Quelle que soit sa cause, un prurit chronique peut évoluer de façon autonome et être responsable de nodules cutanés et d’un fort retentissement psychologique. Une meilleure compréhension de la physiopathologie débouche désormais sur de nouvelles possibilités thérapeutiques.

D’après : Misery L. Prurigo nodulaire.  Rev Prat 2020;70(2);187-9.

Prurigo chronique : une maladie autonome

Le concept de prurigo était très variable selon les pays ; une task force de l’EADV a été constituée, sa tâche étant d’obtenir un consensus sur une définition.1,2 Une première notion importante dégagée est qu’il faut considérer le prurigo chronique comme une maladie autonome,3 définie par la présence d’un prurit chronique depuis au moins 6 semaines, des antécédents et/ou des signes de grattage répété et de multiples lésions cutanées prurigineuses localisées ou généralisées (papules blanchâtres ou rosées, nodules et/ou plaques).3 Il faut bien comprendre que le prurit chronique a une évolution et des facteurs physiopathologiques qui lui sont propres, quelle que soit son origine initiale. Il survient à cause d’une sensibilisation neuronale au prurit et du développement d’un cercle vicieux prurit-grattage. Les mécanismes en cause sont la sensibilisation périphérique (hyperexcitabilité des terminaisons nerveuses cutanées, qui est augmentée par le grattage chronique) et la sensibilisation centrale au prurit (diminution des contrôles inhibiteurs par les interneurones dans la moelle épinière et des modifications de la connectivité cérébrale).

Cinq formes cliniques ou types sont décrits :1,2 le prurigo chronique peut être papuleux, nodulaire, en plaques, ombiliqué ou linéaire. Ces différents types peuvent coexister ou se succéder. Le prurigo nodulaire est la forme la plus fréquente.

Aspects cliniques, causes et conséquences

Le prurigo nodulaire se caractérise par un prurit intense et des lésions nodulaires dont la taille varie de quelques millimètres à quelques centimètres (fig. 1 et 2). Ces nodules peuvent avoir la couleur de la peau, être érythémateux ou pigmentés. Ils peuvent être plus ou moins excoriés. La distribution des lésions est habituellement symétrique, avec une prédominance aux faces d’extension des membres. L’atteinte devient vite diffuse, la zone la moins atteinte étant une zone en forme de papillon dans le dos car peu atteignable par le grattage. Paumes, plantes et plis sont rarement atteints.

Contrairement aux idées reçues, le prurigo nodulaire n’est pas spécialement d’origine atopique ou psychogène. À côté de ces causes, on peut en trouver un grand nombre d’autres, telles que le diabète, les neuropathies des petites fibres, une cholestase hépatique, des hémopathies ou des cancers… Un facteur causal doit être recherché mais les formes idiopathiques sont nombreuses. Quoi qu’il en soit, le traitement étiologique est souvent insuffisant puisque le prurigo nodulaire évolue par lui-même.

Le retentissement est majeur. Du fait du grattage, le prurigo nodulaire peut aussi être le siège de surinfections bactériennes.

Quelle prise en charge ?

Les traitements les plus prescrits sont les antihistaminiques, les antidépresseurs, les gabapentinoïdes et les immunosuppresseurs mais les effets de ces traitements restent souvent décevants.

Une revue systématique portant sur les articles parus entre janvier 1990 et mars 2018 a retenu 35 études (sur 706 références trouvées) :3 15 études prospectives, 11 études rétrospectives, 8 essais cliniques randomisés et une série de plus de 5 cas. Les niveaux de preuve (que nous indiquons entre parenthèses) sont variables. Cinq études concernent les traitements topiques : bétaméthasone (1b), calcipotriol (1b), tacrolimus (2b), pimécrolimus (1b) et capsaïcine (2b). Huit concernent la photothérapie : PUVA (1b), UVB (2b), UVA (2b), lampe Excimer à 308 nm (1b). Les autres concernent les traitements systémiques : thalidomide (2b), ciclosporine (4), méthotrexate (4), prégabaline (2b), amitriptyline (2b), paroxétine (2b), fluvoxamine (2b), aprépitant (3) et serlopitant (1b). Les guidelines européennes sur le prurit chronique recommandent les traitements topiques suivants :4 capsaïcine, tacrolimus, pimécrolimus, acide acétylsalicylique et doxépine. Les dermocorticoïdes ne doivent être utilisés qu’en cas de lésion inflammatoire. Les émollients contenant du polidocanol ou du menthol (ou ses dérivés) et, dans une moindre mesure, ceux qui contiennent du camphre ou du zinc auraient aussi une place. Quant aux traitements systémiques, seraient retenus les antihistaminiques, les gabapentinoïdes, les antidépresseurs, la thalidomide, la ciclosporine, le méthotrexate, l’azathioprine, les antagonistes des récepteurs NK1 et les opiacés antagonistes des récepteurs µ ou agonistes des récepteurs k. À ces options thérapeutiques, il faudrait ajouter la photothérapie et la prise en charge psychosomatique.

Nous proposons une prise en charge par paliers en fonction des possibilités actuelles et facilement accessibles dans le tableau ci-contre. Il ne faut pas hésiter à adresser les patients à un dermatologue, voire à un centre expert sur le prurit si la prise en charge devient trop difficile.

De nombreux essais cliniques et des traitements émergents pourraient révolutionner nos pratiques. Parmi ceux-ci : le némolizumab (inhibiteur du récepteur de l’interleukine 31),5 les inhibiteurs du récepteur NK1 (en particulier le serlopitant), les agonistes des récepteurs k (nalbuphine) et le dupilumab (inhibiteur des interleukines 4 et 13, déjà commercialisé pour la dermatite atopique).

Références

1. Pereira MP, Steinke S, Zeidler C, et al. Europea Academy of Dermatology and Venereology European Prurigo Project: expert consensus on the definition, classification and terminology of chronic prurigo.  J Eur Acad Dermatol Venereol 2018;32(7):1059-65.
2. Pereira MP, Zeidler C, Nau T, et al. Position statement: Linear prurigo is a subtype of chronic prurigo.  J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33(2):263-6.
3. Qureshi AA, Abate LE, Yosipovitch G, et al. A systematic review of evidence-based treatments for prurigo nodularis.  J Am Acad Dermatol 2019;80(3):756-64.
4. Weisshaar E, Szepietowski JC, Dalgard F, et al. European S2k guideline on chronic pruritus.  Acta Derm Venereol 2019;99(5):469-506.
5. Ständer S, Yosipovicth G, Legat FJ, et al. Trial of Nemolizumab in Moderate-to-Severe Prurigo Nodularis.  N Engl J Med 2020;382(8):706-16.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés