Les personnes ayant une polyarthrite rhumatoïde ont un risque de parodontite élevé mais malheureusement négligé et non pris en charge par l’Assurance maladie.
Témoignage de Catherine, 65 ans
Une grande surprise chez le dentiste
Après une courte période de prise d’anti-inflammatoires, j’ai rapidement bénéficié du traitement de référence qui s’est révélé efficace. Malheureusement, il y a 3 ans, un cancer du sein est venu perturber cet équilibre, le traitement de fond a été arrêté et remplacé par un anti-inflammatoire associé à de la cortisone. Puis, les douleurs devenant insupportables, il a été repris l’an dernier, à ma demande.
En parallèle à ces consultations incontournables, j’ai toujours eu un suivi régulier chez le dentiste (détartrage annuel). En octobre 2018, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre mon dentiste me diagnostiquer une parodontite due à ma polyarthrite ! Je n’avais jamais entendu ce mot et aucun médecin ne m’avait mise en garde contre des risques liés à mon rhumatisme inflammatoire. Le dentiste m’a expliqué ce qu’était cette pathologie et les conséquences que pouvait avoir sur ma dentition le manque de soins appropriés. Et plus grande encore fut ma surprise à l’annonce du devis des soins : 514 € dans l’immédiat et 180 € tous les 3 mois, sans aucune prise en charge. J’ai conscience que ces soins sont nécessaires pour la conservation des dents qui sont de ce fait sensibles et fragilisées, mais les frais sont trop importants pour la retraitée que je suis et je n’ai encore rien fait. Enfin, si…
… J’ai décidé de me battre !
Puis j’ai fait un courrier au médecin-conseil de la CPAM qui m’a répondu que « ces soins étaient pris en charge à hauteur de 70 %... à condition que le praticien précise qu’ils sont en lien avec l’ALD », autrement dit que les soins aient été prévus dans le parcours de soins !
Et lorsque j’évoque cette éventualité avec mon rhumatologue ou mon généraliste, la réponse est la même : on ne peut pas tout prévoir ! Pourtant, je ne trouve rien dans les référentiels sur une éventuelle prise en charge, même en ALD. Comment s’y retrouver ? Comment ne pas prendre le risque de voir la facture augmenter sans pouvoir y faire face ?
Combien sommes-nous de patients atteints de polyarthrite concernés par ces problèmes de prise en charge ? Combien sommes-nous à devoir négliger les soins pour raisons financières ? Nous, patients, manquons d’informations sur les risques de pathologies bucco-dentaires aggravés par la polyarthrite et par les traitements, mais je pense que les médecins manquent eux aussi d’informations !
Commentaires du Pr Marjolaine Gosset et de Mme Sonia Tropé
Les traitements de la gencive ne sont pas pris en charge
Un nombre croissant d’études scientifiques mettent en évidence un lien fort entre parodontite et polyarthrite rhumatoïde avec l’observation de parodontites plus graves en cas de polyarthrite installée.1 La recherche se poursuit pour comprendre les mécanismes de ce lien, mais il semble pertinent de se concentrer sur la prévention et le traitement de l’infection.
La polyarthrite rhumatoïde est une maladie difficile à contrôler, qui réclame des traitements lourds et coûteux. Si la parodontite est impliquée de quelque façon que ce soit dans la polyarthrite, c’est une raison suffisante pour que la santé bucco-dentaire soit prise en compte dans le parcours de soins et qu’une campagne de sensibilisation soit réalisée auprès des malades et des soignants pour rappeler l’importance du suivi bucco-dentaire régulier. Malheureusement, pour ces patients atteints de ces rhumatismes inflammatoires chroniques leur santé bucco-dentaire n’est pas une priorité.2 De plus, les gestes simples comme le brossage dentaire sont compliqués par la mobilité potentiellement réduite de la main, du poignet et de la mâchoire. À cet aspect s’ajoute l’impact qu’une parodontite avancée peut avoir sur l’image de soi, qui plus est dans le contexte d’une maladie chronique qui déjà fragilise le patient, des déformations possibles et de la fatigue inhérente à la polyarthrite.
Pourtant, hormis la consultation, le détartrage et les examens radiologiques, les traitements de la gencive ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie et leur tarif est libre. Alors même que l’on enregistre en France une dégradation de l’accès aux soins bucco-dentaires à cause de leur coût (près de la moitié des Français y renonceraient pour ce motif)3 et que la polyarthrite rhumatoïde représente un fardeau économique, la complexité de la prise en charge d’une parodontite engendre une dépense souvent trop lourde pour les malades. Dépister et traiter les parodontites est donc un réel enjeu pour les patients.
