Un essor qui alimente le marché clandestin
Depuis quelques années, le marché de la médecine esthétique, surtout des produits injectables (toxine botulique pour la correction des rides, acide hyaluronique et autres produits pour le comblement cutané), est en plein essor. Il augmente même deux fois plus vite que celui de la chirurgie esthétique. En cause : la préférence croissante des personnes pour ces soins moins invasifs, très vantés sur les réseaux sociaux. Ce marché s’établirait à 4 milliards d’euros d’ici à 2025 au niveau mondial, selon certaines estimations.
La France n’est pas étrangère à cet engouement, qui déborde sur le marché clandestin. Ainsi, dès 2022, l’ANSM a émis une alerte après avoir reçu une quarantaine de notifications d’effets indésirables à la suite d’injections d’acide hyaluronique par des personnes non autorisées, dont esthéticiennes, coiffeuses, prothésistes ongulaires, etc. Ces pratiques, bien que constituant un délit d’exercice illégal de la médecine passible de 2 ans de prison et 30 000 € d’amende, semblent se poursuivre aujourd’hui (en 2023, deux femmes dans le département du Nord ont été condamnées à de la prison ferme et à une peine avec sursis pour injections illégales de toxine botulique et d’acide hyaluronique). Les chirurgiens esthétiques ont lancé un appel pour interdire la vente libre d’acide hyaluronique (qui est aujourd’hui toujours possible en officine).
Des effets indésirables pouvant aller jusqu’à des infections graves ou des nécroses de la peau sont majoritairement liés à ces pratiques non conformes (non-respect des conditions d’hygiène, injection mal réalisée…), selon l’ANSM. D’autres effets indésirables moins graves mais fréquents, y compris en cas de pratiques conformes, peuvent aussi être observés.
Le médecin généraliste a un double rôle à jouer :
- en amont, en donnant les informations pertinentes aux patient(e)s qui expriment le souhait de réaliser ce type d’injections : alerter sur les pratiques non conformes, déceler de possibles contre-indications (v. encadré) ;
- en aval, si le patient consulte à la suite d’effets indésirables (orientation, déclaration d’EI voire des mésusages).
Quels effets indésirables ?
Les complications peuvent être liées au produit (utilisation non adaptée, par exemple) ou à une erreur technique – quantité, profondeur de l’injection, zone anatomique injectée (risque +++ dans les contextes clandestins). Elles peuvent aussi être liées au terrain du patient (allergique, immunitaire…), d’où l’importance d’un interrogatoire exhaustif à la recherche d’antécédents et de pathologies (v. encadré), ce que ne font évidemment pas les non-médecins.
Si l’injection se fait dans un cadre qui ne respecte pas les règles d’asepsie, il peut se produire :
- une infection locale dans la zone d’injection, qui peut se généraliser si cette dernière n’est pas traitée rapidement ;
- des contaminations virales (dont VIH) ou bactériennes si le matériel utilisé est partagé.
En cas d’erreur d’administration (injection du produit dans une petite artériole), une embolie d’acide hyaluronique peut survenir – complication très rare mais grave. La réaction, immédiate mais parfois aussi retardée, est une urgence thérapeutique. Elle se manifeste par : douleur, blanchiment, livédo réticulaire, puis des bulles, croûtes, et peut aller jusqu’à une nécrose tissulaire. L’existence de symptômes oculaires qui seraient liés à des emboles dans l’artère ophtalmique (vision floue ou perte de vision, douleur…) est une urgence ophtalmologique.
En outre, une allergie au produit injecté, pouvant engendrer un choc anaphylactique, est aussi possible.
Néanmoins, les effets indésirables les plus fréquents sont moins graves : outre les éventuelles douleurs, des hématomes, érythèmes, œdèmes post-traumatiques peuvent apparaître de façon immédiate et jusqu’à 15 jours après. Ils sont transitoires (jusqu’à 8 jours).
À long terme, d’autres risques comprennent la mauvaise position du produit injecté due à sa migration et l’inflammation des tissus injectés, des gonflements ou nodules pouvant apparaître de manière retardée. Des granulomes, rares, peuvent apparaître des mois voire des années après l’injection (incidence de 0,01 % à 1 %).
