En France, contrairement aux idées reçues, les psychotropes sont assez peu prescrits chez les enfants (2,5 % de la classe d’âge 0-18 ans, mais seulement 0,3 % si on exclut les anxiolytiques et hypnotiques).1 On peut s’en réjouir ou, au contraire, déplorer une sous-utilisation inappropriée. On sait, en outre, qu’un peu plus de 50 % de ces prescriptions se font hors AMM.2 Cela n’est pas surprenant car les marchés sont petits et n’intéressent pas les industriels du médicament.

Antipsychotiques : 3 grandes indications

Schizophrénies à début précoce (avant 18 ans)

Elles sont hélas négligées alors que l’on estime que 20 % des patients décompensent avant 19 ans.3 Dans l’AMM des antipsychotiques de deuxième génération (APSG), traitement de référence, l’âge minimal est 15 ans (aripiprazole, Abilify et génériques [G], et amisulpride, Solian et G), 16 ans (clozapine, Leponex) ou 18 ans (olanzapine, Onezyp, Zalasta, Zypadhera, Zyprexa et G ; quétiapine, Xeroquel, et rispéridone, Risperdal, Risperdalconsta, Risperdaloro et G). L’aripiprazole et la rispéridone sont les plus couramment utilisés, la clozapine étant réservée aux formes dites résistantes en raison de ses effets indésirables (risque d’agranulocytose imposant une surveillance biologique hebdomadaire durant les 18 premières semaines, puis tous les mois, et jusqu’à 4 semaines après arrêt, et prise de poids, principalement).

Bipolarité

Chez l’adolescent, le trouble bipolaire de type 1 (au moins un épisode maniaque, le type 2 étant défini par au moins un accès hypomaniaque) a une prévalence d’environ 1 %.4 La bipolarité chez l’enfant prépubère est en revanche controversée et probablement rarissime, mais des symptômes d’allure maniaque peuvent accompagner de nombreuses affections psychiatriques et développementales. L’aripiprazole, l’olanzapine et la rispéridone sont indiqués dans le trouble de type 1 aux États-Unis (autorisation de prescription de la FDA entre 10 et 17 ans). En France, seul l’aripiprazole a une indication dans l’épisode maniaque aigu avant 13 ans (12 semaines au maximum).

Troubles du comportement avec ou sans TSA

Est concerné le handicap intellectuel avec ou sans trouble du spectre autistique (TSA). La rispéridone et l’aripiprazole sont les plus étudiés, en particulier leurs effets sur l’agressivité et les comportements répétitifs : leur niveau d’efficacité est modéré. Les effets indésirables sont à surveiller (tableau 1). Plus de la moitié des patients prennent du poids, et la sédation est importante sous rispéridone (tableau 2). Cette molécule a l’AMM chez les patients de 5 à 18 ans ayant un handicap intellectuel (avec ou sans TSA) et des troubles du comportement.

Antidépresseurs : 3 indications

Principales indications des AD chez l’enfant et l’adolescent : les troubles anxieux, la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont mieux tolérés et tout aussi efficaces que les tricycliques. En général, dans l’épisode dépressif, les AD sont prescrits en 2e intention lorsque la symptomatologie est intense et, surtout, après échec d’un travail psychothérapeutique durant 4 à 6 semaines (nombre de séances variable selon les cas). Cependant, leur principale indication concerne les troubles anxieux.

Troubles anxieux (hors TOC)

Leur prévalence (trouble panique, agoraphobie, trouble anxieux généralisé, anxiété de séparation, sociale) est de l’ordre de 15-20 %. Le traitement est réservé aux cas résistants ou sévères, en raison du risque de chronicisation, de comorbidité avec la dépression, voire de tentative de suicide. Les AD sont efficaces dans cette population et cette indication, en particulier les ISRS (comme la fluoxétine, Prozac et G ; la paroxétine, Deroxat, Divarius et G, contre indiquée avant 15 ans ; la fluvoxamine, Floxyfral et G ; la sertraline, Zoloft et G) mais aussi les inhibiteurs de la sérotonine et la norépinéphrine (comme la venlafaxine, Effexor et G). La tolérance générale est bonne. Les douleurs abdominales ou les nausées (principaux effets secondaires) sont peu fréquentes ; il n’y a pas d’augmentation du risque suicidaire sous AD chez les anxieux non déprimés. Aucun ne dispose d’une AMM pour traiter l’anxiété à cet âge, on peut le regretter car des études montrent leur efficacité.

