Apprécier l’utilité de cette classe thérapeutique dans cette situation est complexe.
Les statines apportent incontesta- blement un bénéfice clinique net en prévention cardiovasculaire (CV) primaire. Plusieurs méta-analyses d’essais thérapeutiques contrôlés ont démontré que, globalement, elles réduisent significativement le risque d’infarctus du myocarde (IDM), d’AVC ischémique, de mortalité CV et totale en prévention primaire, et ce que le LDL-cholestérol (LDL-c) soit ou non élevé.1, 2 Ce bénéfice est tel que, par boutade, certains ont pu proposer qu’elles soient incorporées dans le lait des biberons ou l’eau du robinet afin de réduire la morbidité CV à l’échelle d’une population.
Cependant, si leur bénéfice global est clair, il est tout aussi évident qu’elles ne peuvent et ne doivent pas être prescrites largement et sans discernement à tous les patients, même ceux dont le LDL-c est élevé. Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour juger de la pertinence de leur prescription.
Cependant, si leur bénéfice global est clair, il est tout aussi évident qu’elles ne peuvent et ne doivent pas être prescrites largement et sans discernement à tous les patients, même ceux dont le LDL-c est élevé. Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour juger de la pertinence de leur prescription.
Absence de bénéfice : 2 circonstances
La première est l’insuffisance cardiaque évoluée, comme l’ont montré les études GISSI-HF et CORONA.2 En effet, l’essentiel des événements cliniques majeurs dans cette situation clinique provient de l’insuffisance cardiaque elle-même, et si les statines réduisent bien le risque d’IDM, ce dernier est si faible eu égard aux autres risques létaux spécifiques à la maladie que ces molécules ne modifient pas sensiblement son pronostic.
Par extrapolation, leur utilisation ou utilité est donc discutable en cas de mauvais pronostic à court terme et donc, plus globalement, lorsque l’espérance de vie est réduite. Chez ces patients, il faut savoir ne pas prescrire ou arrêter le traitement par statine.
La deuxième, l’insuffisance rénale au stade de dialyse, est un paradoxe puisqu’il s’agit d’une situation à très haut risque CV. Or ce risque n’est pas réduit par les statines, comme l’ont montré 2 études, 4D et AURORA,2 sans qu’on ait encore d’explication valide.
Par extrapolation, leur utilisation ou utilité est donc discutable en cas de mauvais pronostic à court terme et donc, plus globalement, lorsque l’espérance de vie est réduite. Chez ces patients, il faut savoir ne pas prescrire ou arrêter le traitement par statine.
La deuxième, l’insuffisance rénale au stade de dialyse, est un paradoxe puisqu’il s’agit d’une situation à très haut risque CV. Or ce risque n’est pas réduit par les statines, comme l’ont montré 2 études, 4D et AURORA,2 sans qu’on ait encore d’explication valide.
Intolérance ou contre-indication
Parmi les effets indésirables de cette classe thérapeutique, le plus grave est la rhabdomyolyse, qui, si elle survient sous traitement, contre-indique sa prescription.
Le plus fréquent est une atteinte musculaire qui peut cliniquement se traduire par des douleurs diffuses, voire une faiblesse musculaire généralisée. Compte tenu du caractère parfois réversible de cette atteinte et d’un effet nocebo démontré, il est préconisé de faire au moins 3 essais avec des statines qui peuvent être différentes et à des doses diverses avant d’y renoncer, même s’il y avait indication forte à un tel traitement.
Il est aujourd’hui démontré que ni les statines3 ni un LDL-c très bas, c’est-à-dire inférieur à 0,2 g/L4 n’induisent une altération des fonctions cognitives.
Bien entendu, certaines contre-indications doivent être respectées (encadré).
Le plus fréquent est une atteinte musculaire qui peut cliniquement se traduire par des douleurs diffuses, voire une faiblesse musculaire généralisée. Compte tenu du caractère parfois réversible de cette atteinte et d’un effet nocebo démontré, il est préconisé de faire au moins 3 essais avec des statines qui peuvent être différentes et à des doses diverses avant d’y renoncer, même s’il y avait indication forte à un tel traitement.
Il est aujourd’hui démontré que ni les statines3 ni un LDL-c très bas, c’est-à-dire inférieur à 0,2 g/L4 n’induisent une altération des fonctions cognitives.
Bien entendu, certaines contre-indications doivent être respectées (encadré).
