Une approche découlant de la psychologie de la santé s’applique mieux aux troubles somatoformes qu’une « psychiatrisation » ou qu’une investigation « psychologique ».
La confusion autour du rôle du psychiatre est fréquente dans le monde médical, où les psychiatres sont souvent considérés a priori comme des spécialistes en psychologie médicale du fait de leur spécialité. Il n’est ainsi pas rare, en pratique courante, de faire appel au psychiatre pour l’annonce d’une maladie grave ou sévère, d’un décès, ou encore juste « pour parler » avec le patient, le psychiatre étant alors considéré comme le spécialiste de la « relation médecin-malade ». Cependant, la psychiatrie est avant tout une spécialité médicale qui s’intéresse au diagnostic, au traitement, à la prévention et à l’étude des troubles mentaux. La psychologie médicale, quant à elle, s’intéresse aux aspects psycho- logiques personnels et interpersonnels en relation avec la santé, la maladie ou les situations de handicap d’origine psychiatrique ou non. La psychologie médicale est donc l’affaire de tout médecin, car elle correspond à un pilier de l’évaluation clinique et de l’action médicale. Son importance a pu, par exemple, être mesurée dans plusieurs types de pathologies chroniques non psychiatriques, dont le diabète. Il a ainsi été montré que l’empathie d’un médecin, dimension pouvant être mesurée et apprise au cours des études médicales, est associée à une amélioration du bien-être et des scores de dépression mais aussi, sur le plan biologique, à une amélioration de la valeur de l’hémoglobine glyquée, reflétant une amélioration du contrôle glycémique.1
Ainsi, la psychologie médicale est un outil, une perspective essentiels à toute la médecine, avec des spécificités inhérentes aux différentes spécialités. Pour expliquer comment la psychiatrie et la psychologie médicale se différencient, il est intéressant d’explorer l’exemple paradigmatique des troubles somatoformes. En effet, la confusion entre psychiatrie et psychologie médicale est encore plus marquée et évidente lorsqu’on évoque ces troubles considérés comme « médicalement inexpliqués » puisqu’aucune anomalie identifiable de type lésionnel n’a pu être incriminée. Dans cette situation, la médecine attend souvent du psychiatre une approche de psychologie médicale se confondant avec la psychopathologie et la psychanalyse, dont le psychiatre serait également spécialiste. À la confusion entre psychiatrie et psychologie médicale se surajoute alors une confusion entre psychologie médicale et psychopathologie psychanalytique. Les attentes des médecins, qui demandent un avis psychiatrique, correspondent alors souvent à une interprétation « psychopathologique » de tel ou tel symptôme ou à la recherche du « processus de conversion » supposé d’une énergie « psychique refoulée » en énergie « somatique ». Ces attentes médicales, bien que non fondées sur un processus de raisonnement clinique médical classique, possèdent bien sûr des racines historiques puisque le concept de « conversion hystérique » était initialement utilisé pour définir les troubles somatoformes. Pourtant, bien que des facteurs de stress puissent être identifiés comme facteurs de risque, déclenchant ou entretenant des troubles somatoformes, leurs interprétations symboliques telles que proposées ci-dessus semblent peu en adéquation avec les standards de la médecine fondée sur les preuves.
