Jusqu’au début des années 1980, les thérapies non médicamenteuses des troubles mnésiques se limitaient à des exercices de mémoire répétitifs. L’inefficacité de ces méthodes est aujourd’hui établie, seuls les exercices entraînés faisant l’objet de modestes améliorations, sans transfert au quotidien. Ainsi, « l’entraînement » de la mémoire est voué à l’échec chez le patient amnésique, y compris via les programmes « clé en main ».1 En revanche, la littérature décrit comme efficaces les méthodes visant, non pas à restaurer, mais à compenser le déficit mnésique, soit en facilitant des processus de mémoire altérés, soit en utilisant diverses méthodes d’apprentissage de connaissances ou savoir-­faire dans des domaines spécifiques, ou en ayant recours à des aides externes.2
Toutefois, les objectifs réalistes pour les patients concernent leur quotidien : seules les approches thérapeutiques individualisées, ciblant des objectifs définis conjointement avec lui et son entourage, sont susceptibles d’améliorer la qualité de vie, ainsi que l’autonomie.3

Facilitation de la mémoire à long terme grâce à des stratégies alternatives

Le principe général des thérapies fondées sur la facilitation mnésique est d’enseigner au patient des stratégies de mémorisation alternatives. Nécessitant une mani­pulation mentale importante, ces méthodes doivent être réservées aux patients ayant une amnésie légère préservant le reste du fonctionnement cognitif. Les méthodes les plus efficaces font appel à l’imagerie mentale visuelle, classique ou par référence à soi, et à l’apprentissage distribué (apprentissage sur une longue période, divisé en courtes sessions séparées par des temps de repos) avec entraînement à la récupération.

Imagerie mentale visuelle

L’imagerie visuelle permet, par exemple, de faciliter la mémorisation du nom de personnes. Il s’agit pour le patient de trouver un mot concret, « imageable » et proche phonologiquement du nom cible, qu’il substitue au nom à mémoriser. Puis le patient identifie une caractéristique physique distinctive du visage, et construit une image mentale interactive associant mot et image. Lors de la rencontre suivante avec la personne, le trait physique distinctif active l’image mentale, laquelle permet de retrouver le mot concret qui, à son tour, active le nom cible.4 Il existe de nombreux procédés d’imagerie visuelle, qui peuvent également être utilisés pour faciliter la mémorisation de contenus non visuels.

Apprentissage distribué

L’apprentissage distribué et l’entraînement à la récupération se fondent sur la psychologie de l’apprentissage. Un apprentissage fractionné en courtes périodes espacées dans le temps est plus efficace qu’un apprentissage « massé », en une seule fois. Par ailleurs, le fait de répéter les tentatives de rappel d’une information (récit, liste de mots, etc.) plutôt que de répéter leur lecture améliore la rétention. Ces deux phénomènes ont montré leur efficacité pour la remédiation cognitive de la mémoire à long terme, dans le syndrome amnésique bi-hippocampique,5 la sclérose en plaques, le traumatisme crânien sévère ou les accidents vasculaires cérébraux.6-8
Cependant, ces thérapies permettent rarement d’obtenir un transfert spontané dans la vie quotidienne. Pour cela, il est généralement nécessaire de recourir aux approches suivantes, qui s’appuient sur les capacités préservées des patients.

Apprentissage d’aptitudes spécifiques : trois techniques souvent combinées

Le principe commun à ces approches est l’exploitation de capacités préservées dans l’amnésie, pour favoriser l’autonomie en vie quotidienne. On distingue l’apprentissage par estompage d’indices, l’apprentissage sans erreurs et la récupération espacée.

Apprentissage par estompage d’indices, efficacité aléatoire

Cette approche consiste à fournir une série d’indices de plus en plus spécifiques pour aider le patient à trouver la réponse ou le comportement attendu dans une situation pertinente en termes thérapeutiques. Puis on estompe progressivement ces indices jusqu’à ce que le patient parvienne à la bonne réponse sans aucun indice. Il peut s’agir d’apprendre un comportement utile dans la vie quotidienne (telle tâche en cuisine, par exemple) ou de substituer un comportement acceptable à un comportement problématique. L’efficacité de cette technique est néanmoins variable, et sa combinaison avec la technique d’apprentissage sans erreurs est plus robuste (par exemple dans la maladie d’Alzheimer9).

