J’accueille un couple en consultation. Les deux sont circonspects, ont un regard méfiant mais en même temps curieux. Ils attendent que je leur annonce les suites du parcours néphrologique. Elle est pâle et amaigrie : elle est atteinte d’une insuffisance rénale chronique due à un lupus systémique. Son insuffisance rénale a atteint le stade 4 : son débit de filtration glomérulaire (DFG) est à 20 mL/min et se dégrade de plus en plus rapidement. Lui, son partenaire, l’accompagne pour la soutenir et savoir ce qui les attend : il ignore que la pathologie dont elle souffre va changer, influencer et mettre à l’épreuve le cours de leur vie commune.
Cette consultation est un moment clé du parcours du patient insuffisant rénal chronique : ce qui va être dit et la façon avec laquelle l’entretien sera mené peut changer la vie de la patiente et de son entourage.
Pendant cette consultation, le néphrologue doit aborder le thème du traitement de suppléance, qui passe idéalement par une transplantation rénale, à réaliser, si possible, avant d’instaurer un traitement dialytique (« greffe préemptive »). Après avoir vérifié que la patiente n’a pas de contre-indication absolue à la greffe rénale, il doit évoquer la transplantation rénale à partir d’un donneur vivant. C’est ce traitement de l’insuffisance rénale chronique qui est associé à la moindre morbidité-mortalité pour le receveur, quel que soit son âge, et qui a donc la plus grande chance d’améliorer sa qualité de vie.1, 2
Parler au patient de la greffe issue d’un donneur vivant n’est jamais facile, car il s’agit de demander la contribution d’un donneur : quelqu’un en bonne santé, qu’on « obligera » à « se soumettre » à un parcours médical complexe et, qui, si le tout aboutit, devra « subir » une intervention chirurgicale. Cette vision de devoir dépendre du bon geste d’un proche met mal à l’aise le receveur, et parfois le soignant, et les empêche de réfléchir sereinement à cette option.
De plus, le récit sociétal sur la greffe par donneur vivant et l’imaginaire collectif de ce geste sont remplis d’idées préconçues et de mystifications qui nécessitent d’être déconstruites pour que le patient puisse s’approprier entièrement cette option thérapeutique.
Pour s’affranchir de ces obstacles, le néphrologue a à sa disposition plusieurs stratégies.
Cette consultation est un moment clé du parcours du patient insuffisant rénal chronique : ce qui va être dit et la façon avec laquelle l’entretien sera mené peut changer la vie de la patiente et de son entourage.
Pendant cette consultation, le néphrologue doit aborder le thème du traitement de suppléance, qui passe idéalement par une transplantation rénale, à réaliser, si possible, avant d’instaurer un traitement dialytique (« greffe préemptive »). Après avoir vérifié que la patiente n’a pas de contre-indication absolue à la greffe rénale, il doit évoquer la transplantation rénale à partir d’un donneur vivant. C’est ce traitement de l’insuffisance rénale chronique qui est associé à la moindre morbidité-mortalité pour le receveur, quel que soit son âge, et qui a donc la plus grande chance d’améliorer sa qualité de vie.1, 2
Parler au patient de la greffe issue d’un donneur vivant n’est jamais facile, car il s’agit de demander la contribution d’un donneur : quelqu’un en bonne santé, qu’on « obligera » à « se soumettre » à un parcours médical complexe et, qui, si le tout aboutit, devra « subir » une intervention chirurgicale. Cette vision de devoir dépendre du bon geste d’un proche met mal à l’aise le receveur, et parfois le soignant, et les empêche de réfléchir sereinement à cette option.
De plus, le récit sociétal sur la greffe par donneur vivant et l’imaginaire collectif de ce geste sont remplis d’idées préconçues et de mystifications qui nécessitent d’être déconstruites pour que le patient puisse s’approprier entièrement cette option thérapeutique.
Pour s’affranchir de ces obstacles, le néphrologue a à sa disposition plusieurs stratégies.
Quelle stratégie ?
En parler tôt
Le sujet de la greffe par donneur vivant doit être évoqué au plus tôt dans la maladie rénale chronique. Le patient doit savoir que cette possibilité existe même quand elle apparaît loin car la fonction rénale est encore bonne. Il aura ainsi le temps, s’il le souhaite, de s’interroger, de se renseigner, et même peut-être d’en parler à son entourage.