Considérer la psychiatrie comme une spécialité médicale à part entière permet d’exiger la même rigueur clinique, thérapeutique et de recherche que dans le reste de la médecine. Cette volonté, exigeante et ambitieuse, pour une telle approche médicale, ne doit pas non plus conduire à une approche biomédicale réductionniste (centrée sur la maladie), mais plutôt aboutir à une approche biopsychosociale intégrative telle que développée par la psychologie de la santé et centrée sur le patient avec sa maladie en prenant en compte ses représentations, émotions et comportements en lien avec un contexte social. La psychologie de la santé étudie les styles de vie, leur impact sur la santé et les moyens de promouvoir des comportements sains.2 Deux postulats de départ distinguent radicalement l’approche de psychologie de la santé de l’approche psychopathologique, notamment psychanalytique. Premièrement, la psychologie de la santé considère que les sujets agissent de manière rationnelle en fonction de leurs représentations et émotions, ouvrant ainsi à la possibilité d’action concrète et évaluable, alors que la psychopathologie reste focalisée sur les processus inconscients et le déroulement d’une « cure » fondamentalement imprévisible. Deuxièmement, la psychologie de la santé propose une approche non fondée sur le dualisme psychique/somatique,3 mais elle prend en compte l’impact des représentations et émotions sur la santé et les maladies, permettant ainsi de dépasser l’opposition entre énergie « psychique » et énergie « somatique » de la psychopatho- logie, et de proposer des modèles de maladies intégrant ces différents aspects. Cette perspective implique évidemment pour la médecine de dépasser une approche des maladies uniquement centrée sur la lésion incriminée, sans pour autant basculer sur une approche psychologique non fondée sur les standards de rigueur médicale.
Cette approche, qui découle de la psychologie de la santé, peut être appliquée aux troubles somatoformes, les intégrant ainsi de plein droit dans le domaine de la médecine. Ainsi les troubles somatoformes représentent un pourcentage très important des consultations en médecine (au moins entre 5 et 10 %). Dans les classifications modernes des troubles psychiatriques, les troubles somatoformes sont désormais définis positivement par la présence de cognitions, émotions ou comportements « excessifs ou inappropriés », à l’origine d’un retentis- sement fonctionnel ou d’une souffrance subjective et accompagnant des symptômes somatiques ayant, ou non, une cause non psychiatrique identifiée.4 Ces troubles ne sont plus définis négativement comme des symptômes somatiques « médicalement inexpliqués » mais comme des symptômes (à la fois physiques et psychiques) consécutifs d’une attention excessive ou inappropriée sur les sensations corporelles, associée à des représentations et interprétations pouvant renforcer les émotions négatives en lien avec ces sensations et entraînant des comportements pouvant avoir un rôle paradoxalement aggravant. De plus, plusieurs études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont permis de mettre en évidence des mécanismes cérébraux fonctionnels impliqués dans la physiopathologie de ces troubles.4
Une approche psychologique médicale des troubles somatoformes s’intégrant dans le champ de la psychologie de la santé va permettre de guider et de structurer l’examen clinique et l’évaluation sémiologique autour des manifestations cliniques mais également autour des cognitions, émotions et comportements du patient, en permettant de renforcer l’engagement et l’alliance avec le patient sur fond de représentation et d’objectifs partagés entre le médecin et le patient. Alors que les notions de psychopathologie, parfois transmises au cours des études de médecine, paraissent bien souvent difficiles à appréhender et à utiliser, renforçant paradoxalement la non-prise en charge des patients ayant des troubles somatoformes et leur errance médicale, la psychologie de la santé permet au contraire de fournir une perspective psychologique facilement utilisable dans la pratique médicale. Cette approche permet également d’organiser la prise en charge des patients souffrant de troubles somatoformes5 en identifiant les symptômes comme authentiques, en proposant un diagnostic « positif » dans le cadre des nosographies internationales et en analysant les facteurs de risque, déclenchant et entretenant le trouble afin de mettre en place les stratégies de prise en charge.
