L’histoire des associations de patients témoigne d’un long processus d’émancipation citoyenne et en éclaire les enjeux politiques. La dynamique de la mobilisation des associations se déploie tant dans l’espace social des personnes malades que dans les lieux de soins ou au niveau institutionnel, au sein d’une véritable évolution sociétale.
La démocratisation des questions de santé est souvent attribuée aux mobilisations liées à l’épidémie de sida. Un retour sur l’histoire des associations et des plaidoyers en santé montre pourtant qu’elle s’inscrit dans un long processus d’émancipation citoyenne. Ce détour historique permet d’apprécier les enjeux institutionnels et politiques d’une participation effective des personnes malades.
Démocratisation de la santé, une histoire ancienne
La Révolution française amorce un grand mouvement de démocratisation et d’émancipation.1 Les citoyens veulent que les droits qu’ils ont obtenus soient effectifs, notamment celui d’égalité dans sa dimension sociale.
La santé n’est pas épargnée par cette tendance et les malades non plus. La classe ouvrière s’approprie le sujet en s’organisant dans des sociétés de secours mutuel pour se protéger des risques et des accidents liés au travail. Cette démocratisation ne se fait pas sans heurts. Elle se confronte d’abord à l’État de la Révolution française, qui se méfie de certaines corporations, et au patronat philanthrope. Ce dernier voit les sociétés de secours mutuel comme un outil syndical. Il souhaite que la santé soit plutôt objet d’assistance et de charité envers les plus pauvres. Ces sociétés sont d’abord interdites2 mais tolérées, puis, dès 1852, Napoléon III crée un système de mutuelles approuvées. Pour être subventionnées, elles doivent être dirigées par des notables. Les sociétaires ne peuvent plus en élire les dirigeants. À partir de cette réforme, les mutuelles s’autonomisent du syndicalisme. C’est une première tentative étatique de disciplinarisation des mobilisations autour de la santé. Ce mouvement mutualiste peine à créer des centres de santé ou cliniques. Ces lieux proposent pourtant des services plus modernes que l’hôpital, de meilleures conditions d’hygiène, des chambres doubles ou triples plutôt que la salle commune hospitalière. Mais les syndicats de médecins libéraux menacent leurs membres d’exclusion s’ils négocient leurs tarifs avec les mutualistes.3 Cette opposition met à mal de nombreuses initiatives.
Les multiples débats dans la presse de l’époque témoignent de ce passage de la thématique de la santé dans l’espace public. Tous les journaux s’en font l’écho, qu’ils soient anarchistes, communistes, conservateurs ou catholiques :4 comment les plus pauvres peuvent-ils s’organiser ? L’hôpital doit-il être dirigé par des médecins ou des religieux ? Faut-il réformer les sanatoriums ?
La santé n’est pas épargnée par cette tendance et les malades non plus. La classe ouvrière s’approprie le sujet en s’organisant dans des sociétés de secours mutuel pour se protéger des risques et des accidents liés au travail. Cette démocratisation ne se fait pas sans heurts. Elle se confronte d’abord à l’État de la Révolution française, qui se méfie de certaines corporations, et au patronat philanthrope. Ce dernier voit les sociétés de secours mutuel comme un outil syndical. Il souhaite que la santé soit plutôt objet d’assistance et de charité envers les plus pauvres. Ces sociétés sont d’abord interdites2 mais tolérées, puis, dès 1852, Napoléon III crée un système de mutuelles approuvées. Pour être subventionnées, elles doivent être dirigées par des notables. Les sociétaires ne peuvent plus en élire les dirigeants. À partir de cette réforme, les mutuelles s’autonomisent du syndicalisme. C’est une première tentative étatique de disciplinarisation des mobilisations autour de la santé. Ce mouvement mutualiste peine à créer des centres de santé ou cliniques. Ces lieux proposent pourtant des services plus modernes que l’hôpital, de meilleures conditions d’hygiène, des chambres doubles ou triples plutôt que la salle commune hospitalière. Mais les syndicats de médecins libéraux menacent leurs membres d’exclusion s’ils négocient leurs tarifs avec les mutualistes.3 Cette opposition met à mal de nombreuses initiatives.
Les multiples débats dans la presse de l’époque témoignent de ce passage de la thématique de la santé dans l’espace public. Tous les journaux s’en font l’écho, qu’ils soient anarchistes, communistes, conservateurs ou catholiques :4 comment les plus pauvres peuvent-ils s’organiser ? L’hôpital doit-il être dirigé par des médecins ou des religieux ? Faut-il réformer les sanatoriums ?