Apprentissage sans erreurs, utile même dans les atteintes sévères

L’apprentissage sans erreurs repose sur le fait que les patients amnésiques oublient aussi bien leurs réponses erronées que leurs réponses correctes, et ne peuvent ajuster leur comportement en fonction. Il s’agit donc d’empêcher la production d’erreurs par le patient. Pour cela, il est exposé à la réponse attendue de façon répétée, dès lors qu’il ne la trouve pas spontanément. Cette méthode permet l’acquisition d’aptitudes variées : programmation d’un agenda électronique, apprentissage de trajet, associations visages et noms, utilisation d’appareils électroménagers ou d’un smartphone. Un exemple intéressant10 montre comment une patiente peut gérer seule certains soins d’hygiène ainsi que la routine liée à son diabète, en dépit d’atteintes sévères à la suite d’un accident vasculaire cérébral hémorragique. L’apprentissage sans erreurs a montré des bénéfices solides, y compris en matière de qualité de vie, et malgré une atteinte mnésique sévère.11

Récupération espacée, technique utilisable par les aidants

La technique de récupération espacée consiste en l’augmentation progressive du délai entre l’indice (question) et la réponse du patient, jusqu’à obtenir une rétention en mémoire à long terme. Ainsi, l’apprentissage de noms, de localisations d’objets, de l’utilisation d’un téléphone, d’un nouveau vocabulaire, etc. peut opérer malgré l’amnésie. Cette technique a notamment permis l’acquisition de compétences complexes, comme celle de l’usage d’un ordinateur avec traitement de texte,12 et elle présente l’avantage de pouvoir être facilement apprise aux aidants.
En pratique, ces différentes techniques sont souvent combinées entre elles, et une littérature abondante démontre ainsi que le syndrome amnésique n’invalide pas tout nouvel apprentissage.

Recours à des aides externes

L’usage d’aide-mémoire externe ou l’aménagement de l’environnement du patient a également pour but de promouvoir l’autonomie. Ces aides sont variées : prise de notes, utilisation d’un calendrier, agenda ou éphéméride papier, d’une minuterie, des différentes fonctions des smartphones, ou plus spécifiquement de technologies dédiées aux patients amnésiques (agenda électronique, aides à la localisation/navigation spatiale, dispositif de localisation sonore d’objets, caméra portable, etc.). L’aménagement de l’environnement peut consister en l’élaboration de check-lists pour les tâches complexes ou en la mise en place d’un lieu unique où rassembler les objets courants les plus fréquemment égarés.
Ces aides ont en commun quatre problématiques, qui nécessitent un accompagnement psychologique, en amont et en parallèle des séances de remédiation proprement dites.
En premier lieu, l’acceptation de l’usage de « prothèses » est en soi complexe. Cela peut représenter une résignation inacceptable pour le patient, ou être associé à des croyances erronées difficiles à infléchir. Par exemple, il est fréquent que des patients en début de maladie d’Alzheimer estiment que ces aides les empêcheront de faire « travailler » leur mémoire, précipitant une aggravation des symptômes.
En deuxième lieu, il est malaisé d’estimer l’aptitude du patient à utiliser telle ou telle aide, en particulier technologique. Les habitudes prémorbides doivent ici être considérées.
En troisième lieu, leur mise en place implique un apprentissage dédié, aucune aide n’étant susceptible de remédier ipso facto au handicap.
Enfin, leur généralisation dans la vie quotidienne nécessite souvent l’appui d’un aidant.
Néanmoins, les aides externes constituent un levier thérapeutique très puissant dans le syndrome amnésique,13 notamment lorsque l’objectif thérapeutique concerne la mémoire prospective.14
En outre, des perspectives plus récentes représentent des motifs d’espoir sérieux pour les patients. Ainsi, le recours à une caméra portable semble permettre un bénéfice non seulement mnésique mais, plus globalement, sur la qualité de vie.15