L’approche décrite dans cette tribune est en définitive celle réalisée en médecine pour l’ensemble des maladies chroniques, qu’elles soient somatoformes ou non, psychiatriques ou non. Et c’est bien ce que nous souhaitions mettre en évidence : la psychiatrie n’a pas le monopole de la psychologie médicale, qui concerne bien tous les médecins en contact avec des patients, à condition de l’aborder rigoureusement et suivant les standards cliniques et de recher- che médicale, comme le propose la psychologie de la santé, pour expliquer et prendre en charge les patients avec leurs maladies, qu’elles soient psychiatriques ou non. V
Ainsi, la psychologie médicale est un outil, une perspective essentiels à toute la médecine, avec des spécificités inhérentes aux différentes spécialités. Pour expliquer comment la psychiatrie et la psychologie médicale se différencient, il est intéressant d’explorer l’exemple paradigmatique des troubles somatoformes. En effet, la confusion entre psychiatrie et psychologie médicale est encore plus marquée et évidente lorsqu’on évoque ces troubles considérés comme « médicalement inexpliqués » puisqu’aucune anomalie identifiable de type lésionnel n’a pu être incriminée. Dans cette situation, la médecine attend souvent du psychiatre une approche de psychologie médicale se confondant avec la psychopathologie et la psychanalyse, dont le psychiatre serait également spécialiste. À la confusion entre psychiatrie et psychologie médicale se surajoute alors une confusion entre psychologie médicale et psychopathologie psychanalytique. Les attentes des médecins, qui demandent un avis psychiatrique, correspondent alors souvent à une interprétation « psychopathologique » de tel ou tel symptôme ou à la recherche du « processus de conversion » supposé d’une énergie « psychique refoulée » en énergie « somatique ». Ces attentes médicales, bien que non fondées sur un processus de raisonnement clinique médical classique, possèdent bien sûr des racines historiques puisque le concept de « conversion hystérique » était initialement utilisé pour définir les troubles somatoformes. Pourtant, bien que des facteurs de stress puissent être identifiés comme facteurs de risque, déclenchant ou entretenant des troubles somatoformes, leurs interprétations symboliques telles que proposées ci-dessus semblent peu en adéquation avec les standards de la médecine fondée sur les preuves.
Considérer la psychiatrie comme une spécialité médicale à part entière permet d’exiger la même rigueur clinique, thérapeutique et de recherche que dans le reste de la médecine. Cette volonté, exigeante et ambitieuse, pour une telle approche médicale, ne doit pas non plus conduire à une approche biomédicale réductionniste (centrée sur la maladie), mais plutôt aboutir à une approche biopsychosociale intégrative telle que développée par la psychologie de la santé et centrée sur le patient avec sa maladie en prenant en compte ses représentations, émotions et comportements en lien avec un contexte social. La psychologie de la santé étudie les styles de vie, leur impact sur la santé et les moyens de promouvoir des comportements sains.2 Deux postulats de départ distinguent radicalement l’approche de psychologie de la santé de l’approche psychopathologique, notamment psychanalytique. Premièrement, la psychologie de la santé considère que les sujets agissent de manière rationnelle en fonction de leurs représentations et émotions, ouvrant ainsi à la possibilité d’action concrète et évaluable, alors que la psychopathologie reste focalisée sur les processus inconscients et le déroulement d’une « cure » fondamentalement imprévisible. Deuxièmement, la psychologie de la santé propose une approche non fondée sur le dualisme psychique/somatique,3 mais elle prend en compte l’impact des représentations et émotions sur la santé et les maladies, permettant ainsi de dépasser l’opposition entre énergie « psychique » et énergie « somatique » de la psychopatho- logie, et de proposer des modèles de maladies intégrant ces différents aspects. Cette perspective implique évidemment pour la médecine de dépasser une approche des maladies uniquement centrée sur la lésion incriminée, sans pour autant basculer sur une approche psychologique non fondée sur les standards de rigueur médicale.
