à la fois aux principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Enfin, le principe de justice distributive, plus collectif et politique que les trois autres, se retrouve dans ce moindre recours aux choix invasifs, sans consommation de moyens ou de temps significativement supérieure.
Le questionnement éthique peut également s’appuyer sur deux grands courants de la philosophie morale : l’approche déontologiste établit que la nature vertueuse d’un acte est contenue dans l’acte lui-même ; l’éthique conséquentialiste (constitutive du courant utilitariste) trouve la justification de l’action dans sa conséquence, non dans sa nature. Sur un plan socio-politique, Max Weber distinguait éthiques de conviction (surtout déontologiste) et de responsabilité (conséquentialiste). L’une n’est pas exclusive, mais complémentaire de l’autre. On peut ici considérer que la prise de décision partagée porte non seulement sa validité éthique dans sa nature même et ses principes, mais aussi, de façon plus utilitariste, dans ses bénéfices, individuels ou collectifs (communication entre médecin et patient, respect des droits des patients, sens donné à la pratique médicale, etc.). Des mesures d’impact, médico-économiques mais aussi neurocognitives, intégrant soignants et patients, pourraient même renforcer cette approche éthique de la responsabilité en interrogeant sur l’allocation des ressources, humaines ou matérielles.
Éthique, lois de santé et preuves académiques suffisent-elles ?
Il serait donc tentant de prôner la diffusion de la prise de décision partagée parce qu’à la fois vertueuse (en soi) et sans doute utile. La loi du 4 mars 2002 elle-même en inscrit les fondements, même si la portée de ses termes n’en a alors pas été mesurée à sa juste valeur : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. »17 Enfin, rationnel et preuves académiques des bénéfices de la prise de décision partagée viennent en conforter l’usage. Pourtant, l’implantation effective tarde, en France comme au niveau international.5 Ainsi peut-on se demander pourquoi, appuyés par des arguments légaux et scientifiques, les éléments éthiques ne suffisent pas à infuser la prise de décision partagée dans les cultures et les pratiques.
D’abord, parce que les principes éthiques font aujourd’hui davantage peur qu’envie, à cause notamment d’une perception souvent normalisatrice, voire moralisante. Le philosophe Emmanuel Fournier* a pointé, dans son ultime ouvrage, ces injonctions néolibérales (et souvent vidées de leur sens) à l’autonomie ou à l’« empowerment »,9 venues tout droit des pays anglo-saxons. Il fallait bien cela pour rétablir un équilibre face à une position soignante hexagonale notoirement paternaliste. Mais c’était faire des principes éthiques une nouvelle forme de lois régissant la pensée, là où ils ne sont que boussoles pour aider à s’orienter, avec humanité et intelligence singulière. Or, pour suivre Hannah Arendt, les idéologies, en entravant « la liberté inhérente à la faculté humaine de penser », conduisent à une simplification, une dénaturation, enfin une extinction de la pensée.
« L’autonomie de la personne n’est plus un postulat, mais une construction à réaliser avec l’aide des soignants attentifs aux capabilités. »8 Elle ne se décrète pas ; elle est protéiforme et son amplitude varie selon les personnes et le moment. De même qu’on ne peut étiqueter tout malade comme hétéronome du fait de sa vulnérabilité, on ne peut pas davantage plaquer sur lui une volonté ni une capacité systématique à partager la décision. L’acculturation prévaut sur la loi, l’intelligence sur le dogme : c’est tout l’art médical de se donner les moyens de dessiner les contours de la personne, d’en faire un paysage et d’en connaître l’écosystème, avant toute autre chose. Seule l’écoute, préalable à tout, de la demande du patient, le recueil de ce qui fait son habitus, ses valeurs et ses souhaits, permet de sonder s’il peut et veut participer à la décision, dans quelle mesure, à quel moment : « Nous allons devoir faire route ensemble, commençons par nous connaître. » C’est bien cette préparation, et le soutien émotionnel et social nécessaire, que mettent en évidence Joseph-Williams et al.18 Les professionnels paramédicaux aussi, dans un temps d’accompagnement soignant, ont un rôle essentiel dans cette préparation.8 À cette seule condition seront évitées les sentences intimant que « les malades peuvent et doivent choisir, ou qu’à l’inverse ils disent le plus souvent “Faites au mieux, docteur.” ».
