Le psoriasis est une dermatose inflammatoire chronique, évoluant par poussées, fréquente, avec une prévalence d’environ 2 % dans la population générale, pouvant être plus ou moins invalidante sur le plan esthétique et fonctionnel. Les formes cliniques sont multiples, ce qui est source de nombreux pièges diagnostiques. Un article riche en photos rédigé par le Dr Emmanuel Mahé et coll., hôpital Victor-Dupouy, Argenteuil.
Le psoriasis touche environ 125 millions d’individus dans le monde.
La prévalence varie selon les pays, allant de 0,9 % aux États-Unis à 8,5 % en Norvège. On estime qu’en moyenne 2 à 4 % de la population est atteinte dans les pays occidentaux. En France, 2,4 millions d’individus seraient touchés.
Les symptômes peuvent débuter à tout âge, mais deux pics sont classiquement décrits, le premier entre 16 et 22 ans, le deuxième entre 57 et 60 ans.
La prévalence atteint 0,7 % chez les enfants (< 18 ans) en Europe. Elle est très faible avant l’âge de 9 ans, variant de 0 % (Norvège) à 0,55 % (Royaume-Uni). Pas de différence significative entre les 2 sexes à l’âge adulte. Le début plus précoce de la pathologie chez les jeunes filles est associé à une prédominance féminine plus élevée du psoriasis chez l’enfant.
On note une tendance à l’augmentation de sa fréquence dans plusieurs pays ces dernières années. À titre d’exemple, en Espagne elle est passée de 1,4 % en 1998 à 2,3 % en 2013. Aux États-Unis, de 1,6 % à 3,1 % entre 2004 et 2010. Cette hausse est observée chez l’enfant et chez l’adulte, mais les causes ne sont pas connues.
Populations à risque ?
Bien qu’elle puisse toucher n’importe quel individu, cette maladie a une forte composante génétique. Un antécédent familial de psoriasis au premier degré est retrouvé chez environ un tiers des enfants. Cette corrélation diminue avec l’âge.
Un lien épidémiologique avec certaines comorbidités cardiovasculaires et métaboliques a été montré : obésité, HTA, diabète, tabagisme, dyslipidémie. L’obésité est plus fréquente chez les patients psoriasiques quel que soit l’âge ; elle est associée à des formes plus sévères, à une certaine résistance aux traitements, au rhumatisme psoriasique. En cas d’infection par le VIH, le psoriasis ne semble pas plus fréquent, mais sa sévérité est corrélée à la gravité de l’immunodéficience.
Certains facteurs de risque sont clairement identifiés comme pouvant favoriser les poussées, mais ils ne sont en aucun cas les causes de la maladie.
Quelles causes ?
Certains mécanismes lésionnels sont en jeu. En particulier, le renouvellement kératinocytaire est anormalement accéléré. Après un stimulus initial, les cellules dendritiques activées – Langerhans et plasmacytoïdes, en quantité anormale dans la peau de ces patients – induisent la différenciation de lymphocytes Th1 et Th17. Il en résulte la libération de cytokines pro-inflammatoires (IFN-γ, TNFα, IL-17, IL-22...), de chimiokines et de facteurs de croissance, qui sont à l’origine de la prolifération accrue et de la différentiation anormale des kératinocytes. L’activation persistante des cellules dendritiques et des lymphocytes T aboutit à la chronicisation des lésions.
Il existe une prédisposition génétique : au moins 9 loci de susceptibilité ont été identifiés (nomenclature PSORS 1-9), notamment le PSORS1, situé sur le chromosome 6p et associé à l’allèle HLA-Cw6.
Les facteurs génétiques semblent également influer sur la gravité. Les patients ayant une maladie de début précoce et d’évolution plus sévère ont une histoire familiale de psoriasis, alors que ceux ayant des formes à début plus tardif ont des manifestations plus modérées et en général pas d’antécédents familiaux.
Les facteurs environnementaux incriminés sont nombreux. Frottement cutané ou grattage peuvent être à l’origine d’une poussée. On parle de phénomène de Koebner (survenue d’une dermatose sur une zone traumatisée).
Les infections streptococciques (angine, anite, vulvite, impétigo) peuvent déclencher des épisodes de psoriasis en gouttes, surtout chez l’enfant, via la production d’IL-17 et l’activation des cellules épidermiques. Il semble que toute infection, bactérienne ou virale, puisse déstabiliser la maladie.
