La prise en charge de la sclérose en plaques (SEP) a considérablement évolué ces dernières années. Elle repose sur plusieurs axes : traitement des poussées, traitement de fond préventif de la survenue de poussées et de l’aggravation du handicap, traitement symptomatique et prise en charge non médicamenteuse permettant d’améliorer certains symptômes et la qualité de vie des patients. Une prise en charge globale et pluridisciplinaire doit être poursuivie tout au long de la maladie. Elle repose sur un parcours de soins faisant appel à plusieurs catégories de professionnels : médicaux, paramédicaux et sociaux. Des réseaux de soins spécialisés et des centres experts ont ainsi été mis en place aux niveaux national et régional, permettant une meilleure articulation entre ville et hôpital (Centre de ressources et de compétences pour la SEP et les maladies apparentées [CRC SEP], https://sfsep.org/).
Prendre en charge les poussées pour diminuer le handicap occasionné
Une poussée est définie par l’apparition ou la réapparition de symptômes durant plus de vingt-quatre heures en dehors d’un contexte infectieux fébrile (qui pourrait accentuer des symptômes antérieurement présents).
La survenue de poussées impacte le risque de handicap : d’une part, des séquelles invalidantes peuvent survenir dans leurs suites ; d’autre part, la fréquence des poussées en début de maladie est prédictive de l’importance du handicap à moyen et long terme.1 Il est donc impératif de prendre en charge rapidement et efficacement toute nouvelle poussée.
Le traitement de référence repose sur les glucocorticoïdes à fortes doses par voie intraveineuse durant plusieurs jours (méthylprednisolone, 1 g/j pendant 3 à 5 jours). Ce traitement peut être réalisé à domicile, après avoir vérifié l’absence d’infection, notamment urinaire. Une étude récente a montré que des doses équivalentes utilisées par voie orale avaient une efficacité et une tolérance comparables, permettant par là même un allègement de la prise en charge.2 La tolérance est habituellement satisfaisante en l’absence de pathologies associées (notamment hypertension artérielle et diabète) ; une prise en charge hospitalière est privilégiée en cas de maladie sous-jacente.
Le traitement des poussées permet une récupération plus rapide et complète des symptômes, mais n’a pas d’influence sur l’évolution ultérieure de la maladie.
Traitement de fond adapté à la forme de la maladie
L’intérêt d’un traitement de fond, efficace sur la composante inflammatoire, est bien différent selon que la maladie est de forme rémittente ou progressive.
Forme rémittente : bloquer l’inflammation
Dans la forme rémittente de la maladie, l’objectif actuel est de parvenir à bloquer la dynamique inflammatoire avec des traitements de fond efficaces sur l’évolution de la maladie (évaluée sur le nombre de poussées, l’aggravation du handicap, l’activité inflammatoire à l’imagerie par résonance magnétique [IRM]). Il s’agit d’éviter ou de reculer l’apparition et l’aggravation du handicap lié aux séquelles des poussées ou à l’apparition d’une évolution progressive retardée.
Initié précocement, plus efficace
L’arsenal thérapeutique permettant d’influer favorablement sur l’évolution naturelle de la maladie s’est étoffé ces dernières années, permettant d’envisager de limiter, voire de stopper, l’activité inflammatoire (absence de survenue de poussées et d’apparition de nouvelles lésions à l’IRM) et de prévenir l’apparition et l’aggravation du handicap.
Des traitements de fond sont disponibles, dont la prescription initiale et le renouvellement sont réservés aux neurologues (
De nombreuses études ont démontré l’efficacité plus importante de ces traitements lorsqu’ils sont initiés précocement (dès le diagnostic établi, au décours de la première poussée) plutôt que de façon retardée. En particulier, l’impact d’un traitement précoce est clairement démontré sur le risque de présenter un handicap à moyen ou long terme.3
Induction, une stratégie thérapeutique à privilégier ?
Deux stratégies thérapeutiques restent actuellement discutées (
L’escalade thérapeutique, première stratégie envisageable, repose sur le fait de débuter la prise en charge par des traitements faiblement ou moyennement actifs qui seront remplacés par un traitement hautement actif si la réponse est insuffisante.
L’induction consiste, elle, à utiliser d’emblée un traitement hautement actif. Les molécules utilisées dans ce cadre permettent d’obtenir un effet important et durable sur l’activité inflammatoire. Certains traitements inducteurs peuvent être utilisés au long cours, d’autres de façon limitée dans le temps et suivis d’un traitement d’entretien moins actif.