D’abord, parce que les principes éthiques font aujourd’hui davantage peur qu’envie, à cause notamment d’une perception souvent normalisatrice, voire moralisante. Le philosophe Emmanuel Fournier* a pointé, dans son ultime ouvrage, ces injonctions néolibérales (et souvent vidées de leur sens) à l’autonomie ou à l’« empowerment »,9 venues tout droit des pays anglo-saxons. Il fallait bien cela pour rétablir un équilibre face à une position soignante hexagonale notoirement paternaliste. Mais c’était faire des principes éthiques une nouvelle forme de lois régissant la pensée, là où ils ne sont que boussoles pour aider à s’orienter, avec humanité et intelligence singulière. Or, pour suivre Hannah Arendt, les idéologies, en entravant « la liberté inhérente à la faculté humaine de penser », conduisent à une simplification, une dénaturation, enfin une extinction de la pensée.
« L’autonomie de la personne n’est plus un postulat, mais une construction à réaliser avec l’aide des soignants attentifs aux capabilités. »8 Elle ne se décrète pas ; elle est protéiforme et son amplitude varie selon les personnes et le moment. De même qu’on ne peut étiqueter tout malade comme hétéronome du fait de sa vulnérabilité, on ne peut pas davantage plaquer sur lui une volonté ni une capacité systématique à partager la décision. L’acculturation prévaut sur la loi, l’intelligence sur le dogme : c’est tout l’art médical de se donner les moyens de dessiner les contours de la personne, d’en faire un paysage et d’en connaître l’écosystème, avant toute autre chose. Seule l’écoute, préalable à tout, de la demande du patient, le recueil de ce qui fait son habitus, ses valeurs et ses souhaits, permet de sonder s’il peut et veut participer à la décision, dans quelle mesure, à quel moment : « Nous allons devoir faire route ensemble, commençons par nous connaître. » C’est bien cette préparation, et le soutien émotionnel et social nécessaire, que mettent en évidence Joseph-Williams et al.18 Les professionnels paramédicaux aussi, dans un temps d’accompagnement soignant, ont un rôle essentiel dans cette préparation.8 À cette seule condition seront évitées les sentences intimant que « les malades peuvent et doivent choisir, ou qu’à l’inverse ils disent le plus souvent “Faites au mieux, docteur.” ».
Prise de décision partagée en accord avec l’éthique médicale
L’éthique, les lois, les évolutions sociales fondent nos comportements, à une échelle surtout collective. De façon plus singulière, nos émotions, notre habitus, notre relation au doute agissent puissamment sur nous. C’est le cas dans la relation entre professionnels et usagers de santé. Comprendre ces déterminants permet de mieux aborder une relation entre personnes lorsque la tension est élevée. Ainsi, lorsque vient le moment de prendre une décision , notamment en cancérologie, l’offre d’une prise de décision partagée s’inscrit comme chemin de crête de l’éthique médicale, respectueux d’une « intransigeance exténuante de la mesure. »
Références
1. Charles C, Gafni A, Whelan T. Shared decision-making in the medical encounter: What does it mean? (or it takes at least two to tango). Soc Sci Med 1997;44(5):681-92.
2. Charles C, Gafni A, Whelan T. Decision-making in the physician-patient encounter: Revisiting the shared treatment decision-making model. Soc Sci Med 1999;49(5):651-61.
3. Stacey D, Légaré F, Lewis K, Barry MJ, Bennett CL, Eden KB, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017;4(4):CD001431.
4. Nguyen F, Moumjid N, Charles C, Gafni A, Whelan T, Carrère MO. Treatment decision-making in the medical encounter: Comparing the attitudes of French surgeons and their patients in breast cancer care. Patient Educ Couns 2014;94(2):230-7.
5. Bravo P, Härter M, McCaffery K, Giguère A, Hahlweg P, Elwyn G. Editorial: 20 years after the start of international Shared Decision-Making activities: Is it time to celebrate? Probably… . Z Evid Fortbild Qual Gesundhwes 2022;171:1-4.
6. Moumjid N, Gafni A, Brémond A, Carrère MO. Shared decision making in the medical encounter: Are we all talking about the same thing? Med Decis Making 2007;27(5):539-46.
7. Elwyn G. Shared decision making: What is the work? Patient Educ Couns 2021;104(7):1591-95.
8. Marty S, Stiegler B, Robert G, Colombani F, Ravaud A, Haaser T. La décision partagée en cancérologie, entre émancipation et domination de la personne malade. Éthique et santé 2020;17:82-8.
9. Fournier E. Tentations de l’éthique (Petit traité de la bien-maltraitance). Paris, Éditions de l’éclat, 2023, 216 p.
10. Covvey JR, Kamal KM, Gorse EE, Mehta Z, Dhumal T, Heidari E, et al. Barriers and facilitators to shared decision-making in oncology: A systematic review of the literature. Support Care Cancer 2019;27(5):1613-37.
11. Blot F, Carretier J, Marsico G, Moumjid N. Démocratie en santé, éthique et fin de vie : quels enjeux pour la prise de décision partagée ? Med Pall 2023; sous presse.
