Que contient le projet de loi ?
Le contenu précis du texte n’a pas encore été dévoilé, mais le président en a évoqué les grandes lignes lors d’un entretien accordé aux journaux La Croix etLibération le 10 mars 2024. Le projet de loi doit être transmis d’ici dix jours au Conseil d’État et sera débattu en séance à l’Assemblée nationale fin mai, puis au Sénat vraisemblablement après l’été.
Il s’agirait d’ouvrir la « possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes », à savoir :
- être majeur ;
- être capable d’un « discernement plein et entier » ;
- être atteint d’une pathologie « incurable » avec « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » et subissant des souffrances « réfractaires ».
Un patient souhaitant accéder à cette « aide » (les termes « suicide assisté » et « euthanasie » ne figuraient pas dans la communication présidentielle) pourraient en formuler la demande auprès de l’équipe médicale qui devrait émettre un avis collégial sous 15 jours. En cas d’avis favorable, le patient recevrait une prescription, valable pendant 3 mois, d’un produit létal qu’il pourrait absorber seul ou, s’il est dans l’incapacité physique de le faire, avec l’assistance d’un membre du corps médical ou d’une personne volontaire qu’il aurait désignée.
Les conditions évoquées plus haut rejoignent celles stipulées par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans un avis publié en 2022 : il considérait qu’il existait « une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir » en respectant ces exigences. Le CCNE soulignait qu’une telle dépénalisation de l’assistance au suicide ne serait pas éthique « si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte ».
Convoquée ensuite par le Conseil économique social et environnemental, la Convention citoyenne sur la fin de vie – composée de 184 citoyens tirés au sort –, s’était prononcée à 75,6 % des voix pour l’ouverture d’une « aide active à mourir » sous conditions, dans un avis paru au printemps 2023. Il y était aussi fait mention de la nécessité de développer l’offre des soins palliatifs de façon concomitante. C’est à la suite de ces conclusions que le président avait confié au gouvernement la mission d’élaborer le projet de loi dont il est question ces derniers jours.
Ce dernier doit inclure, enfin, des mesures du plan décennal qui sera présenté fin mars pour renforcer les soins palliatifs. Trois volets (soins d’accompagnement, droit des patients et des aidants, aide à mourir) composeraient ainsi le texte « pour ne pas laisser penser que l’on fait l’aide à mourir parce que la société n’est pas capable de prendre soin », a expliqué le président.
Avis partagé de la communauté médicale
Une vingtaine de sociétés savantes, dont la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) et le Syndicat des médecins coordonnateurs, Ehpad et autres structures, généralistes ou gériatres (SMCG-CSMF), ont manifesté leur mécontentement face à ces annonces. Elles ont notamment évoqué « une confusion sur le sens du soin […], un modèle ultra-permissif, […] un manque de considération pour les personnes vulnérables et âgées, qui seraient les premières concernées par ce dispositif, et alors que la loi Grand âge est abandonnée, [et] des annonces dérisoires sur l’accompagnement de la fin de vie ». Elles ont dénoncé, en outre, ne pas avoir été associés ni consultés pour la rédaction de ce projet de loi, alors que son application concernerait directement ces professions de santé, et fustigé « un mépris du travail des soignants » et un manque de reconnaissance « de l’engagement quotidien auprès de ceux qui vont mourir des professionnels de santé, en établissement de santé, en Ehpad ou à domicile ».
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a, en revanche, considéré que le projet de loi annoncé était « une avancée significative pour la prise en charge des patients en fin de vie » et qu’il semblait respecter les recommandations présentées par le Cnom en avril 2023 – notamment sur le développement des soins palliatifs, l’exclusion des mineurs et des patients hors d’état de manifester leur volonté et la nécessité d’un avis médical collégial. Il a toutefois souligné qu’il se prononcerait dûment sur le texte quand celui-ci serait présenté en Conseil des ministres et qu’il sera « extrêmement vigilant quant au respect du code de déontologie, ainsi qu’au choix des personnes intervenant dans la réalisation de l’acte, si la loi en dispose ainsi ».