Tuberculose, un exemple de mobilisation des malades
C’est dans ce contexte que naissent, à la fin du XIXe siècle, les premières associations de personnes atteintes par la tuberculose. Ces malades revendiquent une place de citoyen à part entière et dénoncent leurs conditions sociales. Ils s’organisent dans les sanatoriums pour notamment éditer des journaux, exercer leur droit de vote ou de travail, ou encore informer sur l’évolution des traitements.5 Cette dynamique se déploie à l’encontre de la philanthropie et du discours guerrier de l’État contre la maladie à l’origine de « l’armement contre la tuberculose ». En effet, la maladie est privée du récit romantique qui l’entourait autrefois.5 Elle devient la chose du peuple ouvrier aux mœurs peu recommandables. Les malades en sanatorium sont dénigrés : il y a celui qui profite et abuse d’être nourri et logé gratuitement mais aussi celui qui ne s’est pas isolé assez rapidement et fait porter sa faute à la société.6 Pourtant, l’auto-organisation des malades révèle leur souhait constant d’être considérés avec dignité et de s’approprier la santé comme possibilité d’agir (figure ). Ce mouvement reste actif jusqu’à la mise en place de traitements antibiotiques, après la Seconde Guerre mondiale. Son ampleur montre que cette émancipation débute bien avant les dispositifs récents de participation.
Naissance des dispositifs de démocratie sanitaire
Dans les années 1980, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) se propage. Des malades se mobilisent une nouvelle fois et sont épaulés par des militants homosexuels, féministes, travailleurs sociaux et soignants. Les revendications des groupes auto-organisés comme Aides ou Act Up excèdent les préoccupations du seul expert médical et même du malade. Ils deviennent des acteurs politiques individuels et collectifs.7 Il faut d’abord « s’organiser pour survivre », indiquait Catherine Tourette-Turgis, fondatrice de l’Université des Patients à Sorbonne Médecine, dans l’émission « Les patients prennent le pouvoir » sur France Culture, le 14 novembre 2017. La lutte se fait sociale autour du tabou des pratiques sexuelles ou encore des discriminations subies par les séropositifs et homosexuels. Elle touche également à l’élaboration scientifique, par la participation des associations à la recherche.
Grâce à la trithérapie, dès les années 1990, les malades séropositifs des pays riches deviennent des malades chroniques. Il s’agit maintenant de vivre avec la maladie. À partir de cette période, les acteurs du sida prennent des postes dans différentes associations de patients pour transmettre leurs savoirs à d’autres acteurs de la santé. Les connaissances des malades se diffusent dans toute la société à travers des projets, qu’ils soient associatifs, institutionnels ou universitaires (exemple de l’Université des patients à l’université Sorbonne Médecine : https://universitedespatients-sorbonne.fr/).
En marge de l’épidémie de sida survient l’affaire dite du sang contaminé : dans les années 1980, en raison de mesures de sécurité insuffisantes, de retard dans la prise de décisions, des milliers de personnes transfusées ont été contaminées par le VIH et le virus de l’hépatite C. La journaliste Anne-Marie Casteret révèle ce scandale.8 La Cour de justice de la République, composée en majorité de parlementaires, est saisie : elle relaxe les principaux accusés. La nécessité de mettre en place un contre-pouvoir citoyen devient évidente pour l’opinion publique. Le terrain est alors propice à l’institutionnalisation d’une forme de participation citoyenne aux politiques de santé afin d’éviter de tels scandales.
Dans le prolongement de ces actions, en 1998, la Ligue contre le cancer lance les États généraux du cancer. L’objectif est de donner la parole aux associations et notamment de montrer la maladie autrement que par le prisme habituel du corps médical. Cette initiative inspire les États généraux de la santé, qui se tiennent en France de septembre 1998 à juin 1999 dans 180 villes. Des débats sont organisés autour de la participation et la place du patient. Ils donneront en partie lieu à l’élaboration de la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
L’objectif de ce dispositif juridique est de protéger la personne malade en lui reconnaissant un statut particulier en raison de sa vulnérabilité. Il se compose de droits collectifs (par une participation des citoyens aux instances et à la mise en œuvre des politiques de santé) et individuels9 (comme le consentement au soin ou le respect de la dignité de la personne). Les rapports d’asymétrie entre le profane et l’expert mais aussi entre l’institution et l’usager n’étaient pas reconnus jusqu’alors. Le patient ne bénéficiait que du droit commun, c’est-à-dire du droit de la responsabilité applicable à tout citoyen. La situation particulière du malade rendait malaisée l’application du droit. Le patient obtenait difficilement des preuves de son dommage et n’était pas toujours indemnisé. Par cette loi, les droits du malade sont attachés à sa personne. Ils ne sont plus uniquement dépendants de la bonne conduite professionnelle du corps médical et de son autocontrôle par l’Ordre des médecins.
