Cette pathologie – caractérisée par ballonnements, douleurs abdominales, diarrhée – fait l’objet d’un engouement important de la presse grand public, qui s’accompagne d’une augmentation des demandes de tests diagnostiques par les patients et par un florilège de thérapeutiques d’intérêt douteux. Les recos américaines et européennes se sont penchées récemment sur le sujet, notamment sur l’intérêt des tests respiratoires dans le diagnostic, et les options thérapeutiques.

La définition clinique de pullulation bactérienne est controversée et sa prévalence réelle inconnue. Selon les dernières recos,1,-4 le SIBO (Small Intestine Bacterial Overgrowth) est défini par un nombre excessif de bactéries au niveau de l’intestin grêle, responsable de symptômes digestifs ou de malabsorption. Il s’agit d’un déséquilibre du microbiote intestinal (dysbiose) : ces micro-organismes devraient normalement se trouver dans le côlon ; or, dans le cas d’un SIBO, ils colonisent l’intestin grêle.

Facteurs causaux ou favorisants

Le SIBO peut être favorisé par toute anomalie anatomique de l’intestin grêle, spontanée (diverticulose, tumeur, sténose…) ou chirurgicale (bypass, anses borgnes…). L’achlorhydrie (gastrite atrophique ou utilisation prolongée des IPP), les troubles de la motricité digestive (sclérodermie, gastroparésie, opiacés au long cours…) et les déficits immunitaires (VIH…) sont également des facteurs de risque. Le lien avec le syndrome de l’intestin irritable et les autres troubles fonctionnels intestinaux n’est pas clair.

Quels signes cliniques ?

Le plus souvent, le SIBO se manifeste sous forme de nausées, diarrhées, flatulences, douleurs abdominales. Dans les formes le plus graves, une malabsorption (stéatorrhée, carence en vitamines, perte pondérale) est retrouvée, mais celle-ci est rare en l’absence de cause structurale. Dans la majorité des cas, les symptômes sont donc aspécifiques, d’où la difficulté de distinguer cliniquement le SIBO d’autres maladies digestives telles que la maladie cœliaque, l’intolérance au lactose ou l’intestin irritable.

Quand rechercher un SIBO ?

Les test respiratoires (v. ci-dessous) étant de plus en plus prescrits, le Collège américain de gastroentérologie (ACG) en a récemment précisé les indications.1 La recherche d’un SIBO peut être envisagée (mais il s’agit de recommandations avec un niveau d’évidence faible) :

  • en cas de ballonnement, douleurs abdominales et/ou diarrhée notamment chez des patients avec antécédents de chirurgie digestive (chirurgie bariatrique par exemple), et dans le contexte du syndrome de l’intestin irritable ;
  • en cas de suspicion de troubles moteurs intestinaux (sclérodermie, POIC…).

 

Cependant, les tests respiratoires ne sont pas recommandés chez les patients asymptomatiques sous IPP au long cours.

 

Comment faire le diagnostic ?

L’examen direct par la culture d’aspiration jéjunale est le gold standard. Un compte bactérien de 105 CFU/mL est classiquement retenu pour poser un diagnostic positif. Toutefois, ce seuil a été établi lors des études initiales, incluant des patients avec des SIBO associés à des anomalies anatomiques (anse borgne) ; plus récemment, on considère que le seuil de 103 CFU/mL serait plus adapté.

Une approche alternative serait la mise en culture de biopsies obtenues par endoscopie.

Ces examens sont invasifs et difficiles à standardiser (haut risque de contamination).

Pour pallier ces difficultés, les tests respiratoires indirects, avec mesure de l’hydrogène (ou du méthane) expiré sont les plus utilisés en pratique clinique, en raison de leur simplicité et leur faible coût. Leur principe : chez l’homme, l’hydrogène et le méthane présents dans les gaz expirés proviennent exclusivement de l’activité métabolique du microbiote intestinal, exercée sur les carbohydrates apportés par l’alimentation. Dans le cas d’un SIBO, une migration proximale des bactéries permet une fermentation précoce des carbohydrates ingérés ; la concentration d’hydrogène expiré est donc élevée. En pratique, on administre par voie orale une solution de sucre, et on réalise des prélèvements des gaz expirés pendant 2 heures. Aujourd’hui, deux types de tests sont utilisés : celui avec glucose et celui avec lactulose.

Un test est considéré positif si l’on constate une augmentation de l’hydrogène expiré > 20 ppm, 90 min (selon les recos américaines)1 ou 2 heures selon les européennes3 après ingestion de 75 g de glucose ou 10 g de lactulose. On recommande également de mesurer le méthane car 30 % de la population produit du méthane au lieu de l’hydrogène, mais le seuil de positivité pour ce gaz n’est pas consensuel (> 10 ppm selon les consensus nord-américain4).

Malheureusement, ces tests indirects ne sont pas très fiables et des faux positifs ou négatifs sont possibles. Par rapport au gold standard (examen direct par la culture d’aspiration jéjunale), le test au glucose aurait une sensibilité de 62,5 % et une spécificité de 81,7 %, et celui au lactulose de 52,4 %-57,1 % et 84,6 %-85,7 % respectivement.

Les résultats peuvent être modifiés en cas de non-respect d’un certain nombre de mesures : régime strict la veille du test (éviction des carbohydrates complexes, jeun de 8-12 h) ; pas d’antibiotique pendant les 4 mois précédents, pas de laxatifs pendant au moins une semaine) ; pas de tabac ni d’exercice physique 2 heures avant et pendant le test.

À l’heure actuelle, des capsules sont en développement afin d’analyser les gaz in situ, à différents endroits du tube digestif, ce qui pourrait améliorer le diagnostic et la compréhension de cette pathologie.

Quelles options thérapeutiques ?

La prise en charge repose sur l’identification et la correction des causes, si cela est possible, la correction des troubles nutritionnels et l’antibiothérapie, qui est la pierre angulaire du traitement. Son rôle n’est pas d’éradiquer la flore bactérienne mais de modifier celle-ci afin d’obtenir une amélioration des symptômes. 

Le choix de l’antibiotique est souvent empirique car un antibiogramme n’est pas facilement réalisable en pratique. Le protocole n’est pas consensuel. En raison d’une flore intestinale polymicrobienne, des antibiotiques à large spectre sont préférés pour couvrir les organismes aérobies et anaérobies (tableau). La posologie adéquate de même que la durée restent imprécises : 7-10 jours en général. Les récidives n’étant pas rares, une antibiothérapie intermittente semble parfois nécessaire. 

Cependant, ces prescriptions doivent tenir en compte du développement des résistances bactériennes et du risque d’infections opportunistes (candidose, Clostridium). La rifaximine, antibiotique faiblement absorbé par le tube digestif, serait efficace à 70 %, mais elle n’est pas disponible en France dans cette indication.

Les prokinétiques peuvent être utiles chez les patients avec une hypomotilité intestinale et des symptômes invalidants (pyridostigmine, octréotide…). L’intérêt des probiotiques est controversé (effet positif ou négatif selon les études).

Si un régime pauvre en hydrates de carbone et sucres fermentables (FODMAPS) pourrait être bénéfique (en diminuant les substrats fermentables), il ne devrait pas être trop restrictif ni prolongé pour éviter les carences. Les autres régimes ne sont pas recommandés.

Les méthodes non médicamenteuses n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

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