Utilité jugée faible
Au-delà des situations d’espérance de vie réduite, l’utilité des statines – critère à ne pas confondre ou extrapoler à celui d’efficacité – peut être discutée lorsque le risque CV est faible. Dans ce cas, le rapport bénéfice-risque du traitement pourrait ne pas être favorable.
Pour apprécier l’utilité, le concept de NNT (Number Needed to Treat) est souvent mis en avant. Il correspond au nombre de patients à traiter pour éviter un événement. Il se calcule en divisant 1 par la réduction absolue du risque obtenue dans une étude.
Par exemple, si un traitement par statine diminue le risque d’IDM de 30 % à 5 ans et que le risque absolu des patients sous placebo était de 10 % à cette même échéance, le risque absolu des patients sous statine a été réduit à une valeur de 7 %, soit une baisse du risque de 3 % : comme 1 divisé par 0,03 est égal à 33,33, le NNT est de 33. En d’autres termes, traiter pendant 5 ans 33 patients ayant un risque absolu d’IDM à 5 ans de 10 % permet d’éviter un infarctus.
Ce calcul pose 3 problèmes :
– le premier est de définir un chiffre au-delà duquel on décide de façon obligatoirement arbitraire de ne pas proposer le traitement ;
– le deuxième est de connaître avec précision le risque de base du patient (dont dépend le NNT) ;
– le troisième est de déterminer les modalités du calcul, c’est-à-dire la durée au terme de laquelle on le calcule (plus elle est longue, plus le NNT est faible), la dose de statine qui sera utilisée (plus elle est forte, plus le NNT sera faible) et de savoir si l’on prend en compte l’intervalle de confiance à 95 % de ce NNT (qui est asymétrique et beaucoup plus grand dans les valeurs supérieures que dans les valeurs inférieures).
Les statines étant globalement bénéfiques, leurs risques graves étant rares, un NNT élevé (que ce soit du fait d’un risque de base faible ou d’une molécule peu puissante) équivaut à traiter un très grand nombre de patients pour éviter un événement CV et donc à exposer de très nombreux sujets aux effets secondaires.
Il peut paraître plus adapté de prendre en compte à la fois le NNT et le NNH (Number Needed to Harm), ce dernier concept correspondant au nombre de patients à traiter pour que survienne un événement indésirable : apprécié de cette façon, c’est donc le rapport bénéfice-risque en population qui pourrait être le critère le plus pertinent pour juger de l’utilité.
Ainsi, si le risque d’événements cardiovasculaires majeurs (décès CV, IDM et AVC) d’une population est faible, par exemple de 1 % à 5 ans, et qu’une statine le réduit de 25 %, traiter 10 000 patients pendant 5 ans avec cette molécule permettra d’éviter 25 événements CV majeurs. Mais cela provoquera 5 cas de myopathie, dont 1 seul évoluera potentiellement vers une rhabdomyolyse, 50 à 100 cas de diabète et 5 AVC hémorragiques.5 Par ailleurs, 50 à 100 patients auront des douleurs musculaires.
En dehors des cas où il existe des facteurs prédisposants aux effets secondaires décrits (comme l’hypothyroïdie par exemple), l’appréciation du rapport bénéfice-risque à l’échelle individuelle est ardu et justifie d’être extrapolée à ce qui est calculable en population, car il est difficile de mesurer les risques absolus d’événements cliniques et d’événements indésirables chez un patient donné, les grilles de risque donnant des résultats aléatoires.
Choisir un critère d’utilité est donc particulièrement complexe et repose sur des arguments arbitraires, parfois écono- miques.
Pour apprécier l’utilité, le concept de NNT (Number Needed to Treat) est souvent mis en avant. Il correspond au nombre de patients à traiter pour éviter un événement. Il se calcule en divisant 1 par la réduction absolue du risque obtenue dans une étude.
Par exemple, si un traitement par statine diminue le risque d’IDM de 30 % à 5 ans et que le risque absolu des patients sous placebo était de 10 % à cette même échéance, le risque absolu des patients sous statine a été réduit à une valeur de 7 %, soit une baisse du risque de 3 % : comme 1 divisé par 0,03 est égal à 33,33, le NNT est de 33. En d’autres termes, traiter pendant 5 ans 33 patients ayant un risque absolu d’IDM à 5 ans de 10 % permet d’éviter un infarctus.