Ces droits individuels et collectifs sont souvent présentés comme deux champs distincts. Il est pourtant important de les considérer comme interdépendants. Les droits collectifs sont un contre-pouvoir permettant la garantie de l’exercice des droits individuels. Les associations de patients tiennent des permanences dans les lieux de soins, représentent des usagers dans les hôpitaux ou portent des plaidoyers entraînant des répercussions sur toutes les personnes malades. Cet arsenal juridique alliant individuel et collectif rééquilibre donc le rapport de la personne malade au système de santé.
Grâce à la trithérapie, dès les années 1990, les malades séropositifs des pays riches deviennent des malades chroniques. Il s’agit maintenant de vivre avec la maladie. À partir de cette période, les acteurs du sida prennent des postes dans différentes associations de patients pour transmettre leurs savoirs à d’autres acteurs de la santé. Les connaissances des malades se diffusent dans toute la société à travers des projets, qu’ils soient associatifs, institutionnels ou universitaires (exemple de l’Université des patients à l’université Sorbonne Médecine : https://universitedespatients-sorbonne.fr/).
En marge de l’épidémie de sida survient l’affaire dite du sang contaminé : dans les années 1980, en raison de mesures de sécurité insuffisantes, de retard dans la prise de décisions, des milliers de personnes transfusées ont été contaminées par le VIH et le virus de l’hépatite C. La journaliste Anne-Marie Casteret révèle ce scandale.8 La Cour de justice de la République, composée en majorité de parlementaires, est saisie : elle relaxe les principaux accusés. La nécessité de mettre en place un contre-pouvoir citoyen devient évidente pour l’opinion publique. Le terrain est alors propice à l’institutionnalisation d’une forme de participation citoyenne aux politiques de santé afin d’éviter de tels scandales.
Dans le prolongement de ces actions, en 1998, la Ligue contre le cancer lance les États généraux du cancer. L’objectif est de donner la parole aux associations et notamment de montrer la maladie autrement que par le prisme habituel du corps médical. Cette initiative inspire les États généraux de la santé, qui se tiennent en France de septembre 1998 à juin 1999 dans 180 villes. Des débats sont organisés autour de la participation et la place du patient. Ils donneront en partie lieu à l’élaboration de la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
L’objectif de ce dispositif juridique est de protéger la personne malade en lui reconnaissant un statut particulier en raison de sa vulnérabilité. Il se compose de droits collectifs (par une participation des citoyens aux instances et à la mise en œuvre des politiques de santé) et individuels9 (comme le consentement au soin ou le respect de la dignité de la personne). Les rapports d’asymétrie entre le profane et l’expert mais aussi entre l’institution et l’usager n’étaient pas reconnus jusqu’alors. Le patient ne bénéficiait que du droit commun, c’est-à-dire du droit de la responsabilité applicable à tout citoyen. La situation particulière du malade rendait malaisée l’application du droit. Le patient obtenait difficilement des preuves de son dommage et n’était pas toujours indemnisé. Par cette loi, les droits du malade sont attachés à sa personne. Ils ne sont plus uniquement dépendants de la bonne conduite professionnelle du corps médical et de son autocontrôle par l’Ordre des médecins.
Ces droits individuels et collectifs sont souvent présentés comme deux champs distincts. Il est pourtant important de les considérer comme interdépendants. Les droits collectifs sont un contre-pouvoir permettant la garantie de l’exercice des droits individuels. Les associations de patients tiennent des permanences dans les lieux de soins, représentent des usagers dans les hôpitaux ou portent des plaidoyers entraînant des répercussions sur toutes les personnes malades. Cet arsenal juridique alliant individuel et collectif rééquilibre donc le rapport de la personne malade au système de santé.
