Le prurit anal (ou démangeaison) est une sensation qui provoque l’envie pressante de se gratter l’anus et la zone qui l’entoure. C’est un motif de consultation fréquent qui altère de manière significative la qualité de vie, notamment lorsqu’il évolue de longue date. Son incidence, évaluée entre 1 et 5 % de la population générale, est probablement sous-estimée car c’est un symptôme sous-exprimé par les patients et sous-diagnostiqué par les médecins.1
Les causes sont nombreuses. Cependant, dans 25 à 75 % des cas, aucune n’est retrouvée : le prurit anal est dit essentiel ou idiopathique (encadré 1).2

Causes proctologiques

Ce sont toutes les affections responsables de suintements anaux et de difficultés à l’essuyage.3
Classiquement, la maladie hémorroïdaire au stade de prolapsus de grade 4 ou de marisques hypertrophiques. Les topiques antihémorroïdaires, largement prescrits, aggravent les symptômes en favorisant la macération et/ou une réaction allergique locale qui peut brouiller le diagnostic.
Les suppurations (fistules, fissures infectées…) sont responsables de suintements purulents et/ou séro-hémorragiques.
Les suintements fécaux dus à une insuffisance sphinctérienne, une déformation anale post-chirurgicale, un défaut du réservoir (anastomose colo-anale, rectite radique, RCH) et/ou un trouble de la statique (prolapsus rectal, voire rectocèle), peuvent provoquer un prurit par difficulté à l’essuyage.
La fissure anale, notamment chronique et surmontée d’un capuchon mariscal, est moins souvent impliquée (la douleur domine).

Pathologies infectieuses

L’oxyurose, due à Enterobius vermicularis, survient surtout chez les enfants. Les oxyures sont visibles à l’examen de la marge anale et/ou du bas rectum par anu­scopie ou parfois par scotch test (montrant des œufs).
Les mycoses anales sont courantes. La candidose est impliquée dans environ 10 à 15 % des cas. Facteurs favorisants : diabète, obésité, antibiothérapie, déficit immunitaire, abus de corticoïdes locaux ou de savons acides, manque d’hygiène, transpiration et/ou macération. Une atteinte cutanée marginale est typique : érythémateuse, humide, recouverte parfois d’un enduit crémeux mal odorant, et limitée par une bordure pustuleuse ou une collerette desquamative. Les lésions s’étendent volontiers au pli interfessier et/ou aux organes génitaux, donnant un aspect en sablier ano-génital classique. Le Candida étant un germe saprophyte de l’anus, il faut identifier de nombreuses colonies sur le prélèvement local pour affirmer le diagnostic. Pour les dermatophyties périanales, beaucoup plus rares, on prélève à la curette des squames périphériques.
Les infections bactériennes sont moins fréquentes. L’anite streptococcique survient chez l’enfant (exceptionnelle chez l’adulte). Il s’agit le plus souvent d’une infection à streptocoque b-hémolytique du groupe A mais, chez l’adulte, elle peut être due à une souche du groupe B (commensal du tube digestif). Cliniquement fièvre, douleurs et atteinte érythémateuse périanale parfois érosive avec desquamation périphérique fine. Le diagnostic repose sur un prélèvement local ; toutefois, le staphylocoque et le streptocoque pyogène, souvent mis en évidence, sont plutôt en rapport avec une surinfection des lésions de grattage qu’avec le prurit lui-même.
Enfin, les condylomes, dus aux papillomavirus humains, le molluscum contagiosium (Poxviridae) et les réactivations herpétiques sont possibles.

