Le recours à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA) est parfois complexe autant pour les médecins que pour les familles. Plusieurs raisons l’expliquent, au moins partiellement.
L’objet même de la PEA est assez peu stable, en particulier dans le temps. C’est le champ psychique de l’enfant, c’est-à-dire son comportement, son développement et ses apprentissages mais aussi son état émotionnel. Définir ce qui relève du normal et du pathologique ou est simplement « à risque » est difficile, car très influencé par les attendus, la tolérance et les possibilités réelles (ou supposées) de l’environnement familial et scolaire.
La demande en PEA est en forte inflation depuis une vingtaine d’années. D’abord par une meilleure connaissance de certains troubles, notamment neurodéveloppementaux (troubles des apprentissages, du spectre autistique…), débouchant sur de nouvelles perspectives d’aide ou de traitement, mais aussi en raison d’une augmentation significative des attentes parentales et scolaires. Les protagonistes étant à la fois plus à l’écoute et plus inquiets lorsqu’un enfant est perturbé. Les motifs de sollicitation sont très variés : divorce à venir, énurésie, retard de langage, dysorthographie, retard mental, psychose, scarifications chez l’ado, perte de poids volontaire, épuisement familial, insomnie, conduites d’opposition, dysphorie de genre, rejet du beau-père… La PEA partage avec la médecine générale un large espace d’intervention.
C’est une discipline d’interface, « à la croisée des chemins », entre l’enfant et son parent, entre la pédiatrie et la psychiatrie adulte, l’éducatif et le judiciaire, les sciences sociales et celles de la nature, entre la médecine générale et la psychiatrie spécialisée.
Les pédopsychiatres interviennent dans des dispositifs très divers : hospitalier, ambulatoire, mais aussi médico- social, social, prévention spécialisée, domaine juridique. Ils sont rares en institution privée (quelques cliniques ont organisé un accueil spécifique) et bien peu sont installés en libéral.
Principale raison : la difficulté du suivi pour un professionnel isolé ; les liens nécessaires avec l’école, la famille « élargie », les rééducateurs. Cela implique mobilité et temps de coordination, difficilement compatibles avec l’exercice libéral.
Pour comprendre les troubles et les traiter coexistent :
– l’approche psychodynamique donnant une place importante à la compréhension du sens d’un symptôme, y compris inconscient, dans l’histoire personnelle et familiale ainsi qu’aux mécanismes psychologiques en cascades ou rétroactifs ;
– l’approche neurodéveloppementale inspirée de la neurophysiologie et des sciences cognitives.
Elles sont parfois conflictuelles, mais cependant utiles et peuvent s’enrichir mutuellement. Leur coexistence (au sein d’une approche dite « intégrative ») doit être promue.
Ces caractéristiques donnent aux usagers et partenaires l’image d’une spécialité à offre large et peu protocolisée, mais permettant de s’adapter aux symptômes psychocomportementaux évoluant sans cesse.
Les premières consultations de neuropsychiatrie infantile en France dans les années 1920, autour du Pr Georges Heuyer, étaient destinées à évaluer l’intelligence et l’éducabilité des idiots, arriérés, ou la part curable des comportements perturbateurs des errants ou des délinquants… La pédopsychiatrie « pour tous » naîtra un peu plus tard, avec les centres psychopédagogiques (CPP), remplacés par les centres médico-psycho-­pédagogiques (CMPP) inspirés des Guidance Child Clinic américains de la fin du XIXe : les familles y étaient accueillies librement par des assistantes sociales et des médecins pour des avis et conseils de guidance. Apparaissent un peu plus tard les centres médico-psychologiques en plus grand nombre. Ils sont les uns et les autres présents sur tout le territoire.
Les CMPP, lieux d’emblée pluridisciplinaires comme leur nom l’indique, traitent les difficultés scolaires, comportementales et développementales et sont ouverts à tous de la naissance jusqu’à 20 ans. Ils sont toujours ambulatoires, le plus souvent associatifs. Interviennent psychologues, psychanalystes, orthophonistes, psychomotriciens, pédagogues, assistants sociaux, éducateurs, pédopsychiatres (généralement directeur de structures), plus rarement médecins somaticiens.
Les CMP sont apparus un peu plus tard, au début des années 60, lors de la sectorisation de la psychiatrie hospitalière, qui souhaitait organiser une offre de soins psychiques hors les murs des asiles, et ce de façon équitable sur l’ensemble du territoire national. Il est ainsi découpé en secteurs. La pédopsychiatrie correspond à un intersecteur de 3 ou 4 secteurs adultes (300 000 habitants environ). Les intervenants sont à peu près les mêmes que dans les CMPP, avec davantage d’infirmiers et moins de pédagogues. Les praticiens devraient être autour d’une dizaine par service, même si ce chiffre est parfois bien loin d’être atteint. La différence principale avec les CMPP est la possibilité d’articuler les suivis simples avec des dispositifs de groupe légers (centres d’accueil thérapeutique à temps partiel, CATTP) ou des hôpitaux de jour et, lorsque nécessaire, les lits à temps plein. Ils ont aussi une mission de prévention au sein de la population de leur secteur.
Dans ces divers lieux, les soins impliquent plusieurs professionnels (rééducateurs et psychothérapeutes principalement) de façon concomitante et bénéficient d’une coordination médicale. Les prescriptions médicamenteuses sont possibles, comme les psychothérapies de tout type, individuelles ou groupales, au centre ou dans les écoles ou les familles par exemple. La dynamique institutionnelle a une influence majeure, et doit favoriser la relance psychique en cas de difficultés psychiques comportementales. La rencontre et le langage sont le cœur du soin.
La PEA ambulatoire doit répondre à ces demandes et besoins mis en avant il y a un siècle : conseil et accompagnement pour des situations non ou peu pathologiques au sens psychiatrique mais aussi avis et traitements pour des troubles comportementaux et développementaux plus sévères. On peut distinguer deux groupes de symptômes : ceux témoignant d’anomalies du développement et des apprentissages d’un côté et les comportements perturbateurs de l’autre, incluant les conduites auto-agressives. Les interactions permanentes entre ces deux types justifient qu’ils soient vus « ensemble », dans des structures de PEA généralistes, ne devant ni ne pouvant pas faire de sélection à l’entrée. En effet, le tri entre ces deux champs est bien souvent illusoire et inutile. Des centres experts d’un trouble (comme l’autisme par exemple) existent en milieu hospitalier mais très peu en ambulatoire.
La difficulté principale est actuellement le délai d’attente du premier rendez-vous. Il peut être de plusieurs mois, ce qui dans la temporalité psychique de l’enfant est une aberration non discutable. L’augmentation des demandes sur des problématiques très variées associée à une baisse de la démographie médicale en est la raison principale. Ces 20 dernières années, des dispositifs permettant un accueil sans rendez-vous (dit facilité) ont été construits pour y remédier.
Les maisons des adolescents ont été créées à partir de ce constat. Ce sont des structures d’accès très simplifiées, sans rendez-vous, accueillant les ados et leur famille « tels qu’ils se présentent », capables de trier la part circonstancielle et de celle plus pathologique, puis de traiter ou d’accompagner pendant une durée courte ou moyenne. Ils peuvent être intégrés à l’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile, ou y être simplement adossés, portés par une association ou un conseil départemental.
Dans la même inspiration,comme le conseille la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (SFPEADA), des maisons de l’enfance et de la famille devraient voir le jour, adossés aux CMP et au secteur.
Ce nive de rencontre plus direct entre usagers et PEA pourrait avoir un effet très favorable. Le partenariat formalisé avec les soins primaires – en particulier les médecins généralistes – doit être un enjeu central de ce projet. Il permettra un parcours plus fluide et direct pour les patients, le MG apparaissant comme un acteur reconnu de la santé mentale de l’enfant. Pour entretenir ce partenariat durable, il faudra des rencontres régulières entre les MG et ces dispositifs. Sinon, il risque d’être dépassé et engorgé par les cas « limites », mal classés, non prévus, dont la médecine générale et la psychiatrie sont envahies.
Le champ psychique de l’enfant et de l’adolescent est libre et peu domptable. Il faut savoir l’accompagner et le suivre quand il dérape et anticiper sans empêcher. Une collaboration entre les soins primaires et la pédopsychiatrie dans la durée peut le permettre.
Encadre