Méthodes variées à adapter aux attentes d’autonomie

La remédiation cognitive des déficits, y compris sévères, de mémoire à long terme est riche de méthodes variées dont l’efficacité, quoique modeste, est largement démontrée sur les seuls objectifs pertinents : l’autonomie et la qualité de vie des patients. Leurs résultats convergent sur un point : seules les approches individualisées sont efficaces. Or, la pratique dominante demeure trop fréquemment celle d’une stimulation ou d’un entraînement mnésique indifférencié, dont l’inefficacité est pourtant établie.
Le praticien peut utilement orienter les patients vers les consultations mémoire de proximité, les centres mémoire de ressources et de recherche qui, avec certains services de médecine physique et de réadaptation, disposent des ressources neuropsychologiques pour mettre en œuvre ces thérapeutiques.
Les thérapies combinant plusieurs approches (par exemple, dans le syndrome de Korsakoff)16, ainsi que l’élaboration d’applications sur smartphone fondées sur les modèles neuroscientifiques de la mémoire humaine17 sont des perspectives prometteuses. 
Références
1. Gopi Y, Wilding E, Madan CR. Memory rehabilitation: Restorative specific knowledge acquisition compensatory and holistic approaches. Cogn Process 2022;23:537-57.
2. Van Der Linden M, Coyette F, Seron X. La revalidation des troubles de la mémoire à long terme. In: Seron X, Van Der Linden M. Traité de neuropsychologie clinique de l’adulte, vol. 2 (Revalidation). Louvain-la-Neuve: ed. De Boeck Supérieur, 2016:105-44.
3. Amieva H, Robert PH, Grandoulier AS, Meillon C, De Rotrou J, Andrieu S, et al. Group and individual cognitive therapies in Alzheimer’s disease: The ETNA3 randomized trial. Int Psychogeriatr 2016;28(5):707-17.
4. Coyette F, Van Der Linden M. Les stratégies d’imagerie mentale dans la rééducation des troubles de la mémoire. In: Meulemans T, Desgranges B, Adam S, Eustache F. Évaluation et prise en charge des troubles mnésiques. Ed. Solal, 2003:333-71.
5. Green JL, Weston T, Wiseheart M, Rosenbaum RS. Long-term spacing effect benefits in developmental amnesia: Case experiments in rehabilitation. Neuropsychology 2014;28:685-94.
6. Evans FA, Wong D, Stolwyk RJ. Retrieval practice enhances memory for names in survivors of stroke. Neuropsychology 2020;34:874-80.
7. Sumowski JF, Leavitt VM, Cohen A, Paxton J, Chiaravalloti ND, DeLuca J. Retrieval practice is a robust memory aid for memory-impaired patients with MS. Mult Scler 2013;19:1943-6.
8. Sumowski JF, Coyne J, Cohen A, DeLuca J. Retrieval practice improves memory in survivors of severe traumatic brain injury. Arch Phys Med Rehabil 2014;95:397-400.
9. Foloppe DA, Richard P, Yamaguchi T, Etcharry-Bouyx F, Allain P. The potential of virtual reality-based training to enhance the functional autonomy of Alzheimer’s disease patients in cooking activities: A single case study. Neuropsychol Rehabil 2018;28:709-33.
10. Ferland MB, Larente J, Rowland J, Davidson PSR. Errorless (re)learning of daily living routines by a woman with impaired memory and initiation: Transferrable to a new home? Brain Inj 2013;27:1461-9.
11. Rensen YC, Egger JI, Westhoff J, Walvoort SJ, Kessels RP. The effect of errorless learning on quality of life in patients with Korsakoff’s syndrome. Neuropsychiatr Dis Treat 2017;13:2867-73.
12. Campbell R, Conway MA. Broken memories: Case studies in memory impairment. Oxford, Wiley-Blackwell, 1995.
13. Dewar BK, Kapur N, Kopelman M. Do memory aids help everyday memory? A controlled trial of a Memory Aids Service. Neuropsychol Rehabil 2018;28:614-32.
14. Jones WE, Benge JF, Scullin MK. Preserving prospective memory in daily life: A systematic review and meta-analysis of mnemonic strategy cognitive training external memory aid and combination interventions. Neuropsychology 2021;35:123-40.
15. Silva AR, Pinho MS, Macedo L, Moulin CJA. A critical review of the effects of wearable cameras on memory. Neuropsychol Rehabil 2018;28:117-41.
16. Biemond R, Oudman E, Postma A. The use of an errorless learning application to support re-learning of (instrumental) activities for people living with Korsakoff syndrome. J Clin Med 2022;11:6947.
17. Martin CB, Hong B, Newsome RN, Savel K, Meade ME, Xia A, et al. A smartphone intervention that enhances real-world memory and promotes differentiation of hippocampal activity in older adults. Proc Natl Acad Sci USA 2022;20;119(51):e2214285119.

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Résumé

Jusqu’au début des années 1980, les thérapies non médicamenteuses du syndrome amnésique se limitaient à des exercices de mémoire répétitifs. Leur inefficacité est aujourd’hui établie, dès lors que l’objectif thérapeutique concerne la vie quotidienne. En revanche, une série d’autres méthodes thérapeutiques ont montré une efficacité robuste, quoique modeste. Ces thérapies reposent principalement sur la facilitation des processus déficitaires, sur l’apprentissage d’aptitudes spécifiques, ou sur le recours à des aides externes. Mises en œuvre par la neuropsychologie clinique, elles ont en commun la nécessité d’identifier un objectif précis et pertinent sur les actes de la vie quotidienne. Susceptibles d’aboutir à des bénéfices en matière d’autonomie et de qualité de vie, ces méthodes démontrent que le syndrome amnésique n’obère pas toute possibilité d’apprentissage. Les perspectives concernent la combinaison de techniques entre elles et le recours à des aides technologiques fondées sur les modèles neurocognitifs de la mémoire humaine. Leur efficacité reste dépendante d’une approche individualisée, centrée sur les singularités du patient.