Ainsi, le « reste à charge zéro » lancé par le gouvernement prévoit que, d’ici 2021, les frais de près de la moitié des couronnes et prothèses dentaires soient totalement couverts.4 Une mesure d’avril 2019 prévoit également le remboursement du bilan parodontal et les soins associés pour les diabétiques de type 2. Ces mesures sont incontestablement une avancée majeure et, nous l’espérons, une première étape vers l’extension de cette mesure aux différentes affections de longue durée directement concernées par la parodontite.
L’Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde (ANDAR) est une association exclusivement dédiée aux personnes concernées par la polyarthrite rhumatoïde. Reconnue d’utilité publique, elle est également agréée par le ministère de la Santé pour représenter les usagers du système de santé et porter leur voix dans de nombreuses instances et commissions. Depuis 35 ans, son conseil d’administration est composé de malades et d’un représentant du comité scientifique (avec voix consultative). Avec plus de 80 bénévoles sur tout le territoire, les objectifs de l’ANDAR sont inchangés depuis sa création en 1984 :
– informer et accompagner les malades et leurs proches ;
– servir de trait d’union entre les malades et les professionnels de santé ;
– soutenir la recherche (bourse annuelle de recherche).
www.polyarthrite-andar.org – tél : 0800 001159
Un facteur de risque de la polyarthrite rhumatoïde
Les parodontites entraînent la destruction des tissus de soutien des dents. 90 % des adultes ont un parodonte malade, dont 10 % environ sont atteints de parodontite sévère. Elles entraînent des saignements gingivaux, des abcès, des récessions parodontales, une mauvaise haleine, des mobilités et la perte de dents. Les patients vivent un handicap esthétique (altération du sourire), une difficulté à la mastication et à la réhabilitation orale (quelle que soit la nature de la prothèse – fixe, amovible ou implantoportée – utilisée) et une altération de l’estime de soi. De plus, ces maladies sont associées à une bactériémie chronique et une inflammation systémique de bas grade.5 Une association entre parodontite et polyarthrite rhumatoïde existe : les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde ont un risque multiplié par 1,13 d’avoir une parodontite6 et par 2,38 d’avoir des dents manquantes.7 Ces liens s’expliquent par des facteurs de risque communs, le tabagisme notamment. De plus, polyarthrite rhumatoïde et parodontite partagent des processus pathogéniques (hyperactivité des neutrophiles, régulation de la destruction osseuse…). Enfin, une récente revue de la littérature8 conclut qu’une bactérie spécifique des parodontites (Porphyromonas gingivalis) a une influence significative sur la pathogenèse de la polyarthrite et que non seulement cette bactérie est retrouvée dans la cavité buccale, mais que son ADN est également présent dans le liquide synovial et le plasma. Pour les polyarthrites rhumatoïdes avec le facteur de sévérité ACPA positif, un lien particulier existe avec la parodontite. En effet, des bactéries parodontales comme P. gingivalis et Aggregatibacter actinomycetemcomitans induisent une augmentation de la citrullination de protéines, participant à la rupture de tolérance immunitaire : la parodontite serait donc un facteur de risque de l’initiation des polyarthrites rhumatoïdes. Il a été également montré que le traitement parodontal améliore modestement l’activité clinique de la polyarthrite.9
2. Serban S, Dietrich T, Lopez-Oliva I, et al. Attitudes towards oral health in patients with rheumatoid arthritis: a qualitative study nested within a randomized controlled trial. JDR Clin Trans Res 2019;4:360-70.
3. Institut français d’opinion publique. Les Français, l’accès aux soins dentaires et la question du reste à charge zéro pour les prothèses dentaires, novembre 2018. http://bit.ly/2oiMwVN
4. Décret n° 2019-21 visant à garantir un accès sans reste à charge à certains équipements d’optique, aides auditives et soins prothétiques dentaires, 11 janvier 2019.
5. Tonetti MS, Jepsen S, Jin L, Otomo-Corgel J. Impact of the global burden of periodontal diseases on health, nutrition and wellbeing of mankind: a call for global action. J Clin Periodontol 2017;44:456-62.
6. Fuggle NR, Smith TO, Kaul A, Sofat N. Hand to mouth: a systematic review and meta-analysis of the association between rheumatoid arthritis and periodontitis. Front Immunol 2016;7:80.
7. Kaur S, White S, Bartold PM. Periodontal disease and rheumatoid arthritis: a systematic review. J Dent Res 2013;92:399-408.
8. Potempa J, Mydel P, Koziel J. The case for periodontitis in the pathogenesis of rheumatoid arthritis. Nat Rev Rheumatol 2017;13:606-20.
9. Kaur S, Bright R, Proudman SM, Bartold PM. Does periodontal treatment influence clinical and biochemical measures for rheumatoid arthritis? A systematic review and meta-analysis. Semin Arthritis Rheum 2014;44:113-22.