Ce calcul pose 3 problèmes :
– le premier est de définir un chiffre au-delà duquel on décide de façon obligatoirement arbitraire de ne pas proposer le traitement ;
– le deuxième est de connaître avec précision le risque de base du patient (dont dépend le NNT) ;
– le troisième est de déterminer les modalités du calcul, c’est-à-dire la durée au terme de laquelle on le calcule (plus elle est longue, plus le NNT est faible), la dose de statine qui sera utilisée (plus elle est forte, plus le NNT sera faible) et de savoir si l’on prend en compte l’intervalle de confiance à 95 % de ce NNT (qui est asymétrique et beaucoup plus grand dans les valeurs supérieures que dans les valeurs inférieures).
Les statines étant globalement bénéfiques, leurs risques graves étant rares, un NNT élevé (que ce soit du fait d’un risque de base faible ou d’une molécule peu puissante) équivaut à traiter un très grand nombre de patients pour éviter un événement CV et donc à exposer de très nombreux sujets aux effets secondaires.
Il peut paraître plus adapté de prendre en compte à la fois le NNT et le NNH (Number Needed to Harm), ce dernier concept correspondant au nombre de patients à traiter pour que survienne un événement indésirable : apprécié de cette façon, c’est donc le rapport bénéfice-risque en population qui pourrait être le critère le plus pertinent pour juger de l’utilité.
Ainsi, si le risque d’événements cardiovasculaires majeurs (décès CV, IDM et AVC) d’une population est faible, par exemple de 1 % à 5 ans, et qu’une statine le réduit de 25 %, traiter 10 000 patients pendant 5 ans avec cette molécule permettra d’éviter 25 événements CV majeurs. Mais cela provoquera 5 cas de myopathie, dont 1 seul évoluera potentiellement vers une rhabdomyolyse, 50 à 100 cas de diabète et 5 AVC hémorragiques.5 Par ailleurs, 50 à 100 patients auront des douleurs musculaires.
En dehors des cas où il existe des facteurs prédisposants aux effets secondaires décrits (comme l’hypothyroïdie par exemple), l’appréciation du rapport bénéfice-risque à l’échelle individuelle est ardu et justifie d’être extrapolée à ce qui est calculable en population, car il est difficile de mesurer les risques absolus d’événements cliniques et d’événements indésirables chez un patient donné, les grilles de risque donnant des résultats aléatoires.
Choisir un critère d’utilité est donc particulièrement complexe et repose sur des arguments arbitraires, parfois écono- miques.
Quand le patient ne le souhaite pas
Si la décision médicale partagée doit être intégrée à l’exercice de la médecine, elle est d’autant plus nécessaire chez un patient à faible risque CV chez qui il est démontré qu’une statine est bénéfique, notamment à long terme. Dans ce cas, il doit être informé de son risque et de la possibilité de le diminuer par la prise régulière et prolongée d’un traitement et aussi des incidences des effets indésirables afin de pouvoir exprimer un choix correspondant à sa culture et ses valeurs. Et ce choix, s’il est négatif, doit être respecté.
Encadre
Principales contre-indications des statines
Hypersensibilité à l’un des constituants du médicament.
Affection hépatique évolutive, y compris les élévations inexpliquées et prolongées des transaminases sériques et toute augmentation au-delà de 3 fois la limite supérieure de la normale.
Certaines myopathies et un antécédent de rhabdomyolyse sous statines.
Grossesse (donc les femmes en âge de procréer n’utilisant pas de moyens contraceptifs appropriés) et allaitement.
références
1. Taylor F, Ward K, Moore TH, et al. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease, Cochrane Database Syst Rev 2013;(1):CD004816.
2. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. Lancet 2012;380:581-90.
3. Bosch J. The Heart Outcomes Prevention Evaluation (HOPE)-3 Trial : Cognitive and Functional Outcomes. American Heart Association Scientific Sessions. New Orleans; 2016.
4. Giugliano RP, Mzch F, Zavitz K, et al.; EBBING-HAUS Investigators. Cognitive Function in a Randomized Trial of Evolocumab. N Engl J Med 2017; 377:633-43.
5. Collins R, Reith C, Emberson J, et al. Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy. Lancet 2016;388:2532-61.
2. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. Lancet 2012;380:581-90.
3. Bosch J. The Heart Outcomes Prevention Evaluation (HOPE)-3 Trial : Cognitive and Functional Outcomes. American Heart Association Scientific Sessions. New Orleans; 2016.
4. Giugliano RP, Mzch F, Zavitz K, et al.; EBBING-HAUS Investigators. Cognitive Function in a Randomized Trial of Evolocumab. N Engl J Med 2017; 377:633-43.
5. Collins R, Reith C, Emberson J, et al. Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy. Lancet 2016;388:2532-61.