Affections dermatologiques

Le psoriasis inversé (ou « des plis ») de la marge anale est fréquent (5 à 8 %).4 Des plaques rouges s’étendent souvent au sillon interfessier, de manière symétrique, avec des limites nettes ; la surface, généralement lisse, peut être finement squameuse et/ou fissuraire. Le diagnostic est évoqué devant d’autres lésions typiques (cuir chevelu, coudes, genoux, ongles), qu’il faut chercher, ou après analyse histologique.
L’eczéma périanal atopique/de contact,4 évolue au stade aigu sous la forme de lésions érythémateuses, œdémateuses, suintantes et vésiculeuses, notamment en périphérie ; en phase chronique, les atteintes sont lichénifiées, blanchâtres, épaissies et parfois érodées par le grattage. Facteurs déclenchants et/ou favorisants : excès d’hygiène avec produits et papier toilette irritants, topiques de tous types (antiseptiques, anesthésiques, antibiotiques, anti-inflammatoires, antihémorroïdaires, cicatrisants, voire dermocorticoïdes), sous-vêtements serrés, teintés, en nylon ou en tergal, et protections périodiques.
Le lichen plan est une cause moins fréquente mais classique de prurit récidivant.4 Il se manifeste par de discrètes petites papules plates polygonales violacées, avec un reflet brillant à jour frisant, siégeant volontiers sur la face antérieure des poignets, sur les jambes et le tronc. Avec le temps, elles fusionnent et forment des plaques hyperpigmentées, atrophiques, hyperkératosiques ou vésiculo-bulleuses. L’atteinte orale est retrouvée dans 50 % des cas (lésions linéaires réticulées, blanc bleuté : stries de Wickham, parfois érosives) et s’accompagne souvent d’une localisation génitale semblable. Le diagnostic est histologique.
Le lichen scléreux est une pathologie peu fréquente de la région ano-génitale,4 qui touche quasi exclusivement la femme après la ménopause. L’atteinte vulvaire, systématique, est évocatrice. Le prurit s’associe volontiers à des douleurs et des saignements. Les papules blanchâtres brillantes initiales s’étendent, en l’absence de traitement, formant un placard atrophique ano-vulvaire. Le diagnostic est confirmé par l’histologie. Un suivi dermatologique s’impose en raison du risque de transformation maligne.

Étiologies tumorales

La maladie de Bowen, lésion précancéreuse, est une néoplasie intra-épithéliale de haut grade, liée aux HPV. Elle touche surtout la femme ménopausée et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, a fortiori s’ils sont infectés par le VIH. Au niveau cutané, c’est une plaque érythémateuse, légèrement infiltrée, parfois recouverte de squames et de croûtes. Dans les muqueuses, les lésions peuvent être pigmentées, érythroplasiques ou leucoplasiques. L’analyse histologique fait le diagnostic.
La maladie de Paget extramammaire est rare et l’atteinte anale exceptionnelle.5 La clinique, trompeuse, peut évoquer un eczéma chronique. Elle se manifeste par un placard érythémato-squameux rouge vermeil, à limites nettes, infiltré. Parfois, la lésion est purement érythroplasique ou leucoplasique ou végétante. Le diag­nostic est histologique. Elle s’associe volontiers à un cancer profond colorectal, urogénital ou mammaire, à rechercher systématiquent.

Autres causes

Du fait de la proximité de l’anus à la sphère urogénitale, une augmentation des sécrétions vaginales (femme enceinte), des leucorrhées infectieuses ou une incontinence urinaire peuvent induire un prurit anal, comme la xérose cutanéomuqueuse de la femme ménopausée, liée à une insuffisance hormonale.
Certains médicaments per os (colchicine, quinidine, télaprévir, néomycine, nicorandil) ou en perfusion (gemcitabine) ont été également incriminés.
Enfin, des pathologies systémiques doivent être évoquées, notamment en cas de prurit généralisé sans lésions dermatologiques spécifiques : hyperbilirubinémie, Gougerot-Sjögren, dysthyroïdie, insuffisance rénale, polyglobulie.

