Les cancers localisés de la prostate n’étant pas tous agressifs, on préconise aujourd’hui une surveillance « active » de ceux peu évolutifs, et un traitement d’emblée (chirurgie ou radiothérapie) pour les autres. Une étude britannique menée à l’échelle nationale parue dans le NEJM pourrait remettre en cause cette stratégie... Le point avec le Pr François Desgrandchamps, chef du service d’urologie, hôpital Saint-Louis, Paris.

ProtecT : une mortalité comparable après un suivi de 15 ans

La prise en charge d’un cancer de la prostate localisé demeure controversée : entre radiothérapie ou prostatectomie d’emblée et surveillance active, quelle stratégie s’avère la plus efficace ? Des chercheurs britanniques ont mené une étude de cohorte d’envergure nationale, dont les résultats ont été publiés mi-mars dans le NEJM.

Cette étude se fonde sur la cohorte Prostate testing for cancer and Treatment (ProtecT), dans laquelle 82 429 hommes britanniques de 50 à 69 ans ont été enrôlés entre 1999 et 2009. Parmi eux, 2 664 ont eu un diagnostic de cancer de la prostate localisé, à un âge médian de 62 ans. Le taux de PSA moyen était de 4,6 ng/mL au diagnostic ; 1 643 de ces patients – dont 77 % avaient une maladie à faible risque, avec un score de Gleason 6 (3+3) – ont été randomisés en trois groupes. Dans le groupe « surveillance active » (n = 545 personnes), aucune intervention n’était menée (mais une augmentation de 50 % du taux de PSA sur 1 an entraînait une révision de la prise en charge, pouvant inclure la prostatectomie ou la radiothérapie). Le groupe prostatectomie (n = 553) subissait l’intervention chirurgicale, tandis que, dans le 3e groupe, 545 personnes étaient traitées par radiothérapie. Le critère de jugement principal était la mortalité causée par le cancer de la prostate, déterminée par un comité indépendant de chercheurs. 

Si les traitements (prostatectomie ou radiothérapie) ont réduit de moitié l’incidence des métastases, de la progression locale et de la suppression androgénique au long cours par rapport à la surveillance active, ces diminutions ne se sont pas traduites par des différences de mortalité (probablement en lien avec les effets indésirables de ces thérapies invasives menées précocement).

En effet, après un suivi médian de 15 ans, le décès par cancer de la prostate a touché 17 patients du groupe en surveillance active (3,1 %), 12 patients du groupe prostatectomie (2,2 %), et 16 patients du groupe radiothérapie (2,9 %), soit des différences jugées non significatives par les auteurs. De même, la mortalité toutes causes confondues était similaire entre les trois groupes. 

Une démarche au cas par cas

L’avis du Pr François Desgrandchamps, hôpital Saint-Louis, Paris

Les résultats de cette étude apportent d’importants éléments de réflexion sur la prise en charge du cancer de la prostate et sur l’intérêt de son dépistage.

Depuis 20 ans, on sait que tous les cancers de la prostate ne sont pas évolutifs, et que l’on peut simplement surveiller (surveillance active) les cancers dits non significatifs. Pour pouvoir surveiller un patient chez lequel un cancer de la prostate a été découvert, sans risquer de perte de chance de guérison, on considère jusqu’à présent que le critère principal est le grade de ce cancer : on réserve la surveillance active aux patients dont le cancer est de grade ISUP 1 (ISUP 1 dans une échelle qui va de 1 à 5, anciennement appelé Gleason 6 (3+3)), ce qui représente entre un tiers et la moitié des cancers actuellement diagnostiqués. Pour les autres, un traitement curatif est recommandé sur la base de nombreuses données historiques de survie.

Les résultats présentés dans cette étude sont de nature à pouvoir remettre en cause cette stratégie de prise en charge en favorisant un élargissement des critères de surveillance, puisque celle-ci semble faire jeu égal en termes de mortalité spécifique avec les traitements curatifs de référence, prostatectomie radicale ou irradiation stéréotaxique, avec moins de risque de séquelles sexuelles ou urinaires.

Cependant, même si elle est faible dans l’absolu, la mortalité par cancer dans cette cohorte n’est pas acceptable et cette étude n’apporte malheureusement pas de critère de prédiction pour savoir quel patient est à risque de progression.

Ainsi, cette étude ne remet pas en cause le dépistage du cancer de la prostate mais souligne que la décision de traitement doit être individuelle. Elle confirme le bien-fondé de la surveillance des cancers peu agressifs, et permettra sans doute de pouvoir envisager une extension des critères de surveillance, en fonction des caractéristiques de la tumeur dépistée mais aussi des caractéristiques individuelles du patient.

En conclusion, le cancer de la prostate reste une maladie avec beaucoup d’inconnues, mais plus que jamais, cette étude souligne que sa prise en charge résulte d’une démarche individuelle entre le praticien et son patient.

Pour en savoir plus
Hamdy FC, Donovan JL, Lane JA, et al. Fifteen-year outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for prostate cancer. NEJM, 11 mars 2023.
Sartor O. Localized Prostate Cancer—Then and Now. NEJM, 11 mars 2023.
Barbat V. Dépistage du cancer de la prostate : guide de survie pour le MG. Rev Prat (en ligne), décembre 2021.

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