Les pathologies proctologiques sont souvent un sujet tabou en MG alors qu’elles sont relativement simples à diagnostiquer et à traiter. Le Dr Nadia Fathallah nous livre dans cet entretien des conseils et des recommandations sur la prise en charge des pathologies de l’anus les plus courantes en MG, et aborde les nouveautés thérapeutiques. Édifiant !

Que pensez-vous de la difficulté de la prise en charge des pathologies proctologiques en médecine générale ?

Il s’agit de pathologies souvent taboues, particulièrement chez le médecin de famille car les patients ont souvent peur d’une part d’être mal jugés par un médecin qui les connaît de longue date (idées reçues principalement en rapport avec l’hygiène et la sexualité) et d’autre part d’être examinés dans cette partie considérée intime de leur corps, dans une position souvent non confortable, et de subir le « fameux » toucher anorectal. Les médecins généralistes quant à eux ne sont souvent pas confortables avec ces pathologies, par méconnaissance mais aussi par peur de l’examen proctologique.

Comment s’en sortir ?

Plusieurs pistes d’amélioration sont possibles.

Il faut tout d’abord se former à ces pathologies afin de se sentir à l’aise pour examiner les patients, faire un diagnostic et proposer ensuite un traitement. L’avantage de la proctologie est son caractère très clinique avec un diagnostic en grande partie posé sur les données de l’interrogatoire et sur l’examen. Les explorations complémentaires ont généralement peu d’utilité.

À l’hôpital Saint-Joseph, nous avons un staff semestriel avec les urgentistes pour la gestion des urgences proctologiques auquel les médecins généralistes peuvent assister avec grand plaisir. Nous organisons également des formations avec certaines amicales et nous avons notre journée annuelle gratuite qui se déroule un samedi matin au mois de mai.

Les cas cliniques de la « Série procto » de La Revue du Praticien sont un bon moyen d’avoir une idée des principaux diagnostics.

Il faut ensuite savoir mettre les patients à l’aise pour qu’ils puissent exprimer leurs symptômes. La fameuse phrase : « Tout ce que vous allez me dire maintenant, je l’ai entendu des milliers de fois avant » est souvent un bon moyen de décontracter les patients.

Alors, quoi de neuf concernant la pathologie hémorroïdaire, puisqu’il s’agit de la plainte proctologique la plus fréquente ?

Beaucoup de nouveautés dans le traitement chirurgical de ces pathologies avec l’avènement des techniques mini-invasives comme les ligatures sous contrôle doppler avec mucopexie, la radiofréquence et l’hémorrhoïdoplastie laser qui allègent de manière considérable les suites postopératoires chez des patients qui redoutent souvent l’hémorroïdectomie classique.

Toutefois, il faut savoir que le traitement médical permet d’améliorer une grande majorité des patients. La régularisation du transit est la mesure essentielle. Ensuite, en cas d’accident aigu thrombotique, les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont le traitement de choix associés à l’application de topiques. Les phlébotropes ont peu de place avec une efficacité souvent limitée et décevante. En cas de contre-indication aux anti-inflammatoires, en particulier chez la femme enceinte au 3e trimestre, il est possible de prescrire des corticoïdes en alternative.

Pour les patients en échec du traitement médical, nous disposons d’une solution intermédiaire qui sont les traitements instrumentaux comme la photocoagulation infrarouge et les ligatures élastiques.

Nous avons d’ailleurs développé dans le service une application qui permet aux médecins généralistes de calculer la probabilité qu’un patient souffrant de pathologie hémorroïdaire puisse nécessiter une chirurgie, afin de les aider à sélectionner au mieux les patients à adresser (voir QR code ci-contre).

Et concernant la fissure ?

Il y a du nouveau dans la fissure : la crème à base d’inhibiteur calcique Nifexine 0,3/1,5 g vient d’être mise à disposition. Elle agit sur l’hypertonie anale et permet d’améliorer le taux de cicatrisation. Cette crème est remboursée, contrairement à la crème à base de dérivé nitré, et a beaucoup moins d’effets indésirables.

En cas d’échec – qui survient encore chez environ un patient sur deux malheureusement – la chirurgie reste indiquée.

Quelle gestion conseiller pour les abcès et les fistules ?

Le message est clair : un abcès sous tension doit être incisé. Pas d’antibiotiques sauf cas particuliers et surtout pas d’anti-inflammatoires non stéroïdiens car risque de cellulite.

Ainsi, si vous avez des doutes entre une pathologie hémorroïdaire et un abcès, et que vous n’avez pas réussi à bien examiner votre patient, prescrivez des antalgiques mais pas d’anti-inflammatoires non stéroïdiens !

La prise en charge ultérieure – en dehors de l’incision à réaliser en urgence – doit être faite par le proctologue.

Le traitement des fistules anales est complexe avec beaucoup de techniques d’épargne sphinctérienne disponibles ou en cours de développement, qui permettent (comme leur nom l’indique) d’épargner le sphincter mais au risque d’un taux d’échec plus important que la fistulotomie classique. Toutefois, malgré des résultats moins satisfaisants, plus de 75 % des patients préfèrent avoir recours à ce type de techniques.

Dans le même sens, la prise en charge du sinus pilonidal infecté a connu ces dernières années un véritable virage vers les techniques mini-invasives comme le laser SILAT (Sinus Laser Treatment) et le traitement endoscopique EPSIT (Endoscopic Pilonidal Sinus Treatment). Cela est parfaitement compréhensible au vu des suites longues en termes de cicatrisation de la technique d’exérèse classique avec plaie ouverte et cicatrisation dirigée nécessitant des soins infirmiers quotidiens pour une durée minimale de 3 mois.

Y a-t-il une hausse d’infections sexuellement transmises ces dernières années malgré la PrEP ?

La PrEP protège contre l’infection par le VIH mais pas contre les autres infections comme le gonocoque, la chlamydia, le mycoplasme, la syphilis et récemment le mpox. Chez un patient ayant une sexualité à risque et au moindre symptôme proctologique, il ne faut pas hésiter à faire des prélèvements anorectaux par écouvillonnage, des sérologies, à traiter ces patients et à dépister le(s) partenaire(s). Dernier scoop : une étude multicentrique française publiée dans le Lancet suggère une prophylaxie post-exposition par doxycycline en plus de la PrEP, en espérant toutefois que cette stratégie n’entraîne pas une sélection de souches multi-résistantes. À suivre…

Un dernier mot sur les dermatoses ?

Elles sont très fréquentes ! Les dermatologues ne sont d’ailleurs pas à l’aise car les lésions élémentaires sont loin d’être typiques dans cette zone en raison de l’humidité du pli interfessier, des frottements et de la fréquence de l’automédication par le patient lui-même par des topiques.

Le prurit anal essentiel est la cause la plus fréquente et sa prise en charge repose sur des mesures hygiéniques et une application de topiques en particulier de dermocorticoïdes.

Les autres causes sont nombreuses et très diversifiées.

En cas de doute diagnostique, il ne faut pas hésiter à faire des prélèvements à visée microbiologique (en cas de prurit aigu) ou histologique (en cas de prurit chronique).

Prudence chez les patients en échec de tous ces traitements avec des lésions atypiques, car ces dernières peuvent être associées à des lésions néoplasiques comme la maladie de Bowen ou la maladie de Paget.