Participation sous condition des associations
Les droits collectifs sont exercés par certaines associations agréées par l’État. Toutes les associations de personnes malades n’ont pas accès à cet agrément et donc à la démocratie sanitaire telle qu’elle est institutionalisée. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) a contribué à mettre en place ces dispositifs. Créé en 1996, il a participé à la rédaction de la loi de 2002. L’objectif du collectif était de proposer la présence de représentants des usagers pour siéger dans les hôpitaux (mise en place par les ordonnances Juppé de 1996) et de s’allier pour porter des plaidoyers dans l’intérêt de leurs membres. Ce collectif ne comprenait pas seulement des associations de malades mais aussi des associations concernant les familles, le handicap, ou les retraités.
L’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAAS, aussi appelée France Assos Santé [www.france-assos-sante.org]) a été créée par la loi de modernisation de notre système de santé du 28 janvier 2016. Elle a institutionnalisé le CISS mais également mis en place l’agrément pour les représentants des usagers. Ce dernier est établi en fonction de critères restrictifs, notamment :10
– des conditions de transparence de gestion ;
– des conditions d’effectivité et de publicité de leurs activités dans le domaine de la défense du droit des personnes malades et des usagers ;
– des conditions de représentativité (nombre d’adhérents et leur répartition sur le territoire). Cette condition est toutefois nuancée si l’association montre le caractère national de son activité, et ce afin de permettre l’inclusion d’associations de patients atteints de maladies rares ;
– des garanties d’indépendance vis-à-vis de lobbys, comme les laboratoires pour qui la démocratie sanitaire est devenue un réel enjeu de gestion et de communication (pour approfondir, lire le chapitre 4 [La participation, un enjeu gestionnaire] du livre Malades en action, démocratie sanitaire en question, de Lucile Sergent) ou encore les sociétés savantes. Ces acteurs peuvent en effet avoir des conflits d’intérêts en matière de financement, d’orientation de la recherche ou de bonnes pratiques.
Les dérives sectaires sont souvent alléguées pour justifier les conditions restrictives de cet agrément. Pour autant, il n’a pas été prouvé qu’il s’agit d’un risque réel. Concrètement, ces associations agréées ne représentent tout au plus que 5 % des associations de personnes malades.3 Elles ne sont donc pas les seules à œuvrer pour les patients et le système de santé. Il existe une multitude d’associations de personnes malades ou d’aidants, difficiles à comptabiliser. Leur nombre oscillerait entre 8 00010 et 20 000 (ce dernier décompte est évoqué par des représentants des usagers). En réalité, la plupart des actions effectuées par et pour les malades déborde le cadre de l’institution et de ce qui a été prévu par les textes.
La participation des associations est encadrée par une mission d’intérêt public en contrepartie de laquelle les associations reçoivent des financements. Les missions des associations, comme la représentation des usagers, sont subventionnées par des fonds publics financés par 0,11 % du produit du droit de consommation sur le tabac.11 Un Fonds national pour la démocratie sanitaire (FNDS) a été créé au sein de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM). Il contribue à soutenir les activités des associations agréées mais deux autres modes de financement des associations sont également prévus par ce fond : les subventions directes et les appels d’offres nationaux. Ces derniers sont aujourd’hui les plus répandus. L’État conditionne donc son soutien financier aux réponses à ces appels à projets dont il fixe les objectifs. Cela signifie que la mission est contrainte et doit correspondre à celle de l’association, ce qui n’est pas toujours évident.
Une sélection étatique s’opère donc par un double goulot d’étranglement : un premier tri est effectué à l’aide des critères d’agrément puis un second au moyen d’appels d’offres dans lesquels leur mission est prédéterminée. Pour participer, elles doivent être conformes aux besoins et aux normes institutionnelles. Cela conduit à une certaine normalisation des associations par les pouvoirs publics dont la plupart des associations ne sont pas dupes. Face à ces contradictions, des institutions comme la Haute Autorité de santé ont d’ailleurs décidé d’ouvrir plus largement la participation à certaines de leurs instances, mais elles restent minoritaires.