Trouble obsessionnel compulsif

L’efficacité des ISRS (sertraline mais aussi fluoxétine, paroxétine et fluvoxamine) est bien démontrée. En France, la sertraline a l’AMM à partir de 6 ans, la fluoxétine et la fluvoxamine à partir de 8 ans. Ils sont indiqués en deuxième intention après TCC ou associés d’emblée dans les cas sévères.

Dépression

Pathologie négligée, banalisée et sous- diagnostiquée, elle touche pourtant 2 % des enfants et 6 à 10 % des adolescents. Des travaux récents, repris dans la méta-­analyse de référence,7 suggèrent une efficacité modérée des AD et proposent, comme le recommande l’Ansm, de n’utiliser que la fluoxétine en 1re intention (AMM au-delà de 8 ans). Si la psychothérapie est à privilégier en première ligne chez l’enfant et l’adolescent, il ne faut pas, en cas de dépression résistante ou sévère, s’interdire la prescription d’un AD. On doit surveiller le risque suicidaire ainsi que les autres effets indésirables (gastro-intestinaux, irritabilité, insomnie, sédation, impatience motrice) surtout dans les 3 premiers mois chez les ados. Chez les enfants prépubères, un traitement prolongé peut retentir sur la croissance et le développement pubertaire.

Psychostimulants

Le méthylphénidate (MPH), stimulant du système nerveux central, est le médicament central du TDAH (prévalence : 4 à 5 % selon les études) : il est efficace dans 65 à 75 % des cas.
En France, il n’est prescrit qu’à 0,15 % de la population générale, taux faible versus ceux des autres pays occidentaux. Il a aussi l’AMM dans la narcolepsie à partir de 6 ans. Pour éviter les risques de mésusage, il est considéré comme un stupéfiant, et sa prescription doit obéir aux règles en vigueur (durée : 28 jours, date de délivrance ainsi que nom de la pharmacie et nombre total de milligrammes dispensés notés en toutes lettres). Il ne peut être initié que par un neuropédiatre ou pédopsychiatre hospitalier, après échec total ou partiel des thérapies non médicamenteuses (prescription valide 1 an, durant lequel le renouvellement est possible par tout médecin sur ordonnance sécurisée et pour 28 jours). Le spécialiste hospitalier doit réévaluer annuellement au minimum sa pertinence, son efficacité et sa tolérance.
Plusieurs formes galéniques sont sur le marché en France, se distinguant par leur durée d’action liée principalement à leur composition (mélange de MPH à libération immédiate et MPH à durée prolongée). Si le MPH LI agit environ 4 heures (Ritaline LI) avec les formes prolongées (100 % LP ou en combinaison), cela peut atteindre 8 heures (Quasym, Medikinet, Ritaline LP), voire 12 heures (Concerta), ce qui est utile pour éviter une prise de traitement durant le temps scolaire. Il est indiqué à partir de 6 ans.
Effets indésirables : céphalées précoces et transitoires conduisant à une adaptation de posologie, douleurs abdominales, baisse de l’appétit en raison de l’effet anorexigène du MPH (surveiller la courbe staturopondérale), troubles de l’endormissement (pas de prescription après 17 heures) et effets psychiques (nervosité, hypersensibilité, effet dépressiogène, induction ou exacerbations des tics). Contre-indications : schizophrénie, cardiopathies, hyperthyroïdie et glaucome. Un livret pédagogique est accessible gratuitement en ligne https://bit.ly/32U5odW.

Thymorégulateurs

Il en existe plusieurs : le valproate de sodium et ses dérivés (Dépakine, Depakote, Dépamide, Micropakine et G, hors AMM), topiramate (Epitomax, pas conseillé en tant que TR), carbama- zépine (Tégrétol, en 2e intention), l’oxcarbazépine (Trileptal et G, pas d’AMM dans les TB), la lamotrigine, (Lamictal et G pas d’AMM chez l’enfant) et bien sûr le lithium (AMM après 16 ans).
Leur utilisation est délicate en raison des effets secondaires. Sous valproate et dérivés, il s’agit de prise de poids et d’atteinte hépatique majoritairement. Mais c’est surtout le risque tératogène, connu depuis toujours, qui doit être pris en compte. En raison de malformations congénitales et de troubles du neurodéveloppement (chez plus de 1/3 des enfants), ces molécules sont désormais contre-­indiquées chez les jeunes filles en âge de procréer, même avec une contraception (Ansm).
Le valproate de sodium et ses dérivés ne sont pas recommandés, ni en France ni à l’étranger, dans le TB avant l’âge adulte (alors qu’ils le sont encore chez l’adulte malgré la place importante prise par les APSG). Le lithium semble être moins efficace dans les phases maniaques qu’en prophylaxie pour contrôler les rechutes. Les sels de lithium sont autorisés dans l’indication des TB à partir de 16 ans. Aucun autre thymorégulateur n’a l’AMM à cet âge.

