Hépatologie. La maladie alcoolique du foie est une indication validée de transplantation hépatique chez les patients ayant une cirrhose décompensée. Mais malgré un bénéfice de survie, seule une minorité de patients y accède.
Mise au point
L’alcool est la substance psychoactive la plus consommée en France. Parmi les 12-75 ans, il existe 9,7 millions d’usagers réguliers (> 3 consommations/semaine) et 6,4 millions d’usagers quotidiens. Même si cette consommation diminue régulièrement depuis plusieurs décennies, on estime à 45 000 le nombre de décès en France liés à une consommation excessive d’alcool dont 10 000 liés à une complication de la maladie alcoolique du foie, cirrhose décompensée et cancer primitif du foie (carcinome hépato- cellulaire). L’Organisation mondiale de la santé a émis des recomman- dations pour une consommation à moindre risque. Elle ne doit pas dépasser deux unités d’alcool par jour pour les femmes (14 unités/ semaine) et trois unités d’alcool par jour pour les hommes (21 unités/semaine). Un risque de maladie alcoolique du foie existe au-delà de ces seuils de consommation, et le risque de cirrhose augmente avec la quantité d’alcool consommée.
La transplantation hépatique est depuis 30 ans le traitement de référence des complications de la cirrhose. La maladie alcoolique du foie compliquée ou non de carcinome hépatocellulaire est la principale indication de transplantation hépatique en France.1 Après transplantation, la maladie hépatique peut récidiver et la reprise de la consommation alcoolique a de nombreuses conséquences, tant à l’échelon individuel (risque de dysfonctionnement du greffon) que collectif (impact sur le don d’organes). Malgré ce risque, la transplantation hépatique s’est positionnée au fil du temps comme une thérapeutique incontournable dans le traitement de la maladie alcoolique du foie permettant une survie prolongée tout en améliorant la qualité de vie des patients.2

Expérience acquise et évolution dans la prise en charge des candidats à la transplantation

En 2016, 1 322 greffes hépatiques* ont été réalisées en France.1 La mala- die alcoolique du foie est devenue ces 10 dernières années la première indication de transplantation hépatique en France (en 2016 : 580 greffes avec l’indication maladie alcoolique du foie avec ou sans carcinome hépatocellulaire ; 331 greffes pour cirrhose alcoolique isolée et 250 greffes pour carcinome hépatocellulaire sur cirrhose alcoolique [2/3 des greffes pour carcinome hépatocellulaire]). Les patients dont l’indication de greffe est la maladie alcoolique du foie avec ou sans carcinome hépatocellulaire ou co-infection par le virus de l’hépatite B ou C représentent 47 % des patients nouvellement inscrits sur la liste d’attente de greffe (source : Agence de la biomédecine), malgré cela moins de 5 % accèdent à la greffe. Les raisons sont multiples : un accès plus faible et retardé aux soins ; un décès rapide après une première décompensation ; une alcoolo-dépendance majeure non contrôlée et/ou un déni de la maladie ; l’existence de contre- indications à la transplantation hépatique du fait de comorbidités sévères ; un antécédent de cancer ou la présence d’un cancer évolutif ; un âge physiologique dissuasif.
La maladie alcoolique du foie est une indication validée de transplantation hépatique avec une survie identique à celle des autres indications (85 % à 1 an, 73 % à 5 ans et 62 % à 10 ans).2-4 Cependant, cette indication a été longtemps controversée et soulève encore dans certains centres un débat éthique (fig. 1). Même si la première transplantation hépatique a été réalisée en 1963, les premières survies prolongées de patients transplantés pour maladie alcoolique du foie n’ont été constatées qu’au début des années 1980 grâce, entre autres, à l’utilisation de la ciclosporine. Lors de la première conférence de consensus de Washington sur la transplantation hépatique en 1983, ses principales indications étaient les maladies rares du foie (cholangite biliaire primitive chez l’adulte et atrésie des voies biliaire chez l’enfant). La maladie alcoolique du foie était considérée comme une indication marginale en raison de son caractère de « maladie auto-infligée » et représentait alors moins de 5 % des indications de transplantation hépatique. Les années 1990 ont été une période charnière dans l’histoire de la transplantation hépatique avec une amélioration considérable des taux de survie, passant de 32 % à 1 an au début des années 1980 à 75 % en 1993. La notion de pénurie de greffons disponibles est apparue de façon parallèle à l’élargissement des indications définies par la conférence de consensus de Paris en 1993. La cirrhose alcoolique, groupe le plus vaste des hépatopathies chroniques dans notre pays, devenait une indication reconnue de transplantation hépatique sous réserve de candidats particulièrement observants atteints d’une maladie sévère malgré une abstinence complète prolongée.
En 2005, la conférence de consensus française de Lyon consacrée à l’élargissement des indications de la transplantation hépatique confirmait que l’indication de greffe dans la maladie alcoolique du foie restait limitée aux cirrhoses compliquées et sévères (score de Child-Pugh C). La transplantation hépatique n’était pas recommandée chez les patients de gravité intermédiaire (score Child- Pugh B) ; en effet, dans une étude randomisée comparant la transplantation hépatique à une prise en charge médicale, il existait une surmortalité par cancers de novo dans le groupe transplanté par rapport au groupe contrôle sans bénéfice de survie. L’inscription sur liste d’attente des malades atteints de cirrhose alcoolique était donc conditionnée par, d’une part, un bilan pré-greffe particulièrement attentif, à la recher- che des lésions liées à la toxicité alcoolique extrahépatique, tels les cancers et les états précancéreux oto-rhino-laryngés, bronchiques, œsophagiens, une pathologie cardiovasculaire et respiratoire et d’autre part, une prise en charge addicto- logique aussi précoce que possible par une équipe spécialisée.