12. Plançon M. La décision médicale partagée, élément d’intégration des soins palliatifs en oncologie ? Mémoire de master 2 santé parcours recherche en médecine palliative et dans le champ de la fin de vie. 2022.
13. Haute Autorité de Santé. Mesure de la satisfaction et de l’expérience des patients. Rapport e-Satis 2021. https://vu.fr/Gpca
14. Milan L, Doucène S, Farsi F, Lenoir G, Moumjid N, Blot F. Leviers et freins à la prise de décision partagée en France en 2021 : Enquête nationale auprès des patients atteints de cancer. Bull Cancer 2023;110(9):893-902.
15. Beauchamp TL, Childress JF. Les principes de l’éthique biomédicale. Médecine & Sciences Humaines. 1979, 641 p.
16. O’Connor AM, Llewellyn-Thomas HA, Flood AB. Modifying unwarranted variations in health care: Shared decision making using patient decision aids. Health Aff (Millwood) 2004;Suppl Variation:VAR63-72.
17. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et la qualité du système de santé. Journal officiel de la République française, 5 mars 2002. https://vu.fr/BboS
18. Joseph-Williams N, Williams D, Wood F, Lloyd A, Brain K, Thomas N, et al. A descriptive model of shared decision making derived from routine implementation in clinical practice (‘Implement-SDM’): Qualitative study. Patient Educ Couns 2019;102(10):1774.
2. Charles C, Gafni A, Whelan T. Decision-making in the physician-patient encounter: Revisiting the shared treatment decision-making model. Soc Sci Med 1999;49(5):651-61.
3. Stacey D, Légaré F, Lewis K, Barry MJ, Bennett CL, Eden KB, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017;4(4):CD001431.
4. Nguyen F, Moumjid N, Charles C, Gafni A, Whelan T, Carrère MO. Treatment decision-making in the medical encounter: Comparing the attitudes of French surgeons and their patients in breast cancer care. Patient Educ Couns 2014;94(2):230-7.
5. Bravo P, Härter M, McCaffery K, Giguère A, Hahlweg P, Elwyn G. Editorial: 20 years after the start of international Shared Decision-Making activities: Is it time to celebrate? Probably… . Z Evid Fortbild Qual Gesundhwes 2022;171:1-4.
6. Moumjid N, Gafni A, Brémond A, Carrère MO. Shared decision making in the medical encounter: Are we all talking about the same thing? Med Decis Making 2007;27(5):539-46.
7. Elwyn G. Shared decision making: What is the work? Patient Educ Couns 2021;104(7):1591-95.
8. Marty S, Stiegler B, Robert G, Colombani F, Ravaud A, Haaser T. La décision partagée en cancérologie, entre émancipation et domination de la personne malade. Éthique et santé 2020;17:82-8.
9. Fournier E. Tentations de l’éthique (Petit traité de la bien-maltraitance). Paris, Éditions de l’éclat, 2023, 216 p.
10. Covvey JR, Kamal KM, Gorse EE, Mehta Z, Dhumal T, Heidari E, et al. Barriers and facilitators to shared decision-making in oncology: A systematic review of the literature. Support Care Cancer 2019;27(5):1613-37.
11. Blot F, Carretier J, Marsico G, Moumjid N. Démocratie en santé, éthique et fin de vie : quels enjeux pour la prise de décision partagée ? Med Pall 2023; sous presse.
12. Plançon M. La décision médicale partagée, élément d’intégration des soins palliatifs en oncologie ? Mémoire de master 2 santé parcours recherche en médecine palliative et dans le champ de la fin de vie. 2022.
13. Haute Autorité de Santé. Mesure de la satisfaction et de l’expérience des patients. Rapport e-Satis 2021. https://vu.fr/Gpca
14. Milan L, Doucène S, Farsi F, Lenoir G, Moumjid N, Blot F. Leviers et freins à la prise de décision partagée en France en 2021 : Enquête nationale auprès des patients atteints de cancer. Bull Cancer 2023;110(9):893-902.
15. Beauchamp TL, Childress JF. Les principes de l’éthique biomédicale. Médecine & Sciences Humaines. 1979, 641 p.
16. O’Connor AM, Llewellyn-Thomas HA, Flood AB. Modifying unwarranted variations in health care: Shared decision making using patient decision aids. Health Aff (Millwood) 2004;Suppl Variation:VAR63-72.
17. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et la qualité du système de santé. Journal officiel de la République française, 5 mars 2002. https://vu.fr/BboS
18. Joseph-Williams N, Williams D, Wood F, Lloyd A, Brain K, Thomas N, et al. A descriptive model of shared decision making derived from routine implementation in clinical practice (‘Implement-SDM’): Qualitative study. Patient Educ Couns 2019;102(10):1774.