De maladie aiguë rapidement mortelle, l’insuffisance cardiaque est devenue une pathologie chronique touchant près de 1 million de Français. Grâce aux progrès diag- nostiques et à l’augmentation de l’espérance de vie, cette affection touche davantage de patients âgés et souvent polypathologiques. Par ailleurs, la prise en charge s’est complexifiée, passant d’une monothérapie diurétique à une polythérapie médicamenteuse, rythmologique et réadaptive. Ainsi, le suivi est bien plus compliqué qu’auparavant. L’irruption de la télémédecine dans nos cabinets médicaux, que l’on vante parfois comme la solution à tous nos maux, peut-elle en pratique améliorer le sort de ces patients ?

De quoi parle-t-on ?

Selon le code de la santé publique (art. L6316-1), la télémédecine, composante de la télésanté, est une pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC). Elle implique un acte médical (ou paramédical au sein d’un protocole de coopération) et doit répondre aux mêmes exigences de qualité et de traçabilité, à la différence des objets connectés ou des applications/programmes de bien-être. On distingue 5 catégories d’actes de télé- médecine, avec des utilisations et des financements différents.
Téléconsultation : c’est, après prise de rendez-vous, un entretien vidéo transmis entre un patient et un médecin, parfois complété par l’envoi de documents ou de données issus d’objets connectés. Elle engage la responsabilité du professionnel de santé au même titre qu’une consultation « classique ».
Télé-expertise : échange tracé entre 2 professionnels de santé à propos d’un sujet donné. Elle correspond à l’obtention d’un avis authentifié et sûr – via une messagerie sécurisée de santé – auprès d’un spécialiste plus qualifié (les discussions multidisciplinaires type RCP ou staffs n’entrent pas dans ce champ).
Télésurveillance : c’est le suivi et l’analyse à distance par un médecin de données recueillies sur le lieu de vie par divers moyens (automatisé ou via le malade, avec ou sans infirmière pour confirmer ou compléter le recueil).
Télé-assistance : des médecins ou des équipes de recours apportent une assistance technique à des confrères situés à distance (télé-échographie par exemple).
Enfin, la régulation médicale (Samu) fait partie de la télémédecine car c’est une activité utilisant le téléphone.
Les applications ou programmes en dehors de ces procédures bien définies ne sont pas des actes reconnus en l’état actuel des textes.

Quels atouts ?

Favoriser l’accès aux médecins. Dans certaines situations, en dehors de l’urgence et des cas requérant un examen physique complet (nouveau patient, symptômes aigus…), la téléconsultation peut permettre un accès plus simple au médecin traitant : par exemple, pour le suivi d’un insuffisant cardiaque (avec un bilan poids, PA, saturation) ou d’un hypertendu : automesure ou mesure sur place de la PA. Ce peut être également le cas en EHPAD, notamment pour la surveillance de malades chroniques (ulcères de jambe, diabétiques…). Pour autant, il n’est pas question de remplacer l’examen physique ou la relation humaine par un écran, aussi smart soit-il et des garde-fous ont été clairement indiqués.
La télé-expertise permet d’obtenir plus rapidement un avis spécialisé concernant une prise en charge. Cette procédure implique un prescripteur et un dispensateur qui donne l’avis (appelés requérant et requis par la HAS). La convention médicale récemment signée reconnaît d’ailleurs le rôle clé du médecin demandant la télé-expertise.
L’intérêt est également de « sécuriser » ces process. Qui d’entre nous n’a pas demandé un conseil par téléphone ou envoyé la photo d’un patient via son smartphone ? Or ces échanges « informels » ne sont pas traçables : la description du cas peut être incomplète, l’avis donné est parfois inadapté ou mal compris... Notons que des litiges concernant cette « télémédecine sauvage » commencent à émerger chez les assureurs médicaux. De plus, ces avis médicaux donnés à « brûle-pourpoint » ne sont ni reconnus ni rémunérés malgré la mobilisation de ressources qu’ils nécessitent.
Ces outils peuvent aussi améliorer la coopération des professionnels de santé et entre la ville et l’hôpital. Trop souvent, entre médecins, IDE, hôpitaux, les échanges sont insuffisants (voire inexistants) au détriment d’une vision globale du patient. À travers un simple envoi de mail via une messagerie de santé (télé-expertise) ou une télé-assistance, on peut facilement transmettre des informations et mettre en parallèle, par exemple, l’observance du traitement (renseignée par le pharmacien) et l’équilibration thérapeutique (estimée par le praticien). Il en est de même pour la collaboration entre unité d’insuffisance cardiaque et médecin traitant : ce dernier peut, lors de la visite mensuelle, optimiser plus précocement le traitement soit en le majorant (titration des médicaments), soit en le diminuant en raison d’une éventuelle iatrogénie.
Former le patient – élément essentiel de la prise en charge – est difficile dans la vraie vie en raison des contraintes de temps, des disponibilités limitées des malades et des soignants, ainsi que des difficultés à toucher les proches qui peuvent être impactés par la maladie. De très nombreux sujets cherchent sur internet des informations dont la qualité et la fiabilité ne sont pas assurées. Grâce aux TIC, des éléments à visée pédagogique sont transmissibles (par exemple un film décrivant la coronarographie – en lien avec l’explication donnée par le médecin…). Par rapport aux documents papier, l’interactivité de ces outils permet de délivrer des messages ciblés dont on peut évaluer la compréhension par le patient.
Grâce au développement de l’accès à l’information et la vulgarisation de celle-ci, le malade devient acteur de ses soins. Nous pouvons exploiter ces TIC pour l’impliquer encore plus, ainsi que son entourage. Il peut par exemple remplir des questionnaires en lien avec des données biologiques, renseigner ses symptômes ou encore transmettre des résultats d’automesure. L’intérêt est double : d’une part, le patient comprend mieux les enjeux de la prise en charge ; d’autre part, les médecins sont plus rapidement réactifs…
La mise en œuvre de parcours sur mesure est un autre enjeu : la télésurveillance vise à connaître l’état de santé du sujet à distance, dans son milieu de vie. Entre 2 consultations, on peut ainsi réadapter le traitement aux comportements (prise de poids, variations du régime salé) et prévenir la survenue d’une décompensation. Autre élément important : l’ajustement du parcours de soins. Un patient parfaitement contrôlé n’a pas forcément besoin de voir le cardiologue tous les 3 à 6 mois alors qu’un malade instable peut bénéficier d’un rendez-vous anticipé. Ainsi, dans un contexte de désertification médicale et de surchauffe des secrétariats, on peut ainsi « sélectionner » les sujets qui ont le plus besoin d’une consultation spécialisée ou d’une imagerie. L’objectif est d’être à la fois souple et plus réactif face à une décompensation… C’est particulièrement important car plus de 50 % des insuffisants cardiaques ont déjà des signes cliniques 5 jours avant de consulter aux urgences.

