La prise en charge de l’obésité est en plein bouleversement, avec une approche nouvelle intégrée dans les dernières recos de la HAS et l’arrivée de molécules efficaces. Comment appliquer ces recos en pratique en MG ? Que penser de cet engouement pour les analogues du GLP- 1, quelle est leur place en France et qu’en attendre ? Entretien avec le Pr Éric Bertin, CHU de Reims et co-président du groupe de travail de la HAS pour l’actualisation 2022 des recommandations.

Quelles nouveautés ont été introduites dans les dernières recos de la HAS sur la prise en charge de l’obésité de l’adulte ?

La grande nouveauté, c’est qu’on n’est plus dans des approches restrictives, dans des conseils de simplement « bien manger, bien bouger », comme c’est souvent préconisé dans des discours un peu normatifs de prévention. Certes, il faut tendre à une alimentation équilibrée et diversifiée, mais ce qui est important aussi, c’est d’apprendre aux patients à être à l’écoute de leurs signaux alimentaires internes. C’est la première fois que cette approche est évoquée dans les recommandations de la HAS.

Comment appliquer ces recos en pratique en MG ?

L’obésité est inversement proportionnelle au revenu du foyer et au niveau socioculturel. Donc plutôt que de donner des conseils alimentaires génériques de type « mangez 5 fruits et légumes par jour » à des personnes qui sont en impossibilité de le faire, il est beaucoup plus productif pour les médecins généralistes de faire une analyse du comportement alimentaire. On peut par exemple s’intéresser à la vitesse à laquelle les gens mangent, car on sait que la tachyphagie favorise la prise de poids. En effet, des études ont montré qu’en augmentant le nombre de mastications, on ralentissait de 12 % les apports alimentaires même chez des sujets en obésité. Un message comme « soyez dans l’écoute de vos sensations, dégustez les aliments et vous en aurez d’autant plus de satisfaction » est important, car les personnes en obésité ne doivent pas se priver du plaisir de manger.

Toute une liste de questions permet de caractériser le comportement alimentaire d’un patient sans jugement afin d’essayer de remonter à la source : par exemple, est-ce qu’il ressent des envies irrésistibles de manger ? Si oui, le patient a au minimum des compulsions. Ensuite, des questions supplémentaires identifient d’éventuels accès de boulimie : pendant ces prises alimentaires, est-ce qu’il mange plus vite qu’au moment des repas ? S’agit-il toujours d’aliments plaisants ? Les quantités sont de quel ordre ? À quel moment le patient s’arrête-t-il ? Enfin, les MG gagnent à s’intéresser à l’écologie personnelle du patient, c’est-à-dire à recontextualiser le problème dans sa situation : son niveau de stress, son humeur, son sommeil, ses difficultés de vie… Faire le lien entre l’histoire pondérale et les événements de vie, ainsi qu’entre l’alimentation et les émotions, permet de travailler sur les bons enjeux.

Avons-nous des données sur l’efficacité de cette approche comportementale contre l’obésité ?

On n’a pas encore d’analyse de cohorte multicentrique publiée à ce sujet-là, car ce champ d’étude est relativement récent. Dans la pratique clinique des uns et des autres, on voit bien que les choses bougent quand on travaille sur les problématiques sous-jacentes aux troubles du comportement alimentaire. Pour l’instant, la publication de ces observations se limite à des case reports (cas cliniques). Mais des études françaises multicentriques sont en cours : l’étude Adalob, en phase d’inclusion, s’intéresse à la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour gérer une composante addictive à l’alimentation. Un autre essai, Bariathypnose, évalue l’intérêt de l’hypnose après échec de la chirurgie bariatrique et devrait s’achever cette année. Par ailleurs, la Maison de la nutrition, une structure de prévention située à Reims, que je préside, expérimente une offre de formation continue auprès des diététiciennes, financée par l’ARS Grand-Est, afin qu’elles développent une approche globale des patients qui aille au-delà du contenu de l’assiette et remonte aux déterminants du comportement alimentaire.

Les analogues du GLP- 1 font l’objet d’un réel engouement. Quel est leur mode d’action, leur place en France, et qu’en attendre ?

Les analogues du glucagon-like peptide- 1 (GLP- 1), une incrétine, jouent un rôle à la fois sur le signal de rassasiement en retardant la vidange gastrique et sur le comportement alimentaire. En France, deux analogues du GLP- 1 sont pour l’instant autorisés dans l’obésité : le liraglutide (Saxenda), prescriptible par les généralistes à partir d’un IMC ≥ 27 mais non remboursé par la Sécu, et le sémaglutide (Wegovy). Ce dernier a l’AMM européenne depuis janvier 2022 et un avis favorable au remboursement de la HAS depuis décembre 2022 pour un IMC ≥ 35 avant 65 ans. On devrait avoir accès au Wegovy dans les prochains mois. Il n’est pas encore remboursé. Pour rappel, Ozempic a le même principe actif que le Wegovy (sauf qu’on peut monter à une dose de 2,4 mg avec Wegovy contre 1 mg pour Ozempic), mais il n’a pas l’AMM dans le traitement de l’obésité et ne doit pas être prescrit en MG dans ce cadre.