Cette approche, qui découle de la psychologie de la santé, peut être appliquée aux troubles somatoformes, les intégrant ainsi de plein droit dans le domaine de la médecine. Ainsi les troubles somatoformes représentent un pourcentage très important des consultations en médecine (au moins entre 5 et 10 %). Dans les classifications modernes des troubles psychiatriques, les troubles somatoformes sont désormais définis positivement par la présence de cognitions, émotions ou comportements « excessifs ou inappropriés », à l’origine d’un retentis- sement fonctionnel ou d’une souffrance subjective et accompagnant des symptômes somatiques ayant, ou non, une cause non psychiatrique identifiée.4 Ces troubles ne sont plus définis négativement comme des symptômes somatiques « médicalement inexpliqués » mais comme des symptômes (à la fois physiques et psychiques) consécutifs d’une attention excessive ou inappropriée sur les sensations corporelles, associée à des représentations et interprétations pouvant renforcer les émotions négatives en lien avec ces sensations et entraînant des comportements pouvant avoir un rôle paradoxalement aggravant. De plus, plusieurs études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont permis de mettre en évidence des mécanismes cérébraux fonctionnels impliqués dans la physiopathologie de ces troubles.4
Une approche psychologique médicale des troubles somatoformes s’intégrant dans le champ de la psychologie de la santé va permettre de guider et de structurer l’examen clinique et l’évaluation sémiologique autour des manifestations cliniques mais également autour des cognitions, émotions et comportements du patient, en permettant de renforcer l’engagement et l’alliance avec le patient sur fond de représentation et d’objectifs partagés entre le médecin et le patient. Alors que les notions de psychopathologie, parfois transmises au cours des études de médecine, paraissent bien souvent difficiles à appréhender et à utiliser, renforçant paradoxalement la non-prise en charge des patients ayant des troubles somatoformes et leur errance médicale, la psychologie de la santé permet au contraire de fournir une perspective psychologique facilement utilisable dans la pratique médicale. Cette approche permet également d’organiser la prise en charge des patients souffrant de troubles somatoformes5 en identifiant les symptômes comme authentiques, en proposant un diagnostic « positif » dans le cadre des nosographies internationales et en analysant les facteurs de risque, déclenchant et entretenant le trouble afin de mettre en place les stratégies de prise en charge.
L’approche décrite dans cette tribune est en définitive celle réalisée en médecine pour l’ensemble des maladies chroniques, qu’elles soient somatoformes ou non, psychiatriques ou non. Et c’est bien ce que nous souhaitions mettre en évidence : la psychiatrie n’a pas le monopole de la psychologie médicale, qui concerne bien tous les médecins en contact avec des patients, à condition de l’aborder rigoureusement et suivant les standards cliniques et de recher- che médicale, comme le propose la psychologie de la santé, pour expliquer et prendre en charge les patients avec leurs maladies, qu’elles soient psychiatriques ou non. V
Références
1. Hojat M, Louis DZ, Markham FW, Wender R, Rabinowitz C, Gonnella JS. Physicians’ empathy and clinical outcomes for diabetic patients. Acad Med 2011;86:359‑64.
2. Bruchon-Schweitzer M, Boujut E. Psychologie de la santé (2e éd). Modèles, concepts et méthodes. Paris : Dunod, 2014.
3. Amad A, Fovet T, Geoffroy PA. Keep calm: Psychiatric disorders are organic! The power of words in medicine. Aust N Z J Psychiatry 2016;50:100‑1.
4. Lemogne C. Troubles somatoformes. Rev Prat Med Gen 2018;1001:372-3.
5. Micoulaud-Franchi J, Hingray C, Bertschy G, Gerardin P. Item 70. Troubles somatoformes à tous les âges. Rev Prat 2016;66:e153-8.
2. Bruchon-Schweitzer M, Boujut E. Psychologie de la santé (2e éd). Modèles, concepts et méthodes. Paris : Dunod, 2014.
3. Amad A, Fovet T, Geoffroy PA. Keep calm: Psychiatric disorders are organic! The power of words in medicine. Aust N Z J Psychiatry 2016;50:100‑1.
4. Lemogne C. Troubles somatoformes. Rev Prat Med Gen 2018;1001:372-3.
5. Micoulaud-Franchi J, Hingray C, Bertschy G, Gerardin P. Item 70. Troubles somatoformes à tous les âges. Rev Prat 2016;66:e153-8.