Certains médicaments sont des inducteurs ou des facteurs aggravants, en particulier les bêtabloquants, les IEC, le lithium, l’interféron, le G-CSF, l’imiquimod, l’interleukine 2, plus rarement les AINS et les antipaludéens de synthèse. Récemment, différentes biothérapies (anti-TNFα, anti-IL-6…) ou des immunothérapies telles que les anti-PD1 ont été incriminées. Devant des formes sévères, l’arrêt des traitements en cause peut se discuter.
Le rôle du stress, des chocs émotionnels et des traumatismes affectifs – naissance d’un frère/sœur, décès familial, stress au travail – est connu (déclenchement de la maladie ou survenue des poussées).
Alcool et tabac sont source de gravité et de résistance thérapeutique.
Ces facteurs déclenchants doivent être recherchés et pris en charge de façon adaptée.
De multiples formes cliniques
Leur fréquence dépend de l’âge du patient (fig. 1). Ainsi, les psoriasis des langes et inversé sont plus fréquents chez le nourrisson, les formes en gouttes et palmo-plantaire semblent plus courantes chez l’enfant, alors que la fréquence du psoriasis en plaques augmente avec l’âge, atteignant 80 % des cas de l’adulte.
Fig. 1 Formes cliniques de psoriasis en fonction de l’âge.
La lésion élémentaire est une plaque érythémateuse, bien limitée, à squames épaisses, généralement non ou peu prurigineuse, ce qui la distingue d’un eczéma.
Classiquement, on note un blanchiment des lésions au grattage à la curette (signe de la tache de bougie), et l’apparition de gouttelettes hémorragiques en cas de desquamation (signe de la rosée sanglante). Néanmoins, chez le petit enfant, la lésion peut être eczématiforme, revêtant un aspect trompeur (fig. 2B).
Fig. 2 Psoriasis en plaques, forme eczématiforme de l’enfant.
Le psoriasis en plaques, forme la plus fréquente, concerne 80 % des adultes et environ 50 % des enfants. Les localisations typiques (« zones bastions ») sont les faces d’extension des coudes et genoux, la face antérieure des tibias, les lombes, la zone péri-ombilicale et le cuir chevelu.
Topographies particulières :
– psoriasis du cuir chevelu : plaques érythémato-squameuses arrondies, bien limitées, classiquement non alopéciantes. À la lisière du cuir chevelu, les lésions sont souvent inflammatoires (fig. 3A) pouvant prendre l’aspect d’une couronne séborrhéique. Des formes très kératosiques peuvent mimer une pseudo-teigne amiantacée (fig. 3B) ;
Fig. 3 Psoriasis du cuir chevelu. A. Forme en plaques. B. Pseudo-teigne amiantacée.
– palmaire (fig. 4A) et/ou plantaire (fig. 4B) : lésions hyperkératosiques diffuses ou en îlots, avec une bordure érythémateuse bien limitée. Parfois fissuraires et douloureuses, elles peuvent être localisées (notamment sur les zones d’appui des plantes), ou plus diffuses.
Fig. 4 Psoriasis en plaques chez un enfant de 10 ans. Lésions fissuraires. A. Palmaire. B. Plantaire.
Le psoriasis en gouttes survient essentiellement chez les enfants et les adultes jeunes, généralement à la suite d’une infection streptococcique. Il se manifeste par de petites plaques (< 1 cm), moins épaisses et moins desquamatives que dans la forme classique. Elles siègent essentiellement sur le tronc et la racine des membres ; pas d’atteinte palmo-plantaire, ni unguéale ni du cuir chevelu (fig. 5).
Fig. 5 Psoriasis en gouttes survenu après une angine streptococcique.
Le type inversé se caractérise par des lésions érythémateuses des plis à limites nettes, souvent dépourvues de squames en raison des frottements et de l’humidité. Localisations les plus évocatrices : plis ombilicaux, interfessier, sous-mammaires, axillaires (fig. 6).
Fig. 6 Psoriasis inversé.
Le psoriasis des langes, forme du nourrisson, est souvent considéré comme un phénomène de Koebner. Il est diagnostiqué devant un érythème fessier traînant. L’aspect sémiologique est celui du psoriasis : sec, bien limité, squameux. Il faut rechercher des lésions à distance étayant le diagnostic. Il touche classiquement les convexités (fig. 7) mais peut prédominer au niveau des plis (psoriasis inversé).