L’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAAS, aussi appelée France Assos Santé [www.france-assos-sante.org]) a été créée par la loi de modernisation de notre système de santé du 28 janvier 2016. Elle a institutionnalisé le CISS mais également mis en place l’agrément pour les représentants des usagers. Ce dernier est établi en fonction de critères restrictifs, notamment :10
– des conditions de transparence de gestion ;
– des conditions d’effectivité et de publicité de leurs activités dans le domaine de la défense du droit des personnes malades et des usagers ;
– des conditions de représentativité (nombre d’adhérents et leur répartition sur le territoire). Cette condition est toutefois nuancée si l’association montre le caractère national de son activité, et ce afin de permettre l’inclusion d’associations de patients atteints de maladies rares ;
– des garanties d’indépendance vis-à-vis de lobbys, comme les laboratoires pour qui la démocratie sanitaire est devenue un réel enjeu de gestion et de communication (pour approfondir, lire le chapitre 4 [La participation, un enjeu gestionnaire] du livre Malades en action, démocratie sanitaire en question, de Lucile Sergent) ou encore les sociétés savantes. Ces acteurs peuvent en effet avoir des conflits d’intérêts en matière de financement, d’orientation de la recherche ou de bonnes pratiques.
Les dérives sectaires sont souvent alléguées pour justifier les conditions restrictives de cet agrément. Pour autant, il n’a pas été prouvé qu’il s’agit d’un risque réel. Concrètement, ces associations agréées ne représentent tout au plus que 5 % des associations de personnes malades.3 Elles ne sont donc pas les seules à œuvrer pour les patients et le système de santé. Il existe une multitude d’associations de personnes malades ou d’aidants, difficiles à comptabiliser. Leur nombre oscillerait entre 8 00010 et 20 000 (ce dernier décompte est évoqué par des représentants des usagers). En réalité, la plupart des actions effectuées par et pour les malades déborde le cadre de l’institution et de ce qui a été prévu par les textes.
La participation des associations est encadrée par une mission d’intérêt public en contrepartie de laquelle les associations reçoivent des financements. Les missions des associations, comme la représentation des usagers, sont subventionnées par des fonds publics financés par 0,11 % du produit du droit de consommation sur le tabac.11 Un Fonds national pour la démocratie sanitaire (FNDS) a été créé au sein de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM). Il contribue à soutenir les activités des associations agréées mais deux autres modes de financement des associations sont également prévus par ce fond : les subventions directes et les appels d’offres nationaux. Ces derniers sont aujourd’hui les plus répandus. L’État conditionne donc son soutien financier aux réponses à ces appels à projets dont il fixe les objectifs. Cela signifie que la mission est contrainte et doit correspondre à celle de l’association, ce qui n’est pas toujours évident.
Une sélection étatique s’opère donc par un double goulot d’étranglement : un premier tri est effectué à l’aide des critères d’agrément puis un second au moyen d’appels d’offres dans lesquels leur mission est prédéterminée. Pour participer, elles doivent être conformes aux besoins et aux normes institutionnelles. Cela conduit à une certaine normalisation des associations par les pouvoirs publics dont la plupart des associations ne sont pas dupes. Face à ces contradictions, des institutions comme la Haute Autorité de santé ont d’ailleurs décidé d’ouvrir plus largement la participation à certaines de leurs instances, mais elles restent minoritaires.
Indissociable jeu politique
Conscientes de devoir concilier la nécessité de financer leurs actions et de rester fidèles à leurs engagements, les associations jonglent entre divers enjeux pour subsister et porter leurs plaidoyers. Celles qui ne disposent pas d’une grande autonomie financière ne peuvent pas toujours s’émanciper des pouvoirs publics et du carcan de leur commande. Elles savent pourtant que le jeu est éminemment politique. Certaines, lorsque leurs financements le permettent, en font une véritable stratégie. C’est le cas de l’association Aides. Très présente au niveau des dispositifs institutionnels, elle n’hésite pourtant pas non plus à se positionner contre l’administration en formulant des plaidoyers dans l’espace public.12
Mais toutes les associations n’ont pas cette possibilité et, pour certaines, il s’agit de constamment réfléchir à l’équilibre entre leur propre projet et la réponse à des appels d’offres permettant l’accès à des fonds publics. La responsable du plaidoyer d’une grande association agréée confie : « C’est très compliqué et c’est un enjeu du quotidien pour les associations. Nous, comme d’autres, consacrons beaucoup de temps à la recherche de fonds, parce qu’évidemment tout ce qu’on vous a décrit, toutes les actions menées ont un prix, c’est le prix de l’engagement, (…) donc on a effectivement de grandes difficultés, et c’est un enjeu permanent. »*
