Avec un comité d’experts composé de représentants de personnes traitées et professionnels de santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rédigé début mars des premières recommandations afin d’encadrer le risque de méningiome lié aux progestatifs, dans l’attente des résultats d’études épidémiologiques en cours. Au cours de ces dernières années, le sur-risque de méningiome (bien que très faible en valeur absolue) associé à trois progestatifs de synthèse - et notamment à l’acétate de cyprotérone - a conduit à des recommandations pour la pratique quotidienne visant à encadrer leur prescription. Si ces recommandations, particulièrement pour l’acétate de cyprotérone, ont permis une réévaluation de la balance bénéfice-risque individuelle de ces molécules (qui reste bien évidemment favorable dans de nombreuses indications validées par l’ANSM elle-même), l’ensemble de la communauté des cliniciens s’alarme à propos de ces récentes nouvelles recommandations, publiées le 2 mars 2023, dites « préliminaires ».1 Ces recommandations qui concernent tous les progestatifs actuellement remboursés ainsi que la progestérone naturelle ne reposent en effet, à ce jour, que sur quelques cas rapportés de méningiome en l’absence de toute étude scientifique.
Faut-il rappeler, pour de bonnes politiques de santé et dans l’intérêt de chaque personne, la nécessité d’une médecine fondée sur les preuves (« evidence-based medicine »), largement enseignée depuis plusieurs années dans nos facultés et faisant même l’objet spécifiquement d’une épreuve à l’examen classant national (ECN) dite de lecture critique d’article ?
La mission du nouveau comité spécifique temporaire de l’ANSM « réuni dans ce contexte » interroge à cet égard. En effet, celui-ci a été installé avec comme objectif spécifique d’élaborer des « recommandations (…) qui s’adresseront aux professionnels de santé afin de mieux protéger les personnes utilisant ces médicaments. Elles seront publiées et diffusées dans l’attente des résultats de nouvelles études épidémiologiques qui permettront de démontrer ou d’infirmer le risque de méningiome ».
De fait, la question qui doit être posée est celle des conséquences de cette médiatisation de recommandations préliminaires sans aucune évaluation d’un niveau de risque pour les progestatifs désignés (diénogest, dydrogestérone, médrogestone) et pour la progestérone naturelle.
Il est déjà probablement important de tenir compte de la durée (ou de la dose cumulée [?] des progestatifs), cette question non résolue à ce jour est pourtant fondamentale pour les cliniciens.
Enfin, mettre les progestatifs de synthèse et la progestérone naturelle sur le même plan est pour le moins discutable en matière d’activité et de pharmacocinétique. La progestérone, molécule sécrétée par l’ovaire, a un rôle majeur pour la préparation de l’endomètre d’une future grossesse et un métabolisme rapide, donc une demi-vie qui n’a rien à voir avec celle des molécules de synthèse (progestatifs).
Il est essentiel par ailleurs de savoir que progestérone et progestatifs jouent un rôle majeur dans la prévention du cancer de l’endomètre et dans le traitement des maladies bénignes gynécologiques. Leur utilisation depuis de nombreuses années a permis de diminuer significativement le recours à l’hystérectomie.
L’utilisation des progestatifs et de la progestérone recouvre donc un domaine important de la gynécologie, avec des utilisations incontournables. Citons quelques exemples représentatifs :
• l’utilisation majoritaire de la progestérone dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (soutien de phase lutéale après inséminations intra-utérines et fécondations in vitro) dont les indications ont été considérablement élargies depuis la publication de la nouvelle loi de bioéthique. Utilité prouvée par de nombreuses études randomisées et méta-analyses sans véritable molécule de remplacement ;
• la prise en charge hormonale de la ménopause repose spécifiquement sur l’utilisation d’un traitement associant le 17-bêta-estradiol et la progestérone naturelle, association dont la balance bénéfices-risques fait l’objet de recommandations des sociétés savantes de nombreux pays (dont les recommandations françaises pour la pratique clinique élaborées conjointement par le Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal [GEMVi] et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français [CNGOF] en 2021). Toutes ces sociétés, notamment américaines (The North American Menopause Society, The Endocrine Society…), recommandent désormais spécifiquement cette molécule, eu égard à sa balance bénéfices-risques probablement la plus optimale du traitement hormonal de la ménopause ;
• il en est de même pour le traitement, entre autres, des femmes souffrant d’hypogonadisme hypogonadotrope ou d’insuffisance ovarienne prématurée pour lesquelles le recours à un traitement hormonal associant l’estradiol à la progestérone ou un progestatif est indispensable pour limiter une surmortalité précoce liée à la carence estrogénique. Va-t-il falloir hystérectomiser toutes ces femmes pour empêcher la survenue d’un cancer de l’endomètre induit par l’utilisation des estrogènes sans addition de progestérone ?
