Objectifs
Connaître les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
Connaître les principes de la prise en charge
Le prurit est un signe fonctionnel se définissant comme « une sensation désagréable conduisant au besoin de se gratter ». Il peut être localisé ou généralisé. L’altération de la qualité de vie qui en résulte, surtout quand il est chronique, est majeure et aussi importante que dans la douleur.

Physiopathologie

Les mécanismes physiopathologiques du prurit sont encore imparfaitement connus, mais des avancées ­importantes dans leur compréhension ont eu lieu ces ­dernières années. Le prurit naît à la jonction dermo-­épidermique, au niveau de récepteurs cutanés spécifiques, et il est transmis par des fibres C non myélinisées.
L’histamine n’est pas toujours impliquée, et les médiateurs du prurit sont très nombreux. La naissance d’un prurit, si elle a lieu généralement au niveau cutané, peut aussi survenir à des niveaux supérieurs : nerveux, médullaire ou cérébral. Il existe une voie spécifique de cheminement du prurit, différente de celle de la douleur, de la sensibilité thermique et de la mécanosensibilité.
Au niveau cérébral, il n’y a pas de centre unique du prurit. L’information arrive dans différentes aires sensitives mais aussi affectives et motrices qui sont activées simultanément et ont pu être identifiées grâce à l’imagerie cérébrale fonctionnelle.

Démarche diagnostique

Devant une sensation cutanée anormale, il faut d’abord s’assurer qu’il s’agit bien d’un prurit et non de sensations cutanées voisines, comme des douleurs, des paresthésies ou des dysesthésies.
L’appréciation des aspects qualitatifs du prurit est ensuite fondée sur l’interrogatoire et l’examen clinique.
L’interrogatoire doit préciser les caractéristiques du prurit :
  • date et mode de début (brutal ou progressif) ;
  • facteurs déclenchants (stress, irritants...) ;
  • évolution (aiguë, paroxystique ou chronique) ;
  • chronologie (heure de la journée, période de l’année) ;
  • intensité (gêne dans le travail, la vie quotidienne, la vie affective ou le sommeil) ;
  • topographie et extension ;
  • facteurs aggravants (hypersudation, sport, bains, douches, repas) ou calmants (froid, détente) ;
  • contexte associé (maladies, toxiques) ;
  • liens avec des signes objectifs (avant, pendant ou après les signes cutanés) ;
  • existence ou non d’un prurit collectif ;
  • effets des traitements.
La mesure de l’intensité du prurit se fait volontiers sur une échelle visuelle analogique, de 0 à 10, ou sur une échelle numérique, de 0 à 10. Le retentissement physique et psychique sur la vie quotidienne doit aussi être évalué.
L’examen clinique peut montrer des lésions de grattage : des excoriations (fig. 1) [linéaires ou arrondies, plus ou moins profondes], des papules ou des nodules de prurigo, des lésions de dermographisme, une lichénification (peau épaissie grisâtre recouverte de fines squames dessinant un quadrillage).
Devant un patient présentant un prurit, il est important d’avoir une démarche diagnostique structurée (fig. 2). La première étape est de chercher des lésions spécifiques qui orientent vers une cause dermatologique. Ces lésions peuvent être, par exemple :
  • des plaques érythématosquameuses des coudes et des genoux dans le cadre d’un psoriasis ;
  • des plaques érythémateuses suintantes des plis dans le cadre d’une dermatite atopique ;
  • des papules œdémateuses fugaces et migratrices dans le cadre d’une urticaire ;
  • des papules violines à la face antérieure des poignets dans le cadre d’un lichen plan ;
  • une éruption faite de bulles, érosions post-bulleuses et placards urticariens dans le cadre d’une pemphigoïde bulleuse.
Parfois, les lésions sont moins évidentes, et un examen dermatologique minutieux est nécessaire, par exemple pour visualiser des sillons au niveau des poignets et espaces interdigitaux pour faire le diagnostic de gale (qui doit toujours être suspecté face à un prurit de cause non évidente). Par ailleurs, la xérose cutanée est toujours un facteur aggravant à rechercher, même si elle n’est pas seule responsable du prurit.
D’autres signes cliniques (notamment des adénopathies, une hépatosplénomégalie) ou des signes généraux (altération de l’état général, sueurs nocturnes, par exemple) peuvent orienter vers une autre cause.

