Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique dont l’expression est principalement cutanée et articulaire. Sa pathogénie implique des facteurs génétiques et environnementaux. C’est l’une des « grandes maladies » dermatologiques qui a bénéficié de progrès rapides et significatifs durant les dix dernières années. Le psoriasis, dont la prévalence est estimée à 3,58 % en France, peut débuter à toute période de la vie, à un âge moyen de 33 ans.1 Plusieurs formes cliniques de psoriasis sont possibles.
Tableaux cliniques : une grande diversité
Le diagnostic du psoriasis est clinique et ne nécessite pas de confirmation histologique, sauf dans de rares cas de présentation atypique. Le psoriasis en plaques, classique, n’est pas l’unique forme ; d’autres sont à connaitre.
Psoriasis en plaques, le plus fréquent
Le psoriasis en plaques (
Parfois isolées – une plaque de psoriasis isolée chez un sujet âgé sans antécédent de psoriasis doit faire évoquer un carcinome spinocellulaire –, souvent multiples, elles se répartissent sur le tronc et les membres de façon symétrique, avec une prédilection topographique : faces d’extension des coudes et des genoux, régions lombosacrée et prétibiale, cuir chevelu et ombilic. Les plaques sont surmontées de squames blanches, qui peuvent être fines (pityriasiques) ou très épaisses (psoriasiques). Sous les squames, la peau a une couleur homogène allant du rose saumon à un rouge plus ou moins intense. Le prurit est inconstant mais relativement fréquent et modéré.
Chez un même patient, les lésions sont généralement uniformes.
Le phénomène de Köbner, qui correspond au développement de nouvelles lésions aux sites de traumatismes mécaniques, est souvent observé lorsque la maladie est en phase active et inflammatoire.
Il existe des variants topographiques du psoriasis en plaques : le psoriasis inversé (plaques au niveau des plis inguinaux, interfessier, axillaires ; apparaissant peu ou non squameuses et brillantes) ; le psoriasis séborrhéique (lésions en regard des zones séborrhéiques, souvent intriqué avec une dermite séborrhéique) ; le psoriasis du cuir chevelu (
Les ongles souvent atteints
Le psoriasis unguéal (
Les signes cliniques sont principalement des dépressions ponctuées (en « dé à coudre »), des taches saumonées (coloration rose orangé des ongles), un décollement jaunâtre de la tablette (onycholyse) bordé d’un liseré érythémateux, une hyperkératose sous-unguéale entraînant un épaississement parfois considérable de l’ongle.
Psoriasis en gouttes, plutôt précoce
Le psoriasis en gouttes est surtout observé chez l’enfant et le jeune adulte. Il se manifeste par une efflorescence de lésions papuleuses érythématosquameuses de moins de 1 cm de diamètre prédominant sur le tronc et la racine des membres. Initialement peu squameuses, les lésions surviennent le plus souvent dans les quinze jours suivant un épisode infectieux : amygdalite ou pharyngite à streptocoque bêtahémolytique du groupe A (deux tiers des cas), infection virale. Elles se développent sur une période d’environ un mois, persistent un mois supplémentaire, puis sont spontanément résolutives, généralement au troisième ou quatrième mois. Seul un tiers des patients développerait à terme un psoriasis chronique en plaques.
Psoriasis pustuleux : gare au diagnostic différentiel !
Le psoriasis pustuleux (moins de 5 % des patients) peut être limité (pustulose palmoplantaire, plaques pustuleuses) ou généralisé (
Le principal diagnostic différentiel du psoriasis pustuleux généralisé est la pustulose exanthématique aiguë généralisée, toxidermie sévère (AINS, bêtalactamines, etc.) et dont les pustules prédominent initialement dans les plis avant de s’étendre.
Multifactorielle et évoluant par poussées
Sur un terrain génétique prédisposant, l’environnement et la réponse spécifique du patient aux facteurs environnementaux jouent un rôle initiateur. Les infections, le stress psychologique, les traumatismes physiques cutanés et de nombreux médicaments peuvent déclencher ou exacerber les lésions. Les principales molécules incriminées sont les sels de lithium et les bêtabloquants.
Une fois déclenché, le psoriasis persiste toute la vie et se manifeste par poussées. Entre chaque épisode, les lésions peuvent persister de manière chronique (psoriasis stable), régresser pour se limiter à des zones « bastions » (coudes, genoux, cuir chevelu) ou disparaître totalement en laissant parfois des séquelles hypo- ou hyperpigmentées transitoires.