• dans les recommandations internationales de 2018 publiées sous l’égide de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE), les femmes souffrant du syndrome des ovaires polykystiques (SOP, 15 % des femmes dans les pays industrialisés) et ayant des troubles du cycle doivent pouvoir bénéficier d’un traitement hormonal contenant des progestatifs pour limiter le risque d’hyperplasie de l’endomètre et surtout de cancer de l’endomètre. Que va-t-on proposer à ces femmes, notamment lorsqu’elles présentent des contre-indications aux contraceptions œstroprogestatives (situation malheureusement fréquente dans cette pathologie) ?
• enfin, concernant la prise en charge de l’endométriose, le développement de thérapeutique progestative à faible dose montrant une sécurité d’emploi sur le risque vasculaire est-il d’ores et déjà à proscrire ?
Tant de situations cliniques laisseraient les patientes sans aucune ressource thérapeutique, voire augmenteraient la prévalence des hystérectomies et contribueraient à altérer la qualité de vie des femmes alors que notre pays est depuis de nombreuses années celui au monde où le nombre d’hystérectomies et où l’incidence du cancer de l’endomètre sont les plus faibles. Va-t-il falloir les orienter vers des traitements dont la balance bénéfices-risques globale est moins favorable individuellement ou reste à démontrer ?
Si l’utilisation de la progestérone inquiète à ce point nos autorités vis-à-vis du risque de méningiome, ne serait-il pas plus utile de regarder la littérature scientifique actuelle concernant les femmes ayant eu des enfants (dont le taux de progestérone est multiplié par un facteur 6 à 8 pendant la grossesse) comparativement aux femmes nullipares ? À cet égard, l’étude de Jenny Pettersson-Segerlind publiée très récemment dans la prestigieuse revue du groupe Nature (Scientific Reports 2021) ne montre aucune augmentation de risque de méningiome chez les femmes multipares comparativement aux femmes nullipares. Et c’est sans compter qu’aucun pays au monde n’a à ce jour soulevé la question d’une telle association alors que les progestatifs de synthèse ou la progestérone y sont largement prescrits.
Rappelons enfin que l’utilisation de toute thérapeutique – qu’il s’agisse d’un progestatif ou de n’importe quelle autre molécule – fait toujours l’objet, lors de sa prescription, d’une évaluation de sa balance bénéfices-risques individuelle. On peut envisager de sensibiliser les professionnels de santé pour les longues durées d’utilisation des progestatifs (à fortes doses), mais arrêtons d’inquiéter les femmes sur des « suggestions » de risque non évalué.
Faut-il rappeler, pour de bonnes politiques de santé et dans l’intérêt de chaque personne, la nécessité d’une médecine fondée sur les preuves (« evidence-based medicine »), largement enseignée depuis plusieurs années dans nos facultés et faisant même l’objet spécifiquement d’une épreuve à l’examen classant national (ECN) dite de lecture critique d’article ?
La mission du nouveau comité spécifique temporaire de l’ANSM « réuni dans ce contexte » interroge à cet égard. En effet, celui-ci a été installé avec comme objectif spécifique d’élaborer des « recommandations (…) qui s’adresseront aux professionnels de santé afin de mieux protéger les personnes utilisant ces médicaments. Elles seront publiées et diffusées dans l’attente des résultats de nouvelles études épidémiologiques qui permettront de démontrer ou d’infirmer le risque de méningiome ».
De fait, la question qui doit être posée est celle des conséquences de cette médiatisation de recommandations préliminaires sans aucune évaluation d’un niveau de risque pour les progestatifs désignés (diénogest, dydrogestérone, médrogestone) et pour la progestérone naturelle.
Il est déjà probablement important de tenir compte de la durée (ou de la dose cumulée [?] des progestatifs), cette question non résolue à ce jour est pourtant fondamentale pour les cliniciens.
Enfin, mettre les progestatifs de synthèse et la progestérone naturelle sur le même plan est pour le moins discutable en matière d’activité et de pharmacocinétique. La progestérone, molécule sécrétée par l’ovaire, a un rôle majeur pour la préparation de l’endomètre d’une future grossesse et un métabolisme rapide, donc une demi-vie qui n’a rien à voir avec celle des molécules de synthèse (progestatifs).