Diagnostic étiologique

Prurit dermatologique

Si l’examen montre des lésions cutanées, il s’agit d’un prurit de cause dermatologique. Le diagnostic étiologique du prurit est alors évident, comme dans la dermatite atopique, la gale, le psoriasis, etc. Les causes sont nombreuses, les principales sont énumérées dans le tableau 1. Dans certains cas (exceptionnels), comme la pemphigoïde bulleuse, le prurit peut précéder les lésions cutanées, c’est pourquoi il est utile de réaliser une biopsie cutanée avec immunofluorescence chez les sujets âgés dans cette hypothèse.
S’il n’y a pas de lésions spécifiques (mais il peut exister des lésions de grattage), il s’agit d’un prurit sine materia. Les causes peuvent alors être systémiques, neuropathiques ou psychogènes.

Prurit systémique

Les causes systémiques de prurit sont listées dans le tableau 2. L’interrogatoire et l’examen clinique peuvent suffire pour identifier une cause possible, mais un bilan paraclinique est souvent nécessaire. Il n’est pas codifié et doit être orienté par l’examen clinique mais un bilan minimal peut être proposé (tableau 3).
 

Cause médicamenteuse

Face à un prurit isolé, il est utile de rechercher une cause médicamenteuse. Le prurit sans toxidermie associée (c’est-à-dire sans éruption cutanée) peut apparaître plusieurs mois ou même plusieurs années après l’introduction du traitement. Il peut disparaître plusieurs semaines après l’arrêt du traitement incriminé. La causalité des médicaments dans un prurit sans lésion cutanée est toujours discutable et ne peut être confirmée que par l’éviction. Presque tous les médicaments peuvent induire un prurit, par des mécanismes physiopathologiques variés. Cependant, en sont plus fréquemment pourvoyeurs : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les sartans, les opiacés, les œstroprogestatifs. Les mécanismes sont assez mal connus : cholestase, activation des mastocytes ou des fibres nerveuses.
 

Cause rénale

Le prurit est lié à une insuffisance rénale chronique mais pas aiguë. Il serait présent chez 40 à 85 % des hémodialysés. Il n’y a pas de facteur favorisant connu et son origine reste mystérieuse, probablement non univoque. Il disparaît après transplantation rénale, et occasionnellement après dialyse.
 

Cause hépatique

Chez les patients avec une cholestase secondaire à une obstruction mécanique, un désordre métabolique ou une maladie inflammatoire, le prurit est un symptôme fréquent. Chez les patients avec une maladie infectieuse (hépatite B ou C) ou toxique (cirrhose alcoolique, par exemple), ce symptôme est moins habituel. Le prurit est un signe précoce de cholestase chronique (notamment dans la cirrhose biliaire primitive) qui peut précéder de plusieurs années les autres signes des hépatopathies. Il est souvent généralisé, prédominant sur les paumes et plantes. Le diagnostic est aisé, par le dosage sérique des phosphatases alcalines, des gamma-glutamyl-­transférases et de la bilirubine.
 

Cause hématologique

Le prurit généralisé est un signe classique (30 % des patients) et précoce des lymphomes, en particulier de Hodgkin, qu’il peut révéler. Il est souvent plus intense la nuit et commence aux membres inférieurs, avant d’être généralisé. Chez les sujets jeunes avec un prurit sine materia intense, il faut systématiquement y penser. Il peut aussi exister au cours d’autres lymphomes, ou moins fréquemment chez les patients avec des gammapathies. Au cours de la polyglobulie de Vaquez, le prurit existe dans plus de 50 % des cas. Il prend souvent, mais pas toujours, la forme d’un prurit aquagénique (déclenché par un contact, même bref, avec l’eau). Il peut précéder le diagnostic de plusieurs années.
 

Cause endocrinienne ou métabolique

L’hyperthyroïdie (surtout la maladie de Basedow) et le diabète s’accompagnent d’un prurit dans un peu moins de 10 % des cas. Dans le diabète, il s’agit en fait souvent de paresthésies dans le cadre d’une neuropathie diabétique. Chez les patients avec une hypothyroïdie, le prurit est plutôt secondaire à la sécheresse cutanée. Le prurit est fréquent chez les patients avec une hyperparathyroïdie, mise en évidence par une hypercalcémie. La carence en fer est une cause relativement fréquente de prurit, généralisé ou ano-génital. Dans ces différents cas, les mécanismes physiopathologiques sont mal connus.
 