Des rémissions spontanées surviendraient chez un tiers des patients. Elles sont plus fréquentes en été du fait de l’action favorable du soleil.
Sévérité et scores d’évaluation
Bien qu’il n’engage pas le pronostic vital, le retentissement physique et psychosocial du psoriasis et de son traitement peut s’avérer similaire ou supérieur à celui de maladies telles que l’insuffisance cardiaque, le diabète de type 2 et les maladies respiratoires chroniques.
La morbidité de l’affection est évaluée par des échelles qui mesurent l’étendue de l’atteinte (BSA, pour Body Surface Area), son activité clinique (PASI, pour Psoriasis Area Severity Index ; PGA, pour Physician Global Assessement) ou son retentissement sur la qualité de vie (DLQI, pour Dermatology Life Quality Index). De façon très schématique, la « règle des 10 » (PASI, DLQI ou BSA supérieur à 10) définit un psoriasis comme modéré à sévère. Mais d’autres paramètres, comme le caractère affichant, une localisation invalidante ou douloureuse, sont également associés à une atteinte modérée à sévère ; un psoriasis peu étendu peut donc être sévère s’il est affichant ou constitué de lésions très épaisses, ou situé dans des zones difficiles à traiter (cuir chevelu, région palmoplantaire, génitale ou unguéale).
Atteintes systémiques associées et comorbidités
Elles peuvent résulter d’éléments physiopathologiques communs, ou être la conséquence de l’évolution prolongée d’un état inflammatoire sévère responsable d’anomalies métaboliques et vasculaires.
Rhumatisme psoriasique
Il s’agit d’un rhumatisme inflammatoire2 dont la prévalence chez les patients psoriasiques pourrait atteindre 25 à 30 %,3 avec environ 15 % de formes non diagnostiquées.
Les lésions cutanées précèdent l’atteinte articulaire de dix ans en moyenne chez 80 % des patients, l’accompagnent chez 15 % et lui succèdent chez 5 %. Il doit être systématiquement dépisté, et de manière répétée, chez tous les patients psoriasiques.
Des synovites oligo- ou polyarticulaires sont le plus souvent observées, avec ou sans atteinte du rachis et des articulations sacro-iliaques. Dans de rares cas, une atteinte destructrice sévère peut être observée. La raideur matinale est fréquente (52 %) ; des anomalies radiologiques et des déformations articulaires sont présentes chez environ 40 % des patients.
Syndrome métabolique et pathologies cardiovasculaires
Le syndrome métabolique associe obésité abdominale, hypertension artérielle, anomalies de la glycémie à jeun, hypertriglycéridémie et réduction du HDL-cholestérol. Sa prévalence nettement plus élevée chez des patients ayant depuis de nombreuses années une forme modérée ou sévère de psoriasis pourrait expliquer le sur-risque de mortalité cardiovasculaire et d’accidents vasculaires cérébraux également observé dans cette population. De même, le tabagisme est plus important chez les patients psoriasiques.
Traiter selon la sévérité
En l’absence de traitement curatif, le retentissement de la pathologie et de ses traitements sur la santé et sur la qualité de vie du patient s’envisage au long cours. Les traitements topiques sont indiqués en première ligne ; les formes modérées à sévères seront traitées par photothérapie ou immunomodulateurs. En cas de résistance aux thérapeutiques conventionnelles, le traitement des formes les plus sévères a été révolutionné par le développement de plusieurs biothérapies ciblées (
Débuter par les traitements locaux
Les topiques constituent le traitement de première intention des formes peu étendues ou peu sévères. Ils peuvent également être le complément d’un traitement systémique chez les patients avec une atteinte plus sévère. Ils peuvent être initiés par le médecin traitant en amont d’une consultation dermatologique. L’utilisation des topiques suffit à la prise en charge de la majorité des atteintes psoriasiques.
Les problèmes d’observance, en lien avec le temps nécessaire à leur application ou leur caractère peu cosmétique et parfois irritant, nécessitent de sélectionner des formes galéniques adaptées et de privilégier celles qui ne requièrent qu’une application quotidienne.