Dans d’autres cas, des organisations qui ne souhaitaient pas mener un combat envers les institutions s’y trouvent confrontées malgré elles. Ainsi, le vice-président d’une association représentant une maladie rare indique : « Au départ, l’association a été créée dans le but d’accompagner les patients, de les aider à comprendre, de faire des articles de vulgarisation pour expliquer les notions scientifiques, expliquer quels étaient les traitements de base, etc. Et au fur et à mesure, il y a l’autre pan du travail associatif qui s’est greffé dessus, le travail politique avec la filière Maladies rares et la Sécurité sociale, et qui est en fait un travail à temps plein. »
La dynamique de cette mobilisation se déploie donc tant dans l’espace social des personnes malades que dans les lieux de soins, ou encore au niveau institutionnel. Les associations naviguent ainsi entre l’espace restreint des malades, l’espace public et le système de santé. Cette perméabilité des espaces joue un rôle clé dans la transformation de la société. La philosophe Nancy Fraser13 montre que c’est en débattant et coconstruisant dans l’espace restreint de personnes partageant la même condition sociale (ce qu’elle nomme des « contre-publics subalternes ») que leurs idées sont consolidées puis leurs plaidoyers portés dans l’arène démocratique pour en faire bénéficier un plus grand nombre de citoyens. Les exemples sont nombreux concernant les malades. Ce fut le cas pour la mobilisation des personnes atteintes par la tuberculose lorsqu’elles ont exigé que les malades ne soient plus exclus de la société et puissent exercer leurs droits civiques dans les sanatoriums, de celle des personnes séropositives pour le VIH lorsqu’elles ont brisé certains tabous liés à la sexualité, mais également, plus récemment, de celle de toutes les personnes malades pour le droit à l’oubli en matière d’assurance emprunteur.
L’histoire foisonnante des mobilisations de malades et la dynamique actuelle du champ associatif montrent toute la richesse de ces initiatives citoyennes. Si l’institutionnalisation a été un tournant dans la possibilité d’agir des malades, il ne faut pas réduire la participation aux dispositifs institutionnels sous peine d’occulter une grande part de leurs apports et innovations.
Mais toutes les associations n’ont pas cette possibilité et, pour certaines, il s’agit de constamment réfléchir à l’équilibre entre leur propre projet et la réponse à des appels d’offres permettant l’accès à des fonds publics. La responsable du plaidoyer d’une grande association agréée confie : « C’est très compliqué et c’est un enjeu du quotidien pour les associations. Nous, comme d’autres, consacrons beaucoup de temps à la recherche de fonds, parce qu’évidemment tout ce qu’on vous a décrit, toutes les actions menées ont un prix, c’est le prix de l’engagement, (…) donc on a effectivement de grandes difficultés, et c’est un enjeu permanent. »*
Dans d’autres cas, des organisations qui ne souhaitaient pas mener un combat envers les institutions s’y trouvent confrontées malgré elles. Ainsi, le vice-président d’une association représentant une maladie rare indique : « Au départ, l’association a été créée dans le but d’accompagner les patients, de les aider à comprendre, de faire des articles de vulgarisation pour expliquer les notions scientifiques, expliquer quels étaient les traitements de base, etc. Et au fur et à mesure, il y a l’autre pan du travail associatif qui s’est greffé dessus, le travail politique avec la filière Maladies rares et la Sécurité sociale, et qui est en fait un travail à temps plein. »
La dynamique de cette mobilisation se déploie donc tant dans l’espace social des personnes malades que dans les lieux de soins, ou encore au niveau institutionnel. Les associations naviguent ainsi entre l’espace restreint des malades, l’espace public et le système de santé. Cette perméabilité des espaces joue un rôle clé dans la transformation de la société. La philosophe Nancy Fraser13 montre que c’est en débattant et coconstruisant dans l’espace restreint de personnes partageant la même condition sociale (ce qu’elle nomme des « contre-publics subalternes ») que leurs idées sont consolidées puis leurs plaidoyers portés dans l’arène démocratique pour en faire bénéficier un plus grand nombre de citoyens. Les exemples sont nombreux concernant les malades. Ce fut le cas pour la mobilisation des personnes atteintes par la tuberculose lorsqu’elles ont exigé que les malades ne soient plus exclus de la société et puissent exercer leurs droits civiques dans les sanatoriums, de celle des personnes séropositives pour le VIH lorsqu’elles ont brisé certains tabous liés à la sexualité, mais également, plus récemment, de celle de toutes les personnes malades pour le droit à l’oubli en matière d’assurance emprunteur.
