Quelle que soit sa cause, un prurit chronique peut évoluer de façon autonome et être responsable de nodules cutanés et d’un fort retentissement psychologique.
Sensation bien différente de la douleur mais tout aussi difficile à vivre, le prurit se définit comme une sensation désagréable conduisant au besoin de se gratter, que l’on se gratte ou non.1 La recherche dans ce domaine étant devenue très dynamique, une meilleure compréhension de la physiopathologie débouche désormais (ou plutôt dans un futur proche) sur un grand nombre de nouvelles possibilités thérapeutiques.

Prurigo chronique

Le concept de prurigo était très vague et donc très variable selon les pays, comme l’a montré une étude auprès de membres de l’European Academy of Dermatology and Venereology (EADV).2 C’est pourquoi une task force de l’EADV a été constituée, sa première tâche étant d’obtenir un consensus sur une définition, une classification et une terminologie sur le prurigo chronique3, 4 qui soient communes et fassent donc autorité.
Une première notion importante ­dégagée par ce consensus d’experts est qu’il faut considérer le prurigo chronique comme une maladie autonome.3 Le prurigo chronique est ainsi une maladie distincte définie par la présence d’un prurit chronique depuis au moins 6 semaines, des antécédents et/ou des signes de grattage répété et de multiples lésions cutanées prurigineuses ­localisées ou généralisées (papules blanchâtres ou rosées, nodules et/ou plaques).3 Le prurit chronique survient à cause d’une sensibili­sation neuronale au prurit et du ­développement d’un cercle vicieux prurit-grattage. Le prurigo chronique peut être d’origine dermato­logique, systémique, neurologique, psychiatrique/psychosomatique, mixte ou indéterminée.
Ces deux dernières phrases sont incluses dans la définition,3 ce qui souligne leur importance. Il faut en effet bien comprendre que le prurit chronique a une évolution et des facteurs physiopathologiques qui lui sont propres, quelle que soit l’origine initiale du prurit. Les mécanismes en cause sont la sensibilisation péri­phérique et la sensibilisation centrale au prurit. La sensibilisation périphérique est liée à une hyper­excitabilité des terminaisons nerveuses cutanées, qui est augmentée par le grattage chronique. La sensibilisation centrale est liée à une diminution des contrôles inhibiteurs par les interneurones dans la moelle épinière et à des modifications de la connectivité cérébrale.
Cinq formes cliniques ou types sont décrits :3, 4 le prurigo chronique peut être papuleux, nodulaire, en plaques, ombiliqué ou linéaire. Ces différents types peuvent coexister ou se succéder. Le prurigo nodulaire est la forme la plus fréquente et habituellement la forme ultime.

Aspects cliniques, causes et conséquences

Le prurigo nodulaire se caractérise par un prurit intense et des lésions nodulaires dont la taille varie de quelques millimètres à quelques centimètres (fig. 1 et 2). Ces nodules peuvent avoir la couleur de la peau, être érythémateux ou pigmentés. Ils peuvent être plus ou moins excoriés. La distribution des lésions est habituellement symétrique, avec une prédominance aux faces d’extension des membres. L’atteinte devient vite diffuse, la zone la moins atteinte étant une zone en forme de papillon dans le dos car peu atteignable par le grattage. Paumes, plantes et plis sont aussi rarement atteints.
Contrairement aux idées reçues, le prurigo nodulaire n’est pas spécialement d’origine atopique ou psychogène. À côté de ces causes, on peut en trouver un grand nombre d’autres, telles que le diabète, les neuropathies des petites fibres, une cholestase hépatique, des hémopathies ou des cancers… et bien d’autres. Un facteur causal doit être recherché mais les formes idiopathiques sont nombreuses. Quoi qu’il en soit, le traitement étiologique est souvent insuffisant puisque le prurigo nodulaire évolue par lui-même.
Le retentissement du prurigo nodulaire est majeur puisqu’une étude européenne a montré que le retentissement sur la qualité de vie et la présence d’une comorbidité ­psychiatrique (dépression, anxiété, idées suicidaires) étaient les plus importants parmi les dix maladies dermatologiques étudiées chez 3 635 patients dans 13 pays d’Europe.5 Du fait du grattage, le prurigo nodulaire peut aussi être le siège de surinfections bactériennes.

Quelle prise en charge ?

