La procrastination – c’est-à-dire le fait de différer une action tout en sachant que ce retard sera délétère – est une attitude fréquente. Une vaste étude suédoise de bonne qualité incluant plus de 3 000 participants a évalué l’impact de cette pratique sur l’état de santé des jeunes adultes…

La procrastination est décrite comme une forme de défaillance de l’autorégulation qui peut être liée à des traits de personnalité tels que l’impulsivité, la propension à la distraction et un faible contrôle de ses comportements.

Certaines études transversales suggèrent que cette attitude est associée à des symptômes de dépression et d’anxiété, au stress, à la solitude et à la dissatisfaction à l’égard de la vie. Elle a également été liée à des problèmes de santé généraux et à des comportements de mauvaise hygiène de vie.

Néanmoins, les études longitudinales étudiant cette relation sont rares, concernent peu d’éléments relatifs à l’état de santé (santé mentale, par exemple) et, surtout, ne prennent pas en compte divers facteurs de confusion (âge, problèmes de santé, facteurs socio-démographiques). De plus, il n’existe aucune étude à ce jour permettant d’écarter une potentielle causalité inverse : la relation causale entre la procrastination et l’état de santé est, en effet, mal comprise, et pourrait être bidirectionnelle : un mauvais état de santé physique ou mentale engendrant des difficultés de motivation menant à leur tour à la procrastination ou l’empirant.

Pour la première fois, un étude prospective suédoise, dont les résultats ont été publiés dans le JAMA, a essayé de pallier ce manque, en investiguant les associations entre les niveaux de procrastination chez des étudiants universitaires et leur état de santé physique et mentale sur toute une année universitaire, en contrôlant leur état de santé au préalable afin d’écarter au maximum la confusion que pourrait engendrer une causalité inverse.

L’étude a inclus 3 525 participants (63 % de femmes ; âge moyen : 24,8 ans), recrutés entre août 2019 et décembre 2021 dans 8 universités suédoises ; 73 % d’entre eux ont atteint la fin de la période de suivi.

Des scores de procrastination étaient établis sur une base autodéclarative grâce à la Pure Procrastination Scale. Cette échelle, comprenant 5 items (tels que « Je retarde la prise de décisions », « Je perds beaucoup de temps dans des tâches triviales avant de me mettre au travail », etc.) gradués de 1 (« rarement ») à 5 (« très souvent »), donne un score total de procrastination allant de 5 à 25. Ils étaient mesurés une fois au début de l’étude, puis après 9 mois – laps correspondant à une année universitaire. Le score de procrastination moyen initial était de 12,9.

À la fin du suivi, 16 éléments relatifs à la santé ont également été évaluéspar autodéclaration : problèmes de santé mentale (symptômes dépressifs, anxiété, stress) ; douleurs handicapantes du dos et des membres ; mauvaise hygiène de vie (sommeil de mauvaise qualité, inactivité physique, consommation de tabac, cannabis, alcool, sauter des repas) ; facteurs de santé psychosociaux (solitude et difficultés économiques) ; état général de santé. Ces éléments avaient aussi été mesurés au début (avant d’établir les scores de procrastination), afin de pouvoir contrôler les résultats finaux en les ajustant aux niveaux antérieurs de l’état de santé.

Résultats : à 9 mois, une augmentation du score de procrastination apparaissait associée à des niveaux moyens plus élevés de dépression (β = 0,13 ; IC95% : 0,09-0,17), d’anxiété (β = 0,08 ; IC95% : 0,04-0,12) et de stress (β = 0,11 ; IC95% : 0,08-0,15), ainsi qu’à la présence de douleurs aux membressupérieures (RR = 1,27 ; IC95% ; 1,14-1,42), à une mauvaise qualité du sommeil (RR = 1,09 ; IC95% : 1,05-1,14), à l’inactivité physique (RR = 1,07 ; IC95% : 1,04-1,11), la solitude (RR = 1,07 ; IC95% : 1,02-1,12) et les difficultés économiques (RR = 1,15 ; IC95% : 1,02-1,30). Aucune association n’a été trouvée, en revanche, entre les niveaux de procrastination et la douleur dans d’autres parties du corps (dos et membres inférieurs), la consommation d’alcool, tabac et cannabis ou le saut des repas, ou l’état de santé général.

Ces associations vont dans le même sens que celles trouvées dans de précédentes études sur la procrastination et l’état de santé, mais apparaissent moins marquées dans cette étude, probablement parce que celle-ci a été la première à contrôler pour de nombreux facteurs confondants, notamment grâce à l’ajustement selon les niveaux initiaux de l’état de santé.

En conclusion, les auteurs arguent que des interventions ciblées sur les pratiques de procrastination pourraient produire des résultats, quoique modestes, sur l’état de santé des personnes.

Pour en savoir plus
Johansson F, Rozental A, Edlund K, et al. Associations Between Procrastination and Subsequent Health Outcomes Among University Students in Sweden. JAMA 2023;6(1):e2249346.