« Une mauvaise selle et une pratique intense du vélo peuvent-elles avoir des conséquences sur la prostate ? Dois-je arrêter le vélo dix jours avant de faire mon dosage de PSA ? »Le cyclisme est souvent tenu pour responsable d’une élévation du Prostate Specific Antigen (PSA) par compression de la prostate sur la selle. Mais ce lien est-il scientifiquement avéré ?

PSA et cyclisme : que disent les études ? 

Le PSA est un marqueur d’attention voire d’alerte de l’état de la prostate, mais il est imparfait pour dépister le cancer, en raison d’une part de son manque de spécificité (il s’élève en cas de cancer mais aussi d’hypertrophie bénigne de la prostate et de prostatite), et d’autre part de sa variabilité spontanée : son taux n’est pas constant dans le sang, il subit des variations physiologiques spontanées à la baisse ou à la hausse, qui peuvent atteindre 20 % d’un dosage à l’autre.1

Par ailleurs, ce marqueur a des variations diurnes physiologiques car sa synthèse est liée à la testostérone qui a elle-même un rythme diurne, son taux étant plus élevé le matin que dans l’après-midi. Ainsi, 50 % des patients qui ont un taux de PSA > à 4 ng/mL le matin auront un taux inférieur à 4 ng/mL dans l’après-midi, et cela qu’il s’agisse de personnes ayant un cancer de la prostate ou non.2

Ces variations spontanées dans le temps et au cours de la journée peuvent donc rendre difficiles les interprétations des modifications constatées après la pratique du vélo.

Des données divergentes

En 2004, nous avions évalué le PSA chez 129 cyclistes, âgés de 34 à 73 ans, avant et après le Paris-Nice cyclo, course de 1 500 km en 9 étapes, sur 15 jours (le PSA était dosé immédiatement avant la course, à Paris, et à l’arrivée à Nice).3 Nous avons observé une diminution faible mais significative des concentrations sériques du PSA passant de 1,05 ng/mL à 0,90 ng/mL (valeur médiane). D’autres études ont, en revanche, trouvé une élévation du PSA liée à la pratique du vélo.

En 2015, une méta-analyse a pris en compte huit études avec un total de 912 participants.4 Six études incluses dans cette analyse ont évalué les modifications de PSA chez des participants sans maladie prostatique connue, qui pratiquaient ou déclaraient pratiquer une activité cycliste allant d’une seule séance de 15 minutes à une course de 4 jours : seulement deux parmi les six travaux ont retrouvé une augmentation du PSA total après une activité cycliste par rapport aux valeurs initiales (allant jusqu’à 3,3 fois) ; une autre étude – qui a comparé le PSA chez les cyclistes d’élite/professionnels par rapport aux non-cyclistes – n’a démontré aucune différence significative entre les deux groupes. Ainsi, les auteurs de cette méta-analyse ont conclu à l’absence d’un effet du vélo sur le PSA, avec un changement moyen entre la période pré- et post-pratique non significatif : + 0,027 ng/mL (p = 0,74, IC = - 0,17-0,23).

Comment expliquer les discordances observées d’une étude à l’autre ?

Il est connu qu’un effort physique intense et court peut augmenter la testostérone,5 alors qu’un effort soutenu en endurance la diminue6 par un effet sur l’axe hypothalamo-hypophyso-testiculaire.7 Le retentissement de l’activité physique sur la testostérone n’est donc pas univoque, mais est lié à son intensité et à sa durée. Le PSA dépendant du taux de testostérone, il n’est pas anormal d’obtenir des conclusions apparemment contradictoires après un effort physique : élévation du PSA après des courses cyclistes brèves et intenses et baisse après des sorties cyclistes longues. Ce n’est donc pas directement le vélo en tant que tel qui modifie le PSA, mais l’effort physique fourni, par l’intermédiaire de son action sur la testostérone.

La selle comprime-t-elle la prostate ?