Enfin, si l’Académie nationale de médecine ne s’est pas encore prononcée sur ces annonces récentes du gouvernement, elle avait adopté, en juin 2023, un avis où elle exprimait son accord, à titre exceptionnel, à une assistance au suicide (excluant l’euthanasie) : « l’Académie pense que viser à aider à mourir le moins mal possible ceux qui ne peuvent l’être par le champ de la loi actuelle est une tâche difficile mais raisonnable par l’incorporation prudente et encadrée d’un nouveau droit [...], en énonçant les garanties fortes d’une décision collégiale pour protéger les plus vulnérables, en respectant les consciences de ceux qui se sont engagés à accompagner jusqu’au bout ceux qui vivent un supplice, et en assortissant l’ouverture de ces droits à une évaluation vigilante pour leur application stricte, gage de la protection de dérives potentielles ».
Les proposition concrètes du Collège de MG
Dans ce contexte, le CMG a publié un texte proposant quelques points qui pourraient faire consensus par-delà les divisons constatées au sein de la communauté médicale.
Devant la perspective d’une évolution de la loi – dont il juge qu’elle est rendue nécessaire par le souhait exprimé par une grande partie de la société civile –, il pose notamment la nécessité de renforcer les soins palliatifs autant par des moyens personnels que financiers, de mettre en place une formation initiale plus importante pour les professionnels de santé à ce sujet et une clause de conscience spécifique, et de créer des comités d’éthique permettant une réflexion collégiale et devant être consultés afin d’éviter les dérives.
Plus précisément, la proposition du CMG s’articule en 12 points :
- Le maintien de la loi Claeys-Leonetti de 2016, associé, ou séparé en cas d’évolution législative, aux nouveaux textes de loi.
- La définition exacte du sens des mots utilisés dans les futurs textes, afin d’éviter les interprétations.
- Si une aide active à mourir est mise en place : la séparation de l’euthanasie (injection faite par un professionnel de santé) du suicide assisté (prise de médicament létal par le patient) ; la possibilité d’une clause de conscience pour les professionnels.
- La création d’une consultation dédiée au recueil des directives anticipées à renouveler à différentes périodes de la vie.
- Des entretiens et consultations d’explication, avec un temps réservé pour parler de la fin de vie lors de l’annonce d’une mauvaise nouvelle, de l’entrée en Ehpad et à l’approche de la fin de vie.
- La prise de décisions tracées et collégiales en réunion de concertation pluriprofessionnelle et non par le médecin seul (à l’instar de la décision de sédation profonde et continue jusqu’au décès).
- L’interrogation sur l’existence d’un trouble mental réversible : demande d’aide active à mourir ou idéation suicidaire ? Une évaluation psychiatrique, éventuellement répétée, peut être organisée malgré ses limites.
- Une formation initiale et continue des professionnels de santé comprenant la prise en charge palliative et la fin de vie.
- La mise en place, avec un financement, au sein des CPTS, de réunions permettant les échanges collégiaux, la formation et l’accompagnement des professionnels, débouchant sur la création de comités d’éthique, pluriprofessionnels, comprenant également des non-médecins (philosophe, juriste, sociologue, association de patients, visiteurs…) et pouvant être saisis lors de situations complexes en fin de vie à domicile ou en Ehpad.
- La création de poste de médecin généraliste référent soins palliatifs-fin de vie au sein des CPTS, avec un financement spécifique et une formation.
- Le développement du bénévolat autour du patient en fin de vie, bénévolat de service et d’accompagnement.
- Des campagnes d’information du public sur directives anticipées et personne de confiance.
Le CMG conclut qu’une éventuelle mise en place d’une loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté « nécessite une refonte de l’organisation et surtout du financement des unités de soins palliatifs, permettant de s’assurer qu’aucun patient ne choisira le geste ultime par défaut et notamment par défaut de prise en charge en unité de soins palliatifs ».
Public Sénat. Fin de vie : Emmanuel Macron ouvre la voie à une « aide à mourir » sous conditions et annonce un texte en avril. 11 mars 2024.
Comité consultatif national d’éthique. Avis 139. Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité. 13 septembre 2022.
Vie publique. Fin de vie : remise des conclusions de la Convention citoyenne. 3 avril 2023.
Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Communiqué du 11 mars 2024.
Conseil national de l’Ordre des médecins. Présentation du projet de loi sur la fin de vie. 11 mars 2024.
Conseil national de l’Ordre des médecins. Fin de vie et rôle du médecin. 1er avril 2023.
Académie nationale de médecine. Avis : « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ». 27 juin 2023.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Entretien avec Pierre Le Coz. Suicide assisté : un changement de paradigme pour les médecins ? Rev Prat Med Gen 2022;36(1070);370-2.
Le Coz P. Fin de vie : il faut distinguer euthanasie et suicide assisté. Rev Prat 2022;72(8);825-7.