L’enquête auprès de membres de l’EADV a montré que les traitements les plus fréquemment prescrits étaient les antihistaminiques, les ­antidépresseurs, les gabapentinoïdes et les immunosuppresseurs mais que les effets de ces traitements restaient souvent décevants.2
Une revue systématique portant sur les articles parus entre janvier 1990 et mars 2018 a retenu 35 études (sur 706 références trouvées) :6 15 études prospectives, 11 études rétrospectives, 8 essais cliniques randomisés et une série de plus de 5 cas. Les niveaux de preuve (que nous indiquons entre parenthèses) sont variables. Cinq études concernent les traitements topiques : bétaméthasone (1b), calcipotriol (1b), tacrolimus (2b), pimécrolimus (1b) et capsaïcine (2b). Huit concernent la photothérapie : PUVA (1b), UVB (2b), UVA (2b), lampe Excimer à 308 nm (1b). Les autres concernent les traitements systémiques : thalidomide (2b), ciclosporine (4), méthotrexate (4), préga­baline (2b), amitriptyline (2b), paroxétine (2b), fluvoxamine (2b), aprépitant (3) et serlopitant (1b). Citons parmi celles-ci la récente étude rétrospective française sur le méthotrexate.7
Les guidelines européennes sur le prurit chronique recommandent les traitements topiques suivants :8 capsaïcine, tacrolimus, pimécrolimus, acide acétylsalicylique et doxépine. Les dermocorticoïdes ne doivent être utilisés qu’en cas de lésion inflammatoire. Les émollients contenant du polidocanol ou du menthol (ou ses dérivés) et, dans une moindre mesure, ceux qui contiennent du camphre ou du zinc auraient aussi une place. Quant aux traitements systémiques, seraient retenus les antihistamininiques, les gabapentanoïdes, les antidépresseurs, la thalidomide, la ciclosporine, le méthotrexate, l’azathioprine, les antagonistes des récepteurs NK1 et les opiacés antagonistes des récepteurs µ ou agonistes des récepteurs k. À ces options thérapeutiques, il faudrait ajouter la photothérapie et la prise en charge psychosomatique.
Nous proposons une prise en charge par paliers en fonction des possibilités actuelles et facilement accessibles dans le tableau ci-contre. Il ne faut pas hésiter à adresser les patients à un dermatologue, voire à un centre expert sur le prurit si la prise en charge devient trop difficile.

Beaucoup d’espoir

De nombreux essais cliniques et des traitements émergents pourraient révolutionner nos pratiques. Parmi ceux-ci, il faut en particulier citer le némolizumab (inhibiteur du récepteur de l’interleukine 31),9 les inhibiteurs du récepteur NK1 (en particulier le serlopitant, l’aprépitant étant décevant), les agonistes des récepteurs k (en particulier la nalbuphine) et le dupilumab (inhibiteur des interleukines 4 et 13, déjà commercialisé pour la dermatite atopique).10
Références
1. Misery L, Ständer S. Pruritus. Londres: Springer, 2016.
2. Pereira MP, Basta S, Moore J, Ständer S. Prurigo nodularis: a physician survey to evaluate current perceptions of its classification, clinical experience and unmet need. J Eur Acad Dermatol Venereol 2018;32:2224-9.
3. Pereira MP, Steinke S, Zeidler C, et al. Europea Academy of Dermatology and Venereology European Prurigo Project: expert consensus on the definition, classification and terminology of chronic prurigo. J Eur Acad Dermatol Venereol 2018;32:1059-65.
4. Pereira MP, Zeidler C, Nau T, et al. Position statement: Linear prurigo is a subtype of chronic prurigo. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33:263-6.
5. Brenaut E, Halvorsen JA, Dalgard FJ, et al. The self-assessed psychological comorbities of prurigo in European patients: a multicenter study in 13 countries. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33:157-62.
6. Qureshi AA, Abate LE, Yosipovitch G, Friedman AJ. A systematic review of evidence-based treatments for prurigo nodularis. J Am Acad Dermatol 2019;80:756-64.
7. Klejtman T, Beylot-Barry M, Joly P, et al. Treatment of prurigo with methotrexate: a multicentre retrospective study of 39 cases. J Eur Acad Dermatol Venereol 2018;32:437-40.
8. Weisshaar E, Szepietowski JC, Dalgard F, et al. European S2k guideline on chronic pruritus. Acta Derm Venereol 2019;99:469-506.
9. Ständer S, Yosipovicth G, Legat FJ, et al. Phase 2 study of nemolizumab in adults with moderate-severe prurigo nodularis and severe pruritus. N Engl J Med, sous presse.
10. Calugareanu A, Jachiet J, Tauber M, et al. ;  French Group of Research and Study in Atopic Dermatitis (Groupe de recherche sur l’eczéma atopique, GREAT) from the French Society of Dermatology (SFD) . Effectiveness and safety of dupilumab for the treatment of prurigo nodularis in A French multicenter adult cohort of 16 patients. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019. doi: 10.1111/jdv.15957

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Résumé

Le prurigo nodulaire est la forme la plus sévère de prurigo chronique. Des nodules disséminés, prédominant aux 4 membres, sont associés à un prurit intense et à des excoriations cutanées. Quelle que soit la cause initiale, il s’agit d’une maladie autonome liée à une sensibilisation au prurit (sur le modèle de la sensibilisation à la douleur). Le retentissement est souvent majeur. La prise en charge se fait par paliers mais nécessite souvent un avis spécialisé. La recherche offre des perspectives thérapeutiques intéressantes.