Si le toucher rectal ne modifie pas le PSA, il a été montré que les traumatismes de la prostate peuvent l’augmenter, de façon minime comme après un massage de la prostate (le PSA s’élève dans 6 % des cas) ou de façon plus marquée comme après des biopsies (augmentation dans 92 % des cas). 8 Après une telle élévation traumatique, le PSA décroît selon une demi- vie de trois à quatre jours. 9

La pratique régulière du vélo provoque une augmentation de pression sur le périnée responsable d’un engourdissement périnéal chez les hommes et les femmes, et de dysfonctions sexuelles : dysfonction érectile (DE) chez les hommes, anorgasmie et douleurs génitales chez les femmes.10-11 On dispose d’une abondante littérature sur ce sujet. Engourdissement périnéal et DE sont liés : dans une enquête menée chez 1 635 cyclistes hommes – dont la majorité avaient plus de 50 ans, étaient des cyclistes actifs depuis plus de 10 ans et utilisaient des vélos de route – 22 %, 30 % et 57 % respectivement ont signalé des troubles de l’érection, des douleurs et des engourdissements génitaux, indépendamment de leur IMC, des comorbidités médicales ou des caractéristiques de la selle.12 D’après cette enquête, les hommes ayant signalé un engourdissement du pénis étaient plus susceptibles de signaler un trouble de l’érection. En outre, sa rapidité d’apparition était défavorable : par exemple, un engourdissement survenant moins de 1 heure après le début de la pratique cycliste avait plus de probabilité d’entraîner une DE que s’il apparaissait après 5 heures (OR = 2,002 ; p = 0,032). De même, les douleurs génitales survenant moins de 1 heure après le cyclisme étaient associées à un risque accru de DE (OR = 2,466 ; p = 0,031).

Le risque d’engourdissement périnéal est réduit lorsque le cycliste est en position debout sur les pédales pendant plus de 20 % de la durée de son parcours.13

Le mécanisme évoqué est la compression par la selle du nerf dorsal du pénis (ou du clitoris), contre le bord inférieur du pubis.14-15 Les modélisations en trois dimensions bassin/selle suggèrent que le site le plus probable de compression se situe immédiatement sous la symphyse pubienne, surtout lorsque la personne est penchée en avant :16 pour un coureur en position debout, il n’y a pas de compression entre le siège et le bassin osseux ; en revanche, s’il se penche partiellement en avant, l’espace selle/symphyse est réduit à 73 mm2 avec une selle standard et à 259 mm2 avec une selle creuse ; enfin, s’il se penche complètement en avant, il n’y a plus aucun espace en cas de selle standard et cet espace est réduit à 51 mm2 avec une selle creuse.

Cette compression retentit sur le nerf dorsal du pénis mais aussi sur la vascularisation du pénis par compression possible de l’artère pudendale interne responsable d’une hypoxie pénienne. La pression artérielle pénienne décroît de 126 à 7 mmHg après 5 minutes de position assise sur la selle, et revient à la normale après 10 minutes de position debout sur les pédales.17

Ainsi, la compression par la selle s’exerçant contre le bord inférieur de la symphyse pubienne, elle peut toucher les organes génitaux externes, mais non la prostate qui est située bien au-dessus. La pratique du vélo en elle-même ne comprime donc pas la prostate, et n’a pas d’effet sur le PSA, ni sur les symptômes mictionnels qui peuvent lui être liés.

La pratique du vélo en elle-même ne comprime donc pas la prostate et n’a pas d’effet direct sur le PSA ni sur les symptômes mictionnels qui peuvent lui être liés.18-19

Qu’en retenir pour la pratique ?

Trois messages à donner aux patients :

  • La selle ne comprime pas la prostate.
  • Ce n’est pas le vélo qui peut modifier le taux de PSA mais l’effort physique. Un effort bref et intense peut élever la testostérone et par conséquent le PSA, alors qu’un effort soutenu et en endurance peut les baisser.
  • La pratique du cyclisme même intensif n’augmente pas le risque de maladies prostatique, ni d’hypertrophie bénigne de la prostate, ni de cancer de la prostate, ni de prostatite.
 

En pratique, lorsqu’un patient consulte avec un taux de PSA anormal en vous disant que cette élévation est sans doute due aux 120 km qu’il a parcourus à vélo la veille du dosage, ne vous arrêtez pas sur cette explication. En plus de l’examen clinique (toucher rectal), il faut contrôler le PSA après 15 jours sans vélo, et si l’élévation persiste demander un bilan prostatique par IRM.

Si votre patient se plaint d’engourdissement périnéal, le conseil à lui donner est de privilégier une selle creuse, d’éviter les positions prolongées en avant et de penser à pédaler debout sur les pédales, « en danseuse », 20 % du temps, par périodes de 10 minutes.

Références
1. Prestigiacomo AF, Stamey TA. Physiological variation of serum prostate specific antigen in the 4.0 to 10.0 ng./ml. range in male volunteers.  J Urol 1996;155(6):1977-80.
2. Uzun H, Arpa M. The impact of diurnal variation of PSA on timing of measurement in prostate biopsy.  Prostate 2019;79(14):1666-72.
3. Tariel E, Desgrandchamps F. Thèse d'exercice de médecine : effet d'une course cycliste sur le taux de PSA. Paris 7 Université Paris-Diderot – UFR de médecine 2004.
4. Jiandani D, Randhawa A, Brown RE, et al. The effect of bicycling on PSA levels: a systematic review and meta-analysis.  Prostate Cancer Prostatic Dis 2015;18(3):208-12.
5. Derbré F, Vincent S, Maitel B, et al. Androgen responses to sprint exercise in young men.  Int J Sports Med 2010, 31(5):291-7.
6. Daly W, Seegers CA, Rubin DA, et al. Relationship between stress hormones and testosterone with prolonged endurance exercise.  Eur J Appl Physiol 2005;93(4):375-80.
7. Sgrò P, Romanelli F, Felici F, et al. Testosterone responses to standardized short-term sub-maximal and maximal endurance exercises: issues on the dynamic adaptive role of the hypothalamic-pituitary-testicular axis.  J Endocrinol Invest 2014;37(1):13-24.
8. Yuan JJ, Coplen DE, Petros JA, et al. Effects of rectal examination, prostatic massage, ultrasonography and needle biopsy on serum prostate specific antigen levels.  J Urol 1992;147(3 Pt 2):810-4.
9. Gregorakis AK, Stefanakis S, Malovrouvas D, et al. Total and free PSA kinetics in patients without prostate cancer undergoing radical cystoprostatectomy.  Prostate 2008;68(7):759-65
10. Litwinowicz K, Choroszy M, Wróbel A. Strategies for Reducing the Impact of Cycling on the Perineum in Healthy Males: Systematic Review and Meta-analysis.  Sports Med 2021;51(2):275-87.
11. Greenberg DR, Khandwala YS, Breyer BN, et al. Genital Pain and Numbness and Female Sexual Dysfunction in Adult Bicyclists.  J Sex Med 2019;16(9):1381-9.
12. Balasubramanian A, Yu J, Breyer BN, et al. The Association Between Pelvic Discomfort and Erectile Dysfunction in Adult Male Bicyclists.  J Sex Med 2020;17(5):919-29.
13. Awad MA, Gaither TW, Murphy GP, et al. Cycling, and Male Sexual and Urinary Function: Results from a Large, Multinational, Cross-Sectional Study. J Urol 2018;199(3):798-804.
14. Sedý J, Nanka O, Belisová M, et al. Sulcus nervi dorsalis penis/clitoridis: anatomic structure and clinical significance.  Eur Urol 2006;50(5):1079-85.
15. Nanka O, Sedý J, Jarolím L. Sulcus nervi dorsalis penis: site of origin of Alcock's syndrome in bicycle riders? Med Hypotheses 2007;69(5):1040-5.
16. Gemery JM, Nangia AK, Mamourian AC, et al. Digital three-dimensional modelling of the male pelvis and bicycle seats: impact of rider position and seat design on potential penile hypoxia and erectile dysfunction.  BJU Int 2007;99(1):135-40.
17. Kerstein MD, Gould SA, French-Sherry E, et al. Perineal trauma and vasculogenic impotence.  J Urol 1982;127(1):57.
18. Kim DG, Kim DW, Park JK. Does bicycle riding impact the development of lower urinary tract symptoms and sexual dysfunction in men?  Korean J Urol 2011;52(5):350-4.
19. Baek S, Lee SY, Kim JM, et al. Bicycle riding: impact on lower urinary tract symptoms and erectile function in healthy men.  Int Neurourol J 2011;15(2):97-101.

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essentiel

  La pratique du cyclisme n’a pas d’effet direct sur le PSA. C’est l’intensité et la durée de l’effort qui peuvent en faire varier le taux, par l’intermédiaire de son action sur la testostérone.

  La pratique du cyclisme, même intensive, ne comprime pas la prostate en elle-même et n’augmente pas le risque de maladies prostatiques, ni d’hypertrophie bénigne de la prostate, ni de cancer de la prostate, ni de prostatite.

  Pour une pratique régulière du vélo, il faut privilégier une selle creuse et pédaler debout 20 % du temps, par période de dix minutes.