L’histoire foisonnante des mobilisations de malades et la dynamique actuelle du champ associatif montrent toute la richesse de ces initiatives citoyennes. Si l’institutionnalisation a été un tournant dans la possibilité d’agir des malades, il ne faut pas réduire la participation aux dispositifs institutionnels sous peine d’occulter une grande part de leurs apports et innovations.
* Les citations sont tirées d’entretiens réalisés dans des associations de patients et des établissements de santé entre 2020 et 2021.
Pour en savoir plus
1. Riot-Sarcey M. Le procès de la liberté. Paris : La Découverte, 2016.
2. Loi Le Chapelier, 1791.
3. Siney-Lange C. L’avant-gardisme médicosocial mutualiste : retour sur une page blanche de l’histoire de la Mutualité (1850-1945). Vie sociale 2014 ;7(3):77-94.
4. Nonnis-Vigilante S. L’hôpital, les médecins et les malades vus par la presse (XIX-XX) dans Les relations médecins/malades, des temps modernes à l’époque contemporaine. Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2013, et Sergent L. Malades en action, démocratie sanitaire en question. Toulouse: Érès, 2023.
5. Herzlich C, Pierret J. Malades d’hier, malades d’aujourd’hui. Paris: Payot, 1984, p. 57.
6. Dessertine D, Faure O. Combattre la tuberculose. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1988, p. 160.
7. Barbot J. Les malades en mouvement. Paris: Balland, 2002, p. 283.
8. Casteret AM. Le rapport qui accuse la transfusion sanguine. L’événement du jeudi. Paris, 25 avril 1991.
9. Articles L.1110-1 à L.1115-3 du code de la santé publique.
10. Biosse-Duplan A. Démocratie sanitaire : les usagers dans le système de santé. Paris: Dunod, 2017, p. 33-91.
11. Article L.221-1-3 al. 2 du code de la Sécurité sociale.
12. Andreo C. L’association avec et contre les pouvoirs publics : AIDES. In : Laville JL et Salmon A, Associations et Action publique. Paris: Desclée de Brouwer, 2015.
13. Fraser N. Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement. Extrait de Habermas and the Public Sphere, sous la direction de Craig Calhoun, Cambridge: MIT Press. 1992;109-142. Hermès, La Revue 2002;31(3):125-56.
Sergent L. Malades en action, démocratie sanitaire en question. Toulouse : Erès, 2023.
2. Loi Le Chapelier, 1791.
3. Siney-Lange C. L’avant-gardisme médicosocial mutualiste : retour sur une page blanche de l’histoire de la Mutualité (1850-1945). Vie sociale 2014 ;7(3):77-94.
4. Nonnis-Vigilante S. L’hôpital, les médecins et les malades vus par la presse (XIX-XX) dans Les relations médecins/malades, des temps modernes à l’époque contemporaine. Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2013, et Sergent L. Malades en action, démocratie sanitaire en question. Toulouse: Érès, 2023.
5. Herzlich C, Pierret J. Malades d’hier, malades d’aujourd’hui. Paris: Payot, 1984, p. 57.
6. Dessertine D, Faure O. Combattre la tuberculose. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1988, p. 160.
7. Barbot J. Les malades en mouvement. Paris: Balland, 2002, p. 283.
8. Casteret AM. Le rapport qui accuse la transfusion sanguine. L’événement du jeudi. Paris, 25 avril 1991.
9. Articles L.1110-1 à L.1115-3 du code de la santé publique.
10. Biosse-Duplan A. Démocratie sanitaire : les usagers dans le système de santé. Paris: Dunod, 2017, p. 33-91.
11. Article L.221-1-3 al. 2 du code de la Sécurité sociale.
12. Andreo C. L’association avec et contre les pouvoirs publics : AIDES. In : Laville JL et Salmon A, Associations et Action publique. Paris: Desclée de Brouwer, 2015.
13. Fraser N. Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement. Extrait de Habermas and the Public Sphere, sous la direction de Craig Calhoun, Cambridge: MIT Press. 1992;109-142. Hermès, La Revue 2002;31(3):125-56.
Sergent L. Malades en action, démocratie sanitaire en question. Toulouse : Erès, 2023.