Fig. 7 Psoriasis des langes.
Parmi les formes extracutanées, l’atteinte unguéale touche 50 % des patients (et jusqu’à 90 % de ceux ayant une arthrite psoriasique). Elle se caractérise par des dépressions ponctuées en « dé à coudre », des taches saumonées sous la tablette unguéale, une hyperkératose sous-unguéale, une onycholyse distale et, à un stade tardif, par une dystrophie totale (fig. 8). Le psoriasis lingual concerne 30 % des adultes et 10 % des enfants. Il associe un aspect de langue géographique et des fissures (fig. 9A). Dans les cas les plus sévères, une langue plicaturée (ou fissuraire) est retrouvée (fig. 9B).
Fig. 8 Psoriasis unguéal. Anomalies complexes : lunule trop large et émiettée, lit de l’ongle saumoné, onycholyse distale avec légère pachyonychie, stries longitudinales et ponctuations en dé à coudre.
Fig. 9 Psoriasis lingual. A. Langue géographique fissurée. B. Langue plicaturée.
Deux formes graves :
Le psoriasis pustuleux peut être soit localisé (formes palmo-plantaires et acrodermatite continue de Hallopeau, qui affecte les extrémités des doigts et/ou des orteils avec une onychopathie ; fig. 10), soit généralisé (de von Zumbusch ; fig. 11), caractérisé par l’apparition brutale de patchs érythémateux disséminés avec des pustules stériles qui deviennent coalescentes et une altération de l’état général plus ou moins fébrile.
L’érythrodermie psoriasique est une atteinte de plus de 90 % du tégument qui peut être progressive ou brutale (fig. 12). Elle peut se compliquer de surinfections et de troubles hydroélectrolytiques, imposant une prise en charge hospitalière. Le diagnostic différentiel avec les autres causes d’érythrodermie est parfois difficile.
Fig. 10 Acro-dermatite de Hallopeau.
Fig. 11 Psoriasis pustuleux.
Fig. 12 Érythrodermie psoriasique.
Le rhumatisme psoriasique, touchant 20 à 30 % des patients, a une prévalence équivalente dans les 2 sexes, augmentant avec l’âge. Il survient le plus souvent après les manifestations cutanées (en moyenne 10 ans), parfois avant, et se manifeste par des douleurs articulaires inflammatoires (réveils nocturnes, dérouillage matinal, amélioration au cours de la journée avec les activités).
L’atteinte périphérique, mono- ou oligo-articulaire, est la plus fréquente. Sont touchés soit les grosses articulations (genoux, hanches), soit les orteils ou les doigts surtout au niveau des métacarpo-phalangiennes (MCP), métatarso-phalangiennes (MTP), interphalangiennes proximales (IPP) et/ou distales (IPD). Un aspect de doigt ou orteil boudiné, dit « en saucisse », est très évocateur, résultant de l’association d’une arthrite de l’IPD, de l’IPP et d’une ténosynovite des fléchisseurs. Une polyarthrite est plus rare, et généralement non destructrice, mais des formes sévères très mutilantes sont décrites. Elle se distingue de la polyarthrite rhumatoïde par son caractère asymétrique, l’atteinte prédominante des IPD et l’absence d’anticorps anti-CCP sanguins.
En cas d’atteinte axiale, le tableau est proche de celui de la spondylarthrite ankylosante. La sacro-iliite est peu symptomatique et volontiers asymétrique. Les rachialgies sont inflammatoires, le plus souvent cervico-dorsales. L’antigène HLA-B27 est présent, mais moins souvent que dans les autres spondylarthropathies.
De nombreuses pathologies associées
Les patients atteints de psoriasis modéré à sévère ont un risque accru de pathologies cardiovasculaires, diabète de type 2, syndrome métabolique ; ces diverses affections ont en commun des facteurs pro-inflammatoires circulants et une activation endothéliale.
Maladie de Crohn, dépression (prévalence allant jusqu’à 60 %) et anxiété sont fréquemment associées. Certaines études ont montré un risque majoré de lymphomes hodgkiniens, non hodgkiniens et cutanés à cellules T, mais cela est très discuté.
Ces comorbidités contribuent à diminuer l’espérance de vie des patients.
D’après : Grodner C, Mahé E. Psoriasis. Les biothérapies ont révolutionné le traitement des formes graves.Rev Prat Med Gen 2019;33(1025);541-7.