Généralement, le patient insuffisant rénal chronique est suivi par un néphrologue qui ne travaille pas nécessairement dans un centre réalisant des greffes et qui devra introduire le sujet de la greffe bien avant que le patient puisse être adressé au centre de greffe. Déjà, lors de ces entretiens, la possibilité d’un don vivant doit être évoquée.
Généralement, le patient insuffisant rénal chronique est suivi par un néphrologue qui ne travaille pas nécessairement dans un centre réalisant des greffes et qui devra introduire le sujet de la greffe bien avant que le patient puisse être adressé au centre de greffe. Déjà, lors de ces entretiens, la possibilité d’un don vivant doit être évoquée.
Aborder le sujet avec les autres intervenants
Le sujet de la greffe par donneur vivant doit être abordé avec les autres intervenants du parcours du patient. Bien souvent, par manque de formation, les soignants eux-mêmes ne connaissent pas les indications de la greffe par donneur vivant et n’en connaissent pas les tenants et aboutissants, n’en parlant donc pas avec les patients ou en leur donnant de fausses informations. Une information par le néphrologue expliquant que ce sujet a été abordé avec le patient est indispensable pour que l’ensemble des intervenants soient en phase avec le projet.
En parler souvent
Le sujet de la greffe par donneur vivant doit être évoqué fréquemment et par les divers acteurs du parcours médical : néphrologue, infirmière de parcours, médecin traitant, psychologue, etc. Le patient peut ainsi se rendre compte que le sujet n’est pas tabou, mais une stratégie courante qui est vue par les soignants comme une solution idéale de traitement de sa pathologie.
En parler en présence d’un proche
Le sujet de la greffe par donneur vivant doit être abordé en présence d’un proche ou d’une personne de confiance. Demander à quelqu’un s’il est prêt à lui donner un rein est peut-être courant et accepté dans les pays anglo-saxons, mais certainement pas dans les mœurs d’un pays comme la France. Partager cette information avec quelqu’un d’autre aidera le patient à ne pas se sentir à l’origine d’une démarche active de recherche d’un donneur. Lors de ces consultations, il peut être utile de dire aux accompagnants qu’ils sont les porte-parole du patient, et que, si le futur receveur est d’accord, ils pourront diffuser à l’entourage du patient le besoin d’un donneur.
En somme, plus le receveur et son entourage sont informés de cette possibilité thérapeutique et de son déroulement, plus il y aura de chances que le patient puisse un jour en bénéficier. Lafigure ci-dessus résume les moments clés du parcours « donneur vivant ».
En somme, plus le receveur et son entourage sont informés de cette possibilité thérapeutique et de son déroulement, plus il y aura de chances que le patient puisse un jour en bénéficier. La
Consultation prégreffe au centre de transplantation
Quand le néphrologue estime que la fonction rénale du patient commence à relever d’un projet de greffe (généralement quand le DFG est inférieur à 20 mL/min), il adresse le patient au centre de transplantation rénale de référence. C’est à ce moment que l’équipe de greffe rencontre pour la première fois le patient. Là encore, il est indispensable que le patient soit accompagné par sa personne de confiance, afin de partager les informations qui lui seront données.
Les entretiens ont comme objectif de connaître le patient et ses antécédents et de valider la possibilité d’un projet de greffe. Le néphrologue et son équipe évoquent à ce moment-là, s’ils estiment que les prérequis existent, la possibilité d’un don du vivant.
Pendant ces entretiens avec le candidat à une greffe, le néphrologue doit donner une information la plus équilibrée possible, en présentant les nombreux avantages d’une greffe par donneur vivant, mais aussi les risques liés à la chirurgie, le risque de rejet et les risques secondaires au traitement immunosuppresseur antirejet.
Quelques bémols sont toutefois à souligner. Malgré les bénéfices connus de la transplantation rénale et en particulier de celle à partir de donneurs vivants, tous les candidats ne pourront y accéder. Certains patients ont des contre-indications absolues à la greffe : un cancer actif, une anomalie anatomique rendant le geste opératoire impossible (obésité morbide, calcifications extensives au niveau des artères iliaques), des infections actives en cours, une maladie cardiovasculaire empêchant l’anesthésie, un état général trop précaire pour une chirurgie, etc. Dans ces cas, la consultation dans le centre de greffe peut se transformer en un moment de grande déception, tant grandes sont les attentes qui reposent sur une greffe.
Les entretiens ont comme objectif de connaître le patient et ses antécédents et de valider la possibilité d’un projet de greffe. Le néphrologue et son équipe évoquent à ce moment-là, s’ils estiment que les prérequis existent, la possibilité d’un don du vivant.