Benzodiazépines

Elles n’ont pas bonne presse chez l’enfant et l’adolescent. C’est peut-être discutable. Elles sont anxiolytiques, sédatives, anticonvulsivantes et myorelaxantes. Si leur indication principale en pédiatrie est l’épilepsie, leur efficacité en psychiatrie, dans l’anxiété en particulier, est modérée selon la littérature scientifique (plusieurs ont l’AMM au-delà de 6 ans). Ce sont de moins bons anxiolytiques que les ISRS, mais leur effet est plus rapide (les ISRS ont un délai d’action de 2 à 3 semaines). Elles induisent parfois une sédation et surtout une difficulté à se concentrer qui a pu être responsable de difficulté de mémorisation, en particulier scolaire, contribuant à leur mauvaise image. Autre frein souvent mis en avant : leur effet paradoxal (elles provoquent une agitation parfois violente avec déréalisation, désinhibition, voire symptômes psychotiques). Des cas ont été publiés, mais ils sont anciens. Il semble que ce phénomène soit plus fréquent chez les patients cérébrolésés. Enfin, le risque de dépendance est important et justifie leur prescription limitée à 12 semaines par l’Ansm, comprenant la période de réduction de la posologie, qui doit être lente. La plupart des benzodiazépines (alprazolam, diazépam, bromazépam ou encore prazépam) ont cependant une AMM en France pour l’anxiété sur de courtes durées de traitement : elles sont alors une alternative possible aux antidépresseurs.

Encadre

Antipsychotiques : gare au syndrome métabolique

Le syndrome métabolique est défini par l’association d’anomalies de 3 critères sur les 5 suivants : taux de triglycérides, de HDL-cholestérol, glycémie à jeun ainsi que tour de taille (on préfère l’indice de masse corporelle ; IMC) et pression artérielle systolique. Les seuils chez l’enfant sont controversés. Lors de prescriptions prolongées d’antipsychotiques, on doit associer surveillance métabolique (doser glycémie et insuline à jeun, cholestérol total, HDL-C, LDL-C ; triglycérides ; tableau 1) et mesures préventives inspirées du Programme national nutrition santé : on recommande activité physique et éducation nutritionnelle. C’est un enjeu essentiel de la prise en charge. En outre, tous les APSG peuvent être responsables d’une somnolence et d’une fatigabilité. Certains induisent une hyperprolactinémie (responsable de galactorrhée et aménorrhée chez la femme ; de gynécomastie et galactorrhée chez l’homme). Des syndromes extrapyramidaux ont été décrits.

Références
1. Kovess V, Choppin S, Gao F, Pivette M, Husky M, Leray E. Psychotropic medication use in French children and adolescents. J Child Adolesc Psychopharmacol 2015;25:168-75.
2. Acquaviva E, Legleye S, Auleley GR, Deligne J, Carel D, Falissard BB. Psychotropic medication in the French child and adolescent population: prevalence estimation from health insurance data and national self-report survey data. BMC Psychiatry 2009;9:72.
3. Bonnot O, Cohen D. Les schizophrénies à début précoce. In: Danion-Grilliat A, Bursztejn C, eds. Psychiatrie de l’enfant. Paris: Lavoisier; 2011: 270-9.
4. Van Meter AR, Moreira AL, Youngstrom EA. Meta- analysis of epidemiologic studies of pediatric bipolar disorder. J Clin Psychiatry 2011;72:1250-6.
5. Cipriani A, Zhou X, Del Giovane C, et al. Comparative efficacy and tolerability of antidepressants for major depressive disorder in children and adolescents: a network meta-analysis. Lancet 2016;388:881-90.

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essentiel

Les antidépresseurs sont à privilégier dans les troubles anxieux et les TOC.

(2 %), comme celle de l’adolescent (6-10 %), est sous-diagnostiquée.

ce doit être la fluoxétine.

le syndrome métabolique chez tous les patients sous antipsychotiques.