Les crèmes peuvent être utilisées sur tout le corps, les pommades sur les plaques épaisses et en dehors des plis, la lotion sur le cuir chevelu. Récemment, de nouvelles galéniques comme le gel ou la mousse ont été développées : le gel est souvent associé à un meilleur confort d’utilisation ; les mousses sont associées aux traitements les plus forts et sont fréquemment utilisées dans le traitement du psoriasis du cuir chevelu.
Kératolytiques si un décapage s’avère nécessaire
Ils permettent un décapage initial des lésions très kératosiques. Le principal kératolytique est l’acide salicylique, prescrit dans des excipients gras pour le corps ou hydrosolubles pour le cuir chevelu. Ils sont généralement prescrits en association avec un dermocorticoïde (association de bétaméthasone et d’acide salicylique, par exemple).
Dermocorticoïdes : améliorer l’observance
Les dermocorticoïdes de classes 3 et 4 (activités forte et très forte) sont à privilégier dans le traitement du psoriasis, selon les données d’une revue systématique sur le sujet.4
Le dipropionate de bétaméthasone (classe 3), utilisé une fois par jour, permet une amélioration nette, voire une disparition, des lésions.
La tachyphylaxie, définie comme l’apparition d’une résistance au traitement lors de son application prolongée et ininterrompue, pourrait n’être en fait que le reflet de la diminution de l’observance avec le temps. Elle a motivé, avec le souci de limiter les effets secondaires, le développement de stratégies d’utilisation intermittente : le dipropionate de bétaméthasone appliqué seulement deux fois le week-end permet de maintenir une réponse clinique satisfaisante chez 60 % des patients (versus 20 % pour le placebo), sans effets secondaires sur des périodes pouvant atteindre six mois.
Dérivés de la vitamine D3, traitement d’entretien à privilégier
Ils permettent une amélioration nette ou une disparition complète des lésions chez 30 à 50 % des patients après quatre à six semaines. Trois molécules sont disponibles : le calcitriol, le calcipotriol et le tacalcitol. Ces produits ont un profil de tolérance favorable à long terme, ce qui en fait le premier traitement d’entretien du psoriasis en plaques limité.
Employés pour la même raison comme traitement de première ligne dans cette indication, leur effet thérapeutique est cependant retardé par rapport à celui des dermocorticoïdes.
Associer dérivé de la vitamine D3 et dermocorticoïdes en première intention ?
L’association d’un dérivé de la vitamine D3 (le calcipotriol) au dipropionate de bétaméthasone est, du fait de son efficacité et de sa tolérance, un des traitements de première intention du psoriasis en plaques. Il est utilisé une fois par jour pendant quatre semaines en phase d’attaque. Après cette période, le traitement peut être répété si nécessaire. Au-delà, en phase de consolidation et d’entretien, le traitement peut être poursuivi le week-end.
Photothérapie, avec prudence
Elle est indiquée pour les lésions de psoriasis en plaques plus diffuses et aux formes en gouttes.
Elle est contre-indiquée en cas d’antécédents de mélanome, et doit être discutée au cas par cas si des antécédents de carcinomes cutanés sont connus.
La photothérapie UVB à spectre étroit, moins cancérigène que la PUVA-thérapie, est préférée.
Le nombre limité de cabines disponibles en France ainsi que la contrainte pour le patient de se rendre disponible trois fois par semaine pour les séances limitent son utilisation.
L’héliothérapie naturelle de la période estivale améliore en général les lésions, avec toutefois un rebond attendu après l’été.
Traitements systémiques conventionnels
Les patients ayant un psoriasis modéré à sévère peuvent bénéficier d’un traitement systémique.
En première intention, l’utilisation du méthotrexate, de la ciclosporine ou de l’acitrétine est recommandée, après une consultation avec un dermatologue. L’existence d’effets secondaires parfois sévères nécessite une sélection et une surveillance rigoureuses des patients en fonction de la toxicité de chaque molécule, mais cela ne doit pas être un frein à leur emploi.5-7
Méthotrexate, la référence
Le méthotrexate, antagoniste de l’acide folique, est le traitement systémique de référence dans les formes sévères de psoriasis en plaques et de rhumatisme psoriasique. Outre sa tératogénicité, ses principaux effets indésirables sont hématologiques, hépatiques et rénaux, nécessitant une surveillance biologique régulière.