L’essentiel

ne requiert pas nécessairement une consultation en PEA.Le MG est un acteur de santé mentale de l’enfant et de l’adolescent et doit pouvoir collaborer avec la PEA dans la durée. Les CMP et CMPP sont les deux principaux dispositifs en ambulatoire. Il y en a sur tout le territoire. Des accueils facilités existent pour les adolescents et sont en cours de constitution pour les enfants.

Pour en savoir plus
Van Effenterre A. Formation en pédopsychiatrie en France : historique, actualités et réflexions. L’information psychiatrique 2013;89:599-604.
Dugene C, Lim C. Histoire de la pédopsychiatrie en France : de Pinel à Heuyer, 1809-1937. Repères et lectures (bibliographie commentée et illustrée). Bibliothèques & Documentation, GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences 2017:1-5.
Rolland AC, Eutrope J, Bouvet M, Hincky MO. Secteur de psychiatrie infantojuvénile. EMC-Psychiatrie 2016;14:1-11 [Article 37-211-A-05].
Sénat. Rapport d’information de M. Michel AMIEL, fait au nom de la MI situation psychiatrie mineurs en France n° 494 (2016-2017). 4 avril 2017. https://bit.ly/2UOKCug
Cohen D, Baubet T, Duverger P, et al. Quel futur pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ? Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2018;66:191‑3.
Catheline N, Marcelli D. Projet pour le CMP de demain. L’évolution nécessaire des CMP pour la psychiatrie de demain de l’enfant et de l’adolescent. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 2018;66:399‑406. .