Pendant ces entretiens avec le candidat à une greffe, le néphrologue doit donner une information la plus équilibrée possible, en présentant les nombreux avantages d’une greffe par donneur vivant, mais aussi les risques liés à la chirurgie, le risque de rejet et les risques secondaires au traitement immunosuppresseur antirejet.
Quelques bémols sont toutefois à souligner. Malgré les bénéfices connus de la transplantation rénale et en particulier de celle à partir de donneurs vivants, tous les candidats ne pourront y accéder. Certains patients ont des contre-indications absolues à la greffe : un cancer actif, une anomalie anatomique rendant le geste opératoire impossible (obésité morbide, calcifications extensives au niveau des artères iliaques), des infections actives en cours, une maladie cardiovasculaire empêchant l’anesthésie, un état général trop précaire pour une chirurgie, etc. Dans ces cas, la consultation dans le centre de greffe peut se transformer en un moment de grande déception, tant grandes sont les attentes qui reposent sur une greffe.
Recherche d’un donneur
Trouver un potentiel donneur vivant est toujours une phase délicate du processus. Souvent, naturellement, quelqu’un de l’entourage se propose et, par effet « boule de neige », d’autres personnes s’associent à la démarche. Dans ces cas, les néphrologues ont la tâche de choisir le meilleur candidat, pas forcément le plus immunologiquement compatible. Plusieurs facteurs entrent en jeu : la psychologie et l’âge du donneur et du receveur, l’état de santé du donneur et finalement des facteurs anatomiques.
Plus difficile est le cas où le patient, futur receveur, souhaiterait une greffe par donneur vivant, mais personne autour de lui ne s’est pas porté candidat au don. Dans ce cas, le projet souvent s’arrête car le receveur n’a pas le « cœur » à demander aux autres un « si grand sacrifice ». C’est à ce moment-là que le tiers entre en jeu. Le néphrologue peut demander au tiers d’être le porte-parole du patient vis-à-vis de ses proches. Dans ces cas, il faut expliquer clairement au tiers que se présenter comme candidat ne veut pas dire automatiquement qu’il sera retenu et qu’il y aura un processus médical de sélection. Il faut souligner qu’à n’importe quel moment le donneur pourra se rétracter sans devoir se justifier.
Plus difficile est le cas où le patient, futur receveur, souhaiterait une greffe par donneur vivant, mais personne autour de lui ne s’est pas porté candidat au don. Dans ce cas, le projet souvent s’arrête car le receveur n’a pas le « cœur » à demander aux autres un « si grand sacrifice ». C’est à ce moment-là que le tiers entre en jeu. Le néphrologue peut demander au tiers d’être le porte-parole du patient vis-à-vis de ses proches. Dans ces cas, il faut expliquer clairement au tiers que se présenter comme candidat ne veut pas dire automatiquement qu’il sera retenu et qu’il y aura un processus médical de sélection. Il faut souligner qu’à n’importe quel moment le donneur pourra se rétracter sans devoir se justifier.
Raisons d’un don vivant
Lors d’une consultation avec le receveur et son accompagnant ou avec un potentiel donneur, il est essentiel de démontrer que les soignants et les patients partagent les mêmes objectifs : d’une part, explorer une stratégie thérapeutique optimale pour le receveur et, d’autre part, assurer la sécurité maximale pour l’éventuel donneur. Il faut décrire les étapes du don tant pour le donneur que pour le receveur. Il faut démontrer que le processus est transparent, encadré par la loi,3, 4 en soulignant que si une condition de sécurité n’est pas remplie tout s’arrête. Il faut rassurer en stipulant que le processus prévoit de multiples redondances qui permettent d’identifier rapidement si le projet n’est pas idéal. Le résultat final n’est pas acquis, puisque plus de 50 % des projets de don sont abandonnés en cours de route pour de multiples raisons.
