Appel au 15 : la régulation téléphonique
Toute suspicion d’accident vasculaire cérébral (AVC) aigu doit faire appeler le Samu-centre 15. Les symptômes évocateurs peuvent être identifiés par le patient ou ses proches en utilisant l’acronyme VITE (« Visage paralysé, Inertie d’un membre, Trouble de la parole, En urgence appelez le 15 »), dérivé de l’échelle anglo-saxonne FAST (« Face Arm Speech Time »). Les cinq signes d’alerte suivants peuvent par ailleurs être recherchés par téléphone :
– faiblesse ou engourdissement de la face, du bras et/ou de la jambe ;
– perte de la vision uni- ou bilatérale ;
– troubles de la compréhension ou du langage ;
– perte de l’équilibre ou instabilité, si associée à l’un des signes précédents ;
– céphalée intense d’installation brutale.
Cependant, une proportion importante des suspicions d’AVC diagnostiquées à l’issue de la régulation relève initialement d’un appel pour un autre motif. Outre les éléments diagnostiques, le médecin régulateur va rechercher de potentielles contre-indications à la thrombolyse intraveineuse (prise d’un traitement anticoagulant, chirurgie récente…) et à la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique cérébrale (pacemaker).
Déploiement d’une ambulance et première évaluation clinique
Le médecin régulateur du Samu-centre 15 choisit un moyen de transport sanitaire adapté à l’état de santé du patient. En l’absence de signes de gravité, un moyen de transport non médicalisé doit être privilégié car plus rapide ; le médecin régulateur s’occupe alors d’organiser ce transfert réalisé par les sapeurs-pompiers, des secouristes associatifs ou une ambulance privée. L’évaluation clinique doit être brève. L’élévation de la pression artérielle doit être respectée, sauf en cas de valeurs supérieures à 220/120 mmHg,1 et toute hypoglycémie doit être corrigée en préhospitalier. Devant une suspicion d’AVC, aucun traitement antithrombotique ne doit être administré en préhospitalier car il est impossible de distinguer de manière fiable infarctus et hémorragie cérébrale. Il est impératif de transporter le patient en décubitus dorsal strict sauf si la tolérance respiratoire de cette position est médiocre ou en cas de vomissements.
Orientation du patient
Tout patient pris en charge dans un délai permettant un traitement de reperfusion doit être proposé pour une admission urgente en unité neurovasculaire (UNV) en vue d’une thrombolyse intraveineuse (réalisable dans les 4 h 30 suivant le début des symptômes) et/ou d’une thrombectomie mécanique (réalisable dans les 6 heures suivant le début des symptômes, et même jusqu’à 24 heures chez une minorité de patients).2
Stratégies « drip and ship » et « mothership »
Lorsque l’UNV la plus proche du lieu de l’AVC ne dispose pas d’un plateau de thrombectomie, deux stratégies de prise en charge ont été proposées. La première, appelée « drip and ship », consiste à adresser tous les patients vers l’UNV de proximité, où la thrombolyse intraveineuse pourra être débutée lorsqu’elle est indiquée. Seuls les patients ayant une occlusion artérielle proximale objectivée en imagerie par résonance magnétique (IRM) ou en angioscanner sont secondairement transférés vers l’UNV de recours pour une thrombectomie complémentaire. La seconde stratégie, appelée « mothership », consiste à adresser directement tous les patients vers l’UNV de recours disposant d’un plateau de neuroradiologie interventionnelle, au sein de laquelle la thrombolyse puis la thrombectomie sont réalisées si indiquées.3 Par rapport au drip and ship, le mothership a pour avantages de permettre de débuter la thrombectomie plus rapidement et de limiter le nombre de transferts secondaires, qui mobilisent souvent des ressources paramédicales ou médicales. Le drip and ship a pour avantages de débuter la thrombolyse plus rapidement et d’éviter de surcharger l’UNV de recours avec des patients qui n’ont pas d’indication à une thrombectomie.