Cause infectieuse

Les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine peuvent présenter un prurit isolé, ou associé à des signes cutanés variés, comme une éruption papuleuse ou une folliculite éosinophilique. Isolé, ou associé à une hyperéosinophilie, le prurit peut révéler une parasitose, en particulier la toxocarose. Le bilan doit être orienté par le contexte : sérologies parasitaires et examen parasitologique des selles, surtout en cas de consommation de viande peu contrôlée ou d’antécédent de voyage dans des pays endémiques.
 

Prurit sénile

Ce diagnostic est posé chez un sujet de plus de 70 ans, après avoir éliminé toutes les autres causes.
Le prurit est déclenché par les stimuli habituels (chaleur, laine, etc.) ou permanents. Sa physiopathogénie est discutée et probablement multifactorielle : sécheresse cutanée, désafférentation, altération du stratum corneum. Son traitement est pratiquement impossible, alors que son retentissement peut être très important.
 

Prurit gravidique

Le prurit pendant la grossesse peut être secondaire à une dermatose, soit préexistante (comme la dermatite atopique ou le psoriasis), soit survenue pendant la grossesse (comme un eczéma de contact). Il peut aussi être spécifique de la grossesse (comme la pemphigoïde gestationnelle ou l’éruption polymorphe de la grossesse). Lorsqu’il ne s’accompagne pas d’éruption cutanée, il peut être dû à une cholestase, confirmée par l’élévation des transaminases et des sels biliaires sanguins. Il est surtout présent en fin de grossesse et guérit quelques jours après l’accouchement.

Prurit neuropathique

Plusieurs maladies du système nerveux peuvent induire un prurit. L’atteinte peut se situer au niveau du système nerveux central (tumeurs, abcès, anévrismes, accidents cérébrovasculaires, sclérose en plaques…), du système nerveux périphérique proximal (polyneuropathies périphériques, algie post-zostérienne, prurit brachioradial…) ou du système nerveux périphérique distal (neuropathies des petites fibres, prurit post-brûlure, cicatrices prurigineuses…). Des éléments sémiologiques peuvent alors orienter dans ce sens : topographie recoupant celle d’un territoire d’innervation ; association avec une douleur, une allodynie, des paresthésies, des sensations de décharges électriques ; association à une hyper­esthésie ou hypoesthésie ; aggravation par le contact avec le froid.

Prurit psychogène

Ce diagnostic doit être posé après élimination d’une cause organique et avec des éléments cliniques en faveur d’un trouble psychiatrique. Des critères diagnostiques ont été établis, car il est très important de ne pas attribuer de caractère psychogène à un prurit au seul motif qu’un bilan n’a pas été concluant. Quoi qu’il en soit, il existe une composante psychique pour tout prurit, organique ou non, dans la mesure où le vécu d’un prurit est très variable d’un sujet à l’autre, et souvent sans rapport avec l’intensité supposée en fonction de la cause.

Prurit idiopathique

Si l’ensemble de cette démarche diagnostique ne permet aucune conclusion, on retient alors le diagnostic de prurit idiopathique, qui n’est qu’un diagnostic d’attente. En effet, il faut savoir renouveler le bilan plus tard, et toujours avoir à l’esprit que des maladies graves, comme des lymphomes, peuvent se manifester pendant plusieurs années uniquement par un prurit sine materia.

Traitement

Traitement étiologique

Dans la mesure du possible, il faut supprimer la cause du prurit : traiter la dermatose sous-jacente (dermatite atopique, gale…) ou la cause systémique identifiée (cholestase, hémopathie…). Les médicaments suspects doivent être arrêtés si possible. En cas de prurit psychogène, les psychotropes ainsi que différentes formes de psychothérapie sont utiles.