Des études récentes montrent qu’une prise en charge précoce avec un traitement hautement actif entraîne un risque de handicap significativement moindre à moyen terme par rapport à la mise en route de façon retardée d’un tel traitement.4
Choix du traitement
Le choix d’un traitement de fond tient compte de plusieurs facteurs : symptômes présentés, évolution de la maladie, fréquence des poussées, données d’imagerie (IRM), effets indésirables possibles des traitements et existence d’un désir de grossesse (un certain nombre de traitements de fond étant contre-indiqués). L’initiation précoce et l’utilisation à long terme du traitement de fond doivent amener à évaluer la balance bénéfices/risques : les risques infectieux et néoplasiques sont en particulier évalués et leur survenue surveillée de façon attentive lors de l’utilisation au long cours de traitements hautement actifs.5, 6
La prise en charge et les séquences thérapeutiques doivent aussi tenir compte du désir de grossesse ainsi que de potentiels risques liés aux modifications de classe de molécules (toxicité cumulée, risque d’effet rebond à l’arrêt de certains traitements).
Dans certains cas, en particulier lors du recours à des traitements hautement actifs et de la modification de la séquence thérapeutique, le neurologue peut s’appuyer sur un avis issu des réunions de concertation organisées par les Centres de ressources et de compétences pour la SEP et les maladies apparentées (CRC SEP).
Surveiller pour adapter précocement le traitement
Tout au long de la prise en charge, le but de la surveillance est d’obtenir une réponse thérapeutique complète, sous-tendue par l’absence de tout élément d’évolution de la maladie (absence de nouvelle poussée, de nouvelle lésion et de handicap). Elle doit être très régulière et consiste en une évaluation clinique et en la réalisation d’une IRM. En effet, la sensibilité de détection de la persistance d’une activité inflammatoire à l’imagerie, et son caractère prédictif de la survenue de poussées et d’un handicap, apparaît supérieure à l’évaluation clinique.7
En fonction de la réponse thérapeutique, et si celle-ci s’avérait insuffisante (persistances de poussées évolutives et/ou persistance de nouvelles lésions à l’IRM), une modification du traitement de fond doit être rapidement envisagée. En effet, l’impact de la précocité de cette modification sur le risque d’aggravation du handicap à moyen terme est aussi démontré (risque de handicap plus élevé lorsque le changement de traitement de fond est retardé).8 Par ailleurs, la SEP est une maladie chronique débutant chez le sujet jeune dans la très grande majorité des cas. La tolérance des traitements, en particulier leurs risques au long cours, doit donc aussi être prise en compte et réévaluée régulièrement.
Des traitements de fond décevants dans la forme progressive
Tous les traitements de fond efficaces sur la forme rémittente ont montré un effet nettement moins probant dans la forme progressive.
Les mécanismes mis en jeu dans la phase progressive (primaire ou secondaire) sont en partie potentiellement différents de ceux impliqués dans la phase rémittente. Les thérapeutiques clairement efficaces sur la composante inflammatoire n’ont aujourd’hui montré que peu ou pas d’effet sur la phase progressive.9
La persistance d’une activité inflammatoire (forme progressive active avec poussées surajoutées et/ou présence d’une activité inflammatoire à l’IRM) associée à l’aggravation progressive peut néanmoins justifier un traitement de fond influençant la composante inflammatoire. Toutefois, ce traitement ne permet pas de ralentir l’aggravation dans les formes progressives non actives (sans poussées surajoutées et/ou sans activité inflammatoire à l’IRM).
La prise en charge des formes progressives non actives reste donc actuellement principalement centrée sur une prise en charge symptomatique.
Prendre en charge les symptômes pour améliorer la qualité de vie
Outre le traitement de la maladie et de sa composante inflammatoire, la prise en charge des symptômes visibles et invisibles du patient est fondamentale pour améliorer la qualité de vie du patient.
Réduire le handicap
Les traitements symptomatiques permettent d’apporter des bénéfices importants sur les symptômes persistants dans les suites des poussées ou s’aggravant de façon progressive. Ces symptômes sont souvent responsables d’un handicap dégradant la qualité de vie des patients. Un certain nombre d’entre eux, fréquemment rencontrés dans la maladie, sont accessibles à une prise en charge spécifique : spasticité, troubles de l’équilibre, douleurs neurogènes et douleurs paroxystiques (névralgie trigéminale), troubles sphinctériens urinaires et anaux, troubles sexuels.10 (
D’importants progrès ont été réalisés ces dernières années, en particulier concernant la prise en charge de la spasticité11 et des troubles sphinctériens urinaires,12 permettant d’apporter de réels bénéfices dans la vie quotidienne à des patients souvent jeunes et actifs.