Problématique du sevrage

Une période d’abstinence est un élément indispensable avant une inscription sur la liste d’attente de transplantation hépatique, mais sa durée optimale reste débattue.3 « La règle des 6 mois » d’abstinence avant la transplantation a été communément retenue par la plupart des centres de transplantation hépatique à travers le monde. Son intérêt était double : éviter, d’une part, la transplantation chez des malades qui amélioraient leur fonction hépato- cellulaire à distance du sevrage, et identifier, d’autre part, des malades ayant un risque faible de rechute de maladie alcoolique du foie après la transplantation. Cependant, cette durée de sevrage, suivie par 85 % des équipes, ne semble plus être une règle intangible et ne devrait plus être considérée comme unique condition d’accès à la transplantation hépatique. En effet, « la règle des 6 mois » n’est pas un critère suffisamment robuste pour prédire la rechute de la consommation d’alcool après la transplantation. Ce critère est un bon prérequis d’inclusion mais un mauvais critère d’exclusion.

Évaluation médicale des patients candidats à la transplantation

L’évaluation prétransplantation hépatique doit évaluer la fonction pancréatique, la fonction rénale, l’état nutritionnel ainsi que le dépistage d’une neuropathie centrale et périphérique, d’une myopathie et d’une cardiomyopathie.2
Chez les candidats atteints d’encéphalopathie chronique, la « démence alcoolique » est un critère d’exclusion.
La forte prévalence de la double exposition à l’alcool et au tabac justifie le dépistage complémentaire d’une cardiopathie ischémique.
Un cancer doit être exclu car ces patients sont exposés à une incidence plus élevée de tumeurs soli- des malignes après la transplan- tation hépatique, en particulier au niveau des voies aériennes supérieures et du tractus gastro- intestinal supérieur.

Évaluation de la gravité de la maladie hépatique et séquençage de la transplantation

