Quel que soit le motif de la consultation, l’examen d’un enfant migrant pose la question des priorités et des limites du bilan médical et paramédical à réaliser et des éventuelles actions thérapeutiques à entreprendre. L’attention à porter aux enfants migrants et les services sanitaires à leur offrir sont difficiles à systématiser : il est nécessaire d’individualiser les examens et les prises en charge. Étant donné la complexité de cette évaluation sanitaire, il est important d’y consacrer le temps nécessaire, qu’elle se déroule dans un environnement rassurant et avec, si besoin, un interprète spécialisé dans les questions de santé, attentif et respectueux des particularités socioculturelles de l’enfant et de sa famille éventuellement présente. Il est important d’établir une relation de confiance avec l’enfant et d’avoir une ouverture sociale et culturelle.
Importance de l’histoire migratoire
Une évaluation ethnopsychologique est nécessaire dans la mesure des compétences disponibles. Elle est d’autant plus importante à réaliser que l’enfant est isolé et a vécu une aventure migratoire éprouvante. Les troubles psychopathologiques et les troubles du comportement sont souvent au premier plan (41 % en moyenne [20-53 %]1) [lire les articles « Comprendre et prendre en charge les troubles psychiques des enfants migrants »,
Le but principal du bilan médical est d’identifier une ou des pathologies symptomatiques ou non avec des conséquences individuelles et/ou collectives graves. La trame du bilan recommandé par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) est décrite dans le
Il est particulièrement utile d’avoir une connaissance des pathologies du pays d’origine et des éventuelles régions traversées, des particularités culturelles et des règles religieuses du groupe social d’origine de l’enfant.
Établir la confiance lors de l’examen clinique
L’examen clinique constitue la première étape importante dans l’évaluation sanitaire de l’enfant migrant. Il permet d’identifier une pathologie et surtout de mettre en confiance l’enfant et ses accompagnateurs éventuels.
Interrogatoire : des antécédents médicaux difficiles à apprécier
La consultation d’un carnet de santé est rarement possible, ou difficile en l’absence de traduction. Les documents disponibles sont le plus souvent un carnet de vaccinations, des notes manuscrites ou des rapports médicaux. On peut avoir recours à une liste de contrôle de symptômes (disponible dans différentes langues sur Wikipédia, par exemple). L’interrogatoire de l’enfant et de son entourage nécessite parfois le recours à un traducteur.
Obtenir des informations sur les motivations, les étapes et l’aventure migratoire permet de déterminer des expositions géographiques à des risques infectieux, toxiques ou à des violences.
Expliquer l’examen physique
Toutes les étapes de l’examen doivent être préalablement explicitées ; un examinateur de même sexe doit être disponible, si demandé :
– évaluation psychomotrice2 et de l’état psychique (anxiété, dépression, questionnaires Children's Revised Impact of Event Scale-13 [CRIES-13] pour les jeunes enfants[
– évaluation du statut nutritionnel (courbes de référence de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) ;3
– évaluation du stade de développement pubertaire ;
– évaluation sensorielle (vision, audition) ;
– examen physique complet et en particulier auscultations pulmonaire et cardiaque, mesure de la pression artérielle, examens ORL et buccal ;
– examen cutané à la recherche d’impétigo, gale, pédiculose, teigne, leishmaniose, scarifications, scorbut... ;
– examen abdominal et des organes génitaux à la recherche d’une excision ou d’autres mutilations sexuelles féminines (lire l’article « Les mutilations génitales féminines »
Une liste d’examens à adapter à chaque profil
Il existe des recommandations nationales, européennes et internationales des examens à pratiquer, souvent fondées sur des études descriptives et sur des avis d’experts.1 Ce sont des listes d’examens à adapter selon les caractéristiques de l’enfant. Chaque équipe procède en fonction de sa patientèle et de ses moyens.4, 5
Comme le dépistage des pathologies fréquentes et curables selon l’âge de l’enfant, quelle que soit son origine, certains examens complémentaires sont réalisés systématiquement ; d’autres sont orientés par les données de l’interrogatoire, les risques épidémiologiques du pays d’origine et des régions de transit de l’enfant ou les résultats d’examens systématiques (
Les examens parasitologique et bactériologique des selles étant logistiquement et culturellement difficiles à obtenir en pratique, de nombreuses équipes prescrivent un traitement antiparasitaire présomptif selon l’âge et la région d’exposition (albendazole, ivermectine).6 Toutefois, il est préférable de recueillir les selles afin d’avoir une prise en charge individuelle adaptée.
Évaluation du statut vaccinal et rattrapage
L’immunité vaccinale des enfants migrants est très aléatoire selon les études. Il est recommandé de l’évaluer et d’entreprendre un rattrapage vaccinal si nécessaire.7 En l’absence de preuves de vaccination (carnet de vaccination), la stratégie recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS) est d’administrer systématiquement une dose de vaccin diphtérique, tétanique, coqueluche et poliomyélitique (DTCP) +/- Haemophilus influenzae de type b (Hib) selon l’âge et d’évaluer, si possible, le taux d’anticorps tétaniques un mois après afin de compléter, si besoin, les vaccinations.7
Cette stratégie est fondée sur des données d’enfants migrants qui ont une insuffisance d’immunisation vaccinale. Elle doit être nuancée et adaptée à des enfants migrants ayant été vaccinés récemment (dans les dernières années) dans leur pays d’origine et/ou dans des centres de santé durant leur parcours migratoire, dont ceux des camps de réfugiés.