Pluridisciplinarité, le secret d’une prise en charge optimisée
Des équipes médicales et paramédicales spécialisées (médecine physique et de réadaptation, algologie, urologie et gastroentérologie, sexologie) sont sollicitées dans le cadre d’une prise en charge plurielle articulée autour du patient. Le recours à des consultations pluridisciplinaires permet d’évaluer précisément les différentes composantes responsables du handicap et d’envisager une prise en charge adaptée, synonyme d’amélioration de la qualité de vie.
Rééducations globale et orthophonique
La place de la rééducation fonctionnelle apparaît centrale dans la prise en charge des patients.13 Elle vise à améliorer certains symptômes qui participent à aggraver le handicap (troubles moteurs, et en particulier la spasticité ; troubles sensitifs responsables de troubles de l’équilibre). Les rôles du kinésithérapeute et de l’ergothérapeute sont donc importants dans cette prise en charge.
De la même façon, l’orthophoniste peut participer à améliorer certains troubles (de la parole, de la déglutition).
Autres mesures possibles
Des bénéfices physiques et psychosociaux peuvent aussi être obtenus par l’activité physique adaptée,14 un soutien psychologique, des techniques de relaxation. Ces mesures ne doivent pas être négligées.
Des réaménagements des conditions de travail peuvent aussi permettre de maintenir l’activité professionnelle des patients.
Enfin, la mise en place de soins infirmiers à domicile peut être nécessaire, selon le degré de handicap du patient.
Particularités des troubles cognitifs, des symptômes invisibles
Un certain nombre de symptômes liés à la maladie, qualifiés d’invisibles mais responsables de conséquences importantes dans la vie quotidienne, notamment professionnelle, doivent également être dépistés et pris en charge.15 C’est tout particulièrement le cas des troubles cognitifs, fréquemment rencontrés au cours de la maladie.16
D’abord hétérogènes…
Au stade le plus précoce, les perturbations cognitives sont principalement caractérisées par une atteinte du traitement rapide de l’information, de la mémoire de travail et des fonctions attentionnelles.3 Ces perturbations peuvent retentir de façon importante sur la vie du patient, en particulier au niveau socioprofessionnel.
... puis diffus
Au stade plus évolué de la maladie, les perturbations deviennent plus globales et homogènes, responsables d’un impact parfois majeur en matière de handicap. Elles doivent donc être dépistées dès la phase précoce de la maladie et être prises en compte dans l’évaluation du handicap ainsi que dans la prise en charge de la maladie.
Ralentir leur aggravation ?
Actuellement, aucune thérapeutique médicamenteuse spécifique ne s’est avérée efficace pour limiter l’apparition des perturbations cognitives. Toutefois, les traitements de fond ont montré un impact pour ralentir l’aggravation des troubles cognitifs, comme pour le handicap moteur. Des procédures de rééducation ou remédiation cognitive peuvent être mises en place. Elles sont centrées sur des stratégies d’entraînement des fonctions altérées (attention, vitesse de traitement) ou sur des exercices (mémoire).17
Fatigue, dépression, anxiété : fréquents !
La fatigue, la dépression et l’anxiété sont des symptômes fréquemment rencontrés chez les patients atteints de SEP.18 Elles peuvent d’ailleurs s’associer aux troubles cognitifs et les majorer, impactant de façon négative la qualité de vie des patients. Une prise en charge adaptée permet d’apporter un bénéfice réel au patient.
Impliquer le patient
Bien que des progrès très importants aient été réalisés ces dernières années dans la prise en charge thérapeutique des patients atteints de sclérose en plaques, l’hétérogénéité de la maladie (notamment en termes d’évolution et de facteurs de handicap) conduit à mettre en place une prise en charge personnalisée et pluridisciplinaire. Elle doit en effet réunir différents professionnels de santé (médicaux, paramédicaux et médicosociaux) dans le cadre d’une action coordonnée, permettant à la fois de maintenir les capacités physiques et cognitives, mais aussi professionnelles et sociales du patient.
La complexité de la prise en charge thérapeutique de la SEP, sa chronicité et son retentissement sur la vie quotidienne nécessitent d’impliquer le patient. Des programmes d’éducation thérapeutique ont ainsi été développés. Ils visent d’une part à informer les patients sur les caractéristiques de leur maladie, d’autre part à améliorer l’adhésion au traitement et à sa surveillance.
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