Proportion de patients éligibles, conséquences pour l’UNV de recours
Parmi les patients admis en UNV pour une suspicion d’AVC datant de moins de 6 heures, seuls 60 % ont un infarctus cérébral (
Identification préhospitalière des candidats à la thrombectomie
De très nombreuses échelles cliniques visant à être utilisées en préhospitalier ont ainsi été proposées.6 Parmi ces échelles, RACE (rapid arterial occlusion evaluation, tableau 1) est celle ayant fait l’objet de la validation la plus sérieuse en préhospitalier.4 Bien que certaines échelles soient beaucoup plus simples que d’autres (
Autres paramètres
Le triage préhospitalier peut être influencé par plusieurs autres éléments. Si l’âge avancé ne justifie pas en lui-même de récuser un patient pour un traitement de reperfusion,2 la présence de comorbidités importantes ou d’un handicap sévère préexistant est à prendre en compte, car ces éléments faisaient partie des critères d’exclusion de la plupart des essais randomisés évaluant la thrombectomie. Par ailleurs, la prise d’un traitement anticoagulant incite certaines équipes à adresser le patient directement en UNV de recours, car une anticoagulation efficace contre-indique la thrombolyse intraveineuse mais pas la thrombectomie,2 et certains patients ayant une hémorragie cérébrale importante sous anticoagulants peuvent relever d’un traitement neurochirurgical. Du fait de la démonstration récente d’un net bénéfice de la thrombolyse ou de la thrombectomie chez une minorité de patients ayant un profil d’imagerie favorable, tous les patients pour lesquels l’horaire de début des symptômes est inconnu doivent être adressés vers un centre pouvant réaliser une imagerie cérébrale avancée (scanner de perfusion ou IRM).2
Perspectives
De nombreuses pistes de recherche sont en cours d’évaluation ou envisagées dans le domaine de la prise en charge préhospitalière des AVC. Plusieurs stratégies, médicamenteuses ou non, visant à « geler » le tissu cérébral en sursis (pénombre ischémique) en attendant une reperfusion sont en cours d’évaluation et pourraient être testées en préhospitalier à condition de ne pas risquer d’aggraver les patients ayant une hémorragie cérébrale ou un stroke mimic. D’autres approches, visant à favoriser la lyse du thrombus artériel, pourraient être évaluées en préhospitalier si leur effet n’est pas purement synergique de la thrombolyse intraveineuse et n’augmente pas le risque d’hémorragie intracérébrale.
UNV mobiles
Dans le but de « transporter l’hôpital vers le patient », des équipes allemandes ont conçu une UNV mobile, qui est une ambulance équipée d’un scanner, d’un laboratoire de première nécessité et d’une solution de télémédecine, afin de pouvoir réaliser une thrombolyse intraveineuse directement sur le lieu de prise en charge du patient suspect d’infarctus cérébral. Une étude randomisée conduite à Berlin a montré une réduction de 25 minutes du délai moyen entre appel aux secours et thrombolyse intraveineuse grâce à l’UNV mobile, et une augmentation de la proportion de patients bénéficiant d’une thrombolyse intraveineuse (33 vs 21 %).8 L’UNV mobile peut permettre, grâce à l’angioscanner embarqué, l’identification précoce des patients nécessitant une thrombectomie, et d’organiser leur transfert directement en salle de cathétérisme. Une étude randomisée conduite en milieu semi-rural chez 116 patients a récemment comparé la stratégie de triage à l’aide d’une UNV mobile, par rapport à une échelle clinique préhospitalière de détection des occlusions artérielles proximales et montré une nette supériorité de l’UNV mobile pour le triage des patients (100 vs 70 %).9 Enfin, une étude quasi randomisée conduite à Berlin chez plus de 14 000 patients ayant une suspicion d’AVC a montré la supériorité de l’utilisation d’une UNV mobile par rapport à la prise en charge habituelle vis-à-vis du handicap fonctionnel 3 mois après l’AVC.10 D’autres études randomisées sont en cours ou en projet afin de confirmer ces résultats et d’évaluer l’intérêt médico-économique du déploiement d’UNV mobiles.
Synthèse
La régulation médicale téléphonique des patients ayant une suspicion d’AVC aigu est réalisée par le Samu-centre 15, selon un arbre décisionnel pouvant inclure une échelle simple d’identification de l’AVC. Dans la plupart des cas, un transport médicalisé n’est pas nécessaire, et le moyen de transport le plus rapide est privilégié. Une difficulté importante de la prise en charge préhospitalière réside dans la décision d’orientation du patient vers l’UNV de proximité ou directement vers l’UNV de recours, et constitue l’enjeu de la régulation médicale par le Samu-centre 15 des suspicions d’AVC. En effet, la thrombolyse intraveineuse représente le socle du traitement de reperfusion de l’infarctus cérébral et doit être débutée sans délai, mais la moitié des patients traités par thrombolyse devront également être traités par thrombectomie, qui doit être débutée tout aussi rapidement. Plusieurs échelles cliniques simples ont été proposées pour identifier en préhospitalier les candidats potentiels à une thrombectomie. Malgré une sensibilité imparfaite, ces échelles pourraient être utiles pour le triage préhospitalier, et certaines font l’objet d’une évaluation au sein d’un essai randomisé. En parallèle, plusieurs stratégies innovantes de prise en charge préhospitalière sont en cours d’évaluation, comme l’administration de traitements neuroprotecteurs et le déploiement d’UNV mobiles.
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