Le bénéfice de survie lié à la trans- plantation hépatique est restreint aux patients ayant une décompen- sation avancée alors qu’aucun avantage de survie n’est observé chez les patients atteints de cirrhose de gravité intermédiaire.2, 3 L’évaluation de la gravité de la cirrhose repose sur le score historique clinico-biologique de Child-Pugh (intégrant ascite, encéphalopathie hépatique, taux de prothrombine, albumine et bilirubine) et depuis plus récemment sur le score MELD (model for end-stage liver disease) qui intègre dans une formule mathématique, l’international normalized ratio (INR), le taux de bilirubine et la créatinémie en donnant une valeur entre 6 et 40. Le score MELD estime avec précision le bénéfice de survie individuel de la transplantation hépatique qui apparaît pour un score MELD supérieur à 17. Sa valeur pronostique a été validée chez des patients ayant une maladie alcoolique du foie. Cependant, comme pour les autres causes, une proportion importante de patients atteints de maladie alcoolique du foie et nécessitant une transplantation hépatique ne sont pas identifiés par le score MELD du fait des limites de ce score et ont accès à la transplan- tation sur la base d’avis d’experts gérés par l’Agence de la biomédecine. La temporalité de la transplantation hépatique doit être multiparamétrique, médicale, addictologique et psychosociale (fig. 2).

Cas particulier de l’hépatite alcoolique corticorésistante

L’hépatite alcoolique, dans sa forme sévère, est une des formes les plus graves de maladie alcoolique du foie dont le traitement de référence repose sur les corticoïdes. L’appli- cation d’un score simple (score de Lille) permet de prédire 80 % des décès. Chez les non-répondeurs à la corticothérapie selon ce modèle, la probabilité de décès est de 76 % à 6 mois ; dans ce contexte, l’application de « la règle des 6 mois » récuse de facto la grande majorité des patients à haut risque de décès. Une étude pilote franco-belge multicen- trique a mis en évidence que les patients corticorésistants transplantés avaient une survie supérieure (77 % à 6 mois) aux patients corticorésistants non transplantés (23 % ; p < 0,001), mais identique à celle des patients corticosensibles (85 % ;  p = 0,33).5 Après un recul post- transplantation hépatique de 24 mois, seuls 3 patients sur 26 avaient repris une consommation d’alcool dont un de façon occasionnelle. Cette étude pilote met en évidence que cette indication de la transplantation hépatique peut être retenue au cas par cas au sein d’une population sélectionnée de patients atteints d’hépatite alcoolique corticorésistante et ne se fait pas aux dépens des indications conventionnelles de transplantation hépatique (fig. 3). Les centres français et belges évaluent actuellement l’efficacité de la transplantation hépatique précoce dans les hépatites alcooliques ne répondant pas au traitement médical et testent l’utilité d’un algorithme dans le cadre d’une étude contrôlée soutenue par un programme national de recherche en français.

Rechute de la maladie alcoolique du foie après transplantation

Après transplantation hépatique, les principales causes de décès des patients transplantés pour maladie alcoolique du foie sont les infections, les cancers de novo et les compli- cations cardiovasculaires qui sont significativement plus fréquents que pour les autres causes.4 Après une transplantation hépatique pour maladie alcoolique du foie, il existe un risque de rechute de la maladie alcoolique. Le terme de « récidive » apparaît impropre car il sous-entend que le malade a été totalement guéri par la transplantation alors que la « composante addictive » de la maladie alcoolique reste un enjeu majeur dans le suivi des patients. C’est dans ce domaine que les mentalités et la prise en charge des patients ont le plus évolué ces dernières années. En effet, il est maintenant admis que le spectre de la rechute est un continuum hétérogène (débutant par la réalcoolisation ponctuelle en faible quantité ou « faux pas », qui a peu d’impact sur la survie du greffon, et allant jusqu’à la rechute sévère massive) et non pas une problématique binaire (alcool + vs alcool -). La rechute ne doit donc plus être vécue comme un échec de la transplantation, mais comme une complication en tant que telle. Le diagnostic précoce de rechute de la maladie alcoolique après trans- plantation hépatique est souvent difficile car culpabilisante pour le transplanté. Il se fait sur un faisceau d’arguments directs et indirects : interrogatoire du patient et de ses proches, examens cliniques et biologiques. Cependant, il n’y a pas de consensus sur les modalités de dépistage et de prise en charge de la récidive de la maladie alcoolique du foie après transplantation.2
Le risque de rechute de la maladie alcoolique du foie est très variable selon les études en raison de l’absence de définition consensuelle, du manque d’outils d’analyse et de la variabilité de la durée du suivi après la transplantation. Le risque de rechute massive est de l’ordre de 10 à 20 %. La consommation d’alcool après une transplantation hépatique existe aussi chez les patients transplantés pour d’autres causes avec un pourcentage global de consommateurs équivalent à 12 mois de la transplantation. En revanche, le risque de consommation massive est significativement plus important chez les patients transplantés pour maladie alcoolique du foie. Le risque de rechute augmente avec le temps après transplantation hépatique (4 à 5 % à 6 mois, et 16 à 17 % après 12 mois). L’histoire naturelle de la rechute n’est pas univoque. La plupart des études ne mettent pas en évidence d’impact sur la survie post-transplantation hépatique à court terme, ni sur l’observance du traitement immunosuppresseur. En revanche, il apparaît clairement que la rechute massive de la maladie alcoolique du foie diminue la survie à long terme des patients transplantés. Elle entraîne un risque de récidive de la fibrose sur le greffon et est associée à un défaut d’observance du traitement immunosuppresseur, avec le risque potentiel de rejets tardifs. Les facteurs de risque de rechute les plus fréquemment trouvés sont  : l’âge, les troubles de l’humeur avec risque suicidaire, les conditions sociales précaires, les addictions multiples et le niveau d’alcoolo-dépendance avec des antécédents de cure de sevrage.