Stratégie thérapeutique

La prise en charge est étiologique et symptomatique, associée à des mesures hygiénodiététiques (encadré 2). Si la cause est connue, un traitement spécifique doit être prescrit (figure).
Dans le cas contraire (prurit essentiel) : mesures hygiénodiététiques et dermo­corticoïdes en phase chronique. Un test thérapeutique par un vermifuge peut être parallèlement tenté, en raison de la fréquence de l’oxyurose.
En cas d’aspect atypique, d’échec ou de récidive rapide après dermocorticoïdes, un prélèvement à visée histologique doit être pratiqué pour ne pas méconnaître une affection tumorale (maladie de Bowen ou de Paget) ou dermatologique (lichen plan ou scléreux).

Encadre

1. Prurit anal essentiel ou idiopathique

Sa fréquence est estimée à près de 1 patient sur 2. Le diagnostic est retenu lorsqu’aucune cause n’est clairement identifiée (on peut suspecter par exemple une hyperhidrose locale après un effort physique important ou en raison d’un surpoids, une difficulté à l’essuyage due à une pilosité excessive…) ou si elle a disparu (diarrhée ou selles molles passagères).

Les démangeaisons déclenchées initialement sont alors auto-entretenues et volontiers responsables d’un passage à la chronicité. Parfois, une origine psychogène est évoquée, mais avec prudence. En effet, l’anxiété et le stress sont des facteurs déclenchants, et l’évolution chronique du prurit anal, qui peut altérer la qualité de vie du patient, aggrave davantage son équilibre psychique, instaurant un cercle vicieux.1

Prise en charge :

– mesures hygiénodiététiques (encadré 2) ;

en phase aiguë : assèchement des lésions suintantes (éosine aqueuse, fluorescéine, solution de Milian…) et crèmes émollientes. Si échec : dermo­corticoïdes faiblement dosés de classe 1 et 2 pendant 4 à 6 semaines au maximum ;

en phase chronique de lichénification : dermocorticoïdes hautement dosés de classe 3 et 4 + crèmes émollientes et protectrices (durée non consensuelle mais le plus souvent égale à la durée d’évolution du prurit avec une dégression progressive) ;

– parfois, une prise en charge psychologique concomitante est nécessaire.

Encadre

2. Prurit anal : importance des mesures hygiénodiététiques

Toilette anale après chaque défécation et exercice physique, de préférence à l’eau seule (douchette, bidet) ou avec des produits non irritants au pH physiologique : bien écarter le pli interfessier, nettoyer les plis péri-anaux, vérifier l’absence de matières dans les plis et sur les poils après la toilette, sécher soigneusement et doucement par tamponnement avec une serviette en coton ou à l’aide d’un sèche-cheveux à chaleur moyenne.

En cas d’hyperhidrose ou de pli interfessier profond, une lingette fine en coton est mise en place directement dans le pli interfessier en regard de l’anus.

Résister au prurit et couper les ongles.

Préférer les sous-vêtements amples et en coton plutôt que serrés et synthétiques.

Régulariser le transit intestinal (régime riche en fibres, laxatifs si besoin en évitant l’huile de paraffine qui peut être responsable de suintements fécaux).

Supprimer alcool, bière, chocolat, épices, thé, laitages, café et tomates, qui modifient le rythme et la consistance des selles.

Références

1. Markell KW, Billingham RP. Pruritus ani: etiology and management. Surg Clin North Am 2010;90:125-35.
2. Ansari P. Pruritus Ani. Clin Colon Rectal Surg 2016; 29:38-42.
3. Zuccati G, Lotti T, Mastrolorenzo A, Rapaccini A, Tiradritti L. Pruritus ani. Dermatol Ther 2005;18:355-62.
4. Nasseri YY, etr al. Pruritus ani: diagnosis and treatment. Gastroenterol Clin North Am 2013;42:801-13.
5. Fathallah N, et al. Une lésion anale persistante. Rev Prat 2018;68:531-5.

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essentiel

Une mycose est à évoquer en cas de prurit anal aigu avec une atteinte cutanée marginale évocatrice.

Les étiologies proctologiques sont fréquentes et facilement identifiables par l’examen clinique.

Principales causes dermatologiques : psoriasis inversé et eczéma périanal.

En cas de prurit anal essentiel : mesures hygiénodiététiques + dermocorticoïdes.