Chez la moitié des patients traités, le sémaglutide entraîne une perte d’un peu plus de 10 % du poids initial. Le liraglutide est légèrement moins efficace, mais il ne faut pas oublier – quand on compare l’efficacité de ces nouveaux médicaments – que l’effet dépend des doses utilisées et de l’IMC initial, et qu’il s’agit de moyennes. Et la perte de poids varie dans le temps : elle se maintient chez certains, alors que chez une proportion de patients (on ne sait pas prédire aujourd’hui lesquels), il y a un « échappement » au traitement nécessitant une augmentation des doses.

Enfin, nous attendons avec impatience le tirzépatide, qui a reçu l’AMM européenne dans le contrôle du poids le 11 décembre 2023. On peut espérer une commercialisation française en 2024. Il s’agit d’un double analogue du GLP- 1 et du peptide insulinotrope dépendant du glucose (GIP), une autre incrétine. En associant ces deux modes d’action, le tirzépatide possède un effet synergique par rapport aux simples analogues du GLP- 1, qui se traduit par une perte de poids de plus de 20 % chez plus de 50 % des patients traités, ce qui est considérable.

Dans un premier temps, je pense que le sémaglutide et le tirzépatide devraient être maniés par les spécialistes. Par la suite, ce serait intéressant que les généralistes soient partie prenante du renouvellement de leur prescription. À terme, ces traitements concerneront plus de patients, mais ce qui me gêne serait de les proposer systématiquement à partir d’un IMC de 27. On ne va tout de même pas médicamenter la moitié de la population française ! Si l’accès est trop facile, il n’y aura pas de travail sur le fond du problème et les gens prendront ces médicaments par simplicité, ce qui engendrera inévitablement beaucoup de phénomènes de « yoyo » et de dépendance.

Faut-il craindre les effets indésirables de ces molécules ?

Les risques et effets indésirables des analogues du GLP- 1 sont déjà bien connus, parce qu’on les utilise dans le diabète depuis plus de dix ans. Des états nauséeux sont décrits en début de traitement chez des patients qui continuent à manger les mêmes quantités car ces médicaments ralentissent la vidange gastrique et génèrent parfois des troubles digestifs chez des personnes plus « sensibles » au traitement. Mais ces effets négatifs s’arrêtent souvent après quelques temps et on ajuste les doses selon la tolérance.

Depuis l’affaire du Médiator, la surveillance accrue qui concerne les antidiabétiques aurait détecté des alertes depuis longtemps s’il y avait des effets indésirables graves, et les suspicions concernant le cancer du pancréas et les pancréatites ont été levées. Il est vrai que les doses dans le traitement du diabète n’allaient pas aussi haut, mais on ne s’attend pas à ce que leur augmentation cause des anomalies ; il y a même un effet protecteur cardiovasculaire avec ces thérapeutiques.

Concernant le tirzépatide, on n’a pas encore le même recul pour l’instant.

Faudra-t-il que les patients prennent ces molécules à vie ?

Cela dépend vraiment des problèmes sous-jacents, il n’y a pas de données solides sur cette question. L’obésité est une maladie chronique, impliquant des facteurs psychiques, métaboliques, hormonaux… Si on arrête le médicament, elle aura donc tendance à revenir, d’autant plus que l’IMC était important au départ et d’autant plus si on n’a pas travaillé sur le comportement alimentaire et ses déterminants. Mais ce travail introspectif n’est pas accessible à tous les patients, qui parfois souffrent d’alexithymie ou de psychotraumatismes refoulés…

Quelles nouveautés concernant la chirurgie bariatrique ?

La chirurgie bariatrique fera l’objet de la deuxième partie des recommandations de la HAS, qui devrait sortir en février 2024. La chirurgie de l’obésité nécessite une surveillance à long terme : après deux ans de suivi par l’équipe pluriprofessionnelle à l’origine de l’intervention, les patients ont tendance à l’interrompre et le médecin généraliste doit prendre en partie ou en totalité le relais, de façon à prévenir la reprise de poids et les complications nutritionnelles liées à des carences spécifiques (fer, vitamine B12…). Ainsi, dans les parcours de soins à venir, qui seront publiés en même temps que les recos, le MG jouera un rôle clé. Cela inclut aussi la contribution à l’ajustement des traitements antihypertenseurs ou des antidiabétiques lors de la phase de perte de poids rapide au cours des premiers mois suivant la chirurgie, ce à quoi les médecins ne sont pas encore assez vigilants.

Au-delà de la prise en charge individuelle, y a-t-il des mesures de santé publique à l’étude pour faire face à l’épidémie d’obésité ?

Il y a des réflexions sur la façon de favoriser la marche dans les environnements urbains, faciliter le développement du vélo… Il y a aussi des réflexions sur la prévention : l’équipe du professeur Touvier travaille sur les données de l’étude NutriNet et sur l’amélioration du Nutri-Score. De nombreux chercheurs à l’Anses étudient l’amélioration de l’offre alimentaire et les effets de certains additifs sur la santé. Enfin, une réflexion est en cours pour donner une définition plus pertinente du niveau de la transformation des aliments, ce qui pourrait aider à mieux identifier les risques en rapport avec cette dimension.