Règles générales

Il faut éviter tout ce qui peut favoriser l’apparition ou l’exacerbation du prurit. Pour la toilette, préférer les douches courtes aux bains, éviter les savons acides et les antiseptiques, et privilégier les syndets ou les pains surgras ou les savons alcalins. Le coton est mieux adapté que d’autres textiles, et la laine est à éviter. Les vêtements trop serrés ou trop chauds doivent être proscrits. Afin d’éviter les lésions de grattage et la surinfection, les ongles doivent être coupés court. L’eau fraîche permet souvent de soulager le patient.

Traitements locaux

Les antiprurigineux locaux apportent souvent un soulagement temporaire mais appréciable. Des émollients doivent être appliqués après la toilette, ces applications pouvant être renouvelées dans la journée. L’éducation thérapeutique est importante : il faut apprendre au patient à remplacer le grattage par leur application, ce qui peut permettre de casser le cercle vicieux prurit-­grattage-prurit. Des préparations magistrales ou des dermocosmétiques à visée antiprurigineuse, contenant diverses molécules, peuvent être prescrits. Les corticoïdes locaux sont essentiellement efficaces sur les lésions inflammatoires et provoquées par le grattage, mais leur utilisation ne doit pas être prolongée ; ils ne sont pas recommandés en cas de prurit isolé.

Traitements généraux

Les antihistaminiques sont efficaces dans les pathologies médiées par l’histamine (comme l’urticaire) mais très peu, voire pas du tout, dans la majorité des prurits car l’histamine n’est pas le seul médiateur impliqué. Ils ne doivent donc pas être proposés.
Seuls les antihistaminiques sédatifs (notamment l’hydroxyzine) peuvent être utilisés en appoint le soir pour leur caractère sédatif. La photothérapie PUVA ou UVB peut être proposée dans certains cas. La prégabaline et la gabapentine sont habituellement prescrites dans les prurits neuropathiques.

Prise en charge psychologique

Les possibilités thérapeutiques actuelles ne permettent pas toujours une sédation complète du prurit. C’est pourquoi la psychothérapie de soutien est fondamentale. Dans tout prurit chronique, quelle que soit la cause, le retentissement sur la qualité de vie est souvent majeur et serait aussi important que pour les douleurs chroniques. Les techniques de relaxation et la psychothérapie peuvent être un complément très utile à la prise en charge.
Les recherches sur la physiopathologique du prurit et l’amélioration des connaissances devraient permettre l’élaboration de traitements plus spécifiques. 
Points forts
Prurit

POINTS FORTS À RETENIR

Le prurit se définit comme une sensation désagréable conduisant au besoin de se gratter.

Ce symptôme est présent dans de nombreuses dermatoses, comme la dermatite atopique, la gale, l’urticaire ou le psoriasis.

Lorsqu’il n’y a pas de lésions cutanées spécifiques, il s’agit d’un prurit sine materia pour lequel l’interrogatoire, l’examen clinique et quelques examens paracliniques contribuent à identifier la cause.

Les causes les plus fréquentes de prurit systémique sont les médicaments, l’insuffisance rénale chronique, la cholestase, les hémopathies, les dysthyroïdies.

Message auteur

Prurit

✓ Le prurit est un item à bien connaître, car c’est un symptôme fréquent qui peut s’intégrer à de nombreux dossiers.

✓ Il a fait l’objet d’un dossier à l’ECN en 2012 : patiente consultant pour un prurit diffus depuis six semaines avec, à l’examen initial, des lésions de grattage sur les membres supérieurs, les fesses, les seins. La première étape doit toujours être la recherche minutieuse de lésions dermatologiques spécifiques. Ici, son travail dans une collectivité (maison de retraite) était un élément pour rechercher une gale. Ce diagnostic peut être étayé par la présence d’un prurit dans l’entourage, et confirmé par la visualisation de lésions évocatrices, comme des sillons au niveau des poignets et des sillons interdigitaux ou des nodules scabieux sur les organes génitaux externes.

✓ Le prurit est un item qui peut s’intégrer aux dermatoses prurigineuses, comme dans le cas de la gale, et donc se référer à un item spécifique, en plus de l’item prurit.

✓ Le prurit pourrait aussi faire l’objet d’un dossier en lui-même, avec un patient se présentant pour un prurit isolé, ce qui amènerait à faire un bilan clinique puis paraclinique et identifier une cause générale. Le traitement symptomatique pourrait être demandé, en plus du traitement étiologique de la maladie diagnostiquée.

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