La recherche médicale est en plein essor. Elle bénéficie des avancées remarquables de nombreux champs disciplinaires : la physique, à laquelle on doit les imageries moléculaire, cellulaire et médicale dont les performances ne cessent de s’améliorer ; les mathématiques, avec le développement de la modélisation dont on a vu l’importance lors de la pandémie récente ; l’informatique, bien évidemment, dont est issue l’intelligence artificielle susceptible de bouleverser la pratique de la médecine ; la chimie, à travers l’étude fine du métabolisme ou les nouveaux outils de design de médicament ; et bien sûr la biologie sous tous ses aspects. L’ensemble ouvre la voie d’une approche systémique des questions médicales. De plus, les biothérapies, fondées sur l’étude précise des mécanismes, ont fait irruption dans l’arsenal thérapeutique depuis une vingtaine d’années. À ce bref panorama, il faut ajouter l’importance de la recherche en santé publique, également soulignée dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

Le constat : un relatif déclin

Comment la France se situe-t-elle ? Sommes-nous prêts à saisir ces opportunités de faire progresser la santé tout en faisant fructifier notre économie ? Le constat fondé sur de nombreux indicateurs (qualité des publications, réussite aux appels à propositions internationaux, classements, prix), aussi imparfaits et critiquables soient-ils, est celui d’un relatif déclin de la France en comparaison de ses voisins européens mais aussi de pays comme la Corée du Sud ou Singapour. De nombreux rapports rédigés au cours des dix à vingt dernières années vont tous dans le même sens.

Comment expliquer cette situation ?

Les causes en sont multiples, certaines communes à toute la recherche, d’autres spécifiques à la recherche médicale. Le fait saillant est le sous-financement de la recherche tant publique que privée (industrielle) en France. Alors que beaucoup de nos voisins ont entrepris un effort pour se rapprocher ou dépasser l’objectif fixé lors du Conseil européen de Lisbonne de l’année 2000 de consacrer 3 % du produit intérieur brut à la recherche et au développement (public et privé) dès 2010, la France ne s’est engagée dans cette voie qu’en 2020, de façon timide, à travers les objectifs de la loi de programmation de la ­recherche (LPR) votée en 2021. De plus, il se trouve que la part des dépenses publiques consacrée aux recherches en sciences de la vie est plus faible dans notre pays (20 % de l’ensemble contre 30 % chez nos voisins) et a même décliné de plus de 25 % au cours des dix dernières années !
Il en résulte, toujours en comparaison avec nos voisins, des salaires significativement inférieurs tant pour les chercheurs que pour les universitaires, ainsi que des crédits d’équipement et de fonctionnement insuffisants.
À ce déficit de financement s’ajoute une organisation parcellisée de la recherche médicale. Celle-ci dépend du ministère de la Santé pour ce qui est de la recherche hospitalière (missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation [Migac] et programme hospitalier de recherche clinique [PHRC]), du Plan santé 2030 (France 2030) pour un certain nombre d’appels à propositions, de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et d’autres établissements de recherche ainsi que des universités pour les équipes de recherche, de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et des agences thématiques (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales-maladies infectieuses émergentes [ANRS-MIE], Institut national du cancer [INCa]) pour le financement par projets.
Il en découle plusieurs écueils majeurs : un cloisonnement entre les différentes composantes de la recherche médicale (fondamentale, translationnelle, clinique et en santé publique) qui est orthogonal à la nécessaire fluidité entre champs disciplinaires. En corollaire, aucune instance en France n’a aujourd’hui de vision globale de la recherche médicale. Enfin, sur le terrain, les équipes sont amenées à répondre sans cesse à de nombreux appels à projets, ce qui n’assure ni efficience ni stabilité de ces équipes.
On pourrait encore ajouter que la multiplication des instances implique une multiplication des tâches administratives, ce d’autant qu’à ce dispositif s’ajoute le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), qui a la responsabilité d’évaluer les équipes de recherche.

Quelles solutions sont possibles ?

Ce constat est sévère mais n’est guère contesté. Il a pour conséquence une relative désaffection des plus jeunes pour les métiers de la recherche, et ce dans un pays dans lequel la culture scientifique est peu prégnante et partiellement remise en cause sur les réseaux sociaux.

Allemagne : un exemple à suivre ?

L’Allemagne était dans une situation assez proche de la France il y a environ quinze ans. Sous la direction ­d’Angela Merkel, elle a donné une impulsion forte et continue de promotion de la recherche en augmentant progressivement les dépenses publiques de recherche et en utilisant cet argent avec clairvoyance pour soutenir un maillage scientifique de qualité, dont on a pu voir le bénéfice lors de la pandémie de Covid-19. Il est souhaitable que la France s’engage dans la même voie.

Une gestion monocéphale nécessaire

En parallèle, un effort de simplification réel doit être mené dans l’organisation et le financement. Il est nécessaire qu’une entité puisse développer une stratégie globale concernant la recherche médicale et en santé, des recherches expérimentales aux recherches clinique et en santé publique. Il me semble que l’Inserm pourrait être ce pilote, sous plusieurs conditions :
– une revalorisation financière conséquente de son budget ;
– le retour des agences thématiques en son sein (ANRS-MIE, INCa...) ;
– le pilotage du PHRC ;
– une administration ad hoc ;
– le rééquilibrage du financement de fonctionnement des équipes en augmentant la part de dotation (évaluation a posteriori) aux dépens du financement par projets (évaluation a priori).
Le corollaire devrait en être de diminuer la fréquence des évaluations, d’en simplifier la procédure et surtout de faire en sorte que ces évaluations soient suivies d’effets, positifs ou négatifs.
L’Inserm pourrait être organisé en départements thématiques en charge tant de l’animation scientifique que du financement, en s’inspirant sans doute du modèle des National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis.

Développer les instituts hospitalo-universitaires

Au niveau des centres hospitalo-universitaires (CHU), il est souhaitable de développer à chaque fois que c’est possible des instituts hospitalo-universitaires (IHU) qui permettent de réunir en un lieu les masses critiques, les plateformes nécessaires, de développer l’interdisciplinarité et d’attirer les jeunes chercheurs, médecins ou non.

Importance de la formation et du temps dédié à la recherche

Parmi d’autres mesures à envisager, il est essentiel de faciliter la formation par et à la recherche des jeunes médecins, pharmaciens et soignants qui le souhaitent et le peuvent ; cela est essentiel pour l’avenir des CHU. Plusieurs formations médecine/science sont en place, ce qui est bien, encore faut-il en assurer un meilleur ­financement public.
Au-delà de cette formation, il est indispensable, à mon sens, d’ouvrir un nombre raisonnable de postes de chefs de clinique assistants, permettant d’assurer une décharge partielle (par exemple de 50 à 80 %) des tâches de soin pour leur permettre de se consacrer au développement d’un projet, d’une équipe de recherche tout en leur attribuant un crédit de recherche.
La place manque pour discuter d’autres points d’importance, comme la promotion de la recherche en santé publique, très insuffisante en France, et qui pourrait bénéficier d’une politique proactive de création progressive de postes.
Dans un contexte où notre système de santé résiste mais souffre, proposer un plan dans la durée, volontariste, de promotion de la recherche, notamment médicale et en santé, serait de nature à dynamiser une communauté qui en a bien besoin ! 

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