Acitrétine dans certaines situations
L’acitrétine est un rétinoïde indiqué dans le traitement du psoriasis pustuleux et l’érythrodermie psoriasique. Ses effets secondaires sont nombreux. Tératogène, il impose une contraception jusqu’à trois ans après l’arrêt du traitement.
Non immunosuppresseur, il est utile chez l’enfant, ou en cas de facteurs de risque tumoraux et d’infections sous-jacentes.
Ciclosporine en traitement court
La ciclosporine est un immunosuppresseur, excellent traitement à court terme qui permet d’induire des rémissions rapides. Du fait de sa néphrotoxicité, il est surtout utilisé en cures courtes de trois mois, mais peut, en cas de bonne tolérance, être maintenu jusqu’à deux ans au maximum.
Aprémilast, indications limitées
L’aprémilast est un inhibiteur de la phosphodiestérase 4 (PDE4). Il ne peut être prescrit qu’après échec d’au moins un autre traitement systémique conventionnel, mais sa prescription ne doit pas retarder l’initiation d’une biothérapie. En pratique, il garde donc une place marginale en cas d’échec ou contre-indication et/ou d’intolérance aux autres traitements systémiques, dont les biothérapies.
Son avantage est son bon profil de tolérance, sans nécessité de surveillance biologique. Les effets indésirables sont dominés par des infections des voies aériennes supérieures et des troubles digestifs.
Biothérapies, renouveau thérapeutique
Les biothérapies sont des anticorps monoclonaux développés pour inhiber certaines étapes clés de la réponse inflammatoire en lien avec le psoriasis (anti-TNF alpha, anti-IL-12/23, anti-IL-17 et anti-IL-23).
En France, leur prescription est réservée aux patients les plus sévères, après échec ou contre-indication à au moins deux des trois traitements suivants : photothérapie, ciclosporine, méthotrexate.
Immunomodulateurs, les biothérapies nécessitent une évaluation préalable des facteurs de risque néoplasiques et infectieux (tuberculose). Leur coût très élevé constitue une limite supplémentaire à leur utilisation. Les principaux effets indésirables sont des infections des voies aériennes supérieures sans gravité et des réactions au point d’injection (délivrance sous-cutanée).
Le traitement ne doit pas être administré en cas de fièvre ou de signes d’infection active ; dans ce cas, il est demandé au patient de suspendre son injection et de consulter son médecin traitant sans délai pour éliminer et traiter toute infection. La biothérapie peut être reprise dès la résolution de l’épisode infectieux.
Que dire à vos patients ?
• Le psoriasis est une maladie chronique dont l’évolution se fait par poussées entrecoupées de périodes de rémission.
• Les traitements topiques sont la base du traitement, utilisés lors des poussées, et parfois en entretien (thérapie de week-end).
• En cas d’atteinte sévère, des traitements complémentaires peuvent être envisagés.
• L’association France Psoriasis, très active, est une source d’information ; ses antennes locales sont listées sur le site : https://francepsoriasis.org/
1. Parisi R, Symmons DP, Griffiths CE, et al. Global epidemiology of psoriasis: a systematic review of incidence and prevalence. J Invest Dermatol 2013;133(2):377-85.
2. FitzGerald O, Ogdie A, Chandran V, et al. Psoriatic arthritis. Nat Rev Dis Primers 2021;7(1):59.
3. Villani AP, Rouzaud M, Sevrain M, et al. Prevalence of undiagnosed psoriatic arthritis among psoriasis patients: Systematic review and meta-analysis. J Am Acad Dermatol 2015;73(2):242-8.
4. Castela E, Archier E, Devaux S, et al. Topical corticosteroids in plaque psoriasis: a systematic review of efficacy and treatment modalities. J Eur Acad Dermatol Venereol 2012;26 Suppl 3:36-46.
5. Amatore F, Villani AP, Tauber M, et al. French guidelines on the use of systemic treatments for moderate-to- severe psoriasis in adults. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33(3):464-83.
6. Nast A, Smith C, Spuls PI, et al. EuroGuiDerm Guideline on the systemic treatment of Psoriasis vulgaris - Part 1: treatment and monitoring recommendations. J Eur Acad Dermatol Venereol 2020;34(11):2461-98.
7. Bachelez H. Interleukin 23 inhibitors for psoriasis: not just another number. Lancet 2017;390(10091): 208-10.