Il est essentiel par ailleurs de savoir que progestérone et progestatifs jouent un rôle majeur dans la prévention du cancer de l’endomètre et dans le traitement des maladies bénignes gynécologiques. Leur utilisation depuis de nombreuses années a permis de diminuer significativement le recours à l’hystérectomie.
L’utilisation des progestatifs et de la progestérone recouvre donc un domaine important de la gynécologie, avec des utilisations incontournables. Citons quelques exemples représentatifs :
• l’utilisation majoritaire de la progestérone dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (soutien de phase lutéale après inséminations intra-utérines et fécondations in vitro) dont les indications ont été considérablement élargies depuis la publication de la nouvelle loi de bioéthique. Utilité prouvée par de nombreuses études randomisées et méta-analyses sans véritable molécule de remplacement ;
• la prise en charge hormonale de la ménopause repose spécifiquement sur l’utilisation d’un traitement associant le 17-bêta-estradiol et la progestérone naturelle, association dont la balance bénéfices-risques fait l’objet de recommandations des sociétés savantes de nombreux pays (dont les recommandations françaises pour la pratique clinique élaborées conjointement par le Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal [GEMVi] et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français [CNGOF] en 2021). Toutes ces sociétés, notamment américaines (The North American Menopause Society, The Endocrine Society…), recommandent désormais spécifiquement cette molécule, eu égard à sa balance bénéfices-risques probablement la plus optimale du traitement hormonal de la ménopause ;
• il en est de même pour le traitement, entre autres, des femmes souffrant d’hypogonadisme hypogonadotrope ou d’insuffisance ovarienne prématurée pour lesquelles le recours à un traitement hormonal associant l’estradiol à la progestérone ou un progestatif est indispensable pour limiter une surmortalité précoce liée à la carence estrogénique. Va-t-il falloir hystérectomiser toutes ces femmes pour empêcher la survenue d’un cancer de l’endomètre induit par l’utilisation des estrogènes sans addition de progestérone ?
• dans les recommandations internationales de 2018 publiées sous l’égide de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE), les femmes souffrant du syndrome des ovaires polykystiques (SOP, 15 % des femmes dans les pays industrialisés) et ayant des troubles du cycle doivent pouvoir bénéficier d’un traitement hormonal contenant des progestatifs pour limiter le risque d’hyperplasie de l’endomètre et surtout de cancer de l’endomètre. Que va-t-on proposer à ces femmes, notamment lorsqu’elles présentent des contre-indications aux contraceptions œstroprogestatives (situation malheureusement fréquente dans cette pathologie) ?
• enfin, concernant la prise en charge de l’endométriose, le développement de thérapeutique progestative à faible dose montrant une sécurité d’emploi sur le risque vasculaire est-il d’ores et déjà à proscrire ?
Tant de situations cliniques laisseraient les patientes sans aucune ressource thérapeutique, voire augmenteraient la prévalence des hystérectomies et contribueraient à altérer la qualité de vie des femmes alors que notre pays est depuis de nombreuses années celui au monde où le nombre d’hystérectomies et où l’incidence du cancer de l’endomètre sont les plus faibles. Va-t-il falloir les orienter vers des traitements dont la balance bénéfices-risques globale est moins favorable individuellement ou reste à démontrer ?
Si l’utilisation de la progestérone inquiète à ce point nos autorités vis-à-vis du risque de méningiome, ne serait-il pas plus utile de regarder la littérature scientifique actuelle concernant les femmes ayant eu des enfants (dont le taux de progestérone est multiplié par un facteur 6 à 8 pendant la grossesse) comparativement aux femmes nullipares ? À cet égard, l’étude de Jenny Pettersson-Segerlind publiée très récemment dans la prestigieuse revue du groupe Nature (Scientific Reports 2021) ne montre aucune augmentation de risque de méningiome chez les femmes multipares comparativement aux femmes nullipares. Et c’est sans compter qu’aucun pays au monde n’a à ce jour soulevé la question d’une telle association alors que les progestatifs de synthèse ou la progestérone y sont largement prescrits.
Rappelons enfin que l’utilisation de toute thérapeutique – qu’il s’agisse d’un progestatif ou de n’importe quelle autre molécule – fait toujours l’objet, lors de sa prescription, d’une évaluation de sa balance bénéfices-risques individuelle. On peut envisager de sensibiliser les professionnels de santé pour les longues durées d’utilisation des progestatifs (à fortes doses), mais arrêtons d’inquiéter les femmes sur des « suggestions » de risque non évalué.
Référence
1. Risque de méningiome et progestatifs : recommandations générales pour limiter ce risque. ANSM. 2 mars 2023. https://vu.fr/xNSs