Quels résultats ?

La réduction des événements est le gold standard de l’évaluation médicale du service rendu d’une technologie. Cet objectif est particulièrement ardu à atteindre si l’on vise la modification des comportements par l’éducation thérapeutique ou la réadaptation. En effet, il dépend non seulement de la performance technique mais aussi (et surtout) de l’observance du patient et de la réactivité du médecin à optimiser le traitement. Pendant longtemps, les résultats des essais de télésurveillance dans l’insuffisance cardiaque, en dehors d’études portant sur des disposisitifs invasifs (CardioMENS, suivi de la pression artérielle pulmonaire) qui sont très efficaces, ont été en demi-teinte (pas d’impact majeur sur les événements, mais pas de sur-risque).
Avec Cardiauvergne, chez des malades sévèrement atteints, on a obtenu une baisse de la mortalité (à 1 an 13,5 vs 25 % dans le groupe de référence) et des réhospitalisations (13,8 par an vs 21 %).
Plus récemment, un essai allemand non invasif (TIM-HF2) a montré une réduction significative du critère combiné décès toutes causes et réhospitalisations cardiovasculaires. La télémédecine peut donc sauver des vies…
Avec OSICAT et PIMPS, en cours, nous en sauront plus sur la télémédecine à la française.
Ces actes engagent la responsabilité du médecin au même titre que les consultations et les actes classiques. Ils doivent être conservés aussi longtemps que les dossiers médicaux sous forme papier et sont opposables de la même façon.
Encadre

Téléconsultation : quelle rémunération ?

Depuis le 15 septembre 2018, la téléconsultation est possible sur l’ensemble du territoire. Un médecin, quelle que soit sa spécialité ou son mode d’exercice, peut ainsi la proposer aux patients qu’il connaît, à condition qu’il juge la situation clinique adaptée.

Les tarifs et modalités de prises en charge de ces téléconsultations sont identiques à ceux des consultations classiques, de 25 à 30 euros en secteur 1.

Concernant la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque, le programme ETAPES prévoit une rémunération forfaitaire de 220 euros par patient et par médecin par an.

Pour en savoir plus
Inglis SC, Clark RA, Dierckx R, et al. Structured telephone support or non-invasive telemonitoring for patients with heart failure. Cochrane Database Syst Rev 2015;10: CD007228.
Koehler F, Koehler K, Deckwart O, et al. Efficacy of telemedical interventional management in patients with heart failure (TIM-HF2): a randomised, controlled, parallel-group, unmasked trial. Lancet 2018;392:1047-57.

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essentiel

Informatique et téléphonie sont en passe de révolutionner le rapport au malade et entre médecins.

La question n’est pas de lutter contre cette tendance mais de la sécuriser et l’adapter à nos spécificités.

Cette pratique est bien encadrée (HAS, Assurance maladie, convention médicale) et certains actes dans un large éventail de spécialités sont déjà rémunérés, la France étant précurseur dans ce domaine.