De bons résultats à certaines conditions

La maladie alcoolique du foie au stade de cirrhose décompensée est devenue la principale indication de transplantation hépatique en France. Les résultats à court et moyen termes sont favorables et comparables aux autres indications, mais à long terme ils sont conditionnés par le risque de rechute de la consommation massive d’alcool et le risque carcinologique post-transplantation. Le moment idéal théorique pour adresser un patient à la transplantation hépatique repose sur un triptyque : complication grave de la cirrhose avec pronostic vital engagé dans l’année – abstinence consolidée dans un cadre moderne de réflexion autour de l’alcool – structuration psycho- sociale favorable et aidante. Quelques situations singulières comme celle de l’hépatite alcoolique résistante au traitement médical sont en cours d’évaluation.
Références
1. Agence de la biomédecine. Le rapport médical et scientifique du prélèvement et de la greffe en France, 2016. www.agence-biomedecine.fr ou https://bit.ly/2yAp7Em
2. European Association for the Study of the Liver. EASL clinical practice guidelines: Liver transplantation. J Hepatol 2016;64:433-85.
3. Addolorato G, Bataller, Burra P, et al. Liver transplantation for alcoholic liver disease. Transplantation 2016;100:981-7.
4. Burra P, Senzolo M, Adam R, et al. Liver transplantation for alcoholic liver disease in Europe: a study from the ELTR (European Liver Transplant Registry). Am J Transplant 2010;10:138-48.
5. Mathurin P, Moreno C, Samuel D, et al. Early liver transplantation for severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2011;365:1790-800.

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Résumé

La maladie alcoolique du foie est la principale cause de cirrhose en France mais il n’y a qu’une minorité des patients qui accède à la transplantation hépatique. Bien que parfois encore controversée, cette maladie est une indication validée de transplantation avec une survie identique à celle des autres indications. Le bénéfice de survie lié à la transplantation hépatique est restreint aux patients ayant une décompensation avancée alors qu’aucun bénéfice de survie n’est observé chez les patients atteints de cirrhose de gravité intermédiaire. Une période d’abstinence est un élément indispensable avant inscription sur liste, mais « la règle des 6 mois » d’abstinence n’est pas un critère suffisamment robuste pour prédire la rechute de la consommation d’alcool après transplantation. Une indication de transplantation pourrait être à l’avenir ponctuellement retenue au cas par cas en présence d’une hépatite alcoolique corticorésistante. Le spectre de la rechute après greffe est un continuum hétérogène débutant par la ré-alcoolisation ponctuelle en faible quantité, qui a peu d’impact sur la survie du patient et du greffon, jusqu’à une consommation massive qui diminue significativement la survie des patients à long terme. Une minorité de patients a une rechute massive de la maladie alcoolique du foie après transplantation. La prévention de cette rechute nécessite une prise en charge spécialisée addictologique précoce qui doit commencer idéalement avant même la transplantation.