Il faut évoquer les bénéfices nombreux et évidents pour les receveurs : pas d’attente sur liste, geste programmé, greffon de qualité idéale, possibilité de s’affranchir de l’incompatibilité de groupe sanguin, meilleure survie du greffon, etc. En même temps, il faut rappeler que pour le donneur il n’y a pas que des préjudices : ainsi il pourra bénéficier d’un check-up de santé très approfondi. Nombreux sont les cas chez des donneurs potentiels où des tumeurs infracliniques ont été dépistées et ont permis une prise en charge précoce. Mais il ne faut pas oublier non plus que le receveur évitera ainsi le recours à la dialyse et pourra bénéficier d’une vie de qualité après la greffe, ce qui se répercutera de façon directe ou indirecte sur le donneur.5 Le cas des conjoints est le plus parlant : la mise en dialyse du conjoint limite fortement la vie de couple, le partage des tâches quotidiennes, le maintien des enfants en bas âge, les déplacements touristiques, les congés, etc. L’intérêt d’une greffe par donneur vivant est dans ces cas partagé entre donneur et receveur, et le projet n’est plus seulement lié à des sentiments de générosité du donneur envers son receveur : chacun y trouve des avantages.
Le couple sort de ma consultation : certes, ils sont bouleversés par l’imminente nécessité d’un traitement de suppléance de l’insuffisance rénale terminale, mais ils sont rassurés sur le fait qu’une solution soit à portée de main. Au début de la consultation, ils avaient l’air circonspects et méfiants, mais progressivement cette attitude prudente a laissé la place à une interrogation, initialement chuchotée, puis clairement affirmée : puis-je être donneur ? Devant ma réponse affirmative, le couple a commencé à me poser une série de questions auxquelles j’ai répondu de manière rassurante mais factuelle. On s’est donné rendez-vous pour débuter un bilan pré-don : un nouveau projet de vie se profile.
Il faut évoquer les bénéfices nombreux et évidents pour les receveurs : pas d’attente sur liste, geste programmé, greffon de qualité idéale, possibilité de s’affranchir de l’incompatibilité de groupe sanguin, meilleure survie du greffon, etc. En même temps, il faut rappeler que pour le donneur il n’y a pas que des préjudices : ainsi il pourra bénéficier d’un check-up de santé très approfondi. Nombreux sont les cas chez des donneurs potentiels où des tumeurs infracliniques ont été dépistées et ont permis une prise en charge précoce. Mais il ne faut pas oublier non plus que le receveur évitera ainsi le recours à la dialyse et pourra bénéficier d’une vie de qualité après la greffe, ce qui se répercutera de façon directe ou indirecte sur le donneur.5 Le cas des conjoints est le plus parlant : la mise en dialyse du conjoint limite fortement la vie de couple, le partage des tâches quotidiennes, le maintien des enfants en bas âge, les déplacements touristiques, les congés, etc. L’intérêt d’une greffe par donneur vivant est dans ces cas partagé entre donneur et receveur, et le projet n’est plus seulement lié à des sentiments de générosité du donneur envers son receveur : chacun y trouve des avantages.
Le couple sort de ma consultation : certes, ils sont bouleversés par l’imminente nécessité d’un traitement de suppléance de l’insuffisance rénale terminale, mais ils sont rassurés sur le fait qu’une solution soit à portée de main. Au début de la consultation, ils avaient l’air circonspects et méfiants, mais progressivement cette attitude prudente a laissé la place à une interrogation, initialement chuchotée, puis clairement affirmée : puis-je être donneur ? Devant ma réponse affirmative, le couple a commencé à me poser une série de questions auxquelles j’ai répondu de manière rassurante mais factuelle. On s’est donné rendez-vous pour débuter un bilan pré-don : un nouveau projet de vie se profile.
Références
1. Wolfe RA, Ashby VB, Milford EL, Ojo AO, Ettenger RE, et al. Comparison of mortality in all patients on dialysis, patients on dialysis awaiting transplantation, and recipients of a first cadaveric transplant. N Engl J Med 1999;341:1725-30.
2. Tarantino A. Why should we implement living donation in renal transplantation? Clin Nephrol 2000;53:suppl. 55-63.
3. Code de la santé, première partie, livre 2, titre 3, chapitre 1 : article 1231-1,2,3,4.
4. Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
5. Van Pilsum Rasmussen SE, Robin M, Saha A, Eno A, Lifshitz R et al. The tangible benefits of living donation: results of a qualitative study of living kidney donors. Transplant Direct 2020;6:e626.
2. Tarantino A. Why should we implement living donation in renal transplantation? Clin Nephrol 2000;53:suppl. 55-63.
3. Code de la santé, première partie, livre 2, titre 3, chapitre 1 : article 1231-1,2,3,4.
4. Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
5. Van Pilsum Rasmussen SE, Robin M, Saha A, Eno A, Lifshitz R et al. The tangible benefits of living donation: results of a qualitative study of living kidney donors. Transplant Direct 2020;6:e626.