Prévention et traitement des complications
Pour prévenir les ecchymoses : le patient doit éviter la prise d’aspirine et d’AINS avant l’injection. En revanche, il n’est pas recommandé d’arrêter les anticoagulants, le risque associé à l’arrêt d’un traitement bien équilibré dans les jours précédents étant supérieur au risque d’hémorragie. Le patient peut, après la procédure, appliquer des compresses froides ou une crème à base d’arnica ou de vitamine K.
Pour les œdèmes précoces : l’application de compresses froides est également indiquée et très souvent suffisante ; si non, antihistaminiques et corticoïdes oraux peuvent aussi être employés. Les œdèmes tardifs sont traités avec des corticoïdes oraux ou des injections de hyaluronidase par le dermatologue.
La prise en charge des abcès est classique : drainage et aspiration s’ils sont collectés, et antibiothérapie empirique par clarithromycine 250 mg x 2/jour pendant 10 jours et ciprofloxacine 500 à 750 mg x 2/jour pendant 2 à 4 semaines. En présence de biofilms (greffe bactérienne sur filler protégé par polymères), la culture est habituellement négative ; une bi-antibiothérapie de 4 à 6 semaines peut être proposée, puis l’injection de hyaluronidase associée ou non à des corticoïdes ; un traitement par laser ou l’excision chirurgicale sont le plus souvent nécessaires.
Le traitement des complications vasculaires peut se faire par : injection de hyaluronidase (200 à 400 UI/1 à 2 mL) qui doit être répétée tout autour de la zone, avec des massages ; application de compresses chaudes ; nitroglycérine en patch 1 % ou 2 % deux ou trois fois par jour ou en comprimés ; acide acétylsalicylique 500 mg toutes les 8 heures pendant 24 à 48 heures ; corticoïdes (prednisone 20 à 40 mg/jour pendant 3 à 5 jours) ; héparines de bas poids moléculaire ; oxygène hyperbare.
Les nodules non inflammatoires sont traités par hyaluronidase ou excision chirurgicale. Le traitement des granulomes se fait par injection intralésionnelle de corticoïdes, voire par méthotrexate ou éventuellement par hyaluronidase. En cas d’échec, une excision chirurgicale s’impose.
Les effets indésirables esthétiques tels que les troubles de la coloration cutanée peuvent être pris en charge en dermatologie (laser, hydroquinone topique ou peeling).
Un groupe d’experts pour assister tout médecin qui constate des complications
Dans le contexte d’augmentation d’effets indésirables constatée, le groupe de vigilance Vigipil/Vigidec a été organisé au sein de la Société française de dermatologie. Le site internet Vigilance esthétique, ouvert à tout médecin qui injecte ou qui reçoit un patient avec des effets secondaires ou des séquelles d’injections illégales, permet de déclarer un effet indésirable mais surtout de demander une assistance rapide à des médecins spécialistes de la question.
La création de ce groupe confraternel est d’autant plus importante que « du point de vue judiciaire, c’est le dernier qui touche la patiente qui est responsable s’il y a des séquelles », explique le Dr Martine Baspeyras (dermatologue à Bordeaux et présidente de Vigipil). Le groupe d’experts incite à la déclaration de tout effet secondaire.
Antécédents et pathologies à rechercher avant une injection de produit à visée esthétique
S’assurer que le patient n’a pas de poussée d’herpès, de psoriasis, d’eczéma, et qu’il ne souffre pas de maladie inflammatoire chronique. L’interroger sur les traitements en cours.
Une poussée de maladies auto-immune est en effet une contre-indication à la réalisation de ces injections.
Une pathologie dentaire est également à rechercher : l’examen de la dentition et des gencives permet de vérifier qu’il n’y a pas d’abcès qui pourraient favoriser les infections post-injections.
De façon générale, un patient souhaitant ces injections doit avoir un état stabilisé.
Faber C. Complications et mésusages des produits de comblement injectables. Dermatologie pratique 17 janvier 2024.
ANSM. Principaux risques associés aux produits injectables de comblement des rides.
Lavaud S. Produits injectables en dermato-esthétique : comment assurer leur sécurité ? Medscape 11 décembre 2023.