Le titre des anticorps (Ac) antitétaniques évalué lors du bilan initial est protecteur (supérieur à 0,1 unité internationale [UI]) dans 90 % des cas ; celui des Ac HBs (hépatite B) est protecteur (supérieur à 10 UI) pour 78 % des enfants de la cohorte d’enfants migrants examinés lors de la consultation à la permanence d’accès aux soins de santé (PASS),8 comme dans la méta-analyse de Baauw.9 Ce dosage permet d’éviter de vacciner inutilement, d’éviter le risque d’hyperimmunisation (DTCP) et de réduire le nombre de prélèvements sanguins. Le titre d’Ac antitétaniques est l’indicateur de référence de l’immunité protectrice post-vaccination DTCP, ces quatre valences étant toujours associées partout dans le monde.
Il est important de dépister une éventuelle hépatite virale B (HVB) soit lors du bilan biologique préalable à la vaccination, soit par un test diagnostique rapide qualitatif fiable (test rapide d’orientation diagnostique [TROD] Ag HBs)7 et de faire une vaccination contre l’HVB, éventuellement combinée (vaccin hexavalent) selon les besoins. Il est recommandé de prioriser les vaccins protégeant contre des maladies invasives (coqueluche, rougeole, pneumocoque, diphtérie, poliomyélite, méningite à Hib, méningocoque[s] et varicelle) et les vaccinations nécessitant plusieurs injections.7
Carence en vitamine D quasi constante
La carence en vitamine D étant quasi constante, sa prescription est systématique.
Clarifier la prise en charge médicosociale
Le niveau de prise en charge médicosociale de l’enfant a besoin d’être clarifié rapidement avec les travailleurs sociaux, même si en théorie, en France, tout mineur devrait avoir accès aux soins de santé, indépendamment de l’ouverture de ses droits sociaux. En pratique, cet accès ne leur est pas si facile.10 Les consultations médicosociales des PASS pédiatriques ont pour mission d’assurer les premières consultations de ces enfants et de les orienter dès l'ouverture des droits sociaux vers un réseau de soins de médecine pédiatrique généraliste.
Assurer le suivi
La réalisation du bilan médical et paramédical d’un enfant migrant primo-arrivant nécessite de revoir cet enfant quelques semaines après pour expliquer les résultats aux parents et/ou au tuteur ou à lui–même, et de prescrire d’éventuels examens complémentaires nécessaires, de traiter les pathologies diagnostiquées et, si besoin, de réaliser le rattrapage vaccinal. Il est important d’adresser le rapport du bilan, les recommandations vaccinales et les prescriptions au médecin référent (centre de protection maternelle et infantile, dispensaire, pédiatre, médecin généraliste...) afin que le relais de la prise en charge sanitaire soit assuré en connaissant les données médicosociales de l’enfant migrant, surtout si une deuxième consultation n’est pas réalisable.
1. HCSP. Avis relatif au bilan de santé des enfant étrangers isolés 2019.11.07. www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine ?clefr=753
2. Kroening A, MooreJ, Welch T, Halterman JS, Hyman SL. Developmental screening of refugees: A qualitative study. Pediatrics 2016;138,3:e2 0160234.
3. Child growth standards de la World Health Organization (WHO). www.who.int/toolkits/child-growth-standards/software
4. Bergevin A, Husain M, Cruz M, Le Blanc C, Dieme A, Girardin ML, et al. Medical check-up of newly arrived unaccompanied minors: A dedicated pediatric consultation service in a hospital. Arch Pediatr 2021;28:689-95.
5. Hjern A, Stubbe Ostergaard L, Nörredam ML. Health examinations of child migrants in Europe screening or assessment of healthcare needs. BMJ Paediatr 2019;3(1):e000411.
6. CDC. Intestinal parasites guidelines for domestic medical exam for newly arrived refugees DGMQ 2022. www.cdc.gov/immigrantrefugeehealth/guidelines/domestic/intestinal-parasites-domestic.html
7. HAS. Rattrapage vaccinal chez les migrants primo-arrivants. En cas de statut vaccinal inconnu, incomplet ou incomplètement connu. 2019. www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-01/fiche_synthese_rattrapage_vaccinal_migrants_primo_arrivants.pdf
8. Lafay C. État de santé des enfants migrants à leur arrivée en France : étude rétrospective comparative entre enfants migrants et enfants adoptés en Île-de-France de 2017 à 2021. Thèse de médecine. Paris 2021.
9. Baauw A, Kist-van Holthe J, Slattery B, Heymans M, Chinpaw M, van Goudoever H. Health needs of refugee children identified on arrival in reception countries: A systematic review and meta-analysis. BMJ Paediatr 2019;3(1):e000516.
10. Comède. Comité pour la santé des exilés. Rapport d’activité et d’observation 2019. www.comede.org/rapport-dactivite-et-dobservation-2019/